2024-04-09 - La judiciarisation de l’hospitalisation psychiatrique a-t-elle été neutralisée ?

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/870

Document du mercredi 10 avril 2024
Article mis à jour le 18 avril 2024
par  A.B.

2024-04-10 - SNG. "Qui contrôle qui « couac » qu'il Nous en coûte (?) !"

2017-01-04 Audition du CRPA par la mission parlementaire d’évaluation de la loi du 27 septembre 2013

2017-10-04 Une alerte internationale est demandée sur la France du fait des dérives de son système psychiatrique

Pour retrouver ce billet sur l’édition participative « Les Contes de la folie ordinaire » sur Mediapart club, cliquer ici


CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie [1]
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton. 14, rue des Tapisseries, 75017, Paris.
Pour nous contacter, cliquer ici

André Bitton.

Paris, le 7 avril 2024.

« Contrôler la psychiatrie ? » Colloque des 9 et 10 avril 2024, Faculté de droit, Université de Nantes

Programme de ce colloque : https://lc.cx/vHZ_b6

Intervention CRPA.

Intervention pour le CRPA : La judiciarisation de l’hospitalisation psychiatrique a-t-elle été neutralisée ?

Texte lu par Mme Natacha Guiller le 10 avril (pour le compte-rendu de ces journées en photos et dessins, cliquer sur ce lien )

En tant qu’ observateur et acteur associatif engagé dans un militantisme de longue date en faveur des droits des personnes psychiatrisées sous contrainte, j’ai constaté que depuis le 1er août 2011, nous connaissons en parallèle d’une judiciarisation des mesures d’hospitalisation sans consentement, une neutralisation de cette mise à effet d’un contrôle judiciaire effectif de ces mesures.

Ce double mouvement, selon un schéma action – réaction, est en cohérence avec le fait que l’entrée du droit dans le dispositif de l’hospitalisation psychiatrique sous contrainte, s’est faite sous la contrainte de jurisprudences des Hautes Cours et sans que les acteurs de terrain, sauf une stricte minorité, en veuillent.

Dès la mise à effet du contrôle judiciaire obligatoire des hospitalisations sans consentement au 1er août 2011 des manœuvres d’obstruction se sont mises en place, provenant des décideurs et des agents des établissements hospitaliers ainsi que des juridictions, Barreaux inclus. Le film 12 jours de Raymond Depardon, de novembre 2017, en a donné une triste démonstration.

La 1re chambre civile de la Cour de cassation, a dû déployer une jurisprudence très contrastée pour normaliser et réguler des pratiques et des jurisprudences disparates et contradictoires d’une cour d’ appel à l’autre. On a été en insécurité juridique sur ce terrain émergent du droit selon qu’on était hospitalisé sous contrainte à Paris, Versailles, Lyon, Montpellier, ou à la Réunion ou en Martinique.

2017-09-27 Cour de Cassation.

Force est de constater qu’un tournant rétrograde a été pris par la Cour de cassation singulièrement à partir d’une décision du 27 septembre 2017 (n°16-22.547 publiée au Bulletin de la Cour) qui cassait une ordonnance de Cour d’appel donnant mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète. Citation de cette décision : « [attendu] qu’en statuant ainsi par des motifs relevant de la seule compétence médicale, le premier président qui a substitué son avis à l’ évaluation par les médecins des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins a violé les textes sus visés. ».

À partir d’une telle décision de principe, s’ imposant à l’ ensemble des juridictions en matière de contrôle des hospitalisations sans consentement, il n’était plus possible pour un juge des libertés de la détention ou pour un 1er président de cour d’ appel, de critiquer le contenu d’avis et de certificat médicaux versés au dossier, lesquels peuvent très bien être en contradiction flagrante avec l’ état de la personne auditionnée, ainsi qu’ avec d’ autres pièces du dossier.

A partir des décisions gouvernementales de confinement dues à la pandémie de COVID 19 en 2020, la Cour de cassation a fait une application systématique de l’ article L. 3216-1 du code de la santé publique issu de la loi du 5 juillet 2011, selon lequel, dans le contentieux du contrôle d’une mesure d’ hospitalisation sans consentement en cours d’exécution, l’ irrégularité constatée par le juge n’entraîne la main levée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne objet de soins sous contrainte.

2021-09-15 Cour de cassation.

Ainsi et entre autres, une décision du 15 septembre 2021 (n°20-15.610) dont je cite le résumé issu du commentaire de M. Cédric Helaine sur Dalloz Actualité du 27 septembre ( cliquer ici ) : « lorsque le certificat médical mensuel n’est pas produit en temps et en heure, la Cour de cassation rappelle qu’il reste nécessaire d’articuler un grief pour obtenir la mainlevée de la mesure. En d’autres termes, il n’existe aucune atteinte automatique des droits par ce seul défaut. ».

En conséquence de ce double verrouillage a été sévèrement compromis l’accès des personnes hospitalisées sous contrainte en milieu psychiatrique à un juge indépendant et impartial, ainsi qu’à une défense opérationnelle, au sens des exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’ homme, et de l’ article 5-4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

D’ une part le magistrat du contrôle judiciaire d’une mesure d’ hospitalisation complète n’a pas cette latitude de critiquer les avis et certificats médicaux au dossier ; d’autre part des irrégularités de forme dans la rédaction des actes, mais aussi dans les délais de procédure, même si elles atteignent une certaine gravité, n’entraînent pas, à elles seules, que la mainlevée de la mesure de privation de liberté soit ordonnée.

Or seule une telle décision libératrice peut mettre fin à la « détention » arbitraire « d’un aliéné » (au sens de l’article 5-1-e de la convention européenne des droits de l’homme) dès lors que cette mesure a été décidée et formalisée en dehors des clous des textes qui encadrent ce pouvoir qu’ont des autorités de priver des personnes de liberté au motif de leur pathologie mentale.

En ce qui concerne le contrôle judiciaire obligatoire des décisions de maintien en isolement - contention, force est de constater que l’instauration de ce contrôle judiciaire à titre obligatoire n’a entraîné qu’une baisse limitée de ces mesures d’après la dernière note de l’IRDES portant sur l’exercice 2022, en comparaison de la précédente note qui portait sur 2021.

Cet état de fait, comme nous le soutenons en tête de ce texte est donc en cohérence avec le fait que la réforme de départ qui déclenche ce processus de judiciarisation des hospitalisations sans consentement s’est faite non sur un travail concerté du Gouvernement et du Parlement mais sous la contrainte d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel actionnée par des activistes et par quelques avocats engagés.

Historiquement et structurellement la France par son centralisme et sa verticalité structurelle (le « jacobinisme français » (cliquer ici pour lire une définition de ce concept)) rejette le déploiement des contre-pouvoirs, inclus le pouvoir judiciaire.

A mon sens, et je parle ici en tant que français issu d’une immigration de l’ ex-Empire colonial, débarqué à Paris en 1957 en très bas âge alors que la bataille d’Alger faisait rage, et naturalisé français en cours d’enfance, les refus catégoriques et les réticences en la matière renvoient aussi bien et par exemple au refus du Gouvernement Français de la décolonisation au sortir de la deuxième guerre mondiale. Voir par exemple la Conférence de Brazzaville de 1944, où le général de Gaulle en présence d’administrateurs coloniaux affirme sa doctrine en la matière : pour une plus large autonomie dans le cadre de l’Union française, mais pas question de décoloniser. Ce rejet de principe de la décolonisation a induit les deux conflits d’Indochine (1946 – 1954) et d’Algérie (1954 – 1962) ou la France s’est embourbée.

Etaient en place les groupes de pression colonial et militaire en ce qui concerne l’opposition à la décolonisation. Pour le terrain qui nous concerne, le poids des corporatismes, l’inertie carriériste, la volonté du Gouvernement et de l’administration de tenir sans contrôle extérieur cet outil médicalisé de répression et de domination de proximité qu’est l’institution psychiatrique depuis la loi du 30 juin 1838.

En ce qui concerne la psychiatrie l’État, l’administration centrale, les agences déléguées, ainsi que les institutions psychiatriques, ont amplement prouvé depuis les années 1996 - 2000 que si des mouvements d’usagers en santé mentale sont autorisés, ils ne le sont que sous contrôle étroit des bailleurs de fonds et des institutions, avec aussi peu de marges de manœuvres que possible. Si opposition au système psychiatrique, lequel en l’espèce est passablement paternaliste et hygiéniste, une « opposition de sa majesté » est tolérée mais guère plus.

Le contraste est criant par rapport à ce qu’il se passe au Québec où les mouvements de défense des droits des personnes psychiatrisés (l’AGIDD en l’espèce) peuvent déployer des initiatives et des interfaces que nous ne connaissons en France que de façon embryonnaire.

Il est ainsi possible d’affirmer que le contrôle judiciaire des mesures psychiatriques de privation de liberté, perd d’année en année son objectif premier qui est de garantir les personnes hospitalisées sous contrainte en milieu psychiatrique contre l’ arbitraire des institutions qui les détiennent.

L’indigénat dans l’empire français, de Sylvie Thénault.

Un parallèle à mon sens est à établir, et serait à approfondir dans des travaux universitaires, entre ce statut social de fait et de droit des personnes psychiatrisées, et le statut de l’indigénat tel qu’il a été codifié dans la 2e moitié du 19e siècle dans l’ Empire colonial français. Ce droit de l’indigénat était un droit administratif spécifique, organisant un statut dérogatoire, avec un corpus de mesures spécifiques. Les gouverneurs coloniaux, les administrateurs et leurs agents avaient les pleins pouvoirs sur la population concernée.

La sortie toute récente du droit de l’ hospitalisation psychiatrique sans consentement du droit administratif, et son inclusion dans le droit judiciaire, ne permet pas encore de constater une différence de régime qui rompt avec la conception 19èmiste de l’ aliénation mentale.

Nous ne pouvons que constater que La France en ce qui concerne le droit des personnes psychiatrisées entend conserver l’ essence même de son régime ancien de l’ internement selon la loi de 1838 : aussi peu de contrôle extérieur que possible. Et puisque les détenteurs du pouvoir ont dû mettre en place un contrôle obligatoire de l’ hospitalisation psychiatrique contrainte par la juridiction judiciaire, réduire ce contrôle à une peau de chagrin.

Les hommes et les femmes de bonne volonté qui opèrent sur ce terrain, quelles que soient leurs obédiences doivent aller à contre – courant de cette pente mortifère.


[1Le CRPA est adhérent au Réseau européen des (ex) usagers et survivants de la psychiatrie (ENUSP / REUSP).