2017-10-04 Une alerte internationale est demandée sur la France du fait des dérives de son système psychiatrique

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/NqBntw ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/656

Document du mercredi 4 octobre 2017
Article mis à jour le 30 août 2020
par  H.F., A.B.

Fiche biographique issue du site internet des Nations-Unies sur Mme Catalina Devandas Aguilar : http://www.ohchr.org/EN/Issues/Disa…

Au sujet de cette visite en France lire un article d’un blog de l’Express du 3 octobre 2017 : http://blogs.lexpress.fr/the-autist…

Pour retrouver cet article sur Mediapart, rubrique Les Contes de la folie ordinaire : https://blogs.mediapart.fr/edition/…

Recommandations préliminaires de Mme Catalina Devandas Aguilar lors de sa conférence de presse à l’issue de sa visite en France, cliquer sur ce lien


Communiqué

 

CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton |14, rue des Tapisseries, 75017, Paris |
Pour nous contacter, cliquer sur ce lien
 

Paris le 8 octobre 2017.

Audition d’associations d’usagers en santé mentale par Mme Catalina Devandas–Aguilar, Rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, mercredi 4 octobre 2017.
 

2017-10-08 Communiqué du CRPA.

Les associations d’usagers en psychiatrie et mouvements qui suivent ont été auditionnées par Mme Catalina Devandas-Aguilar, Rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, mercredi 4 octobre passé en fin d’après-midi : Advocacy France, Humapsy, le Collectif informel pour une prohibition absolue [des mesures de contrainte psychiatrique], le CRPA, et l’UNAFAM.

Les interventions en présence ont été accablantes pour le système psychiatrique français tel que nous le connaissons, tel que l’avons subi et vécu. Un témoignage particulièrement parlant et émouvant d’une personne handicapée partie prenante du Collectif informel pour une prohibition absolue, qui subit actuellement et depuis trois ans une mesure de contrainte aux soins psychiatriques ambulatoires sans consentement, a pu être entendu et pris en compte.

Faisant suite à ce témoignage ainsi qu’au dossier et au texte versés par le CRPA, la vice-présidente de l’UNAFAM, Mme Roselyne Touroude, a soutenu sa centrale et souligné le fait que c’est bien la nouvelle direction de l’UNAFAM, avec Mme Béatrice Borrel, présidente de l’UNAFAM depuis le 25 juin 2015, qui a saisi la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté de la situation aberrante qui prévaut au Centre psychothérapique de l’Ain de Bourg-en-Bresse, permettant ainsi que soit prise la recommandation d’urgence publiée au journal officiel en mars 2016 par le Contrôle général des lieux de privation de liberté.

À noter que la FNAPSY (fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie) bien que sollicitée par Mme Stéphanie Wooley, organisatrice de cette rencontre en qualité d’administratrice du réseau européen des usagers survivants de la psychiatrie (ENUSP), et de l’association d’usagers Advocacy France, n’était ni présente ni représentée, de même que l’association d’usagers Argos 2001, ainsi que l’association de parents de personnes atteintes de troubles schizophréniques Schizo ? Oui !

Les représentants d’associations et de mouvement de patients et ex-patients en psychiatrie sont tombés d’accord pour conforter la demande faite, arguments à l’appui, par le CRPA qu’une alerte internationale soit posée sur la France du fait des dérives de son système psychiatrique. En effet l’ensemble des intervenants présents à ce tour de table ont souligné la situation gravissime de notre système psychiatrique pour lequel les droits de l’homme des personnes psychiatrisées semblent n’être qu’un vain mot.


Conclusions du CRPA lues et déposées lors de notre audition par Mme Catalina Devandas Aguilar

 

CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton |14, rue des Tapisseries, 75017, Paris |
Pour nous contacter, cliquer sur ce lien
 

André Bitton.

Paris, le 2 octobre 2017.

Audition du CRPA par Mme Catalina Devandas, Rapporteure spéciale des Nations-Unies sur les droits des personnes handicapées. 4 octobre 2017.
 
Une alerte internationale doit être posée sur la France du fait des dérives de son système psychiatrique.
 

1. - Présentation du CRPA

Conclusions du CRPA - Audition par Mme Catalina Devandas Aguilar.

Le CRPA est une association militante majoritairement composée de personnes ayant connu l’internement psychiatrique, centrée sur la question des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées singulièrement quand il y a hospitalisation sous contrainte et contrainte aux soins.

Le CRPA est une scission fondée en décembre 2010 du Groupe information asiles (GIA), dont le rédacteur du présent texte a été militant actif entre 1990 et 2010 et président de cette association entre fin 2000 et fin 2010. Le GIA a systématisé à partir des années 1980 le contentieux de l’internement psychiatrique afin de développer une jurisprudence favorable aux personnes internées en milieu psychiatrique et de contraindre par le biais jurisprudentiel à une judiciarisation de l’internement psychiatrique.

Nous avons fondé le CRPA fin 2010, en même temps qu’était prise, en bonne partie sous notre impulsion, la décision historique du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010, sur une question prioritaire de constitutionnalité posée par Madame Danielle S. soutenue par le Groupe information asiles (GIA), intervenant volontaire dans cette procédure.

Le CRPA a obtenu une décision d’inconstitutionnalité de deux articles importants de la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins psychiatriques sans consentement, par une décision du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012 sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par notre association.

Notre association a également obtenu un important arrêt du conseil d’État du 13 novembre 2013 annulant un article d’un des deux décrets d’application de la loi du 5 juillet 2011 concernant les pièces obligatoirement transférées par l’établissement psychiatrique au greffe du juge des libertés de la détention afin de contrôle obligatoire des mesures de soins sur demande d’un tiers ou en cas de péril imminent. Cet arrêt a rendu obligatoire que les directeurs d’établissements prennent, s’agissant de ces de ces mesures de soins sans consentement, des décisions écrites et motivées, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Notre association a également saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le statut des unités pour malades difficiles. Ce statut a été considéré comme étant constitutionnel par une décision du Conseil constitutionnel du 14 février 2014, du fait de la réforme du 27 septembre 2013 abrogeant le régime dérogatoire des personnes internées en unités pour malades difficiles.

Cette décision constitutionnelle, ainsi que celle précédente du 20 avril 2012, nous ont néanmoins donné acte du fait que l’univers des unités pour malades difficiles est bel et bien un monde à part, ultra sécurisé, dans lequel la question des droits fondamentaux des personnes qui y sont tenues internées est une vraie question.

Notre association tient également un site Internet où nous nous efforçons de publier des jurisprudences en matière de contrôle judiciaire obligatoire des hospitalisations sans consentement en milieu psychiatrique (essentiellement des décisions de mainlevée de mesure de soins sous contrainte), ainsi que des analyses juridiques sur la question des droits fondamentaux des personnes tenues sous mesures de soins psychiatriques sans consentement. Cette base de données est reconnue, notamment par la haute autorité de santé (HAS), comme étant une base d’information de référence, cela quoique nous ayons ce travers – voire selon certains cette maladie - d’être des contestataires et de réclamer avec les moyens du bord une réforme du système psychiatrique français dans ce sens que ce système doit, selon nous, respecter des droits et libertés des personnes qui y sont prises en charge, singulièrement quand elles sont admises en hospitalisation psychiatrique sans consentement.

Dans un article publié dans un ouvrage collectif en 2014 sous le titre « Consentement et contrainte dans les soins en psychiatrie », p. 41 de cet ouvrage, le Dr Carol Jonas, psychiatre expert, pouvait dire du CRPA ce qui suit : « … on trouvera beaucoup sur un site dont la philosophie est antipsychiatrique, celui du CRPA (mais cela n’enlève rien à la valeur des décisions) et maintenant sur le site du ministère de la santé. ». C’est dire que nous serions résolument parfaits si nous n’étions pas contestataires…
 

2. - Les raisons qui nous font demander qu’une alerte internationale soit posée sur la France du fait des dérives de son système psychiatrique

2.1. - Rapports officiels

Les dernières statistiques disponibles en matière de mesures d’hospitalisations et de soins psychiatriques sans consentement font apparaître une augmentation inquiétante du nombre de personnes qui ont été admises en soins sans consentement en 2015 par rapport aux années antérieures. En 2015, d’après une enquête de l’IRDES (institut de recherche et documentation en économie de la santé) [1] 92 000 personnes ont été en mesures de soins sans consentement, dont 79 000 personnes l’ont été en hospitalisations sans consentement, 13 000 personnes étant en programmes de soins ambulatoires sans consentement depuis plus d’un an. Cela alors même qu’en 2012 il avait été établi par ce même institut de recherche que 77 000 personnes avaient été en mesures de soins sans consentement.

Le député M. Denys Robillard s’est longuement interrogé sur cette augmentation de la file active des personnes en soins psychiatriques sans consentement dans un rapport publié le 15 février 2017 par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale [2]. Ce rapport qui du reste reprend certaines de nos analyses et de nos préconisations, liste des recommandations de la mission parlementaire d’évaluation de la loi du 27 septembre 2013 qui a réformé partiellement la loi du 5 juillet 2011. Nous pensons que ces recommandations doivent être mises à effet. Parmi les pièces annexées au présent texte, vous trouverez les textes que notre association a déposés dans les mains du député M. Denys Robillard et de son collègue député M. Denis Jacquat qui était co-rapporteur de cette mission d’information.

Les derniers rapports du Contrôle général des lieux de privation de liberté sont concordants sur un ensemble de questions graves telles l’abus de l’utilisation de l’isolement et de la contention dans les murs des institutions psychiatriques, le défaut ou les carences graves dans l’information des personnes en soins psychiatriques sans consentement sur leurs droits et voies de recours, une infantilisation systématique, des carences graves dans la mise à effet des dispositions du contrôle judiciaire des mesures d’hospitalisation sans consentement instauré il y a seulement six ans (depuis le 1er août 2011), cela sur la base de décisions du Conseil constitutionnel saisi par des requérants au demeurant issus de nos rangs, qu’il s’agisse du Groupe information asiles ou plus tard du CRPA [3] .

Même constat de la part du député M. Denys Robillard.
 

2.2. - Dysfonctionnements du contrôle judiciaire des hospitalisations psychiatriques sans consentement

Les dispositions législatives et normatives favorables aux personnes hospitalisées ou en soins psychiatriques sans leur consentement, et notamment le contrôle judiciaire de ces mesures, ne sont pas pleinement mis à effet à travers le territoire, et prêtent lieu à des défauts d’application graves, quand il ne s’agit pas d’obstructions pures et simples.

Certains établissements de la région parisienne ont boycotté les audiences de contrôle des juges des libertés et de la détention (JLD) plusieurs années durant, en refusant d’envoyer les patients hospitalisés sans leur consentement à ces audiences. Ainsi l’établissement public de santé mentale (EPSM) Ville Evrard, en Seine-Saint-Denis (93), ne s’est décidé à envoyer en comparution les personnes hospitalisées sans leur consentement dans ses murs, devant les juges des libertés et de la détention, que depuis un an et demi à deux ans, une salle d’audience spécifique ayant été ouverte au sein de cet établissement facilitant le transfert des patients en soins sans consentement à ces audiences.

Pendant plusieurs années les audiences des contrôles obligatoires des mesures d’hospitalisations sans consentement du ressort du tribunal de grande instance de Bobigny ont été un tête-à-tête entre le juge des libertés et de la détention et tel avocat commis d’office du barreau de Bobigny discutant de la mesure d’hospitalisation sans consentement sans la présence de l’intéressé, et donc sans que celui-ci puisse faire valoir son point de vue, dans le cadre d’une audience uniquement sur pièces. On trouve mieux comme respect du droit à un procès équitable constituant en l’espèce une procédure d’habeas corpus.

On note des juridictions particulièrement répressives qui rejettent systématiquement les moyens de droit qui sont soulevés et qui valident systématiquement les certificats médicaux présents dans les dossiers.

On observe des établissements psychiatriques en très grand nombre dans lesquels les personnels n’expliquent pas aux patients tenus sous contrainte ce qu’il en est de l’audience de contrôle devant les JLD, ce qu’il en est de l’avocat qui leur sera commis d’office ou qu’ils peuvent choisir. Des établissements où l’on ne dit surtout pas aux patients sous contrainte que le contrôle judiciaire des hospitalisations sans consentement a été instauré en France suite à des décisions de censure prises par le Conseil constitutionnel, en faveur du droit des patients psychiatrisés, ces audiences n’étant pas des audiences pénales mais bien des procédures civiles destinées au fond à éviter les internements abusifs et à statuer sur la légalité des mesures.

À défaut d’explications et d’informations dûment délivrées, de façon objective et loyale, sans ce paternalisme intrinsèquement lié à l’exercice coutumier de la psychiatrie, les patients qui sont envoyés aux audiences des juges des libertés et de la détention à travers le pays, peuvent penser légitimement qu’il s’agit d’audiences qui les incriminent, avec des juges accusatoires, des avocats qui leur seront commis dans le sens d’une innocence par rapport à une culpabilité. De façon très fréquente dans le pays le contrôle judiciaire obligatoire des hospitalisations psychiatriques sans consentement est transformé insidieusement en une procédure quasi pénale pour les patients, alors même que ce contrôle judiciaire a été instauré en faveur des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte.

C’est ainsi que l’été passé a pu être présenté valablement au festival de Cannes un film d’un cinéaste très connu, Raymond Depardon, titré « 12 jours ». Pour l’élaboration de ce film ce cinéaste, conseillé et assisté par une psychiatre du CHS le Vinatier, la Dr Natalie Giloux, a filmé quelques 71 audiences du juge des libertés de la détention de Lyon. Aucune de ces audiences ne se concluant par une mainlevée ; cela alors même que le pourcentage national de mainlevées de mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement est de 8 % du total des mesures contrôlées, soit environ 6 400 mainlevées en 2016 ainsi qu’en 2015 sur 78 000 mesures contrôlées [4] … Nombre des patients filmés pensaient être incriminés pénalement par le biais de ces audiences. Les avocats commis d’office lors de ces audiences ne soulevaient aucune nullité, alors même que le terrain du contentieux de l’hospitalisation sans consentement est un des terrains du droit en France qui fonctionne par les exceptions d’irrégularités. Ce film à grand spectacle délivre un message sur la « folie » et l’univers psychiatrique ainsi que sur le contrôle judiciaire des internements psychiatriques, nihiliste et dérisoire. D’après les comptes rendus publiés dans les médias à propos de ce film on sort après avoir vu ce film en se disant : « mais que vient faire le droit là-dedans ? Le monde judiciaire n’a pas sa place dans le monde de la folie… etc. ».

Nous en sommes en France à ce que des dispositions législatives et normatives favorables aux droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte ont été adoptées et sont dans les textes, en très large partie sous le forceps de décisions successives du Conseil constitutionnel, alors même que les acteurs du terrain psychiatrique dans leur très large majorité n’en voulaient pas, les acteurs du terrain judiciaire non plus, mis à part le Syndicat de la magistrature et quelques avocats militants ou ayant eu à connaître de ce type de contentieux, le gouvernement n’en voulait pas, le parlement non plus, l’administration non plus. Mais les requérants, c’est-à-dire nous autres, nous en voulions. Nous voulions du droit dans l’internement psychiatrique. Nous sommes quelques-uns à avoir payé le prix, de nos personnes, pour qu’existe dans ce pays un droit pour les personnes internées en psychiatrie. Ainsi la personne qui rédige ces lignes a été pendant près de 17 ans devant les juridictions pour que le droit soit dit concernant sa propre psychiatrisation entre 1986 et 1988.

Il y a en France actuellement un fossé entre l’état des textes et les pratiques, entre un droit positif qui se développe à vive allure, et des freins institutionnels conséquents à ce développement du droit.

Ce gap, cette fracture entre ce que disent les textes qui sont favorables aux personnes psychiatrisées sous contrainte et l’état de fait, pose en soi problème et devrait prêter lieu à une alerte internationale, de sorte que la France respecte ses propres textes, et fasse passer dans la pratique les dispositions adoptées ces dernières années par le Parlement, ainsi d’ailleurs que par la HAS (voir à ce sujet la recommandation récente de la HAS sur l’isolement et la contention en psychiatrie générale, cette recommandation étant restrictive).

La simple lecture des témoignages que nous mettons à disposition, mais aussi des bilans et des rapports de visite opérés par le Contrôle général des lieux de privation de liberté dans des établissements psychiatriques depuis 2008, et plus systématiquement depuis trois ans, amène à penser qu’il y a en France une situation où dans la plupart des établissements psychiatriques, et dans un grand nombre de services psychiatriques, des violations habituelles et plus ou moins graves des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées ont lieu.

En France à l’heure actuelle nous en sommes à ce que doit être envisagée la mise en œuvre d’une politique effective de réduction des hospitalisations psychiatriques sous contrainte, mais aussi une politique de réduction des soins psychiatriques ambulatoires sans consentement, ceux-ci étant en cours de forte montée en charge comme le démontre la dernière étude précitée publiée par l’IRDES en février 2017.
 

2.3. - Du rôle de l’UNAFAM et des tenants de la psychiatrie biologique dans la légalisation des soins ambulatoires sans consentement

On notera à ce sujet que les programmes de soins ambulatoires sans consentement ont été légalisés sur la demande et sur la pression continue de l’UNAFAM (union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) dont cela a été un cheval de bataille depuis sa fondation en 1963.

La légalisation de ces mêmes programmes de soins ambulatoires sans consentement a été vivement réclamée par des générations de psychiatres du courant de la psychiatrie biologique : celles et ceux qui sont tenants de cette école selon laquelle les maladies mentales sont de substrat organique et qu’il y a lieu de privilégier de manière centrale les médicaments et non tout autre approche qui soit de type psychosocial et relationnel. Ce courant de pensée qui déresponsabilise aussi totalement que possible les familles et la société en ce qu’elles peuvent avoir de dysfonctionnel pour nombre d’entre nous. La France connaît une exclusion et un chômage de masse qui touche plus de 15 % de la population totale du pays. Ce courant de pensée est actuellement prévalent dans la psychiatrie française contemporaine. Or cette école est aussi à notre sens une école du refus d’une prise en charge efficace, humaine et authentique des patients. Elle met fondamentalement en péril les droits fondamentaux et les libertés des personnes prises en charge dans un pareil système. En effet les patients sous cet angle sont immédiatement déshumanisés et placés à vie sous médicaments psychiatriques.
 

2.4. - Désinstitutionnalisation et inflation des files actives en psychiatrie

La politique de désinstitutionnalisation menée ces dernières décennies a eu également un effet pervers redoutable : une démultiplication de la file active des personnes psychiatrisées tantôt dans les murs, tantôt en ambulatoire, mais aussi chronicisées, souvent de façon indue. À l’heure actuelle plus de 2 millions de personnes sont en suivi par les dispositifs de la psychiatrie publique. Cela sans compter les personnes en suivi en psychiatrie privée.

Les données prospectives en matière de santé mentale [5] , donnent des projections de l’ordre de 20 à 25 % de la population générale pouvant relever d’une prise en charge psychiatrique. Quand on sait que pour nombre de familles, d’équipes de soins, de donneurs d’ordres en la matière, ainsi que pour « l’opinion publique » (c’est-à-dire pour les détenteurs des lignes éditoriales des Media de masse), en matière psychiatrique les traitements règnent, lesquels sont à prendre à vie, pathologies dites incurables ou seulement stabilisables (risques de troubles à l’ordre social aidant). On ne peut que se dire que la France est un pays paradisiaque pour les profits des firmes pharmaceutiques fabriquant et commercialisant les traitements psychotropes, ainsi que pour leurs actionnaires.
 

2.5. - Une inflation de lits sécuritaires

Il faut noter qu’en France il y a eu une explosion depuis le tournant sécuritaire de 2002 de lits psychiatriques d’enfermements purs et simples ouverts ou spécialisés dans le cadre d’une optique purement et simplement répressive. Nous sommes passés de quatre unités pour malades difficiles à dix actuellement avec une hausse de la capacité hôtelière de ces unités d’environ 50 %. Dans la plupart des établissements psychiatriques ont été développées des USIP (unités de soins intensifs psychiatriques), des UMAP (unités pour malades agités et perturbateurs), des USI (unités de soins intensifs). Cela sans compter l’ouverture par tranches successives des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées), qui relèvent de l’administration pénitentiaire et qui sont des hôpitaux psychiatriques carcéraux.
 

2.6. - Le défaut très français de représentation effective des patients et ex-patients psychiatrisés dans les instances de de santé publique

Un dernier point pose un grave problème en France qui est le défaut de ce que l’on appelle « la démocratie sanitaire », à savoir l’organisation et la représentation des personnes psychiatrisées elles-mêmes.

La représentation des usagers en psychiatrie en France est écrasée par l’UNAFAM qui la tient sous sa tutelle. La représentation institutionnelle des patients est donc ainsi sous la tutelle des familles de malades. L’UNAFAM tient de fait sous sa dépendance la principale fédération d’associations de patients psychiatriques en France qui est la FNAPSY (ni présente ni représentée dans la présente audition). Nos associations ont le plus grand mal à exister dans un paysage pareil.

Je précise à cet endroit que les postulations que le CRPA a produites depuis que nous avons obtenu un agrément pour la représentation des patients dans le système de santé en septembre 2016, ont toutes été rejetées au motif que là où nous avons postulé l’UNAFAM siège. Les décideurs considérant en l’espèce que l’UNAFAM, qui représente les familles de patients psychiatrisés, représente à elle seule valablement les patients du territoire concerné. Nous avons d’ailleurs engagé trois instances distinctes en juridiction administrative contre cet état de fait.

Nous trouvons au surplus pour le moins curieux que l’UNAFAM, depuis 2016, à travers le drame du Centre psychothérapique de l’Ain et ses épouvantables pratiques systématiques d’isolement - contention des patients admis dans cet établissement [6] , puisse se prévaloir de défendre les droits fondamentaux des personnes psychiatrisées, alors même que cette centrale nous a combattus, tant à l’époque de la pleine activité juridique du Groupe information asiles (GIA) - nous luttions contre l’internement abusif, l’UNAFAM ripostait qu’on était en risque d’externement abusif - qu’à celle actuelle du CRPA.

Je signale à ce sujet, qu’en tant que président du CRPA, j’ai eu la surprise en décembre 2012 de recevoir une lettre recommandée avec avis de réception me mettant en demeure de cesser mes activités militantes parce que celles-ci gênaient nombre de familles adhérentes à l’UNAFAM, qui en avaient saisi la direction nationale de l’UNAFAM, laquelle avait sollicité son avocat afin de m’intimer de stopper mon militantisme.

Cette avocate de l’UNAFAM déposait finalement plainte contre moi début 2013 du fait que j’avais osé téléphoniquement m’insurger de cette mise en demeure, du chef d’insultes et d’appels téléphoniques malveillants. Il se trouve que cette plainte de l’avocate de l’UNAFAM ainsi que sa constitution de partie civile ont été rejetées et déclarées irrecevables par un jugement définitif du tribunal de police de Paris du 14 octobre 2013 [7] .

J’avais osé en qualité de président du CRPA mettre sur pied un plan de bataille pour qu’une de nos adhérentes réchappe d’une demande de mise sous curatelle renforcée, mais aussi d’une demande de mise sous traitements psychiatriques sous contrainte formulée par son père, adhérent à l’UNAFAM, auprès du Procureur de la république de Paris d’une part, et d’autre part auprès du centre médico psychologique du secteur d’habitation de sa fille. La personne dont il s’agissait n’avait objectivement besoin ni d’une mesure de curatelle renforcée, ni d’être placée ad vitam sous médicaments psychiatriques. Cette personne avait foncièrement besoin de devenir enfin une adulte, alors qu’elle devenait quadragénaire, et de mener une vie d’adulte digne de ce nom.

Il n’est pas anodin d’observer que dans cette affaire, cette personne qui avait été longuement patiente libre sur un secteur de psychiatrie parisienne, souffrait et se plaignait des séquelles de viols qu’elle avait subis enfant au sein de sa famille.

La psychiatrie française ainsi que ces décideurs, les agences régionales de santé, le ministère de la santé (qui d’ailleurs est de bonne volonté), les décideurs municipaux, les directeurs d’établissements doivent se décider à admettre des représentants de patients provenant de nos différentes associations qui puissent siéger dans les instances des établissements psychiatriques, ainsi que dans les instances territoriales en santé mentale, et non désigner quelques potiches aux ordres plus ou moins psychiatrisées leur servant de police auxiliaire pour asservir la population psychiatrisée.

Ces mêmes décideurs doivent se résoudre à cesser de ne désigner comme représentants des usagers dans les instances sanitaires et sociales couvrant le champ psychiatrique, que des représentants de l’UNAFAM, lesquels sont clairement des représentants de familles ayant aussi souvent que possible intérêt aux mesures de soins psychiatriques sans consentement. Les familles sont en France les principales demandeures de mesures de soins psychiatriques sans consentement.

Dans nombre d’établissements psychiatriques sont désignés par les Préfectures en qualité de représentants des patients psychiatriques des représentants des UDAF (unions départementales des associations familiales) à qui est déférée par les juges des tutelles, la gestion des mesures de tutelle et de curatelle déclarées vacantes au niveau familial et confiées à l’État… Et autres cas de figure qui permettent d’évacuer totalement dans la plupart des instances sanitaires et sociales du pays, une représentation des personnes psychiatrisées par des personnes ayant elles-mêmes connu la psychiatrie en qualité de patients.
 

3. - Conclusion

Un constat s’impose : en France le seul fait lui-même que les personnes psychiatrisées aient des droits a été et reste conflictuel.

La psychiatrie publique stricto sensu est de plus en plus spécialisée sur la contrainte, les soins libres étant rejetés vers l’extra-hospitalier, alors même que depuis la légalisation des soins ambulatoires sans consentement le spectre d’une mise sous soins sous contrainte plane sur toute personne en soins libres à l’heure actuelle en France.

La situation en France est potentiellement d’autant plus grave que la France est depuis un peu moins de deux ans sous état d’urgence, et que des dispositions législatives sont prises graduellement ces dernières années pour faire rentrer les normes de l’état d’urgence dans le droit commun. Depuis cet été, par le biais du Ministre de l’Intérieur pris en relais par le Président de la République, il est question que le système psychiatrique tant public que privé soit mis à contribution dans le dépistage de profils djihadistes. Pour nous qui avons connu la période où M. Nicolas Sarkozy fut ministre de l’Intérieur puis Président de la République, entre 2002 et 2012, nous avons en mémoire les amalgames systématiques pratiqués par les médias et nombre de politiques sur la thématique du « schizophrène dangereux ». Nous ne pouvons qu’être en alerte.

Point positif néanmoins, nous observons qu’en France, en large partie du fait de nos actions procédurales, mais aussi du fait de l’instauration à dater de 2008 du Contrôle général des lieux de privation de liberté, ainsi que du travail parlementaire mené de 2013 à 2017 par le député M. Denys Robiliard (PS), des dispositions textuelles ont été prises qui ont force de loi, et qui sont en faveur des droits des personnes psychiatrisées dans ce pays.

Incontestablement les législations du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013 ont permis que des juristes à travers le pays s’intéressent à ces questions, s’en saisissent et que soit développée une jurisprudence actuellement en cours d’expansion qui est favorable aux personnes psychiatrisées. Mais nous sommes contraints d’observer que cela s’est fait sous le forceps de décisions successives du conseil constitutionnel, et non par des concertations qui auraient dû se mettre en place à l’instar de ce qui s’est fait dans les pays d’Europe du Nord, au Royaume-Uni, en Italie, de façon plus lointaine également au Québec.

Nous en appelons à ce qu’il soit mis fin à ce retard français sur la question du respect des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées.

Pour l’ensemble de ces motifs nous demandons qu’une alerte internationale soit posée sur la France en ce qui concerne les droits fondamentaux des personnes psychiatrisées.
 

Bordereau de communication de documents

1. - Audition du CRPA le 4 janvier 2017, par la commission des affaires sociales, Assemblée nationale. Texte déposé n°1.
2. - Idem. Texte déposé n°2.
3. - Idem. Texte déposé n°3.
4. - Hospimedia, 15 février 2017, à propos du rapport de la mission d’évaluation de la loi du 27 septembre 2013 sur les soins psychiatriques sans consentement.
5. - Statistiques du ministère de la Justice sur les contrôles judiciaires des mesures de soins psychiatriques sans consentement, 2013 à 2016.
6. - Observations du CRPA sur le projet de recommandation de la HAS sur l’isolement et la contention en psychiatrie générale. 10 janvier 2017.
7. - Témoignage de Mme Laurence Renaud, membre du Bureau du CRPA, sur le SHU, CH Sainte-Anne à Paris. 30 septembre 2017.
8. - Témoignage du père d’une personne hospitalisée d’office ayant subi 60 jours de suite d’isolement - contention. 16 février 2016.
9. - La contention en psychiatrie : il faut désormais respecter la loi. Me Gilles Devers, pour le compte de la FNAPSY. Juin 2016.
10. - Médiapart. Interview de Me François Sureau (avocat) à propos du rôle de garant des libertés individuelles du Conseil constitutionnel. 16 septembre 2016.
11. - Communiqué de presse du Conseil constitutionnel à propos de la décision du Haut conseil censurant le dispositif français de l’hospitalisation à la demande d’un tiers. 26 novembre 2010.
12. - Observations du Groupe information asiles (GIA) en intervention volontaire dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité statuée le 26 novembre 2010.
13. - La loi du 5 juillet 2011 : tournant sécuritaire et « putsch » judiciaire, André Bitton, L’Information psychiatrique, janvier 2013.
14. - Le Conseil constitutionnel impose de meilleures garanties pour les malades jugés dangereux. Le Monde, 21 avril 2012.
15. - Communiqué de presse du Conseil constitutionnel résumant la décision de censure prise le 20 avril 2012 par le Haut conseil, à propos de deux articles de la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins psychiatriques sans consentement.
16. - Contrôle judiciaire des hospitalisations psychiatriques sans consentement. Éléments pour un comparatif, 2005 - 2015. André Bitton. L’Information psychiatrique, juillet 2015.
17. - La représentation des usagers en psychiatrie : une représentation sans contenu. André Bitton. Les cahiers de santé publique et de protection sociale. Fondation Gabriel Péri. Août 2015.


[1Cf. Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Magali Coldefy, Sarah Fernandes, David Lapalus. Questions d’économie de la santé, n°222, février 2017.

[2Rapport d’information n°4486, déposé le 15 février 2017, en conclusion des travaux de la mission d’évaluation de la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013, modifiant certaines dispositions issues de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. MM. les députés Denys Robiliard et Denis Jacquat.

[3Cf. Contrôleur général des lieux de privation de liberté, 2016, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, notamment p. 62.

[4Cf. Statistiques en matière de soins sous contrainte. Saisine du JLD de 2012 à 2016. Résultats 2013 – 2016. Ministère de la Justice, mai 2017.

[5Selon nous ce qu’on appelle la « santé mentale » est le nom d’un certain impérialisme psychiatrique.

[6Recommandation en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 8 février 2016 relatives au Centre psychothérapique de l’Ain (Bourg-en-Bresse), journal officiel du 16 mars 2016.

[7Jugement n°13/A70063, tribunal de police de Paris, 14 octobre 2013.