Psychiatres, familles, responsables d'hôpitaux, veulent le retrait du texte de Sarkozy.
Haro sur "l'amalgame" entre malades mentaux et délinquants
Par Eric FAVEREAU
QUOTIDIEN LIBÉRATION : Mercredi 13 septembre 2006
Unis comme jamais. Hier, dans le bureau du directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, responsables d'hôpitaux, psychiatres publics ou libéraux, associations de familles et de malades mentaux, tous ont demandé le retrait du projet de loi sur la prévention de la délinquance. En particulier les articles touchant aux règles d'hospitalisation des malades mentaux. "On est dans un amalgame effroyable entre troubles mentaux et délinquance", ont-ils répété.
Ce texte, débattu aujourd'hui au Sénat, remet en cause des équilibres très fragiles sur les différents types d'hospitalisation. Schématiquement, il existe trois types de procédures. Une hospitalisation d'office, décidée par le préfet si la personne est menaçante pour l'ordre public ou pour elle-même. Une à la demande d'un tiers. Et enfin l'hospitalisation libre. Sans beaucoup de concertation, le projet modifie l'architecture d'ensemble. Une des propositions du projet de loi vise, par exemple, "à faire du maire ou du commissaire de police à Paris, l'autorité responsable de la décision initiale d'internement, sur le fondement d'un avis ou d'un certificat médical d'un psychiatre. Il convient de rappeler que son rôle est actuellement limité aux cas d'urgence. Sa décision doit toutefois être confirmée dans les soixante-douze heures par le préfet." De même, l'article 19 annonce la création d' "un fichier national rassemblant, pendant six ans à compter de la date de l'hospitalisation, les informations administratives relatives aux personnes internées d'office. L'accès en sera ouvert au préfet, au préfet de police à Paris, au procureur de la République et au directeur de la Ddass, ainsi qu'à toute personne par eux autorisée". Enfin, l'injonction thérapeutique, c'est-à-dire l'obligation de se soigner , est beaucoup plus fortement encadrée.
Deux professionnels détaillent les critiques contre ce texte, sur sa philosophie ainsi que sur la méthode utilisée par le ministère de l'Intérieur :
Pour François Caroli, chef de service à l'hôpital Saint-Anne à Paris, l'inquiétude est "multiple". "Ce texte, dit-il, a été élaboré dans des conditions problématiques, s'inscrivant dans un projet de loi contre la délinquance. Il n'y a eu aucune concertation, ni avec les professionnels de santé, ni avec les personnes concernées. Or, nous savons que la façon dont on traite les malades mentaux correspond à l'honneur d'un pays. C'est un sujet à traiter avec délicatesse. Les patients ont besoin d'être protégés contre des amalgames trop rapides. Or c'est l'inverse qui va se produire. Nous travaillons dans des situations grises. On ne peut pas clarifier ce qui est gris. Plus généralement, la collaboration entre la santé d'un côté et la justice et la police de l'autre ne va pas sortir renforcée. Pour une hospitalisation d'office, on parlait avant de certificat médical circonstancié. Ce mot a été barré. Le texte insiste sur la nécessité de procédures rapides. Que deviennent les garanties ? Quand on passe du préfet de police au commissaire de police, on bâcle. Et on risque d'aboutir à des procédures dégradées." Jean-Claude Pénochet, secrétaire général du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, parle de changement d' "axe" : "Le plus problématique ? Au-delà du fait que c'est le ministre de l'Intérieur qui prend des mesures d'ordre sanitaire, et que, contrairement à ce qui nous avait été dit, le ministre de la Santé n'y a jamais été associé, les mesures proposées sont terribles. On donne un axe central à la psychiatrie : non plus celui de soigner, mais celui de contrôle des libertés et de régulateur des conflits sociaux." "Toute l'histoire de la psychiatrie s'est pourtant construite pour essayer de sortir de cet axe-là, poursuit-il. Le plus grave, c'est que cela ne servira à rien. Les bénéfices seront très limités. Ce n'est pas en augmentant la vision sécuritaire que l'on arrivera à diminuer la dangerosité de certains malades. On a besoin de moyens et d'attentions, et pas d'une loi qui instaure un amalgame terrible entre malade et délinquant. Ni d'une loi qui protège de moins en moins le secret médical."
"Une vision pénale de la société"
Les parlementaires PS vont batailler contre le projet de loi.
Par Jacqueline COIGNARD
QUOTIDIEN LIBÉRATION : Mercredi 13 septembre 2006
Annoncé depuis 2003, le projet de loi sur la prévention de la délinquance porté par Nicolas Sarkozy arrive, aujourd'hui, en première lecture au Sénat. "C'est l'arlésienne. Ce doit être au moins la trentième mouture de ce texte sans cesse annoncé comme imminent", observe Delphine Batho, secrétaire nationale au Parti socialiste, chargée des questions de sécurité. Les socialistes avaient organisé une conférence de presse, hier, pour exposer tout le mal qu'ils pensent de ce projet de loi. "Ce n'est d'ailleurs pas une loi destinée à être appliquée, explique Jean-Pierre Blazy, député socialiste du Val-d'Oise, Nicolas Sarkozy a déjà annoncé qu'il en ferait une autre sur le même sujet, en cas de victoire." Le sénateur Jean-Claude Peyronnet renchérit : "Sarkozy sort ce texte juste avant les présidentielles pour alimenter son fonds de commerce." Deux motions de procédure (une question préalable par le PS et une exception d'irrecevabilité par le PCF) ont été déposées. Et les élus socialistes annoncent leur stratégie : contrer les dispositions jugées les plus dangereuses, demander à Sarkozy des comptes sur son bilan, profiter de cette tribune pour s'adresser à l'opinion.
"Ce sixième texte répressif de la législature" est destiné à masquer l'échec de la politique entreprise depuis 2002, et dont les émeutes de l'automne dernier ont été le révélateur le plus évident, selon les socialistes. Et de recenser les actes de violence "non-crapuleuse", c'est-à-dire gratuite (+ 27 % depuis mai 2002) ou le nombre de voitures brûlées (+ 30 % en 2005)... Voilà le résultat de politiques "totalement inégalitaires" , de la suppression des emplois jeunes, des réductions de subventions aux associations, et de la liquidation de la police de proximité, indiquent les élus PS.
Ils vont particulièrement batailler contre les mesures qui visent à gommer la spécificité des mineurs, dans le traitement pénal (recours à des comparutions immédiates et usage extensif de la composition pénale). Les socialistes dénoncent aussi une "vision pénale de la société" qui s'applique même au domaine de la santé (lire ci-dessus). Le sénateur Jean-Pierre Sueur souligne l'indignation des psychiatres et des familles de malades mentaux représentés par l'Unafam (1). Il relève aussi une mesure qui ferait obligation au médecin d'alerter le procureur s'il constate des traces de coups sur le corps d'une patiente, et suspecte de la violence conjugale, y compris contre l'avis de cette patiente. "Quand on va voir un médecin, on ne s'adresse pas à un juge", dit-il. Les socialistes considèrent aussi que trop de dispositions visent à "se défausser sur le maire", en le transformant en un maillon de la chaîne pénale, alors qu'il est utile comme médiateur.
(1) Union nationale des amis et familles de malades psychiques.