2023-07-06 (Revue de presse) Compétence judiciaire pour un refus de sortie d’UMD

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/839

Document du jeudi 6 juillet 2023
Article mis à jour le 26 septembre 2023
par  A.B.

2023-09-15 - Mainlevée du placement en UMD de Romain Dupuy (revue de presse)

2023-07-03 - Début de judiciarisation pour l’admission et la sortie d’UMD

2022-06-17 La Cour d’appel de Bordeaux maintient Romain Dupuy en UMD


Libération. Dénouement. Affaire Romain Dupuy, la fin d’un déni de justice

2023-07-06 Libération.

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Après cinq ans d’imbroglio juridique, le tribunal des conflits vient de trancher en faveur du juge des libertés et de la détention. Une décision pleine d’espoir pour l’homme de 39 ans interné après un double meurtre, atteint de schizophrénie, celui-ci s’étant déjà montré favorable à son transfert dans un service classique de psychiatrie.

par Chloé Pilorget-Rezzouk

publié le 6 juillet 2023 à 21h58

C’est la fin d’un éreintant « ping-pong » juridique pour Romain Dupuy. L’homme de 39 ans, interné après avoir tué une infirmière et une aide-soignante à l’hôpital de Pau, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, aspire depuis cinq ans à un assouplissement de son régime psychiatrique. Depuis cinq ans, les médecins considèrent en effet que l’état de santé mentale de ce malade schizophrène, déclaré irresponsable pénalement, n’exige plus qu’il reste à l’unité pour malades difficiles (UMD) de Cadillac-sur-Garonne (Gironde). Mais depuis cinq ans, Romain Dupuy est pris dans un imbroglio : juges judiciaire et administratif se renvoient la responsabilité de statuer sur sa demande de transfert dans une unité de soins psychiatriques ordinaire. Chacun au motif qu’il serait incompétent.

Par sa décision datée du lundi 3 juillet, dont Libération a eu connaissance ce jeudi, le tribunal des conflits met fin à cet embrouillamini juridique : les recours contre les décisions de placements ou de maintiens en UMD relèvent du juge judiciaire. L’« arbitre » entre les deux ordres de juridictions désigne « la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige opposant monsieur Dupuy à la préfète de la Gironde », conformément aux conclusions du rapporteur public et à la demande des avocats de Romain Dupuy, Mes Hélène Lecat et Patrice Spinosi. « La juridiction judiciaire est […] compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ou refuse sa sortie d’une telle unité », écrit encore le tribunal, composé à parité de huit membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation.

« Une victoire du droit »

« Il s’agit d’une décision réjouissante, car elle va enfin contraindre un juge, en l’occurrence le juge judiciaire, à se prononcer sur la demande de mainlevée de placement en UMD », se félicite Me Spinosi, lequel a plaidé le dossier devant cette juridiction singulière qui se réunit en principe seulement une fois par mois. « C’est la fin d’un déni de justice, une victoire du droit pour Romain Dupuy, mais également pour tous les autres patients hospitalisés sous contrainte », abonde Me Hélène Lecat, très émue.

Le dossier sera donc renvoyé devant la cour d’appel de Bordeaux. Le 9 juin 2022, le juge des libertés et de la détention de Bordeaux avait fait droit à la demande de transfert de Romain Dupuy. Mais sa décision avait été rejetée par la cour d’appel de Bordeaux, qui avait considéré que seul le juge administratif pouvait trancher. Une ordonnance jugée par conséquent « nulle et non avenue » par le tribunal des conflits. En dépit des commissions de suivi médicales favorables, la préfecture s’est toujours opposée à une sortie de l’UMD. Lors de la dernière audience devant le juge des libertés et de la détention, le 6 juin, son représentant avait avancé, selon plusieurs observateurs, que « le doute ne peut pas être permis » dans un tel dossier et évoqué « une prudence nécessaire », renvoyant au meurtre d’une infirmière par un malade, à Reims, une quinzaine de jours plus tôt.

« Atteinte à l’intégrité »

« On peut se demander si on peut maintenir un îlot de compétences de l’ordre administratif au sein de ce qui ressemble de plus en plus à un océan de compétences de l’ordre judiciaire », avait déclaré le rapporteur public, dont le rôle est d’éclairer en droit le tribunal, et dont l’avis est suivi dans la grande majorité des dossiers. S’il a égrené plusieurs arguments en faveur d’une attribution à l’ordre administratif, la lettre du texte allant plutôt dans ce sens, Romain Victor s’est ensuite attaché à démontrer que cette compétence devait revenir au juge judiciaire, pour « des raisons d’opportunité, de bonne administration de la justice et de protection des personnes ». « Il est difficile de rester insensible à l’intention du législateur d’unifier progressivement le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte au sein de l’ordre judiciaire », a-t-il encore fait valoir, jugeant en outre « inopportun d’éclater le contentieux entre les deux ordres » et soulignant « la particulière vulnérabilité des intéressés », telles les personnes détenues ou irresponsables pénalement.

« Tant de temps, tant d’atermoiements, pour trouver un juge ! », avait regretté Me Spinosi devant le tribunal, dénonçant la « stratégie d’évitement des juridictions, qui porte atteinte à l’intégrité d’un homme ». Contacté à l’issue de l’audience par le biais de Me Lecat, Romain Dupuy s’était dit « un peu usé » par cette situation inextricable, mais avait affirmé sa volonté de « [se] réinsérer » : « Chaque jour, je fais mes preuves. J’espère que la société me rouvrira ses portes. »


Hospimedia. Une avancée importante se dessine pour les hospitalisés en UMD

2023-07-10 Hospimedia.

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Publié le 10/07/23 - 17h54 par Caroline Cordier.

Le brouillard entourant les modalités de contestation d’un placement en unité pour malades difficiles se dissipe. Une récente décision de justice ouvre des perspectives pour le respect des droits de patients qui ont pu être maintenus, sur la seule volonté du préfet et durant des années, dans ce type d’unités sécurisées, sans justification médicale.

Une voie de recours est désormais clairement ouverte aux personnes souhaitant contester leur placement en unité pour malades difficiles. Le juge judiciaire est désigné compétent. (Tetra/BSIP)

Une voie de recours est désormais clairement ouverte aux personnes souhaitant contester leur placement en unité pour malades difficiles. Le juge judiciaire est désigné compétent. (Tetra/BSIP)

Une décision importante et attendue pour les droits des patients en psychiatrie a été rendue le 3 juillet dernier. Jusqu’alors, une zone grise entourait le mode de contestation en justice d’un maintien en unité pour malades difficiles (UMD). Cet imbroglio, d’un abord technique, pouvait se traduire dans les faits par une situation a priori aberrante : le maintien selon la volonté du pouvoir exécutif, durant des années, d’un patient sans justification médicale, voire contre l’avis des médecins, sans possibilité claire de recours en justice. Cette situation kafkaïenne semble se dénouer dans un dossier emblématique et sensible, celui de Romain Dupuy. Déclaré pénalement irresponsable après avoir commis le double homicide d’une infirmière et d’une aide-soignante au CH des Pyrénées à Pau (Pyrénées-Atlantiques) en 2004, ce dernier est placé depuis près de dix-huit ans en UMD au CH de Cadillac (Gironde). Les demandes de son transfert en service classique d’hospitalisation en soins sans contentement n’ont jusqu’alors pas pu aboutir, malgré des avis médicaux favorables, par refus successifs — implicites ou non — de la préfecture. La question du contrôle juridictionnel des décisions de sortie d’UMD était depuis posée et en suspens.

Potentiel « enfermement à vie »

Le 31 janvier 2005, l’admission de Romain Dupuy au sein de l’UMD du CH de Cadillac a été actée par arrêté du préfet. La mesure d’hospitalisation d’office (forme juridique alors en vigueur), devenue mesure de soins psychiatriques sans consentement sous forme d’une hospitalisation complète a depuis été renouvelée, encore et encore, au sein de la même unité pour malades difficiles. À l’occasion d’une audience en 2021 par le juge des libertés et de la détention (JLD) chargé de contrôler la régularité de l’hospitalisation, les avocats de ce patient, Me Hélène Lecat et Me Serge Portelli, ont demandé la poursuite de sa prise en charge en soins sans consentement hors de l’UMD avec, à l’appui, des avis médicaux favorables. Mais la préfecture de Gironde s’est opposée à cette sortie et le juge s’est déclaré incompétent pour décider de ce transfert (lire notre article).

Dans cette ordonnance, le juge des libertés et de la détention a en effet indiqué que la sortie d’UMD n’était pas de son ressort et constaté « l’incompétence du juge judiciaire pour décider d’un transfert de patient », tout en autorisant le maintien en hospitalisation complète sans consentement, que les avocats du patient ne demandaient pas de toute façon de lever. Ces derniers ont alors indiqué faire appel et espéré, grâce à cette nouvelle audience ou par d’autres voies, faire de nouveau valoir leurs arguments, afin notamment de déterminer l’autorité compétente pour contrôler les décisions de sortie d’UMD. La juridiction administrative comme la juridiction judiciaire se déclaraient à l’époque toutes deux incompétentes au profit de l’autre, et ce renvoi de balle permanent a conduit à une absence de perspectives de sortie qui « équivaut à un enfermement à vie », relèvent les avocats. L’incompétence du juge judiciaire sur la sortie d’UMD a toutefois été réaffirmée en cour d’appel (lire notre article).

Renvoi au tribunal des conflits

Début avril 2022, alors que la préfète de la Gironde a sollicité une prolongation de la mesure d’hospitalisation complète (que personne ne conteste), Romain Dupuy a demandé de nouveau à ce que cette hospitalisation en soins sans consentement se poursuive hors de l’unité pour malades difficiles. Rebondissement le 9 juin 2022, le JLD a ordonné la mainlevée du placement en UMD et accédé à la demande du patient. Nouveau rebondissement quelques jours plus tard, la cour d’appel de Bordeaux a infirmé l’ordonnance en estimant que ce magistrat n’a pas compétence pour décider de la sortie d’une telle unité (lire notre article). Quelques mois plus tard, en octobre, les avocats du patient ont saisi le tribunal administratif pour demander, outre un nouveau transfert, de faire injonction à la préfète, sous astreinte, de procéder à la mainlevée de son placement en UMD. Par jugement du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a alors renvoyé au tribunal des conflits le soin de trancher la question de la compétence. La Ligue des droits de l’homme a sollicité et obtenu d’intervenir dans cette affaire.

La décision rendue ce 3 juillet est justement celle du tribunal des conflits. Il estime que « toute action relative à la régularité et au bien-fondé d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d’une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire ». Or, en vertu de l’article R3222-1 du Code de la santé publique, seuls des patients en hospitalisation complète prononcée par le préfet ou par une juridiction pénale, dans le cadre d’une irresponsabilité, peuvent être admis en unité pour malades difficiles.

Ouverture d’une voie de recours

« Il s’ensuit, poursuit le tribunal des conflits, que la juridiction judiciaire est également compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient […] ou refuse sa sortie d’une telle unité ». Elle est donc compétente pour le litige opposant Romain Dupuy à la préfète de Gironde. Le tribunal a ainsi déclaré l’ordonnance de la cour d’appel de Bordeaux du 17 juin 2022 est « nulle et non avenue » et a renvoyé « la cause et les parties […] devant la juridiction du premier président » de cette même cour d’appel.

Le tribunal des conflits « ouvre une voie de recours qui était inexistante jusque-là pour les personnes retenues […] sur décisions préfectorales en UMD », souligne l’association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA) dans un communiqué le 7 juillet. Un pas a été ainsi franchi en direction d’une judiciarisation de l’admission comme de la sortie de ces unités, commente André Bitton le président du CRPA, qui juge « souhaitable à l’avenir que ce contrôle judiciaire devienne systématique ». Il reste qu’il y a plusieurs juges judiciaires, fait-il remarquer : le juge des libertés et de la détention, le juge des référés, le juge indemnitaire. Il estime alors que « l’on verra sans doute prochainement des décisions de rejet prises par des [JLD] au motif que le requérant a trop de passif pour être libéré ou transféré, mais qu’il peut se pourvoir devant le juge de l’indemnisation s’il estime que son internement en UMD a trop duré et qu’il est entaché d’irrégularités de droit ». Quoi qu’il en soit, ajoute-t-il, « les demandes de sortie d’UMD avec transfert en établissement classique ne pourront plus être rejetées pour cause d’incompétence de la juridiction saisie ».

Des étapes encore à franchir

Contactée ce 10 juillet par Hospimedia, Hélène Lecat salue « la fin d’un déni de justice, une victoire du droit pour Romain Dupuy, mais également pour tous les autres patients ». En effet, souligne-t-elle, cette décision est également satisfaisante pour les patients hospitalisés sous contrainte en psychiatrie car « elle unifie le contentieux en la matière en le confiant au seul juge judiciaire, garant des libertés individuelles ». C’est une étape « décisive » mais il en reste à franchir. Le dossier est renvoyé en cour d’appel. Que va dire cette fois le juge ? « Je lui demande de mettre fin à ce régime d’internement d’exception qui ne concerne que mon client », déclare-t-elle, estimant qu’il va falloir dans le cas particulier de Romain Dupuy « un juge très courageux » pour décider d’un transfert.

Une nouvelle audience devra donc se tenir dans les prochains mois. Si le juge d’appel venait à refuser ce transfert, la bataille en justice devra se poursuivre. Si celui-ci décide finalement d’autoriser le transfert, il faudra alors que le préfet prononce, par arrêté, la sortie du patient de l’UMD et informe de sa décision le préfet ayant pris l’arrêté initial d’admission, ainsi que l’établissement à l’origine de la demande. En pratique, il reviendra ensuite à l’ARS d’organiser le transfert vers un établissement, donc de trouver un hôpital prêt à accueillir ce patient. Mais l’on peut imaginer que des réticences se fassent jour à cette idée, pour de nombreuses raisons, par exemple des équipes estimant que ce patient relève d’une unité de soins intensifs, se déclarant en effectifs insuffisants, dans un environnement trop peu sécurisé, etc.

En cas d’autorisation de transfert, « dans les vingt et un jours, la préfecture et l’ARS doivent trouver [un établissement] pour recevoir mon client afin que, enfin, sa situation clinique actuelle stabilisée soit prise en compte », poursuit l’avocate.

Décision du Tribunal des Conflits.

Il incombera alors « à l’État et à un service public de prendre en charge » Romain Dupuy. « La bataille n’est pas terminée et il reste des amalgames à combattre », résume-t-elle.

Liens et documents associés
La décision du tribunal des conflits.


Mediapart. Vers une clarification de la situation du meurtrier Romain Dupuy

2023-07-10 Mediapart.

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Résumé. Balloté entre l’administration et la justice, ce schizophrène interné en unité pour malades difficiles depuis 18 ans, après le meurtre d’une aide-soignante et d’une infirmière, demande son transfert en psychiatrie classique. Le Tribunal des conflits a décidé : ce sera à la justice et non à la préfecture de décider

Michel Deléan

10 juillet 2023 à 19h38