2023-05-22 - Revue de presse succincte - Une infirmière assassinée au CHU de Reims

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/840

Document du lundi 22 mai 2023
Article mis à jour le 10 septembre 2023
par  A.B.

Le Dr Mathieu Bellahsen est intervenu sur le plateau de Ça vous regarde, émission de LCP animée par Myriam Ankaoua, à notre sens à juste titre.
Lien court : https://lc.cx/u2chK0

 

Pour retrouver ce billet sur l’édition participative « Les Contes de la folie ordinaire » sur Mediapart club, cliquer sur ce lien


Commentaire et message de condoléances - CRPA, 1er juin 2023

Encore une fois, une fois de plus, comme à l’ordinaire la communauté des personnes suivies en psychiatrie ou l’ayant été, ainsi que les professionnels qui les accompagnent sans les bestialiser, les proches également, vont être stigmatisés avec des conséquences parfois dramatiques.

Nous en sommes là, en France, sur cette question.

Message adressé aux collègues et à la famille de Mme Karene Mezino, infirmière assassinée le 22 mai 2023

Page facebook consacrée à ce drame : https://www.facebook.com/groups/233…

Mes condoléances pour la famille, les proches et les collègues de cette infirmière. Il aurait été préférable néanmoins que les plaintes et doléances de ce patient très chronique soient entendues et prises en compte. A l’avenir cet hôpital devrait mettre en place un lieu de médiation qui le permette. Cela pourrait éviter que des situations de base deviennent progressivement dramatiques.

André Bitton, à titre personnel.


Hospimedia. L’agresseur du CHU de Reims « en voulait au milieu psychiatrique »

Publié le 24/05/23 - 17h12 – par Pia Hemery.

2023-05-23 Hospimedia.

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Une information judiciaire est ouverte à l’encontre de l’agresseur à l’arme blanche du CHU de Reims. L’homme a effectué plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Un milieu à l’encontre duquel il garde des griefs.

Le procureur de la République de Reims (Marne), Matthieu Bourrette, lors d’une conférence de presse ce 24 mai, apporte des précisions sur l’affaire relative à l’agression à l’arme blanche survenue ce 22 mai au CHU de la ville. Acte qui a coûté la vie à une infirmière et qui a blessé une secrétaire médicale.

L’individu rémois de 59 ans interpellé et incriminé « semblait avoir agi sans mobile apparent envers les victimes ou le service dans lequel elles travaillaient, dans la mesure où il n’avait pas de rendez-vous dans ce service et n’y était pas suivi », signale le procureur. Toutefois durant son interrogatoire, il a déclaré en vouloir aux blouses blanches, précisant que chaque fois qu’il en croiserait une, il se vengerait. Des propos également entendus par les membres du personnel médical durant sa courte déambulation dans le service quelques minutes avant son passage à l’acte. Lors de son interpellation, il a en outre exprimé à plusieurs reprises aux fonctionnaires de police « en vouloir au milieu hospitalier, indiquant avoir été maltraité depuis plusieurs années par le milieu psychiatrique », rapporte le parquet. En garde à vue, ajoute-t-il, « si certains de ses propos ont été totalement incohérents, il reconnaissait avoir volontairement agressé les deux membres du personnel de santé, en raison de leur qualité et parce qu’il en voulait à la psychiatrie […]. Il ajoutait avoir pensé son forfait depuis plusieurs mois ».

Un passif de violence

S’agissant des antécédents, le procureur confirme que l’individu n’a jamais été condamné mais qu’il a été mis en examen à Châlons-en-Champagne (Marne) pour des faits de violences aggravées. Le magistrat instructeur avait alors rendu une ordonnance de transmission de pièces aux fins de saisine de la chambre d’instruction en juin 2022, compte tenu de la pluralité d’expertises faisant état de l’abolition du discernement de l’intéressé. « Cette procédure permet, lorsqu’une personne est susceptible d’être déclarée irresponsable en raison de l’abolition de son discernement, tout en considérant que les faits commis sont imputables, d’imposer au mis en cause des mesures de sûreté pouvant aller jusqu’à l’hospitalisation d’office », explique Matthieu Bourrette. Il précise qu’une audience doit dans ce cadre avoir lieu devant la cour d’appel ce 26 mai. Une date qui ne permet pas, au vu des éléments de cette enquête, de faire un lien avec ce passage à l’acte, dixit le procureur.

Une rupture de traitement

L’auteur de l’agression, continue-t-il, fait l’objet de soins psychiatriques depuis 1985 avec de nombreux séjours hospitaliers. En 2019, il a été placé sous curatelle renforcée à sa demande. Cette curatelle a été confiée au gérant de tutelle de l’établissement public de santé mentale de Châlons-en-Champagne pour une durée de cinq ans, soit jusqu’en mars 2024. L’enquête met en évidence une divergence de points de vue entre le mandataire judiciaire, signalant des périodes de rupture de traitement, et le psychiatre de l’intéressé, considérant la situation stabilisée.

Matthieu Bourrette informe avoir ouvert ce 24 mai une information judiciaire des chefs d’assassinat et tentative d’assassinat. Après une garde à vue en milieu hospitalier psychiatrique au regard des préconisations médicales, l’intéressé a été mis en examen et placé en détention provisoire avec placement rapide en unité hospitalo-carcérale, conformément aux réquisitions du parquet. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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Mediapart. Meurtre d’une infirmière à Reims : la psychiatrie en deshérence

2023-05-26 Mediapart.

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Pau, Thouars, Reims : les meurtres de soignants par des patients atteints de sévères troubles psychiatriques se succèdent. Les politiques regardent ailleurs, pourtant, la politique est bien en cause : affaiblie, la psychiatrie perd le lien et la confiance des malades, les violences montent de tous côtés.

26 mai 2023, par Caroline Coq-Chodorge.

L’enquête sur l’attaque au couteau contre deux soignantes du CHU de Reims, lundi 22 mai, avance à pas comptés. Mardi, l’infirmière Carène Mezino a succombé à ses blessures. Le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, a annoncé mercredi que le meurtrier présumé, Franck F., était mis en examen pour « assassinat » et « tentative d’assassinat ».

Ses antécédents, médicaux et judiciaires, ont très vite été révélés. Diagnostiqué schizophrène, souffrant de crises paranoïaques, placé sous « curatelle renforcée », l’homme de 59 ans était suivi en psychiatrie depuis 1985. En 2017, il avait déjà agressé avec un couteau quatre soignants d’un établissement d’aide par le travail (Esat) où il travaillait. Il n’avait alors été placé ni en détention ni sous contrôle judiciaire. C’est l’hôpital psychiatrique qui l’avait pris en charge, en l’hospitalisant sous contrainte jusqu’en 2019. Il a ensuite fait deux autres séjours à l’hôpital, en 2020 et 2021. Quand il n’était pas hospitalisé, il devait se rendre chaque jour dans un centre médico-psychologique pour y prendre ses médicaments et il était suivi par un psychiatre.

L’enquête a révélé une différence d’appréciation sur l’état psychique de Franck F. entre son psychiatre, qui considérait que son patient était stabilisé, et sa mandataire judiciaire, qui « a estimé à plusieurs reprises que, depuis au moins décembre 2020, il ne prenait plus son traitement », a rapporté le procureur de la République. Les premiers éléments de l’enquête semblent lui donner raison : des médicaments non pris ont été découverts à son domicile.

La mandataire judiciaire a aussi « fait état de plusieurs crises verbales depuis l’été 2022, la dernière datant du 15 mai 2023, a encore indiqué le procureur. Elle s’en était ouverte à plusieurs reprises auprès du psychiatre depuis 2021, des signalements non suivis d’effet selon elle. » La mère du présumé craignait elle aussi un nouveau passage à l’acte.

Pau, Thouars, Reims. Le meurtre de Carène Mezino s’inscrit dans une tragique série de passages à l’acte meurtriers de malades atteints de sévères pathologies psychiatriques : deux infirmières mortes à Pau (Pyrénées-Atlantiques) en 2004, une infirmière à Thouars en 2020 (Deux-Sèvres).

Les politiques regardent ailleurs, vers une vague et supposée « décivilisation » générale, selon Emmanuel Macron. Plus « pragmatique », le ministre de la santé François Braun veut expertiser la semaine prochaine le système de sécurité des établissements de santé et promet « une tolérance zéro, des choses pratiques » : des parkings sécurisés, des digicodes, des agents de sécurité, etc.

Seulement, le ministre en est lui-même convenu : les hôpitaux peuvent difficilement se transformer en « forteresses ». La raison en est simple : il y a bien trop de portes dans ces lieux éminemment publics où se croisent soignantes, personnels techniques, administratifs, patientes, visiteurs et visiteuses, fournisseurs de matériels en tous genres, véhicules de toutes sortes, etc.

Les politiques évitent soigneusement le cœur du sujet : ces violences ne sont pas déconnectées des politiques publiques menées. En psychiatrie, en quarante ans, le nombre de lits a été divisé par deux, conséquence d’une politique souhaitable de « désinstitutionalisation », mais aussi de mesures d’économies. En parallèle, l’offre de soins ambulatoires, en dehors de l’hôpital, au plus près de la vie quotidienne des patientes, n’a jamais été suffisante : les centres médico-psychologiques croulent sous la demande et imposent des mois d’attente à leurs nouveaux patients et patientes.

« Dans les centres médico-psychologiques, pour répondre aux nouvelles demandes, on est obligés d’espacer les rendez-vous, précise Delphine Glachant, psychiatre au centre hospitalier Les Murets (Val-d’Oise) et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. Quand les gens décompensent, on le repère moins vite, et ils décompensent plus. Notre seule réponse est l’isolement, qui génère de la violence, de plus en plus de violence. C’est mon sentiment. »

2011, le tournant sécuritaire voulu par Nicolas Sarkozy

Après le double meurtre de Pau, le président de la République Nicolas Sarkozy s’est violemment saisi du sujet. Dans un discours à Anthony en 2008, qui a marqué le monde de la psychiatrie, il a imposé une approche sécuritaire de la maladie psychique : création de quatre unités pour malades difficiles (UMD), de 200 chambres d’isolement, de nouvelles mesure d’hospitalisation sans consentement, d’unités fermées, d’un fichier des patientes hospitalisées sans consentement. La loi du 5 juillet 2011 a acté un recul sans précédent des droits de ces malades.

Isolement, contention : la France a l’un des recours les plus élevés en Europe à ces mesures d’exception, en constante augmentation.

Ces choix politiques ont été suivis d’effet : entre 2011 et 2021, les soins sans consentement ont bondi de 14 %, selon une récente étude de l’Irdes, un institut de recherche public sur la santé. En 2021, 5 % des personnes suivies en psychiatrie, soit près de 100 000 personnes, se sont vu imposer des soins sans consentement. En 2021, 10 000 personnes ont été contentionnées, c’est-à-dire attachées à un lit dans une chambre d’isolement. Et ces données ne sont que parcellaires, loin d’être exhaustives, reconnaît l’Irdes.

Ces mesures, nécessaires lorsqu’une personne a besoin de soins immédiats mais ne peut y consentir en raison d’une conscience altérée, devraient rester l’exception. Or la France a l’un des recours les plus élevés en Europe à ces mesures d’exception, en constante augmentation.

Les contrôleuses générales des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan puis Dominique Simonnot, n’ont cessé de dénoncer ces « formes les plus graves de privation de liberté, parfois prises dans un contexte de grande violence et exécutées dans des conditions indignes », comme l’a encore rappelé Dominique Simonnot dans son rapport annuel 2021.

En octobre 2022, la contrôleuse a rendu publiques de nouvelles recommandations en urgence, à la suite de sa visite de l’établissement public de santé mentale de La-Roche-sur-Yon (Vendée). Ses services y ont constaté des portes fermées dans la plupart des services, même ceux des patientes en hospitalisation libre. Les décisions d’isolement et de contention, des mineures comme des majeures, y sont nombreuses et souvent illégales. L’accès aux droits des malades est largement entravé.

Ces mesures sécuritaires n’ont eu aucun effet : les services de psychiatrie restent, année après année, les plus touchés par les violences. 22 % des signalements à l’Observatoire des violences en milieu de soins émanent de services de psychiatrie, loin devant les urgences et la gériatrie.

À LIRE AUSSI - À Asnières-sur-Seine, un service de psychiatrie détruit pour avoir défendu les droits des patients (28 septembre 2021).

« Même dans une psychiatrie idéale, il y a des patients dangereux », reconnaît le psychiatre Mathieu Bellahsen, ancien chef de pôle à l’hôpital Roger-Prévot de Moisselles, dans le Val-d’Oise, débarqué pour avoir défendu les droits de ses patientes (lire notre enquête ici). « Mais il y a aussi des patients rendus dangereux par une institution maltraitante, poursuit le médecin, qui s’apprête à publier un livre s’élevant contre la contention (lire son blog sur Mediapart ici). Il faut éviter de rendre les gens très hostiles vis-à-vis de la psychiatrie. Et prendre en soins, à tous les stades, du plus ouvert au plus fermé. »

Car les paroles du meurtrier de Carène Mezino, quel que soit le crédit qu’on veut bien leur donner, résonnent fort. Aux fonctionnaires de police qui l’ont entendu, il a expliqué à plusieurs reprises « en vouloir au milieu hospitalier, indiquant avoir été maltraité depuis plusieurs années par le milieu psychiatrique », a rapporté le procureur Matthieu Bourrette.

Son avocat commis d’office, Olivier Chalot, qui a pu le rencontrer une fois, raconte à Mediapart « une conversation difficile, des interactions limitées ». Pour lui, il est « en colère tout court. Cette colère s’est focalisée à ce moment-là sur “les blouses blanches”. J’attends de voir ce que dira l’expertise psychiatrique ».

Je ne vocifère pas contre les malades mais contre le système (Corinne Langlois, victime en 2017 de Franck F.)

Patricck Chemla, Psychiatre à Reims, chef de service du centre d’accueil de jour Antonin-Artaud,

Patrick Chemla ne peut rien dire des conditions de prise en charge de ce malade psychiatrique, qui n’a pas fréquenté son service. Mais il estime que « ces personnes en très grande vulnérabilité psychique ont besoin d’un espace sécurisant, cela devrait être la fonction d’un service public de psychiatrie. Au centre Antonin-Artaud, il y a un accueil physique ou téléphonique inconditionnel 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Les gens peuvent venir sous n’importe quel prétexte, pas seulement pour voir le psy, mais pour trouver un lieu soignant ».

Cette méthode de travail est celle de la psychothérapie institutionnelle, née après guerre en réaction à l’enfermement des malades. Dans les années 1960 et 1970, elle a révolutionné la psychiatrie, la réorganisant en secteurs au plus près des lieux de vie.

« On vit une très grande régression, estime le docteur Chemla. Des lieux comme le nôtre, il n’y en a presque plus. L’État, avec sa politique d’évaluation comptable, est contre nous. La psychiatrie universitaire ne croit plus qu’au médicament, à l’efficacité pourtant relative. Les infirmiers en psychiatrie ne reçoivent plus aucune formation. Pourtant, la seule thérapeutique qui a fait ses preuves est le lien humain. »

La première victime de Franck F., l’infirmière Corinne Langlois, poignardée en 2017, a pris la parole sur France 3 Régions. Elle y raconte son traumatisme, qui ne passe pas et lui interdit de retravailler. Elle raconte aussi qu’en arrivant dans l’Esat où elle a été agressée, elle ne « connaissait pas les gens psychotiques » : « Je ne savais pas comment me comporter. On m’a juste dit de ne jamais me retrouver devant eux et d’éviter les coins sombres. Je ne comprends pas : il avait arrêté son traitement depuis un mois. Personne ne s’en était rendu compte. Pourquoi ? Comment est-ce possible ? »

Elle insiste encore : « Je ne vocifère pas contre les malades mais contre le système. »

Caroline Coq-Chodorge


Nouvel obs. « Il ne faut pas que l’ensemble des patients psychiatriques subissent la stigmatisation sécuritaire »

26 mai 2023.

2023-05-26 Nouvel Obs. Interview de Mathieu Bellahsen.

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Après le meurtre de l’infirmière du CHU de Reims, un discours mêlant insécurité et troubles psychiatriques monte. Le psychiatre Mathieu Bellahsen déconstruit ce schéma stéréotypé dans un entretien avec « l’Obs »

Propos recueillis par Manon Bernard

Le drame a secoué le pays et déclenché une bulle politico-médiatique. Dans la nuit de lundi à mardi, une infirmière de 38 ans a été mortellement poignardée au CHU de Reims par un homme souffrant de troubles psychiatriques.

— Quand la folie a-t-elle cessé d’être une question politique ?

Quelques jours plus tard, un discours politique à droite jaillissait dans les médias associant le manque de moyens en psychiatrique et une éventuelle montée de l’insécurité. Cette soignante « est morte aussi sous les décombres de la psychiatrie française qui laisse des fous dangereux en liberté », écrivait notamment le sénateur LR Bruno Retailleau sur Twitter.

Le lien ressurgit régulièrement quand un fait divers implique une personne atteinte d’une maladie psychiatrique. Mais quels sont les dangers de véhiculer un stéréotype aussi fort ? Mathieu Bellahsen, ancien chef d’un secteur de psychiatrie en banlieue parisienne et auteur de « la Révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe de gestionnaire » (La Découverte 2020), apporte quelques éléments de réponses à « l’Obs ».

— Que pensez-vous de ce discours politique qui associe psychiatrie et montée de l’insécurité ?

Mathieu Bellahsen C’est un retour intégral de la séquence sarkozyste de 2008 où un étudiant avait été tué par un patient en permission à Grenoble. Cette séquence sécuritaire par la psychiatrie s’est un peu mise entre parenthèses sous Hollande et est revenue d’emblée sous Macron avec la circulaire Collomb. Cette dernière a créé un fichier qui assimilait les personnes hospitalisées sans consentement – par le préfet ou à la demande d’un tiers – et les fichés S. L’ancien ministre de l’Intérieur avait également donné des consignes aux préfets pour être plus raides sur les demandes de permissions pour les patients.

Mais c’est un cercle vicieux : plus on crée du sécuritaire, moins on accueille les gens. Moins on les accueille, plus ils vont mal. Lorsqu’ils sont moins soignés, ils peuvent potentiellement passer à l’acte, et avant tout sur eux-mêmes, avec des tentatives de suicide.

En psychiatrie, on sait que le risque zéro n’existe pas et qu’il n’existera jamais. Des passages à l’acte meurtrier fou, il y en aura toujours. Mais il ne faut pas que l’ensemble des patients psychiatriques subissent la stigmatisation. La solidarité avec la victime, sa famille ses collègues et ses proches est importante, tout comme la solidarité avec tous les patients hospitalisés en psychiatrie qui subissent la stigmatisation sécuritaire.

— D’où vient le stéréotype selon lequel tous les patients en psychiatrie seraient dangereux ?

L’histoire asilaire de la psychiatrie a été celle de la ségrégation et de l’enfermement. Avant la Révolution française, des lettres de cachet se mettent en place pour que les vagabonds, les fous, les pauvres soient placés dans ce que l’on appelait « l’hôpital général ». Après la Révolution française se sont développés des lieux spécifiques pour enfermer les gens qui n’ont plus leur raison : les asiles. Dans l’imaginaire populaire, depuis le XIXe siècle, le fou – soit l’être privé de raison – renvoie les gens « normaux » à l’horreur. La folie renvoie à l’irrationnel qui nous anime toutes et tous, que l’on veut peut-être camoufler ou faire porter à l’autre. Il y a un vécu très projectif sur les fous.

Et ils ont bon dos, les malades mentaux, sur ces projections parce qu’ils sont bien plus souvent victimes qu’agresseurs. Ils sont plus vulnérables donc plus attaquables. De plus, 99 % des crimes sont commis par des gens dits « normaux ». Les crimes commis par des schizophrènes sont juste plus médiatisés parce qu’ils fascinent. Ils renvoient à cette dimension qui fait peur, la dimension de sa propre folie. En revanche, les féminicides, par exemple, il y en a plusieurs centaines par an et ça ne pose pas plus de questions que ça.

Mais finalement, tout le monde a des proches qui sont allés voir un psy, qui ont été hospitalisés en clinique, qui ont eu des moments de dépression ou qui ont pris des médicaments. Les gens ont l’impression que ça ne les concerne pas mais ce n’est pas vrai, ils sont tous touchés de près ou de loin.

— Quels sont les dangers de cette stigmatisation sur la santé ?

On entend souvent « t’es schizo », « t’es parano » ou bien « espèce d’autiste ». Cet imaginaire social crée des représentations. Et la psychiatrie est poreuse au fond de l’air de la société. Dans une dynamique d’ouverture (années 1960-1970), la figure du malade mentale est soutenue par les courants artistiques mais aussi politiques. L’idée était de remettre ces gens en dehors du monde dans le monde. Mais avec le repli sur soi et la montée de l’extrême droite, la psychiatrie est directement percutée. Les soignants qui s’occupent des patients, par exemple, sont beaucoup plus dans le sécuritaire.

Il y a trois choses qui permettent de souligner la catastrophe en cours : le manque de moyens, le manque de formation et la représentation sociale construite autour de la santé mentale. Il y a, parfois, des gens qui ne peuvent pas s’exprimer autrement que par la violence. Et notre rôle, c’est de les aider à faire autrement. On va transformer la violence en agressivité, c’est-à-dire en quelque chose que l’on peut travailler. Mais quand il y a des équipes en sous-effectif, mal formées et flippées parce qu’elles ont ces représentations en tête, ce qu’elles demandent, c’est que l’on gère ces comportements par de la contention ou de la surmédication.

Ajouté à cela, les patients savent la stigmatisation, la pratique même parfois sur des personnes plus malades qu’eux. Ça crée de la honte, beaucoup se cachent et limitent eux-mêmes l’accès à leurs droits et à leurs soins.

— Que répondez-vous aux soignants qui ont peur d’être potentiellement attaqués lorsqu’ils se rendent au travail le matin ?

Le meilleur remède, c’est le collectif ! Et les collectifs en psychiatrie ont été détruits. Quand j’étais médecin chef de pôle, dans un service de psychiatrie adulte, j’ai vu arriver des vacataires, des intérimaires. Des personnes que les patients ne connaissaient pas et que l’équipe ne connaissait pas non plus. Quand on a l’habitude d’un patient, la première fois qu’il s’énerve, c’est difficile, puis on sait y faire, on crée une histoire avec lui. Et si l’on a peur d’un patient en particulier, on peut s’appuyer sur les collègues. La peur peut se partager collectivement. Si tous les soignants sont renvoyés à leur peur interne, ça crée mathématiquement des burn-out.

Propos recueillis par Manon Bernard


L’union. « Le risque zéro ne peut pas exister ». Après le drame au CHU de Reims, entretien avec le psychiatre Patrick Chemla

2023-05-27 L’Union. Interview de Patrick Chemla.

Source,

L’Union (Reims) – 27/05/2023

Après le drame survenu lundi 22 mai au CHU de Reims et l’immense émotion engendrée, Patrick Chemla, membre du conseil national de l’union syndicale de la psychiatrie, évoque le contexte de profonde désaffection dont souffre de longue date cette discipline. Mais refuse d’établir un lien de causalité.

Après le drame survenu lundi 22 mai au CHU de Reims et l’immense émotion engendrée, Patrick Chemla, membre du conseil national de l’union syndicale de la psychiatrie, évoque le contexte de profonde désaffection dont souffre de longue date cette discipline. Mais refuse d’établir un lien de causalité.

Propos recueillis par Mathieu Livoreil

Les faits

— Le 22 mai, à Reims, un homme au lourd passé psychiatrique entre dans le CHU et poignarde mortellement Carène Mezino, une infirmière de 37 ans. Il blesse aussi grièvement une secrétaire médicale.

— Le 24 mai, Franck Freyburger, qui a expliqué avoir voulu « tuer une blouse blanche », a été mis en examen pour « assassinat », « tentative d’assassinat » et écroué dans une unité médico-carcérale.

Patrick Chemla, fondateur du centre Antonin Artaud à Reims, est membre du conseil national de l’union syndicale de la psychiatrie.

— Ces derniers jours, beaucoup ont rappelé le manque de moyens de la psychiatrie. Qu’en pensez-vous ?

En matière psychique comme pour tout ce qui concerne l’humain, il n’y a jamais un seul lien de cause à effet – ce n’est parce qu’on a eu des parents violents qu’on aura tel comportement à l’âge adulte. Il ne faut pas mettre un trait d’égalité entre un crime fou commis par un homme très délirant, déjà violent, et le manque de psychiatres en France.

Je voudrais passer un message : au centre Artaud, beaucoup de patients étaient très émus au lendemain matin de ce qui était arrivé – les personnels soignants se sont sans doute tous identifiés à la victime, mais les patients aussi. Certains, aussi, craignaient que cette histoire leur retombe dessus.

— C’est-à-dire ?

Un crime fou a lieu en moyenne tous les quatre-cinq ans en France. À chaque fois, un constat est rappelé et vite oublié : en proportion, moins de crimes et délits sont commis par les malades mentaux que par le reste de la population. En revanche, ils subissent dix fois plus de crimes et délits. La majorité des patients psychiatriques est très vulnérable, mais certains peuvent être très dangereux, surtout si leurs hallucinations ne sont soignées qu’avec des médicaments.

— Quel est justement leur rapport aux médicaments ?

Souvent ambivalent. Les stratégies de dissimulation sont fréquentes, notamment chez les schizophrènes, pour qui le médicament est souvent perçu comme un poison qui rend fou… On peut passer beaucoup de temps à négocier avec eux. D’où l’importance que le patient puisse compter sur un tissu relationnel.

— Ce qui n’est souvent plus le cas…

Les médicaments peuvent réduire les angoisses, les délires et aider à restaurer un espace de communication. Mais s’ils suffisaient à guérir la psychose, on pourrait tous aller à la pêche à la ligne… Ce qui guérit, ce n’est pas seulement les médicaments ou la psychothérapie, mais bien une ambiance psychothérapeutique avec des milieux de soins qui puissent être aussi des milieux de vie, tout ce qui permet des capacités de resocialisation.

— Les avis divergents entre mandataire judiciaire et psychiatre sont-ils fréquents ?

Oui. Dès que quelqu’un est délirant, dissocié, il peut provoquer cela. Il va être bien devant une personne, puis très mal devant une autre. Face à un interlocuteur, il peut se sentir dans un espace de sécurité, où les voix et les hallucinations s’arrêtent, et, face à un autre, brusquement, ne plus l’être – c’est un « effet de seuil ».

— Le ministre de la Santé a annoncé des moyens supplémentaires pour améliorer la sécurité. Qu’en pensez-vous ?

C’est une politique seulement sécuritaire. Au centre Artaud, on a déjà voulu nous imposer des systèmes d’alarme, des caméras, etc. Nous avions menacé de faire grève. Le directeur de l’époque a fait en sorte que nous n’en ayons pas.

— Pourquoi refuser de tels dispositifs ?

Cela renforcerait le sentiment d’insécurité, donner aux patients l’idée que les soignants sont forcément sur leurs gardes.

— Le psychiatre qui suivait Franck Freyburger l’a vu cinq fois au cours des six derniers mois. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux pas juger du travail d’une autre équipe. Sur le plan légal, cela paraît irréprochable. Et s’il l’avait vu chaque semaine ou chaque jour, le même crime aurait pu avoir lieu. Certains patients développent des stratégies de dissimulation très élaborées, le plus souvent en vue d’une tentative de suicide. Chez un schizophrène, cela se produit d’ailleurs souvent quand il va mieux et réalise sa pathologie. Soudain, il se voit avec une lucidité redoutable… Des patients s’organisent en collectifs, créent, militent, se soutiennent, mais d’autres voient les choses très tristement.

« Dire que la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, c’est cliché mais bien vrai »

— Mais au vu de votre expérience, le suivi de ce patient était-il suffisant ?

Vous savez, il m’arrive de voir des patients tous les trois mois… On travaille avec les moyens qu’on a. Une fois par mois, c’est souvent le rythme, oui. Avant d’être à la retraite à l’automne, je suis passé à mi-temps et j’ai encore 146 patients. C’est beaucoup…

— Et même trop, non ?

Oui. Mais quel est l’autre choix ? Les abandonner ? J’ai arrêté de prendre des nouveaux patients depuis deux ans. Depuis mes débuts, la demande a dû être décuplée : à la fin des années 70, les gens n’osaient pas venir et aujourd’hui, on refuse des demandes de partout… Et encore, ici, nous avons encore le nombre suffisant de psychiatres. Mais il faut bien comprendre que même avec des effectifs au complet, le risque zéro ne peut pas exister. Nous sommes tous assommés par cette histoire, c’est vraiment terrible de penser à la famille de cette femme, à son mari et ses enfants… Mais il ne faut pas laisser croire que nous aurions les moyens de prévoir l’imprévisible, ce serait obscène.

Mais si le risque zéro n’existe pas, certains y verront un argument pour renforcer la sécurité…

Un portique ne changera rien sur le fait que quelqu’un ira dans la rue courir après n’importe qui avec un couteau. Et là, que proposera-t-on ? Des portiques au coin de chaque rue ? Après un tel drame, il y a comme d’habitude une réaction immédiate qui est d’ordre émotionnel. Donc on va mettre de l’argent pour installer des portiques mais la crise, elle, va rester. Les démissions de psychiatres et d’infirmiers vont continuer et ceux qui restent seront encore plus fatigués… Ce qui manque, ce sont des équipes formées. Depuis trente ans, gauche et droite ont voulu supprimer des lits, pensant qu’on pouvait s’en passer et que les médicaments résoudront tout.

— Beaucoup de non-initiés se sont posé la question : pourquoi Franck Freyburger n’était-il pas enfermé ?

À peu près 1 % de la population est schizophrène. En France, pays de 70 millions d’habitants, il faudrait donc 70 000 lits qui seraient toujours occupés. Est-ce que ce serait raisonnable ? La fonction de la psychiatrie est de soigner, pas d’enfermer. Nous ne parvenons pas à réduire la fréquence des crimes schizophréniques, mais arrive-t-on à réduire les autres crimes ? Encore moins : les prisons débordent comme jamais et sont remplies de fous qui ne devraient pas y être. On fait des rapports depuis trente ans sur le sujet mais tout continue. Dire que la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, c’est presque cliché mais c’est toujours vrai.

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Ce que l’on sait de Franck Freyburger, mis en examen pour l’assassinat de Carène Mezino, infirmière au CHU de Reims


L’Union – Reims - 1300 personnes aux obsèques de Carène Mézino, l’infirmière tuée au CHU de Reims

Les funérailles de Carène Mézino, infirmière de 37 ans poignardée au CHU de Reims lundi 22 mai, ont eu lieu ce jeudi 1er juin au matin à la basilique Saint-Remi, en présence du ministre de la Santé François Braun et du maire de Reims Arnaud Robinet

1 juin 2023 à 09h29 - Modifié:1 juin 2023 à 13h12

2023-06-01 L’Union.

Source : https://lc.cx/6BHwtA

L’émotion était vive, ce jeudi 1er juin, à la basilique Saint-Remi de Reims. Des centaines de personnes ont afflué pour rendre un dernier hommage à Carène Mézino, dont les obsèques ont débuté à 9h30. La cérémonie a duré une heure et demie avant d’être conclue par l’archevêque de Reims, Monseigneur de Moulins-Beaufort.
Infirmière de 37 ans, mère de deux enfants, Carène Mézino a été mortellement poignardée lundi 22 mai, au sein de l’unité de médecine et santé au travail du CHU de Reims, où elle travaillait. Son agresseur, un homme de 59 ans souffrant de troubles psychiatriques, a été mis en examen pour « assassinat » et « tentative d’assassinat » et écroué dans une unité médico-carcérale.

Des registres de condoléances sont à la disposition de tous devant la basilique et sur le parvis. - Fabrice Curlier

Un important dispositif encadre la cérémonie. Toute la rue Simon, qui passe devant la basilique, et quelques rues adjacentes, sont fermées à la circulation.
Fabrice Curlier

Le cercueil de Carène Mézino a été porté en la basilique. Des chansons de Francis Cabrel – Petite Marie, Je l’aime à mourir – l’accompagnaient. 1300 personnes sont présentes d’après la police.

Le ministre de la Santé François Braun est arrivé à l’heure prévue, discrètement, par une porte latérale à l’écart du parvis.

S’exprimant en premier au nom de la famille, la mère de Carène a évoqué sa fille, une enfant qui « a grandi à la campagne à Champlat » et qui consacrait son existence au service des autres.

L’archevêque de Reims, Éric de Moulins-Beaufort a lui aussi « fait mémoire » de Carène, « morte en tenue de service » et tuée « parce qu’elle était en tenue de service ». Il a rappelé le deuil subi il y a seulement trois ans par la famille, avec le décès du père de Carène. « Carène était une bonne part de votre soleil et rien ni personne ne pourra compenser cela ». « Vous êtes très entourés par les autorités de l’État. Tous les corps de l’hôpital partagent votre chagrin, votre colère, vos interrogations. »

Dans son homélie, Mgr de Moulins-Beaufort a également rendu hommage au métier des soignants et souligné combien ce drame « nous oblige » à penser au métier d’infirmière. « Vous nous accompagnez, vous nous aidez. »

La cérémonie approche de son terme. Le ministre de la Santé, accompagné des représentants de l’État, est le premier à se rendre auprès du cercueil de Carène Mézino pour la saluer.

De nombreux soignants signent les registres de condoléances à la sortie de la basilique.

Une procession émue et silencieuse continue de sortir de la basilique que déjà, la foule s’est rassemblée sur le parvis pour accompagner le départ de Carène Mézino.
Le cercueil de Carène Mézino est sorti de la basilique sous les applaudissements. Les policiers qui assurent le service d’ordre se mettent au garde à vous au passage du véhicule funéraire.

Il est midi et quart. Les funérailles s’achèvent en la basilique. La cérémonie va se poursuivre cet après-midi « dans la plus stricte intimité familiale ».

Vous pouvez rendre un hommage à Carène Mézino en cliquant ici


Hospimedia. Au-delà du drame de Reims, y aura-t-il une volonté politique de « sauver » la psychiatrie ?

2023-06-02 Hospimedia, sur le drame de Reims.

Source, cliquer sur ce lien

Publié le 02/06/23 - 17h31 par Caroline Cordier.

L’attention médiatique s’est portée de nouveau ces derniers jours sur la situation difficile de la psychiatrie, pour tenter d’éclairer le contexte et les circonstances de l’agression mortelle au CHU de Reims. Mais quid, au-delà de ce drame, d’une attention véritable portée par le pouvoir politique à cette discipline ?

En crise profonde depuis des années, la psychiatrie fait aussi face en parallèle, régulièrement, à des périodes d’ultra-médiatisation, sans réels effets sur le cours des réformes. (Caroline Cordier/Hospimedia)

L’agression mortelle d’une infirmière à Reims (Marne), qui a marqué et profondément ému la communauté hospitalière (lire nos articles ici et là), remet un temps sur le devant de la scène la situation très difficile de la psychiatrie. Mais un temps seulement, sans doute. Les feux médiatiques se sont notamment braqués sur la discipline après que le parquet a informé des antécédents psychiatriques de l’agresseur (lire notre article). En crise profonde depuis des années, la psychiatrie fait ainsi face en parallèle régulièrement à des périodes d’ultra-médiatisation, plus ou moins brèves, mais sans réels effets la plupart du temps sur le cours des réformes de santé. En quoi les perspectives seraient-elles différentes, au-delà de cette affaire, désormais aux mains de la justice ?

Folie et dangerosité toujours amalgamées

Chaque fait divers grave impliquant un patient en psychiatrie expose par son ultra-médiatisation, et les outrances qui peuvent en découler, l’ensemble de la discipline et les usagers en particulier à un surcroît de stigmatisation. Ces drames exposent dans le même temps les élus politiques à différentes tentations, selon leur place sur l’échiquier, leurs convictions et valeurs personnelles ou leur ressenti sur les attentes de l’opinion. Parmi ces tentations, celle d’appeler pour certains un renforcement sécuritaire, entraînant une restriction des droits et libertés des patients. Celle pour d’autres d’élargir le champ des enjeux, en se saisissant de problématiques réelles mais dépassant la psychiatrie, pour éviter — consciemment ou non — in fine d’avoir à se saisir de celles touchant directement et spécifiquement ce secteur.

Cette mention parfois a minima du contexte psychiatrique — pour parler par exemple plus globalement des violences touchant les soignants à l’hôpital en général — peut partir d’intentions a priori louables comme la volonté — affichée ou non — de ne pas contribuer à la stigmatisation et aux amalgames sur les troubles psychiques. Ce peut être aussi par crainte de la complexité des enjeux à affronter pour un politique hésitant à réformer en la matière et/ou par méconnaissance de ce champ de la santé. Il reste néanmoins des élus, aux côtés des acteurs de santé, pour rappeler, à chaque fois que l’occasion se présente, la nécessité de soutenir cette discipline. Mais les acteurs concernés redoutent une énième mise de côté — d’aucuns diront abandon — de la psychiatrie une fois les feux médiatiques tournés vers d’autres actualités.

Dès le lendemain de l’agression de Reims, ces différentes positions politiques s’exprimaient déjà. Les élus LR ont tenté d’emblée de placer le débat sur un plan pénal, lors de la séance de questions au Gouvernement du 23 mai. Tout en appelant, pour adoucir son propos polémique, à « un plan d’ampleur pour la psychiatrie, grande sinistrée de nos politiques de santé avec des moyens massifs », le député LR de l’Isère Yannick Neuder a évoqué sur les réseaux sociaux « ces patients dont on a arrêté le suivi, [qui] sont un véritable danger pour autrui ». Le sénateur LR de Vendée Bruno Retailleau a encore plus directement mis la discipline en accusation, amalgamant clairement au passage folie et dangerosité, en estimant que « l’infirmière est […] aussi morte sous les décombres de la psychiatrie française qui laisse des fous dangereux en liberté ».

« Dès son annonce, nous avons su que ce drame raviverait le débat sur la dangerosité supposée de tous les patients de la psychiatrie et sur les »solutions sécuritaires« , écrit en retour le collectif Printemps de la psychiatrie dans un communiqué diffusé début juin. Le »terrible événement« survenu au CHU de Reims est »une tragédie pour la victime et ses proches et une catastrophe pour tous les patients qui risquent encore plus d’être stigmatisés« , estime le collectif, rappelant au passage que »les patients de psychiatrie sont moins violents que la population générale et plus souvent victimes des agressions« . Il souligne que les mêmes raisonnements sécuritaires »ont surgi en 2008 et abouti au sinistre discours du président de la République Nicolas Sarkozy" et à la mise en place de la rétention de sûreté et la réforme de la procédure d’irresponsabilité pénale (lire nos articles ici et là).

Les « soucis » de la psychiatrie

L’amalgame dénoncé pour l’heure par le ministre de la Santé et de la Prévention est davantage celui qui serait effectué entre le drame de Reims et le manque de moyens de la psychiatrie. « Je demande avec force de ne pas faire d’amalgame entre un acte de violence […] et les soucis de la psychiatrie, que je ne méconnais pas », a déclaré le 27 mai aux micros de RTL et LCI François Braun. « Laissons l’enquête se poursuivre [sur l’affaire de Reims] mais aussi et surtout pour la décence, ne faisons pas d’amalgame, de politique à la petite semaine […] en mélangeant ce drame et les difficultés liées à la psychiatrie », a-t-il insisté.

Pourtant, certains professionnels ou organisations ont fait un lien direct ou quasi direct avec le manque de moyens dans les services. « Le drame de Reims, c’est le drame de la psychiatrie en général », a souligné le 23 mai sur BFMTV l’ancien président de la Fédération des médecins de France (FMF) Jean-Paul Hamon, évoquant « la faillite de la psychiatrie ambulatoire […] et de la psychiatrie en général ». Cette « agression par un déséquilibré […] est [révélatrice] des tensions engendrées par la politique d’économies dans la santé, notamment en psychiatrie, depuis des décennies », écrit pour sa part Lutte ouvrière le 24 mai sur les réseaux sociaux.

Sans entrer pour sa part dans l’explication du « terrible évènement » survenu à Reims, le Printemps de la psychiatrie rappelle néanmoins le contexte actuel de « régression », où la psychiatrie et la pédopsychiatrie sont devenues « les parents pauvres de l’hôpital public, lui-même en déliquescence » : régression des moyens humains et financiers, réduction du nombre de lieux de soins et de leur accessibilité, etc. Le collectif s’emploie à « empêcher la destruction des institutions du soin psychique […] et ses conséquences dans la cité, l’abandon des malades à le rue ou en prison ».

« Désintérêt du pouvoir politique »

« La psychiatrie française traverse clairement de grandes difficultés, en particulier les services publics mais pas seulement », a souligné le 25 mai le Dr Christophe Schmitt, président de la Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des CH spécialisés, en préambule d’une journée organisée par la Fédération française de psychiatrie. Ceci s’inscrit dans une plus vaste crise de notre système de soins, mais aussi dans une crise dépassant nos frontières, a-t-il souligné. Et de s’interroger : « Que se passe-t-il dans l’évolution de notre société »occidentale« pour que l’on connaisse de telles difficultés, en particulier de désaffection pour notre discipline ? »

En France, « la crise est profonde, elle était antérieure à la période Covid et cette dernière n’a été qu’un révélateur de ce qui existait à bas bruit » depuis plusieurs années. « Je pense qu’il y a vraiment un désintérêt du pouvoir politique depuis plusieurs années, de quelques bords que les élus soient d’ailleurs, pour notre discipline », a-t-il confié, faisant remonter cette tendance à au moins quinze ans. « J’ai vu l’évolution, depuis avant 2010, c’est extrêmement compliqué de susciter l’intérêt des politiques, pour la psychiatrie et évidemment pour les patients que l’on soigne », a poursuivi le président de la conférence. « Je crois qu’il y a un véritable abandon, qui s’est fait dans le silence, sans tambour ni trompette, a-t-il développé, mais avec un étranglement financier, un sous-investissement chronique dans les lieux de soins, sans que cela n’émeuve grand monde en fait, malheureusement ».

Malgré tout, a-t-il relevé, des dynamiques d’innovation perdurent aujourd’hui localement, sur les territoires, portées par exemple par les appels à projets nationaux (fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie et pédopsychiatrie) et leurs financements. Mais encore faut-il que des « forces vives » soient là pour les porter, alors que dans « certains endroits, il n’y a plus de pédopsychiatres ou pratiquement plus de psychiatres ». Enfin, le président de la conférence a relevé que malgré les évolutions importantes de la psychiatrie en trente ans, il reste une constante : « Les représentations négatives que porte la société sur les patients de psychiatrie restent toujours les mêmes, malheureusement, malgré tous nos efforts. » C’est là un « puissant obstacle » à l’attractivité de la discipline, a-t-il estimé. Et le franchissement de cet obstacle ne sera vraisemblablement pas facilité de sitôt.

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