2023-09-15 - Mainlevée du placement en UMD de Romain Dupuy (revue de presse)

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/848

Document du vendredi 15 septembre 2023
Article mis à jour le 31 janvier 2024
par  A.B.

2023-07-03 - Début de judiciarisation pour l’admission et la sortie d’UMD

Wikipedia sur cette affaire, cliquer sur ce lien

Décret du 1er février 2016 relatif aux unités pour malades difficiles (UMD), cliquer sur ce lien

Pour retrouver cet article sur l’édition participative de Mediapart, Les contes de la folie ordinaire, cliquer sur ce lien


Note CRPA

Décision de la Cour d’appel.

C’est une percée juridique d’une grande importance pour les personnes hospitalisées d’office qui est ici chroniquée. Par cette ordonnance du 15 septembre courant la Cour d’appel de Bordeaux lève la mesure de SDRE subie par M. Romain Dupuy depuis 2005 en ce qu’elle s’exerce en UMD. En cela la Cour ordonne également que cet interné médico-légal soit transféré dans une unité classique d’un établissement psychiatrique.

Cette décision est aussi susceptible de s’appliquer aux mesures de transferts disciplinaires d’une unité habituelle d’un établissement psychiatrique vers une unité sécurisée du type unité de soins intensifs ou unité pour malades agités et perturbateurs. Sur ce point c’est quiconque a affaire à l’hospitalisation psychiatrique y compris libre qui peut être concerné par cette jurisprudence.

Pour conclure, Me Hélène Lecat, avocate au Barreau de Paris, en instrumentant durant 3 ans ce dossier sans ménager ses heures et son investissement, doit être félicitée. Le droit des personnes psychiatrisées a avancé ces mois-ci, malgré les vents contraires dus à une stigmatisation renforcée de nouveau en place depuis la tuerie du 22 mai au CHU de Reims.


JIM - Double meurtre de l’hôpital de Pau : Romain Dupuy devrait rapidement quitter l’UMD de Cadillac

JIM (journal international de médecine) Publié le 19/09/2023, par Frédéric Haroche.

Source : https://www.jim.fr/infirmier/actual…

Cadillac, le mardi 19 septembre 2023 – 17 décembre 2004 :

JIM - Affaire Romain Dupuy.

Romain Dupuy, déjà hospitalisé à trois reprises pour schizophrénie à l’hôpital psychiatrique de Pau, quitte son domicile après avoir consommé une grande quantité de cannabis (l’équivalent de 15 « joints »). Craignant que des chiens sauvages ne se trouvent sur son chemin et alors qu’il aurait été attaqué trois jours plus tôt dans un quartier de Pau où il était venu se procurer des stupéfiants, il a rempli ses poches de vis cruciformes et s’est muni d’un couteau de cuisine pour se venger de ses agresseurs.

Ne les retrouvant pas, il se rend à l’hôpital psychiatrique pour se défouler sur des blouses blanches. Croisant une infirmière et une aide-soignante, après s’être introduit dans l’établissement par une fenêtre, il poignarde la première et décapite la seconde, déposant sa tête sur un poste de télévision. Le 29 janvier 2005, Romain Dupuy est arrêté pour tentative de meurtre sur des policiers de la BAC de Pau lors d’un contrôle de routine. En garde à vue pour ces faits, il est confondu par son ADN prélevé par la police sur des taches de sang retrouvées sur la scène de crime à l’hôpital.

L’affaire avait provoqué une vive émotion remettant sur le devant de la scène le vieux débat sur la sanction pénale des personnes atteintes de troubles mentaux et Nicolas Sarkozy était alors intervenu pour promettre aux familles des victimes un enfermement à vie de Romain Dupuy. A l’issue d’une longue procédure, l’auteur des faits avait cependant été déclaré irresponsable le 28 août 2007. Ce double meurtre est néanmoins à l’origine d’une vaste réforme en 2008 qui permet au juge de reconnaitre l’imputabilité de faits tout en retenant l’irresponsabilité de l’auteur.

Après 19 ans d’internement à l’UMD et une longue bataille juridique, la cour d’appel de Bordeaux a ordonné vendredi 15 septembre la mainlevée du placement de Romain Dupuy, comme le préconisait la commission médicale de l’établissement depuis plusieurs années. Il demeurera, quoiqu’il en soit, hospitalisé sous le régime de l’hospitalisation sous contrainte.

La difficile sortie de l’UMD

En mai 2021, ses avocats avaient saisi la Cour d’Appel de Bordeaux pour formuler une demande de sortie de l’établissement « afin de bénéficier d’un suivi psychiatrique « ordinaire », le cas échéant dans un autre établissement ». La Cour d’Appel de Bordeaux avait alors conclu qu’il ne ressortait pas du pouvoir des juges des libertés et de la détention « de se substituer à l’autorité préfectorale pour prendre une décision qui n’est manifestement pas de son ressort. »
Un arrêt qui mettait en lumière le paradoxe du sort de nombreux patients reconnus irresponsables de leurs actes. Les décisions de non-lieu sont souvent perçues par l’opinion publique comme un signe de « laxisme » permettant « d’échapper à l’incarcération ». Pourtant, les personnes jugées irresponsables d’homicides sont souvent conduites à vivre dans l’univers hospitalier, le plus souvent sans espoir de sortie.

L’admission au sein d’une UMD ne peut concerner que des malades pris en charge sans consentement et sur décision du représentant de l’État ou déclarés irresponsables pénalement. La décision d’admission en UMD dépend du préfet du département dans lequel le patient se trouve hospitalisé. C’est à la commission du suivi médical, lorsqu’elle estime que les conditions du maintien en UMD ne se justifient plus, qu’il revient de saisir le préfet qui « prononce alors, par arrêté, la sortie du patient ». Un état de fait qui entretient une ligne floue entre les compétences du préfet et celles du juge judiciaire.

Romain Dupuy « lanceur d’alerte »

En 2022, Romain Dupuy, et 17 autres patients d’UMD avaient fait paraître une lettre ouverte dans Le Parisien pour dénoncer le manque de reconnaissance « tant professionnel que financier » dont souffre le personnel et le turn-over que cette situation génère. « Dans l’application des soins médicamenteux et thérapeutiques, nous les patients avons un besoin crucial de garder une équipe soignante stable, qui nous connaît, pour une prise en charge de qualité », insistaient les signataires.

Pour les malades, cette situation aurait entre autres pour conséquences la diminution du nombre de « sorties thérapeutiques ». « Nous nous voyons privés de l’espoir de sortir des murs pour des raisons de manque de personnel ». « Depuis plusieurs mois, voire des années, nous remarquons en tant que patients, une diminution importante de notre liberté et une prise en charge dégradée, malgré le fait que les soignants reviennent sur leur repos pour que nous puissions bénéficier de la meilleure qualité de prise en charge » concluait le texte.

Contactée par Libération, l’avocate de Romain Dupuy, Me Hélène Lecat, déclare qu’elle « ne souhaite pas communiquer en l’état sur cette décision, afin de permettre que la solution soit mise en œuvre sereinement et sans pression ». Pour l’instant, nous ignorons quand son client pourra être transféré, ni dans quel établissement. La préfecture et le Parquet ont deux mois pour se pourvoir en cassation.

Frédéric Haroche


Libération - Affaire Romain Dupuy : la justice ordonne le transfert du double meurtrier vers un service général de psychiatrie

18 septembre 2023, par Chloé Pilorget - Rezzouk

Source : https://www.liberation.fr/societe/p…

C’est la promesse d’un nouvel horizon après un âpre combat procédural. Dans une décision du vendredi 15 septembre, que Libération a pu consulter, la cour d’appel de Bordeaux « ordonne la mainlevée de la mesure de placement en unité pour malades difficiles (UMD) de monsieur Romain Dupuy ». Autrement dit, ce patient schizophrène tristement célèbre devrait prochainement quitter l’unité hautement sécurisée de Cadillac (Gironde), où il est hospitalisé sans son consentement depuis plus de 18 ans, pour rejoindre un service général de psychiatrie, où il restera soigné sous le régime de l’hospitalisation complète qui est actuellement le sien. Contactée par Libération, Me Hélène Lecat, déclare qu’elle « ne souhaite pas communiquer en l’état sur cette décision, afin de permettre que la solution soit mise en œuvre sereinement et sans pression ».

Depuis plus de cinq ans, Romain Dupuy, 39 ans, interné et déclaré irresponsable pénalement après avoir tué une infirmière et une aide-soignante à l’hôpital de Pau, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, demandait son transfert vers une unité de psychiatrie classique. Un changement auquel se sont montrées favorables toutes les commissions médicales de suivi depuis janvier 2018, mais face auquel l’ordre judiciaire et l’ordre administratif n’ont cessé de se renvoyer la balle. Dans son ordonnance, la cour - qui relève plusieurs éléments médicaux en vue de statuer - note que les médecins le considèrent « compte tenu de l’amélioration de sa situation sur le plan médical, en capacité de poursuivre le traitement hors UMD ». La dernière de ces commissions, composée de trois soignants dont deux médecins psychiatres, remonte d’ailleurs au 12 septembre, trois jours seulement avant l’audience devant la cour d’appel de Bordeaux.

L’ordonnance rappelle aussi les conclusions de l’expert psychiatre, Roland Coutanceau, qui a examiné l’intéressé en mai 2022 et conclut « qu’il pourrait justifier désormais d’une possibilité d’hospitalisation dans un cadre psychiatrique plus général que celui de l’UMD ». « On peut dire sur le plan clinique que Romain Dupuy est stabilisé et qu’il ne sera, a priori, jamais mieux stabilisé qu’aujourd’hui », écrivait l’expert dans ce rapport consulté à l’époque par Libération. Pour étayer sa décision, la cour cite aussi le docteur « qui a longtemps suivi Romain Dupuy depuis son arrivée » à Cadillac, lequel a noté « une progressive adaptation de l’intéressé aux soins et, depuis l’année 2013, une nette régression symptomatique ». Enfin, elle retient que « l’amélioration de l’état de santé » du patient « s’est également traduite par une récente mainlevée de la mesure curatelle dont il faisait l’objet ».

Cette décision vient mettre un terme à cinq années d’imbroglio judiciaire. En juillet, le tribunal des conflits - saisi par le conseil de Romain Dupuy, Hélène Lecat - chargé de trancher les litiges de compétences avait enfin désigné le juge judiciaire (contre le juge administratif) et renvoyé à la cour d’appel de Bordeaux. En juin 2022, celle-ci avait rejeté la décision du juge des libertés et de la détention de Bordeaux favorable au transfert du malade schizophrène, considérant que seul le juge administratif pouvait trancher. Ces « différentes vicissitudes procédurales ont alimenté chez le patient le sentiment que l’on s’acharnait sur sa personne, celui-ci déplorant le fonctionnement « du système », est-il encore relevé dans l’ordonnance.

« Le droit est passé, l’injustice est terminée », se réjouit la mère de l’intéressé Marie-Claire Dupuy, sollicitée par Libération. Inquiète « du retentissement social » autour de cette nouvelle, cette sexagénaire reste prudente et se veut rassurante : « Le sujet reste épineux, nous avons vécu cinq ans et demi de blocage… Romain ne sera pas dehors, en liberté, mais pris en charge dans un lieu et par une équipe médicale correspondant à son état clinique. Je ne demande qu’une chose, c’est qu’on oublie le nom de mon fils. » Concrètement, son fils sera toujours sous un régime contraint d’hospitalisation, ses sorties thérapeutiques seront toujours encadrées, il dormira toujours à l’hôpital, mais il bénéficiera néanmoins d’un peu plus de liberté, loin de l’univers carcéral des UMD.

« C’est une bonne chose parce qu’on sort d’un vide juridique délétère pour le patient, qui conduisait à une perte d’espoir. Il est important pour un patient, aussi grave soit son passage à l’acte, d’avoir une perspective humaine pour la suite de sa vie. C’est cela que vient réparer cette décision », salue le psychiatre Mathieu Bellhasen, auteur du livre Abolir la contention.

Dans les jours, voire les semaines qui suivent, Romain Dupuy devra être accueilli dans un nouvel établissement de soins adapté « qu’il n’appartient pas au juge judiciaire d’imposer aux autorités médicales, ni bien entendu à l’autorité préfectorale », précise l’ordonnance. Toujours est-il qu’il « apparaît nécessaire de mettre en place une équipe médicale psychiatrique suffisamment solide pour assurer une prise en charge en milieu hospitalier ». Ce pourrait être une affaire délicate, compte tenu de la nature du crime et de son retentissement, plusieurs hôpitaux et personnels soignants ayant déjà manifesté des inquiétudes. « Quoi qu’on ait fait, il faut miser sur les soins et notre action de soignants, qui est transformative pour les patients, veut rassurer le psychiatre Mathieu Bellahsen. Romain Dupuy est soigné depuis bientôt 20 ans, ces soins constituent aujourd’hui une base pour lui. Il a des acquis et des gens sur lesquels s’appuyer. »


Mediapart - La justice ordonne le transfert du schizophrène Romain Dupuy

Source : https://www.mediapart.fr/journal/fr…

Mediapart.

Meurtrier d’une aide-soignante et d’une infirmière en 2004, le jeune schizophrène est stabilisé. Il devra quitter son unité pour malades difficiles pour être soigné dans un hôpital psychiatrique classique, a décidé la cour d’appel.

Michel Deléan, 19 septembre 2023 à 12h58

L’imbroglio administratif et judiciaire dans lequel était plongé Romain Dupuy s’achève enfin. Schizophrène, et aujourd’hui âgé de 39 ans, Romain Dupuy est interné depuis janvier 2005 dans une unité pour malades difficiles (UMD) ultrasécurisée, à la suite du meurtre d’une aide-soignante et d’une infirmière à Pau (Pyrénées-Atlantiques)

Il demande depuis des années son transfert vers un hôpital psychiatrique classique, au vu de l’amélioration de son état, attesté par plusieurs experts. Or vendredi 15 septembre, après que l’affaire est remontée jusqu’à la Cour de cassation puis au Tribunal des conflits, la cour d’appel de Bordeaux a mis un terme au débat.

Dans un arrêt de huit pages, dont Mediapart a pris connaissance, la cour d’appel « ordonne la mainlevée de la mesure de placement en UMD de M. Romain Dupuy et confirme la décision de première instance sur ce point ». Toutefois, « il n’appartient pas au juge judiciaire d’imposer aux autorité médicales (ARS, centres hospitaliers spécialisés), ni bien entendu à l’autorité préfectorale, l’établissement dans lequel M. Romain Dupuy sera amené à poursuivre les soins sous le régime de l’hospitalisation complète », précise l’arrêt.

La famille et les avocats de Romain Dupuy ont accueilli cette décision avec soulagement, mais ils craignent que son exécution se heurte à des résistances, hôpitaux psychiatriques et administration ayant toujours freiné des quatre fers jusqu’ici.

La cour d’appel de Bordeaux l’a décidé :

« Il appartiendra donc aux autorités compétentes de déterminer l’établissement le mieux adapté dans lequel M. Romain Dupuy sera admis à la suite de cette décision, et de mettre en place les moyens non seulement nécessaires mais indispensables pour assurer avec efficacité et constance la poursuite de son suivi psychiatrique, ce que le docteur Olivier qualifie de “prise en charge claire et conventionnelle”. »

Le transfert du jeune homme dans un établissement psychiatrique classique aurait dû (ou pu) être effectué depuis janvier 2018, quand la commission de suivi médical de l’UMD de Cadillac (Gironde), considérant que Romain Dupuy était « stabilisé », a préconisé la poursuite des soins dans une unité d’hospitalisation fermée en psychiatrie. La commission de suivi médical a renouvelé son avis favorable par cinq fois, en septembre 2019, en juillet et novembre 2020, et encore le 5 mai 2022 puis le 2 juin 2023. Deux collèges d’experts ont conforté ces avis.

Hautement sécurisées, les UMD accueillent les malades mentaux qui présentent un danger pour les autres ou pour eux-mêmes. Ce n’est plus le cas de Romain Dupuy, selon la commission de suivi médical. Mais, depuis plus de cinq ans, la préfète de Gironde (qui a été remplacée en janvier dernier) refusait de signer l’arrêté qui aurait permis à Romain Dupuy de changer d’établissement.

Une situation kafkaïenne

Les avocats du jeune schizophrène ont lancé des procédures devant le tribunal administratif pour enjoindre à la préfète d’agir. En vain. Ils ont alors saisi le tribunal judiciaire. Le 23 mai 2022, deux experts psychiatres désignés par la justice ont rendu, eux aussi, un rapport favorable au transfert de Romain Dupuy.

Le 9 juin 2022, au vu de leur rapport, une juge des libertés et de la détention (JLD) de Bordeaux a ordonné la mainlevée du placement en UMD de Romain Dupuy et a autorisé le maintien de son hospitalisation complète dans un autre établissement psychiatrique. Mais le parquet a aussitôt fait appel de cette décision, et la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de la JLD, le 17 juin 2022. Dans son arrêt, la cour d’appel se déclare en outre incompétente sur la demande de mainlevée du placement en UMD de Romain Dupuy.

En parallèle, les défenseurs de Romain Dupuy ont saisi le tribunal administratif en octobre 2022 pour qu’une injonction soit faite à la préfète de Gironde de procéder à la mainlevée de son placement en UMD. Et le 4 avril 2023, le tribunal administratif a lui aussi préféré botter en touche, laissant au Tribunal des conflits le soin de trancher.

Le 3 juillet, le Tribunal des conflits a mis fin à l’interminable partie de ping-pong qui se jouait depuis des années entre autorité administrative et juges de l’ordre judiciaire. « La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant M. Dupuy à la préfète de Gironde », ont décidé les hauts magistrats du Tribunal des conflits.

Un passé qui fait peur

Pendant cette triste partie de « patate chaude » entre médecins, magistrats et administration, les droits du patient Romain Dupuy ont été mis de côté, au profit de la mise en œuvre d’un principe de précaution, déplorent les avocats du jeune homme, Hélène Lecat et Serge Portelli.

Ses défenseurs et sa famille craignent les conséquences psychiques sur le jeune homme du long blocage administratif dont il fait les frais. « Il n’y a aucune reconnaissance de l’être que je suis devenu », a déclaré Romain Dupuy à l’un des médecins experts. S’il aspire à être soigné dans un hôpital psychiatrique classique, c’est pour se réhabiliter et gagner en autonomie.

En UMD, toutes les portes sont fermées à clé, les horaires immuables et les activités, assez limitées. Présent aux côtés de ses avocats lors de l’audience devant la cour d’appel de Bordeaux, le 15 juin 2022, Romain Dupuy avait réitéré son souhait d’être transféré dans un autre établissement.

Le hic, c’est que personne ne se bouscule pour accueillir ce patient pas comme les autres, qui avait été au cœur d’un terrible fait divers, fin 2004. Déjà soigné pour schizophrénie depuis 2000, Romain Dupuy, âgé de 21 ans à l’époque des faits, alors en crise mais en liberté, s’était rendu à l’hôpital psychiatrique de Pau (Pyrénées-Atlantiques), dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, et avait tué à coups de couteau une aide-soignante, Lucette Gariod, 40 ans, et une infirmière, Chantal Klimaszewski, 48 ans, décapitant cette dernière.

À LIRE AUSSI :
— Psychiatrie : vers une clarification de la situation du meurtrier Romain Dupuy, 10 juillet 2023
— Le meurtrier Romain Dupuy alerte sur la dégringolade de la psychiatrie française, 14 octobre 2022

Le jeune schizophrène a été déclaré pénalement irresponsable en 2007. À force de soins, son état s’étant amélioré, et la commission de suivi médical ayant donné son accord à un transfert, il faut donc trouver un hôpital psychiatrique pour l’accueillir.

« Un retour du patient dans son établissement d’origine, l’hôpital de Pau, n’étant pas envisageable », une demande a été adressée en mars 2019 au centre hospitalier Charles-Perrens de Bordeaux, écrit la JLD dans son ordonnance du 9 juin 2022. Mais la direction de l’hôpital a refusé ce patient.

« Après nos questions auprès des représentants de la préfecture et de l’ARS […], il est apparu que, depuis mars 2019 et le refus du centre hospitalier Charles-Perrens, aucune démarche n’a été entreprise pour un accueil dans un autre établissement », notait la juge. Le sort de Romain Dupuy ne semble pas émouvoir l’administration.

Malgré l’amélioration de son état de santé, Romain Dupuy a une histoire qui fait peur, et il ferait l’objet d’un « sentiment de malveillance de la part du personnel soignant », selon l’arrêt de la cour d’appel. Qui ajoute ceci : « L’absence, en l’état, de structure adaptée à la situation présentée par M. Romain Dupuy ne constitue pas un motif valable pour justifier son maintien au sein de l’UMD. »

Michel Deléan


Hospimedia - Droit - La sortie d’unité pour malades difficiles de Romain Dupuy est confirmée en cour d’appel

20 septembre 2023 par Caroline Cordier.

Source : https://abonnes.hospimedia.fr/artic…

La cour d’appel de Bordeaux a confirmé la fin du placement de Romain Dupuy en unité pour malades difficiles, qui dure depuis plus de dix-huit ans. Il poursuivra désormais ses soins sans consentement en service « classique ».

Hospimedia.

Nouvelle étape dans l’affaire dite Romain Dupuy, toujours sensible près de vingt ans après les faits et dont les suites judiciaires sont encore scrutées (lire notre analyse). Le 15 septembre, la cour d’appel de Bordeaux (Gironde) a confirmé l’ordonnance de juin 2022 du juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire bordelais en vue de la mainlevée du placement en unité pour malades difficiles (UMD) de Romain Dupuy. Ce dernier est hospitalisé depuis janvier 2005 au sein de l’UMD du CH de Cadillac (Gironde) et ses avocats tentent d’obtenir depuis plusieurs années son transfert en service de psychiatrie « classique » pour poursuivre ses soins sans contentement. Mais la préfecture du département s’y oppose constamment, malgré des avis médicaux favorables (lire notre article).

Sortie d’UMD justifiée médicalement

Dans une décision rendue le 9 juin 2022 (lire notre article), un JLD a en effet permis la sortie d’UMD du patient et autorisé son maintien en hospitalisation complète, hors de cette unité. Il a au passage rappelé que « le juge judiciaire doit veiller à ce que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles soient adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental et à la mise en œuvre du traitement requis », comme mentionné à l’article L3211-3 du Code de la santé publique. Les juges en appel ont empêché cette sortie d’UMD (lire notre article). Par la suite, une décision importante et attendue pour les droits des patients en psychiatrie a été rendue le 3 juillet dernier car jusqu’alors, une zone grise entourait le mode de contestation en justice d’un maintien dans une telle unité. Le tribunal des conflits a estimé que le juge judiciaire est bien compétent pour « connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient […] ou refuse sa sortie d’une telle unité » (lire notre article).

Dans l’ordonnance rendue ce 15 septembre et dont Hospimedia a eu copie, la cour d’appel relève les éléments attestant de l’amélioration de l’état de santé du patient, qui s’est également traduite par une récente mainlevée de sa curatelle. « Si certains éléments médicaux négatifs sont parfois relevés dans les conclusions du ministère public et du préfet au regard de certains documents médicaux (cf »discours parfois flou et discordant […] posture de type pseudo-paranoïaque […]), ces troubles ne font que justifier le maintien de la mesure d’hospitalisation complète, sans pour autant remettre les observations [médicales] préconisant une sortie de l’UMD", poursuit-elle.

Enjeu du CH d’accueil

La cour ajoute qu’au « surplus, l’absence, en l’état, de structure médicale adaptée à la situation présentée par [le patient] ne constitue pas un motif valable pour justifier son maintien » au sein de cette unité spécifique. Elle précise qu’il « n’appartient pas au juge judiciaire d’imposer aux autorités médicales (ARS, centres hospitaliers spécialisés), ni bien entendu à l’autorité préfectorale, l’établissement dans lequel [le patient] sera amené à poursuivre ses soins sous le régime de l’hospitalisation complète ».

L’enjeu est désormais de trouver l’établissement de santé qui pourra — et voudra — accueillir Romain Dupuy dans des conditions satisfaisantes. L’ordonnance mentionne, sans surprise, que l’ensemble des parties ont « naturellement » exclu une hospitalisation au CH des Pyrénées à Pau (Pyrénées-Atlantiques), alors que le patient a été déclaré pénalement irresponsable après avoir commis le double homicide d’une infirmière et d’une aide-soignante dans cet établissement en 2004. Par ailleurs, dans l’ordonnance du JLD de juin 2022, était indiqué que le CH spécialisé Charles-Perrens à Bordeaux a émis à l’époque « un avis défavorable pour la poursuite des soins dans son établissement ».

La cour d’appel indique ce 15 septembre, faisant vraisemblablement allusion à l’ARS Nouvelle-Aquitaine, qu’il appartiendra « aux autorités compétentes de déterminer l’établissement le mieux adapté dans lequel [le patient] sera admis […] et de mettre en place les moyens, non seulement nécessaires mais indispensables, pour assurer avec efficacité et constance la poursuite de son suivi psychiatrique ». Ils précisent qu’il est « notamment indispensable de préserver [Romain Dupuy] de toute consommation de cannabis » au regard de plusieurs facteurs : la « porosité » de certains centres de soins, selon les termes utilisés par un médecin cité par la cour ; « la fragilité dont le patient a admis encore récemment faire preuve sur le sujet » et les conséquences que pourrait avoir cette consommation sur l’évolution de sa santé mentale.

Fermeture de lits à l’UMD de Cadillac

Le CH de Cadillac fait face depuis début 2023 à « une forte tension » sur les ressources médicales et paramédicales, signale un document émanant de la direction de l’ARS Nouvelle-Aquitaine daté de début septembre et qu’Hospimedia a pu consulter. Dans ce contexte, la « suspension temporaire » de l’unité Moreau — une des unités de l’UMD, dans laquelle est placé Romain Dupuy — a été actée par l’ARS à compter du 29 septembre. L’agence explique que cette décision « vise la qualité et la sécurité des prises en charge des patients accueillis à l’UMD ». Elle précise que « les patients continueront d’être pris en charge au sein de l’unité […] et que le transfert est préparé avec chaque patient, chaque famille ou tuteur ». L’ARS indique qu’elle sera attentive à ce que les leviers soient bien actionnés pour envisager « le plus rapidement possible » la remise en fonctionnement de l’unité Moreau. Le syndicat CGT de l’établissement organise actuellement des mobilisations et piquets de grève pour dénoncer des projets de restructurations non concertés. Il demande un moratoire sur les fermetures et un audit sur le fonctionnement de l’établissement avec « une évaluation des moyens, des besoins et des choix institutionnels ».

Caroline Cordier

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