L'accès direct aux psychiatres remis en cause

Le Figaro - Sciences & Santé - 01 octobre 2005

Catherine Petitnicolas

Les psychiatres de ville sont inquiets. Car l'accès direct du patient à un psychiatre, sans passer par l'aval du médecin généraliste, est menacé. Cette mesure avait été annoncée publiquement le 1er juillet dernier lors de la mise en place du parcours de soins, au même titre que l'accès direct au gynécologue et à l'ophtalmologiste.

Depuis, il y a pourtant eu une remise en question de cette mesure à l'issue d'une récente rencontre entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie d'une part, et les deux centrales syndicales de la médecine libérale (1), signataires de la convention médicale. Ces dernières ont estimé que cette question restait toujours en débat. Tant et si bien qu'une expertise a été demandée à deux psychiatres universitaires. Ils doivent rendre leurs conclusions d'ici peu.

"C'est un reniement des engagements pris", soutiennent les psychiatres de ville réunis au sein de l'Association française des psychiatres d'exercice privé (Afpep) et du Syndicat national des psychiatres privés (SNPP) qui dénoncent cette volte-face et redoutent en fait une démarche des centrales syndicales signataires destinée à faciliter les dépassements d'honoraires.

"Nous aurions certes des avantages financiers à ne pas passer par l'accès direct, mais nous avons la prétention d'avoir une position éthique pour laquelle prime l'intérêt des patients qui doivent pouvoir consulter directement un psychiatre sans être financièrement pénalisé", soutient le docteur Jean-Jacques Loubatière, psychiatre à Mâcon en secteur I (sans dépassement d'honoraires) et président de l'Afpep-SNPP. Aux États-Unis, 70% des spécialistes exercent, hors soins conventionnés. Tant et si bien que seuls les patients ayant les moyens de débourser près de 150 dollars la consultation ont un accès direct au psychiatre.

L'Afpep-SNPP conteste par ailleurs le fait qu'une telle expertise soit demandée à des "collègues universitaires, très incomplètement informés de la pratique des psychiatres de ville". "C'est comme si on cherchait à faire cautionner par une autorité "scientifique" une question dont il nous semble que le fondement est avant tout d'ordre politique", estime le docteur Loubatière.

Si on abandonne l'accès direct au psychiatre, on entérine l'idée que le métier de psychiatre est avant tout celui d'un consultant, d'un technicien qui va exercer en dehors de toute relation thérapeutique avec son patient. "C'est un déni du respect de la singularité de chaque patient et du temps nécessaire à l'écoute", s'insurge le docteur Yves Froger, psychiatre à Lorient en secteur I et secrétaire général de l'Afpep-SNPP. "Car la psychiatrie est une spécialité médicale bien particulière, non réductible à des prescriptions, des rééducations ou encore à des protocoles identiques pour tous. Contrairement à d'autres spécialités bien codifiées. "

Exemple, la dépression, une maladie qui concerne ou concernera 20% de la population, soit un Français sur cinq, à un moment ou un autre de son existence. Si on se contentait de ce que dit la "science" ou la neurobiologie, il suffirait de prescrire selon des protocoles bien précis, un antidépresseur puis un autre, en cas d'échec du précédent, puis encore un autre... "Et on s'en tiendrait là. Sans chercher à savoir ce que la dépression représente pour le malade, dans son système de relation, dans son histoire, dans sa famille, dans son travail, voire même s'il n'a peut-être pas tort de déprimer", analyse le docteur Pierre Cristofari (Hyères).

"Car il n'y a pas de patient type et nous, gens de terrain, voulons pouvoir soigner les gens, en leur proposant outre les médicaments, aussi bien un soutien psychologique voire une psychothérapie ultérieure. "

"Mais malheureusement aujourd'hui, nous sommes à une période où la neurobiologie et la pharmacologie cherchent à prendre le dessus", ajoute le docteur Patrice Charbit, psychiatre à Paris. "On cherche à les faire passer pour le nec plus ultra. Alors que les nouveaux médicaments issus de la recherche en neuropharmacologie n'ont guère fait de progrès par rapport à ceux découverts il y a près de cinquante ans, tant au niveau des antidépresseurs que des antipsychotiques", comme l'a maintes fois souligné un universitaire comme le professeur Édouard Zarifian. "Il ne s'agit pas de la science mais des oripeaux de la science", tranche le docteur Pierre Cristofari. "Or le premier devoir de la science, c'est de rappeler le doute et surtout les limites du périmètre auquel ces découvertes s'appliquent. "

Mais aujourd'hui la plupart des jeunes psychiatres sont formés à l'école neurobiologiste. "Si nous dénonçons aujourd'hui l'accès limité au psychiatre, c'est pour éviter que leur exercice soit considéré comme une simple technique, conclut le docteur Loubatière. On cautionnerait le fait que cette spécialité ne soit plus que la prise en compte d'un fonctionnement neurocérébral inadéquat. Alors qu'elle doit demeurer l'alliance entre toutes les disciplines qui la constituent. Dans l'intérêt des patients.

(1) La CSMF (Convention syndicale des médecins français) et le SML (Syndicat des médecins libéraux).