à Madame Maryvonne BRIOT
Député
Assemblée Nationale
Rue
de l’Université
75007 Paris
OBJET: Proposition de résolution
n° 1459 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la progression du
nombre d’internements psychiatriques en France.
Madame la Rapporteure,
C’est avec consternation que
j’ai pris connaissance de votre rapport relatif à la proposition de résolution
de M. Georges HAGE tendant à la création d’une commission d’enquête sur la
progression du nombre d’internements psychiatriques en France, mais aussi du
compte rendu des débats qui eurent lieu au sein de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales à l’issue de votre exposé. Une telle
absence de sens critique des élus de la Nation sur un sujet aussi délicat
m’effraie alors que sont en cause la clé de voûte de toute démocratie (la
liberté individuelle) et le bien probablement le plus précieux de l’humanité
(la santé mentale). La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ne
précise-t-elle pas que les hommes naissent libres et égaux en droit et qu’ils
sont doués de raison ? Formulation quelque peu maladroite, il est vrai,
puisqu’elle tend à exclure du genre humain ceux qui ont perdu la raison. Il est
cependant exact que nombre de ces derniers, même dans nos démocraties, sont
encore traités pire que bête.
A l’exception de M. Georges
HAGE, auteur de la proposition qui releva le débat par plusieurs observations
pertinentes, la plupart de vos remarques, comme celles de vos collègues
dénotent une allégeance totale, non pas seulement au Gouvernement, mais encore
et surtout à l’administration centrale, dans la mesure où elles en épousent le
discours au point qu’il est permis de se demander qui en est le véritable
auteur. Faut-il d’ailleurs rappeler que les vues de l’administration sont, en
l’occurrence, indépendantes du Gouvernement en place, raison pour laquelle
cette allégeance me paraît encore plus grave. Elus nationaux en charge de la
politique, vous avez, en l’occurrence, totalement démissionné de votre mandat
allant jusqu’à renier ce que vos pairs avaient cru devoir solidement établir
durant les deux derniers siècles.
Vous regrettez d’abord que
l’auteur de la proposition ait retenu le terme : « hospitalisation
sous contrainte », et, plus encore, celui d’« internement
psychiatrique ». Comme les anciens nominalistes, en effet, vous semblez
croire qu’en changeant de mots l’on transforme la réalité. On en modifie certes
l’image ou la représentation et l’on gruge les sots. Mais les faits résistent
aux mots comme le démocrate à l’oppression –du moins est-on en droit de
l’espérer.
Faut-il vous rappeler que la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, comme la jurisprudence de la Cour qui s’y rattache, recourent,
en l’espèce, au terme de « détention » ? Car c’est bien
d’atteinte particulièrement grave à la liberté individuelle et de
« détention », dont il s’agit ici. Avez-vous seulement remarqué que
l’article 5 § 1 e) de cette Convention recourt toujours à la notion
d’« aliéné » pour autoriser de telles séquestrations ? En
politique, il est toujours préférable, lorsqu’on ne cherche pas à tromper les
populations et lorsqu’on tend à lutter contre le retour de la barbarie,
d’appeler les choses par leurs noms. La Convention européenne de sauvegarde
n’a-t-elle pas pour objectif d’éviter un tel retour du fascisme en
assurant le développant des droits de l’homme sans qu’il soit nécessaire de
jouer les veuves effarouchées, mais, au contraire, en regardant la réalité en
face?
C’est donc à fort bon droit
que M. HAGE parlait, dans sa résolution d’ « hospitalisation sous
contrainte » et d’« internement psychiatrique ». La notion
d’«hospitalisation sans consentement » dont vous semblez regretter
l’absence et que l’administration centrale s’efforce de diffuser depuis plus de
dix ans pour mieux tromper tout le monde, permet de faire l’impasse sur la
légitimité de certains refus de soin émanant, non seulement de personnes saines
que certains s’acharnent pourtant à traiter de force, mais encore de certains
patients dont les troubles ne sont cependant pas tels qu’ils annulent leur
discernement. La vieille loi du 30 juin 1838 ne justifiait ainsi le
placement que des personnes dont l’état d’aliénation mentale risquait de les
rendre dangereuses pour l’ordre public ou la sûreté des personnes. Et la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales n’autorise toujours, au titre de l’article 5 § 1 e), que la
« détention » des « aliénés ». Ne pas consentir à un
traitement ne saurait suffire à justifier un internement, quand bien même l’on
souffrirait de troubles mentaux. C’est pourtant le contraire qui se généralise,
sous l’empire de la loi du 27 juin 1990, laquelle a supprimé toute référence à
l’état d’aliénation pour substituer le fourre-tout des « troubles
mentaux », bientôt relayé par la perversion de la notion médicale de
« trouble du comportement ». Un trouble du comportement, dans sa
dimension pathologique ne renvoie pas, en effet, à n’importe quel comportement
agressif ou compulsif. Mais la pratique de l’hospitalisation sous contrainte,
telle que régie par la loi du 27 juin 1990, a tendu à assimiler une simple
crise de nerf ou une saine colère, à un « trouble du comportement »
et à le traiter comme un « trouble mental » justifiant l’hospitalisation
sous contrainte, dès lors que la personne refuse le traitement chimique qu’on
lui propose ; ce qui dispense de prendre le temps d’une approche
compréhensive, pour ne pas dire solidaire, des aléas de la vie.
Votre rapport, comme les
débats qu’il a suscités sont par ailleurs émaillés de perles qui ne peuvent
laisser indifférent, tant elles montrent à quel point la représentation
nationale a été maintenue, par l’administration centrale, dans un état
d’ignorance totale, malheureusement béate, et n’en demeure pas moins
satisfaite.
Celle-ci, par exemple :
« Ainsi, comme l’a souligné à juste
titre le rapport du Groupe National d’Evaluation de la loi du 27 juin 1990
« l’hospitalisation sans consentement est totalement différente de
l’internement et du placement. C’est toujours une mesure sanitaire, ordonnée
par un médecin » ! Depuis 1911 pourtant –ça ne date donc pas
d’hier…- le Conseil d’Etat avait prohibé tout internement qui ne fût pas décidé
au vu d’un avis médical concordant. Par surcroît, aujourd’hui encore, ce n’est
pas le médecin qui ordonne la mesure, mais l’administration : le préfet,
le maire et, à Paris, le commissaire de police, en cas d’hospitalisation
d’office. Le chef d’établissement en cas d’hospitalisation à la demande d’un
tiers. Le médecin ne fait que prescrire ou proposer, mais il n’ordonne rien. Il
est même des cas où le décideur au placement ne se croit toujours pas lié par
l’avis médical. La récente affaire VERMOTTE dont la presse s’est fait l’écho
(voir, entre autres, Libération du 6 juillet 2004), et qui fut traitée par la
première chambre civile de la Cour d’appel de Paris, le rappelle crûment,
puisque, depuis octobre 2003, tant les médecins hospitaliers que les experts
désignés par les juges et l’autorité préfectorale, concluaient à la nécessité
de la levée de la mesure. Pourtant, en mai 2004, M. VERMOTTE, ancien directeur
des ressources humaines du groupe Bouygues et aujourd’hui chef d’entreprise,
était toujours hospitalisé d’office au CHS de Villejuif. Le préfet refusait en
effet de lever sa mesure de placement. Le Juge des Libertés et de la Détention
bottait en touche, semblant préférer jouer au football ou au rugby, à moins que
ce ne soit au tennis de table, plus approprié au cabinet d’un juge, plutôt que
rendre la justice !
Cessez donc de vous faire
l’écho des balivernes véhiculées par la Direction Générale de la Santé.
Celle-ci ne les diffuse que pour mieux endormir tout le monde et continuer
d’attenter à la liberté des plus faibles à seule fin, paraît-il, d’opérer de
prétendues économies qui coûtent en réalité fort cher à la collectivité et à la
Sécurité Sociale. Au prétexte, également, de faciliter l’accès aux soins aux
personnes censées inconscientes de leur état, tout en faisant fi de la
nécessaire alliance thérapeutique, laquelle a toujours été au fondement de la
médecine humaine ; alliance thérapeutique qui, en psychiatrie, est
indispensable à la cure.
Vous affirmez encore que la
formulation, selon vous parfois imprécise de la proposition de M. HAGE, « pourrait conduite à porter ses travaux
au-delà des seules hospitalisations sans consentement, pour examiner par
exemple les conditions d’hospitalisation libre ou encore la psychiatrie
ambulatoire ». Ignorez-vous en effet que de nombreuses
hospitalisations libres ne le sont, une fois de plus, que de nom. Ce sont,
encore trop souvent, des internements déguisés. Le tribunal de grande instance
de notre capitale a récemment condamné le CHS Sainte-Anne de Paris pour une
hospitalisation de ce genre (affaire BARILLON, en octobre 2002, jugement aujourd’hui
définitif), et la Cour d’appel de Paris a, de son côté, condamné, de même, le
CH de Lagny au printemps 2002 (affaire DELANNEAU, arrêt également définitif).
Le rapport du Groupe National d’Evaluation auquel vous vous référez constatait,
lui-même, d’importantes dérives en ce domaine. Faut-il encore rappeler que les
sorties à l’essai maintiennent juridiquement parlant la personne sous le régime
qui était le sien à l’entrée et lui conservent son statut d’interné, comme l’a
établi le Conseil d’Etat par un arrêt de 1967 ? Rien n’a changé à ce
propos, si ce n’est la légalisation de ces sorties à l’essai par la loi du 27
juin 1990. Que dire encore de cette perversion de la loi qui à conduit à
transformer les sorties à l’essai en contrainte de soins à domicile, illégale,
gravement attentatoire à la liberté individuelle des personnes ? Comment
le législateur peut-il demeurer insensible à ces questions et prendre prétexte
d’une formulation imprécise d’une résolution courageuse pour écarter ce qui est
essentiel et qui concerne, déjà, des dizaines de milliers de nos
concitoyens ?
Mais la plus brillante de
ces perles est, sans aucun doute votre remarque selon laquelle le principe de
séparation des pouvoirs législatifs et judiciaires interdirait à l’Assemblée
Nationale « d’enquêter sur les faits
ayant donné lieu à des poursuites judiciaires » ce qui empêcherait,
dès lors, toute enquête sur l’augmentation du nombre des internements. Faut-il
en conclure que cette augmentation risque d’être due à des internements arbitraires
et qu’il y aurait des dizaines de milliers de plaintes à l’instruction des
juridictions pénales ?
Ce moyen n’est qu’une vaste
plaisanterie, d’autant qu’il vous a été soufflé par le Garde des Sceaux. Ne
signalez-vous pas, en effet, que par une lettre du 7 mai 2004, M. Dominique
PERBEN « a fait savoir à M. le
Président de l’Assemblée nationale que « des procédures judiciaires sont
régulièrement diligentées à la suite d’internements psychiatriques dénoncés
comme arbitraires », avant de conclure qu’il lui appartient dès lors
« d’apprécier si les procédures en cours sont de nature à faire obstacle à
la création d’une commission d’enquête » ! Vous remarquerez
certainement que le ministre de la justice n’hésite pas, à son tour, à parler
d’« internement » et non d’«hospitalisation sans consentement ».
Mais vous remarquerez surtout que le Gouvernement ne se gêne pas, quant à lui,
pour interférer dans les travaux parlementaires et vous menacer de son veto, au
risque d’attenter au principe de séparation des pouvoirs ; principe auquel
vous semblez tant attachée. Et ce n’est certainement pas à la gloire de notre
Parlement que de voir la députation ainsi s’incliner devant une remontrance de
l’exécutif. Sous l’Ancien Régime ce sont les parlementaires qui faisaient des remontrances
au Monarque au risque de connaître la Bastille ou les cachots de Vincennes. Il
semble que la séparation des pouvoirs, telle que vous la concevez ait
singulièrement tendu à inverser les rôles… sans que le Parlement soit, pour
autant, en mesure d’enfermer le Gouvernement dans une quelconque Bastille, même
psychiatrique lorsqu’il empiète sur les prérogatives de la représentation
nationale.
Il n’est pas certain que
cette inversion soit tout à fait républicaine, à moins d’être particulièrement
critique à l’égard des vertus républicaines. Certains politologues n’ont-ils
pas prétendu que la République n’est toujours qu’un état transitoire entre une
Monarchie et un Empire, prenant souvent l’aspect d’une dictature ?
Vous concluez enfin : « Il existe en conséquence un risque
non négligeable que les travaux de la commission d’enquête parlementaire créée
sur le fondement de cette proposition de résolution se heurtent au principe de
la séparation des pouvoirs ».
Mais de quoi
s’agit-il ? De quoi parle-t-on ?
Rien n’interdit d’abord à
l’Assemblée nationale de se saisir des affaires jugées et ayant débouché sur la
reconnaissance d’un internement abusif par les juridictions pour tenter de
comprendre le mécanisme d’un tel arbitraire. Une telle étude serait même une
œuvre de salubrité publique au train où vont les choses, notamment à celui de
la psychiatrisation grandissante des conflits de la vie quotidienne et de la
résistance à l’oppression au déclassement et à la misère d’une partie de la
population. C’est un devoir de l’Assemblée nationale qui, en 1990, s’était
donné la mission de faire un bilan de l’application de la loi avant 1995. Nous
sommes en 2004, et les électeurs français n’ont toujours rien vu venir, si ce
n’est l’augmentation considérable des internements et le refus du Parlement de
se saisir de la question !
Les affaires faisant l’objet
de poursuites pénales sont par surcroît fort rares. Quant aux procédures
administratives et civiles, rien n’interdit à l’Assemblée de connaître de ces
affaires pour accéder à certains éléments, même si, évidemment, elle ne peut en
juger en lieu et place des magistrats.
Par ailleurs, l’objet de la
proposition de résolution de M. HAGE n’était pas de cerner les internements
abusifs, mais les causes de l’augmentation des admissions sous contrainte. A
moins de penser que ce doublement, observé en dix ans, est dû à l’abus et à
l’arbitraire de l’administration, dont serait par ailleurs systématiquement
saisi les juges –ce qui, au regard de la réalité du contentieux contemporain
propre à l’espèce pourrait bien paraître comme une idée délirante aux yeux de
certains psychiatres, aussi feriez-vous bien de rester sur vos gardes- l’on ne
voit pas ce qui motive votre assertion.
En outre, si l’abus et
l’arbitraire risquait d’expliquer cette envolée des mesures d’internement, il
serait particulièrement alarmant que la représentation nationale ne puisse en
connaître la raison du seul fait de l’application stricte d’un principe de
séparation des pouvoirs conçu de façon très restrictive et étroite. D’autant
que ce principe n’a de valeur constitutionnelle qu’en ce qu’il pose que la
séparation des pouvoirs doit être déterminée. En ce sens, le Conseil
constitutionnel a déjà eu l’occasion d’établir, en 1987, dans une décision dite
« Conseil de la Concurrence », que la séparation des autorités –plus
encore que des pouvoirs- telle qu’elle résulte des lois des 16-24 août 1790 et
du décret du 16 Fructidor de l’an III, n’a aucune valeur constitutionnelle. La
Haute juridiction a ainsi rappelé qu’il appartient au législateur et non au
constituant de déterminer, pour chaque cas, la séparation des pouvoirs et des
autorités. Il ne s’agit pas ici, en effet d’un principe absolu intangible. La
séparation doit être « déterminée » par… le Parlement. Elle peut
ne pas être absolue, contrairement à ce qu’avait voulu établir le législateur
de 1790. Et, jusqu’à nouvel ordre, la justice n’a jamais été un pouvoir, mais
une simple… autorité, même si certains hommes politiques contemporaines ont cru
devoir récemment brandir le spectre du gouvernement des juges pour s’opposer à
leurs propres mises en cause judiciaire, craignant le développement de quelque
nouvelle fronde.
Depuis l’époque
révolutionnaire jacobine, de nombreuses entorses à cette séparation absolue ont
été apportées par les lois de la République, et pas seulement par la Monarchie
de Juillet. A commencer par la loi du 27 juin 1990 qui, sous ce rapport, n’a
fait que reprendre un principe posé par la dernière, laquelle avait cru devoir
déroger au principe constitutionnel, érigeant l’autorité judiciaire comme
gardienne de la liberté individuelle. Même la restauration de la Monarchie
absolue d’Ancien Régime n’avait pas osé toucher à ce principe démocratique
fondamental, confirmé par la Chartre de 1814, concédée par Louis XVIII ;
monarque qui n’avait pourtant rien d’un démocrate et moins encore d’un
républicain. Et cette dérogation, initiée par Louis-Philippe et reprise par le
Parlement, en 1990, sous un gouvernement socialiste, est ici d’autant plus
grave, qu’au regard de notre constitution du 4 octobre 1958, elle est, pour le
coup, inconstitutionnelle.
C’est en effet une hérésie,
aux yeux mêmes de la Restauration de l’Ancien Régime, que l’administration
puisse ainsi décider de privations de liberté de plus de trois jours, sans
contrôle automatique et systématique du juge de l’ordre judiciaire. Le Conseil
constitutionnel n’a cessé de le rappeler dans chacune de ses décisions
relatives au dispositif législatif traitant de la rétention des étrangers. Et
faut-il rappeler que, depuis l’entrée dans le Troisième millénaire, le nombre
des privations de liberté, décidées par l’administration, égale désormais celui
des décisions prises par les juridictions pénales en répression des divers
crimes et délits, dont, par surcroît, la moitié des auteurs relèverait
davantage encore de l’hospitalisation psychiatrique, à en croire, du moins,
certains de vos collègues. N’y a-t-il pas là un étonnant paradoxe qui devrait
faire se cabrer, comme un seul homme, l’ensemble de l’Assemblée nationale à
l’occasion de l’un de ses sursauts de conscience auxquels, il est vrai, elle ne
nous a guère accoutumé durant ces dernières décennies.
Il est néanmoins
surprenant de voir le législateur se faire, ici, et en 2004, plus royaliste que
le roi de… 1814, et limiter son pouvoir de contrôle aux vœux de
l’administration.
Si l’actuel système de
séparation des pouvoirs et des autorités empêchait le Parlement d’enquêter sur
un tel arbitraire de l’administration qui pourrait laisser penser que chaque
année, il y aurait plus de 30.000 décisions d’internement injustifiées, il
serait temps que le législateur légifère, à nouveau, sur cette séparation des
autorités, pour retrouver sa liberté d’enquête en un domaine aussi sensible. Si
le Parlement de notre démocratie ne pouvait enquêter sur l’atteinte arbitraire,
par l’administration, à la liberté individuelle, il serait en effet bientôt
temps, pour le peuple, de reprendre les armes et de s’assembler dans les
rues!
Dans une démocratie, la
séparation des pouvoirs ne saurait en aucun cas faire obstacle aux nécessités
d’investigation du Parlement pour assurer la sauvegarde de la liberté
individuelle des personnes.
Comment, dès lors, ne pas
sourire, tristement – si ce n’est enrager- à la lecture de votre autre
remarque : « En particulier,
les demandes d’audition de personnes ou de communication d’informations ayant
un lien avec les poursuites judiciaires pourraient ne pas aboutir, ce qui est
de nature à réduire considérablement le champ des investigations, et de ce fait,
l’intérêt d’une telle commission ».
Pourtant, les Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques ne reconnaissent aucune hospitalisation abusive ou arbitraire en dix ans ! Et vous le rappelez vous-même. Aucune condamnation pénale de ce type n’a été prononcée durant ces dix dernières années. C’est donc l’arbre avec lequel on entend cacher la forêt ! Vous saviez fort bien, en le formulant qu’il s’agissait là d’un argument spécieux. Mais ne convenait-il pas de satisfaire M. PERBEN ?…
Sur la question de
l’opportunité d’une telle commission d’enquête, telle que vous l’avez analysée,
d’importantes précisions doivent encore être apportées.
L’analyse statistique n’a
pas à être menée par le char d’assaut de la Direction Générale de la Santé,
pour justifier la réforme qu’elle annonce depuis 1997 et qui tendra à faire du
préfet, le seul ordonnateur de la contrainte en psychiatrie, y compris dans la
chambre à coucher du malade. Elle n’est pas seulement à faire sur la dizaine
d’années écoulées de 1992 à 2001. Elle doit se faire par tranche de cinq ans.
Et l’on doit analyser finement les évolutions propres de l’HDT et de l’HO.
Si le doublement des mesures
d’admission sous contrainte, durant la décennie écoulée, résulte de l’envolée
considérable des HDT et notamment des mesures d’admission en urgence, on se
saurait pour autant ignorer –à moins d’intentions inavouables- que le phénomène
le plus inquiétant depuis 1997 est non pas le doublement de ces mesures, mais
la multiplication par six ! des décisions d’hospitalisation d’office.
Celles-ci étaient demeurées stables de 1984 à 1992 et n’avaient fait
que… doubler, de 1992 à 1996. Doublement des HDT en dix ans et
multiplication par six des HO en cinq ans : Quel est, sous ce rapport,
l’évolution la plus inquiétante ? Ces cinq dernières années révèlent
ainsi que le taux de croissance des HO est désormais six fois supérieur à celui
des HDT, lequel double déjà tous les dix ans. Si un tel rythme devait se
maintenir, les HO seraient ainsi promises à être multipliées par douze dans la
décennie à venir, avant même qu’elles ne se substituent aux HDT ! Le
nombre des internements n’est donc pas près de décroître. Comment, dès lors, ne
pas frémir lorsqu’on nous annonce un renforcement des pouvoirs des préfets par
la suppression de l’HDT au profit de l’HO, conformément à ce que préconisait,
en 1997, le Groupe National d’Evaluation, au prétexte de limiter les
internements ? La loi du 27 juin 1990 fut elle-même promulguée sous le
même prétexte en vue de limiter l’abus et l’arbitraire. On a vu le
résultat ! Le pire est que cette évolution était prévisible sous l’empire
d’une telle réforme. Aux côtés du Groupe Information Asiles je n’ai cessé,
malheureusement en vain, de le dénoncer, tout comme aujourd’hui je mets en
garde contre la réforme annoncée qui, de toute évidence, sera pire que la
précédente.
Malgré ces évolutions
alarmantes et les risques de nouveaux dérapages en cas d’unification des
modalités de placement et de contrainte de soin à domicile sous l’égide de
l’autorité préfectorale, votre Commission a considéré, à la suite de votre
rapport, qu’il n’y avait pas lieu à création d’une Commission d’enquête
parlementaire. Par ce travestissement de la réalité, avant même toute enquête,
vous porterez, pour les années à venir, une lourde responsabilité dans l’envol
de la contrainte et de la chimiothérapie forcée des populations, pour le plus
grand profit des trusts pharmaceutique et du maintien d’un ordre qui laisse sur
le trottoir, une part toujours croissante de la population française et
immigrée, installée sur notre territoire!
La substitution de l’HDT par
l’HO est en réalité en cours et mise en œuvre par l’administration depuis 1997.
Comme pour les sorties à l’essai, elle s’apprête à mettre notre Parlement
devant le fait accompli pour lui forcer la main et le préparer à avaler la
nouvelle couleuvre de la contrainte de soin sur décision préfectorale, en lui
faisant légaliser l’illégal et en court-circuitant tout débat parlementaire.
Elle met ainsi de plus en
plus en évidence que l’HDT pose problème et suscite des dérives. Elle ne cesse
de développer les sorties à l’essai sous HO, si bien qu’il n’existe
pratiquement plus de sortie par levée directe d’hospitalisation d’office.
Certaines sortie à l’essai sous HO durent même des années, l’essai ne se
transformant jamais, le juge continuant sa partie de ping-pong avec ses experts
au lieu de jouer au rugby. Dans le même temps, elle se substitue de plus en
plus aux tiers pour provoquer des mesures de placement et elle passe totalement
sous silence l’accroissement considérable des mesures d’HO pour mieux
dissimuler l’ampleur de son action.
Lorsque la poudre aux yeux
aura fait son effet, elle vous proposera de prendre acte de l’évolution des
choses et obtiendra de vous le vote d’une loi scélérate transformant le préfet
en médecin –puisqu’il décidera de la contrainte de soin à domicile. Loi qui
achèvera, dans le même temps, de transformer le médecin en agent du maintien de
l’ordre social et le juge en greffier de l’administration, tout en tordant le
cou, une nouvelle fois, à la Constitution. Il est vrai que l’on semble en faire
peu de cas au sein de votre hémicycle. Cela nous fera assurément de belles
jambes à nous, pauvres citoyens, de savoir que le Parlement a respecté
scrupuleusement la séparation des pouvoirs, d’inspiration jacobine, alors que
l’administration s’en contrefiche totalement depuis 1838. Elle n’hésite déjà
plus à étendre la contrainte, décidée par l’administration, sans contrôle
automatique du juge, non plus seulement à l’interdiction d’aller et venir et à
l’assignation à résidence, mais encore au traitement de force et à la violation
du domicile, même en pleine nuit, comme à l’ingérence dans l’intimité du
patient! Nul doute que, dans ce contexte et, dans cette perspective, le dossier
médical unifié et informatisé est appelé à un bel avenir et fera des miracles
–mais surtout des ravages- en matière de contrôle et de stigmatisation de la
population dérangeante ; de cette population qui s’insurge et proteste
contre les conditions de vie qui lui sont faites ou… de ceux qui réfléchissent autrement qu’en usant de
la langue de bois et des ressorts du « politiquement correct » ou
qui, tout simplement, craquent sous l’effet conjoint d’une exploitation accrue
et d’une liberté de pensée et d’action réduite à une peau de chagrin. La
majorité accédera aux biens faits de la nouvelle NF (Norme Français) comme en
matière de plomberie (sauf, bien sûr les plombiers de l’Elysée qui continueront
de faire ce qu’ils veulent). Certains patients ne parlent-ils pas, d’ailleurs,
des médecins, et singulièrement des psychiatres, comme de la famille
« tuyaux de poêle » dont les membres s’emboîtent et ne se
contredisent jamais, le suivant, recopiant le précédent.
Les autres devront se
contenter de nourrir les trusts pharmaceutiques ! L’on ne parlera bientôt
plus de l’exception culturelle française, déjà largement obsolète, mais de la
normalisation à la française par psychiatrie étatique interposée qui,
décidément, a de fort beaux jours devant elle ! En France, le Troisième
millénaire sera donc celui qui verra passer ce qui reste de la médecine
libérale et la sécurité publique à la psychiatrie étatique sous couvert de
développement de la « démocratie sanitaire ». Quelle foutaise !
Il n’est en effet pas certain que la Liberté et la Démocratie y gagneront des
garanties nouvelles contre l’abus et l’arbitraire.
Mais revenons aux chiffres,
puisque c’est le seul domaine que l’administration –et votre Commission-
consentent à nous laisser.
Vous enfourchez de nouveau
le canasson fatigué des réadmissions multiples annuelles de nombreux malades,
pour expliquer, en partie, cet envol des internements officiellement
enregistrés. Pourtant, la Direction Générale de la Santé commence, elle-même, à
considérer que le moyen bat de l’aile et que le bateau prend l’eau. Dans sa
circulaire du 24 mai 2004, publiant les derniers chiffres, elle abandonne ce
vieux serpent de mer, reconnaissant que ces réadmissions multiples n’expliquent
pas tout et qu’il conviendrait de tenir compte d’une multiplicité de facteurs.
Elle en expose un certain nombre en pages 14 et 15 de son analyse, mais,
naturellement, elle omet le plus important d’entre eux, pourtant relevé par la
Cour des comptes, dans son rapport pour l’année 2000 : l’éventuel effet de
la mise en place de la loi du 27 juin 1990.
En octobre 1989, à
l’occasion d’une émission d’Europe 2 à laquelle je participais avec M.
BAUDURET, promoteur de la loi du 27 juin 1990, conseiller technique, à l’époque
du Ministre Claude EVIN, j’avais signalé que cette réforme conduirait
inévitablement à l’accroissement considérable des admissions en HDT-urgent. Ce
conseiller paraissait sceptique. La suite m’a malheureusement donné raison. La
réforme de juin 2000 substituant le JLD au Président du TGI en matière de sortie
judiciaire ne pouvait elle-même que conduire à une approche plus sécuritaire du
juge libérateur et rendre, par suite, plus délicate la procédure de sortie
judiciaire. L’affaire de M. VERMOTTE, parmi tant d’autres, tend encore,
malheureusement, à me donner raison. J’avais, en outre, attiré l’attention du
milieu associatif sur le fait que la réforme projetée du 4 mars 2002 ne
pouvait, en ce domaine, que réduire l’accès à l’information des personnes objet
d’internement. Aujourd’hui, le Groupe Information Asiles, comme tous ceux qui
luttent en ce domaine, en font malheureusement quotidiennement l’expérience. Il
est désormais devenu pratiquement impossible d’accéder aux demandes de
placement rédigées par les tiers, bien que l’accès qui était antérieurement la
règle n’ait jamais posé de réels problèmes. Les observations journalières des
infirmiers sont aujourd’hui systématiquement bâtonnées lorsqu’elles sont
produites. Le droit de la délation a ainsi été organisé et renforcé. Les
parents d’enfants victimes d’hospitalisation douteuses, voire d’abus sexuels au
sein même des institutions ou des établissements hospitaliers ont encore plus
de difficultés que par le passé à accéder aux dossiers de leur progéniture, les
pédophiles institutionnels faisant parler les nourrissons pour s’opposer à la
communication des dossiers aux parents, arguant d’un refus de l’enfant en
s’appuyant sur cette belle loi, annoncée à grand renfort de trompettes !
Et la CADA couvre ! Que pourrait-elle faire d’autre d’ailleurs, depuis la
promulgation de ce texte ? Le renforcement de l’aspect sanitaire de la
mesure d’HO, contenu par cette même loi, ne fera naturellement qu’accroître le
nombre de ces mesures. Il prépare surtout le terrain de l’unification des
modalités de placements sous celle de l’HO ; unification qui ôtera
définitivement tout pouvoir aux tiers et aux familles. Tout fonctionne alors
comme si l’Etat était capable de prendre en charge, au quotidien, la personne
atteinte de troubles mentaux et nécessitant un étayage. C’est évidemment
absurde. L’Etat et les professionnels ne sauraient valablement se substituer à
l’entourage et aux familles pour ce genre de prise en charge. Au lieu d’aider
l’entourage dans cette prise en charge, tout est au contraire mis en œuvre pour
l’affaiblir et isoler le patient des solidarités qui lui restent, afin que,
conformément au vieux rêve jacobin, rien ne subsiste entre l’Etat et le
citoyen, fut-ce lorsque ce citoyen est affaibli par la maladie et assailli de
difficultés. Quel battage médiatique n’a-t-on pas enduré ces derniers temps
contre un prétendu « communautarisme » qui serait contraire à nos
belles vertus républicaines ? La famille, les communautés organisant les
solidarités, les groupes doivent être dissous. Ne resteront plus, bientôt, que
les professionnels et ceux objets de tous leurs soins, dont de nombreux
patients connaissent déjà la réalité, laquelle n’est pas toujours brillante.
Les intérêts corporatistes et les divers trafics induits priment
malheureusement de plus en plus l’intérêt des patients. L’humanité des rapports
disparaît au profit des rapports d’intérêts catégoriels et salariaux, voire
même, parfois, d’intérêts quasi mafieux.
Cette évolution est
radicalement contraire à ce que la majorité de la population est en droit
d’attendre et s’oppose au développement de la liberté de chacun et de la
démocratie.
Si l’augmentation des
internements pouvait s’expliquer par le développement constant des réadmissions
multiples, on assisterait fatalement, dans le même temps, à un abaissement
concomitant de la durée moyenne d’hospitalisation. Or celle-ci demeure stable
depuis 1995 ne variant que de 38 à 40 jours –ce qui est considérable au regard
de la moyenne connue en d’autres pays (moins de 10 jours dans le canton de
Genève, depuis 1997). Ou bien l’on assisterait à une augmentation du nombre de
lits pour faire face à ce flux.
Si de nombreux médecins et
infirmiers réclament cette réouverture des lits, force est cependant de
reconnaître qu’ils n’ont toujours pas été entendus et qu’ils ne cessent de se
plaindre de devoir refuser un grand nombre de patients.
Les réadmissions multiples
ne sont donc pas la cause de l’augmentation des internements. Et la Direction
Générale de la Santé commence à le reconnaître elle-même dans sa dernière
circulaire.
L’augmentation des
internements est d’autant plus inquiétante que celle-ci apparaît de nos jours
plus importante que le taux de croissance des hospitalisations libres. C’est
ainsi que le taux de contrainte est passé, en dix ans, de 11 à 13, 1% de
l’ensemble des admissions. Une croissance de plus de 2 points correspond, ici,
à un taux de croissance différentiel de plus de 20%. En dix ans, le taux de
croissance de la contrainte s’est ainsi accru de plus de 20 % du taux de
croissance de l’hospitalisation libre –ce qui est particulièrement inquiétant,
d’autant qu’il n’est pas certain que la masse des réadmissions multiples soit,
elle-même, due à l’augmentation du nombre des internements. Il est même
probable que la croissance des réadmissions multiples est supérieure en régime
libre qu’elle ne l’est en régime de contrainte. Le phénomène d’alourdissement
du poids de la contrainte est donc particulièrement problématique, d’autant que
la loi de 1990 avait déjà pour but de l’alléger ; ce qui, de toute
évidence, ne fut pas le cas.
Encore convient-il de
préciser que dans sa circulaire du 24 mai 2004, la Direction Générale de la
Santé reconnaît que le nombre des HO connaît un certain nombre de biais,
notamment pour Paris, mais aussi dans la comptabilisation des mesures concernant
les médico-légaux, de sorte que le chiffre réel des internements est bien
supérieur à celui annoncé.
Ainsi n’est-il pas
impossible de penser qu’en 2004 le taux de contrainte sera de l’ordre de 14 %
au moins, si ce n’est davantage.
Est-il par ailleurs possible
de dresser meilleur constat d’échec des Commissions Départementales des
Hospitalisations Psychiatriques au regard de la lutte contre l’abus et
l’arbitraire, qu’en rappelant, comme vous le faites, que « depuis leur institution par la loi du 27 juin 1990, les commissions
n’ont pas constaté d’hospitalisation sans consentement abusives ».
Comment se fait-il, dès lors, que, chaque année, les diverses juridictions
prononcent plusieurs sorties judiciaires considérant, contre l’administration,
voire l’avis des médecins, le maintien injustifié et que les tribunaux réparent
désormais, chaque année, les dommages nés d’internements abusifs ? Qui, en
l’occurrence, a perdu la tête ? Les magistrats qui verraient l’abus et
l’arbitraire là où il n’existerait pas ; ce qui serait pour le moins
surprenant lorsqu’on connaît la frilosité de ces derniers à sanctionner
l’action de l’administration ? Ou bien les CDHP qui ne voudraient, en
réalité, rien voir, de cet abus et de cet arbitraire ? N’ont-elles pas été
instituées pour se substituer, progressivement au contrôle naturel du
juge ?… Et n’est-il pas question de renforcer leur mission de contrôle,
maintenant qu’elles ont apporté la preuve que, plus encore que les juges, elles
savent garder le bandeau sur les yeux, non plus pour assurer l’égalité de
traitement de tous devant la justice, mais seulement pour ne rien voir des abus
de l’administration ? Moins indépendantes que les juges, elles ont fait
preuve de docilité. Aussi est-il temps d’accroître leur influence pour leur
permettre de décourager la plupart des plaignants en emmenant ceux-ci et leurs
familles sur des voies de garages pour mieux limiter ainsi les recours au juge
et, par suite, la reconnaissance de l’abus et de l’arbitraire. Croyez-vous que
l’on puisse encore, de nos jours, être dupe de ces manœuvres ? Ne vous
a-t-on pas appris, en politique, l’importance de l’indépendance des autorités
en charge des contrôles ? Quelle indépendance peut avoir une commission où
la plupart des membres sont médecins, dépendant des DDASS, membres de
l’administration et où le représentant de l’ordre judiciaire siège entouré de
personnes nommées par le préfet, y compris les représentants des associations
de patients, dont certains sont encore des professionnels de la santé, jouant les
sous-marins dans le milieu associatif spécialisé ?
Par un précédent courrier,
dont vous n’avez pas même cru devoir accuser réception, je vous avais adressé
deux de mes derniers ouvrages rendant compte d’un certain nombre de ces
décisions judiciaires. Comment faites-vous pour les ignorer encore ?
N’êtes vous capable que de lire ce que vous recueillez auprès de la Direction
Générale de la Santé ? Ou de recevoir le pré mâché et le prêt à penser que
cette direction vous livre ? Il faudra donc bientôt changer la symbolique
du Parlement. Si le fou conserve l’entonnoir renversé sur la tête, le député
pourra bientôt avoir l’entonnoir placé dans le bon sens, à l’intérieur de son
cerveau, preuve de ce qu’il ne peut connaître la réalité qu’après qu’elle a été
filtrée et prédigérée par l’entonnoir des cellules gouvernementales
spécialisées !
En 1997, j’ai fait condamner
la France par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (Résolution du 17
septembre 1997), pour un internement abusif d’un an, dont, par surcroît, je
vous avais produit la décision (requête G. et M. L. contre France). Mais, de
toute évidence, vous n’en avez tenu aucun compte.
Il est vrai,
qu’avant même toute enquête vous aviez déjà la réponse :
«La décision d’hospitalisation sous contrainte est ainsi au cœur d’une chaîne de décisions, faisant intervenir la famille ou les proches (pour une HDT), le préfet (pour une HO), les personnels soignants, les psychiatres ou encore les CDHP. Il semble dès lors difficilement envisageable que chacun des maillons de cette chaîne décide, d’un commun accord, de placer et de maintenir arbitrairement une personne en hospitalisation sous contrainte ».
Cette langue de bois et cette négation de la réalité est effarante de la part d’un élu national. Il est vrai cependant que vous êtes professionnel de la santé, tout comme M. Louis COSYNS s’est prévalu de sa qualité de président d’un hôpital psychiatrique du Cher et M. Céleste LETT de son expérience de cadre hospitalier psychiatrique pour vous emboîter le pas. Tous les trois, manifestement vous savez de quoi vous parlez !
Le refus total de votre part de prendre acte des décisions de justice qui ont constaté certains internements abusifs et qui ont par ailleurs annulé des milliers de décisions irrégulières d’internement, m’interpelle cependant. Comment les professionnels d’un domaine ou la dénégation est souvent stigmatisée par les soignants de cette spécialité, comme le signe de la pathologie mentale du patient, peuvent-ils, à leur tour procéder, ici, par dénégation ? Et comment ont-il put le faire durant des décennies sans que les politiques que vous êtes se soient jamais offusqués ni inquiétés d’une telle attitude chez les exécutants de la contrainte administrative ?
Pour éviter ces dérives, il ne fallait précisément par reproduire cette hérésie qui consiste à donner à l’exécutif le pouvoir de porter atteinte à la liberté individuelle, sans contrôle automatique du juge et en dehors de tout débat contradictoire ! Les intérêts de carrière, la professionnalisation des rapports dans un cadre salarié et la prééminence du public sur le privé ont fait le reste pour aboutir, précisément, à cette situation catastrophique où l’abus et l’arbitraire se sont généralisés et banalisés au point que les professionnels ne sont même plus un rempart contre cette extension de la contrainte médicalement injustifiée. Il faut dire que ce système a conduit non seulement à soumettre les patients aux exigences administratives de gestion des populations, mais encore les médecins qui ont été appelés à se transformer toujours davantage en agent de police pour assurer le maintien de l’ordre et la norme sociale sous couvert de médecine.
C’est justement
particulièrement grave, d’autant plus grave que vous n’avez pas conscience de
l’énormité de vos propres protestations lorsque vous écrivez :
« De surcroît, n’est-il pas précisément « abusif », pour
ne pas dire insultant, de laisser penser que les professionnels de la santé et
les psychiatres puissent ignorer les répercussions importantes, notamment en
termes de stigmatisation sociale, d’une décision d’HSC – a fortiori si cette
mesure n’est pas justifiée- alors même qu’ils sont chaque jour confrontés à la
lourde tâche de concilier les libertés et la sécurité des malades, mais aussi
celles de leur entourage » ?
Quand je disais que l’on
vous a transformés en policier, sans que vous vous en rendiez compte !
Pourquoi, en effet,
revient-il aux soignants de prendre en charge ces questions de sûreté ?
Pourquoi ne laisse-t-on pas le médecin à la médecine, l’infirmier aux soins. Et
pourquoi ne laisse-t-on pas le juge remplir son office, à savoir : décider
des mesures de contrainte lorsque la liberté est en cause, comme l’impose
l’article 66 de la Constitution ? A force de tout mélanger et de tout
confondre, vous avez fini par perdre votre âme. Vous n’avez cependant pas l’excuse de ne pas en être
responsable, puisqu’en tant que député, vous êtes directement responsable du
fait que le juge, en matière d’internement, ne dispose plus de l’autorité que
la Constitution, pourtant, lui réserve à titre exclusif.
Comment voulez-vous, dans
ces conditions, qu’en tant que citoyen l’on ne proteste pas de façon vigoureuse
lorsque vous revenez à la charge, par ce rapport, pour recouvrir, par de
nouveaux mensonges, cette hérésie qui résulte d’un coup de force, pour ne pas
dire d’un coup d’état de la Monarchie de Juillet et qui visait à juguler les
« classes dangereuses » en affaiblissant l’autorité du juge et
en renforçant les pouvoirs de l’administration par la restauration des Lettres de
cachet?
Comment faites-vous pour
vous draper toujours dans l’argument éculé et faux, qu’aucun internement abusif
n’a encore pu être constaté. Si tel était le cas, d’ailleurs, ce serait
particulièrement grave. Car, comment envisager, précisément, qu’en un domaine
aussi incertain, et malgré le caractère éminemment subjectif du diagnostic
psychiatrique, dans une société où la délinquance n’a cessé de croître, où les
rapports sociaux n’ont cessé de se déliter, mais aussi, de se durcir, la
corruption de se développer, l’on ait pu échapper à l’accroissement de l’abus
et de l’arbitraire ? L’affaire du sang contaminé a pourtant révélé jusqu’à
quel point le milieu des professionnels de la santé et l’administration centrale peuvent aller en matière de
dissimulation de la réalité ? Le nombre de condamnations pour erreurs
médicales, voire indélicatesses, n’est pas négligeable en médecine. N’est-il
pas justement particulièrement inquiétant qu’en psychiatrie l’abus et
l’arbitraire soit si difficile à débusquer et à objectiver par les institutions
démocratiques de contrôle, alors que les détournements y sont plus aisés que
partout ailleurs en médecine ? La faiblesse des condamnations n’est pas le
signe aujourd’hui de la bonne santé de notre système de santé mentale, mais, au
contraire, le signe que ce système est fondamentalement régi par l’arbitraire
au point d’être assuré d’une totale impunité. Le premier de ces signes et le
premier moyen de cet arbitraire est le pouvoir de décision exorbitant donné à
l’administration en matière de privation de liberté alors qu’elle décidera,
bientôt de la contrainte de soin !
Comment encore ne pas
s’indigner en vous voyant toujours emboîter le pas de l’administration lorsque
vous brandissez l’arrêt du Conseil d’Etat de décembre 2003 précisant que le
tiers demandeur au placement, en matière d’HDT doit être en mesure de justifier
de l’existence de relations antérieures à la demande, ce qui, selon vous « est très important, car cela exclut
par exemple l’administrateur de garde dans un hôpital », alors que,
quelques lignes plus bas, vous vous faîtes le chantre de la réforme annoncée,
laquelle supprimera définitivement ce tiers salutaire au profit de
l’administration préfectorale, toujours plus puissante, sous prétexte de fusion
des modalités de placement !…
Ce sont en effet toutes ces
« chicaneries », ces « pinaillages » et cette
« gêne » à l’action administrative, qu’il est en réalité question de
balayer d’un revers de manche. Foin de ces formalités tatillonnes qui visent à
préserver la liberté individuelle ! Mais pourquoi diable cherche-t-on
ainsi à préserver, bec et ongles, la liberté au pays des Droits de
l’Homme ? Le seul fait d’être gouverné, en France, par une administration
au-dessus de tout soupçon ne suffit-il pas ? N’est-ce pas choquant de
douter ainsi de l’intégrité de l’administration française, tout comme il vous
semble « abusif », pour ne pas dire « insultant » de
laisser penser qu’un certain nombre de professionnels de la santé ignorent les
conséquences de leurs actes. Evidemment !…. La France, comme chacun sait
est, depuis longtemps, non seulement le pays des droits de l’homme, mais encore
un pays de cocagne où la corruption et les intérêts personnels et de carrière
des différents agents n’ont pas cours, surtout dans la fonction publique !
Les pratiques liées au financement des partis politiques sont d’ailleurs là
pour nous en convaincre !… Est-il encore temps, pour la représentation
nationale de recourir à l’angélisme pour endormir les foules ?
A vos côtés, en revanche, je
ne puis que regretter que lors de l’examen de la loi du 4 mars 2002, aucun
membre du groupe des députés Communistes et Républicains ne soit intervenu pour
amender ces dernières dispositions et notamment pour provoquer une discussion
sur la proposition de loi n° 366, adoptée par ce même groupe parlementaire, en
1997, mais laissé dans les tiroirs du Bureau de l’Assemblée par le
Gouvernement. J’avais suggéré cette présentation de la proposition de loi sous
forme d’amendement, sans, toutefois, être entendu.
Cette proposition de loi
entendait pourtant distinguer fermement les trois domaines concernés par
l’internement psychiatrique en redéfinissant les pouvoirs de chacun et en
rendant à César ce qui appartient à César :
-Au juge pénal, la
définition de la sanction et l’évaluation de la responsabilité pénale
éventuelle du malade mental ;
-Au juge civil la
détermination de la mesure de sûreté ;
-Au médecin, la définition
du traitement et des mesures utiles à son administration.
Présentée sous forme
d’amendement, et mise aux voix, cette proposition de loi aurait permis d’ouvrir
le débat de fond.
Décidément, en effet, le
Parlement est tombé bien bas. Plus aucun député ne va au bout de ses
engagements. Les électeurs en prennent de plus en plus conscience,
assombrissant le ciel des démocraties européennes de noir et de brun,
accumulant les nuages annonciateurs de l’orage et de grands périls, dont le
monde contemporain a déjà fait les frais, en occident, comme, plus tard,
derrière le rideau de fer.
Au lieu de susciter de tels
débats, on nous prépare le tout préfectoral comme un paquet Bonux sans
même la prime d’un nouveau permis à points! Croyez-vous vraiment que ce soit
par ce biais qu’il sera possible d’éviter la prolifération de l’abus et de
l’arbitraire ? La culture politique de la députation française est-elle
devenue à ce point limitée qu’il n’y aurait plus que le Doyen de l’Assemblée
nationale pour s’inquiéter de l’accroissement de cette emprise de
l’administration sur la liberté individuelle de tous ? Un Doyen qui ne put
même pas recueillir le soutien de son propre groupe parlementaire à sa
proposition de résolution ici discutée. Ah ! le poids des forces de gauche
et des syndicats dans nos chers hôpitaux psychiatriques.
Qui s’étonnait qu’une chaîne
de connivences puisse déboucher, en ces lieux, sur l’abus et
l’arbitraire ? La réalité de l’hospitalisation psychiatrique dans
l’ex-Union soviétique a-t-elle été à ce point détruite qu’elle puisse être déjà
oubliée ? N’y a-t-il plus aujourd’hui que les Anciens pour se souvenir,
penser droit et réfléchir sur les expériences passées ?
Au lieu de cela, vous en
remettez une couche :
« Fruit d’un compromis difficile entre les impératifs du respect
des libertés publiques, de l’efficacité requise des soins psychiatriques et de
la sécurité, voire d’une forme particulière du principe de précaution, le cadre juridique actuel est à l’évidence
perfectible. Il n’est cependant pas certain, concluez-vous, que la commission d’enquête, qui est un dispositif lourd et
contraignant, soit l’organe le plus adapté pour mener à bien ce travail de
réflexion ». Voilà donc qu’en matière d’atteinte à la liberté
individuelle, vous brandissez, à votre tour, le principe de précaution.
Savez-vous seulement que c’est ce principe que le préfet des Hauts de Seine a
mis en avant, devant la Cour d’appel de Paris, pour justifier que, depuis sept
mois, il refusait d’élargir M. VERMOTTE malgré l’avis contraire de tous les
médecins. C’est au nom de ce même principe de précaution que le JLD de Créteil
a préféré se coucher devant l’autorité préfectorale. Mais savez-vous aussi que
Mme l’avocate générale Isabelle TERRIER-MAREUIL, devait, lors de cette audience
de la Première Chambre civile de la Cour d’appel de Paris, ridiculiser l’audace
du préfet de recourir ainsi à un tel principe en matière d’atteinte à la
liberté individuelle, puisqu’en l’occurrence, chacun sait fort bien, depuis la
Révolution, qu’un tel principe de précaution conduit, tout naturellement, à
ôter à l’administration le pouvoir de décider de la privation de liberté des
personnes !… Ne vous a-t-on pas parlé, au collège ou au lycée, de la lutte
menée contre les Lettres de cachet ? Le Parlement de Paris devait les
interdire dès 1788, avant même la Révolution.
Comment donc ne pas sourire,
mais aussi s’inquiéter, d’apprendre qu’à la suite de votre rapport, M. Georges
COLOMBIER, président, « s’est
déclaré rassuré par les informations qui ont été apportées sur cette question,
sur laquelle de nombreux élus ont été alertés et qui mérite une attention
particulière ». Loin d’être rassuré, je suis pour ma part
particulièrement inquiet de constater cette démission totale de la
représentation nationale et cette acceptation béate, sans aucun regard
critique, de la sempiternelle rengaine diffusée par la Direction Générale de la
Santé.
Pour sa part, Mme Hélène
MIGNON a cru devoir réveiller un autre serpent de mer : l’Eglise de
Scientologie et son émanation, dans le domaine psychiatrique, la Commission des
Citoyens pour les Droits de l’Homme. Depuis une dizaine d’années en effet
aucune critique de la pratique psychiatrique ne peut être formulée, en France,
sans que l’on soit immédiatement taxé de scientologue. En 1997, lorsque je
faisais circuler un projet de réforme de la loi de 1990 parmi les différents
groupes parlementaires, lequel devait déboucher sur l’adoption de la
proposition de loi n° 366 par le groupe parlementaire de M. HAGE, la Direction
Générale de la Santé fit immédiatement courir le bruit que je serais moi-même
scientologue ; ce qui est évidemment un peu court, mais, surtout,
totalement faux. La procédure que j’ai engagée à ce sujet devant le tribunal
administratif de Paris contre la direction centrale des renseignements
généraux, et toujours pendante devant la Cour administrative d’appel de Paris,
afin de faire toute la lumière sur cette affaire, a révélé qu’en fait,
l’Observatoire Interministériel sur les Sectes était à l’origine de cette
assertion mensongère se prévalant d’une lettre d’un responsable de l’Eglise de
scientologie à un député, proposant de m’inviter à une discussion, sur ces
sujets, avec quatre autres de vos collègues. Je n’étais pourtant au courant de
rien. Et je n’ai jamais participé à cette réunion. Je me demande d’ailleurs
pourquoi, le député délateur qui y participa, aujourd’hui décédé, M. BOSCH pour
ne pas le nommer (ça ne s’invente pas…), ne fut pas lui-même dénoncé comme
scientologue, ainsi que ses quatre autres collègues. Pourquoi, d’ailleurs,
serait-il interdit de discuter avec des scientologues dénonçant certaines
pratiques en psychiatrie ? En plus des fous à exclure et des délinquants à
enfermer, y aurait-il de nouveaux pestiférés à ne jamais fréquenter, sous peine
de risquer soi-même le bûcher ? Est-ce ainsi que l’on envisage de lutter
contre les sectes et les églises pour ne laisser subsister que les républicains
du club des Jacobins ?
Lorsqu’on connaît l’histoire
du contentieux psychiatrique et des associations de patients, notamment du
Groupe Information Asiles, de tels amalgames sont indignes de députés siégeant
au Parlement d’un pays qui se veut démocratique. Voudrait-on rétablir la Sainte
Inquisition après avoir fait revivre la Lettre de cachet ?
Et l’on ne peut que
regretter que les autres membres de la Commission des Affaires Culturelles,
Familiales et Sociales qui se sont exprimés, à l'exception du promoteur de la
proposition de résolution et Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, soulignant la
dimension sociale de l’augmentation des hospitalisations psychiatriques, et,
par suite, la médicalisation d’un certain nombre de difficultés économiques et
sociales auxquelles sont confrontés bon nombre de nos concitoyens, se sont
contenté de rappeler certains phénomènes marginaux, cependant réels et
importants, tels que le maintien en prison d’un certain nombre de malades
mentaux, même si la maladie mentale n’est pas incompatible avec la sanction
pénale, ni avec la détention pénitentiaire ; la brièveté du séjour de
certains enfants ou adolescents renvoyés trop tôt dans leur famille, même si en
l’occurrence, c’est davantage le mode de prise en charge de ces adolescents qui
est à repenser ; ou la place du traitement de l’alcoolisme et de la
toxicomanie dans l’augmentation des hospitalisations psychiatriques, lesquelles
n’apparaissent pourtant pas comme le meilleur moyen de traitement de ce type
d’addictions. Abordant néanmoins, à plusieurs reprises, la question de la
disparité départementale au regard de l’hospitalisation psychiatrique,
notamment sous contrainte, certains députés mettaient le doigt sur l’une des
questions centrales propre à l’espèce, qui renvoie justement, en France, à
l’arbitraire de l’action administrative.
Pour M. Maurice GIRO ces
disparités tiendraient « à l’existence ou l’absence de
structures adaptées, comme les hôpitaux de jour qui offrent des soins de
proximité ». Si tel était le cas, cela n’ôterait rien au caractère
arbitraire de nombreux placements. Il n’apparaît en effet pas normal que, dans
un département l’on puisse être hospitalisé d’office du fait de manque de
moyens, alors que dans le département voisin, pour un même comportement, de
mêmes troubles et une même pathologie, l’on puisse éviter les affres d’un
placement, voire de l’hospitalisation sous contrainte grâce à l’organisation de
soins de proximité. Au reste, le Val-de-Marne, qui n’est pas le département le
plus dépourvu de structures psychiatriques et d’hôpitaux de jour, est celui qui
bat tous les records nationaux en matière d’internements psychiatriques
rapportés à la population du département. Il fut pourtant longtemps aux mains
des amis et camarades de l’auteur de la proposition de résolution, preuve, s’il
en était besoin, que la question dépasse largement celle des clivages
politiques habituels et qu’elle ne réside pas dans la couleur du Gouvernement,
mais dans la permanence d’une gestion administrative étatique des personnes et
de la liberté de pensée. Par surcroît, la dernière circulaire de la Direction
Générale de la Santé du 24 mai 2004 révèle que cette disparité géographique
pourrait avoir d’autres causes (cf. pp. 15-16), sans, bien sûr, signaler que
cela risque de traduire l’arbitraire de l’administration, non seulement dans la
répartition des moyens, mais encore dans l’histoire même de la mise en œuvre de
la contrainte et dans la gestion des populations marginalisées ou perturbant
l’ordre public d’une façon ou d’une autre. Bref, que cela risque de renvoyer à
l’histoire du corps préfectoral et au mode de gestion des départements.
Il est cependant heureux que
l’initiative de M. le Doyen Georges HAGE ait débouché sur la création d’un
groupe d’études. Espérons que l’élargissement de la problématique, souhaitée,
en ce sens, par un certain nombre de membres de la Commission des Affaires
Culturelles Familiales et Sociales et sur lequel vous avez tant insisté, ne
noiera pas le poisson et ne vise pas à permettre à l’administration de jeter
plus aisément le bébé avec l’eau du bain lorsqu’elle proposera la suppression
de l’HDT au profit de l’HO !…
Vous trouverez certainement
cette lettre particulièrement véhémente si ce n’est irrespectueuse et
outrancière. Il est néanmoins impossible, en 2004, d’admettre que la
représentation nationale continue à ignorer ainsi les innombrables
protestations et cris de détresse des victimes de l’abus et de l’arbitraire –
en grande partie étatique- y compris subis par les personnes souffrant de
troubles mentaux et qui ne parviennent à accéder aux soins que dans un rapport
de violence et de négation de leurs droits, de leur dignité et du respect de
leur personne. Le Groupe Information Asiles et la Fédération nationale des
associations de patients psychiatriques (FNAPPsy) possèdent, dans leurs
archives, des milliers de lettres et de témoignages alarmants sur la façon dont
leurs auteurs ont été traités. Les juridictions condamnent désormais, chaque
année, plusieurs responsables d’hospitalisations psychiatriques abusives, là
où, avant les années 80, il y avait moins d’une condamnation tous les dix ou
vingt ans. Il n’est donc absolument plus possible d’ignorer superbement le
problème, même lorsqu’on est professionnel de la santé, et plus encore lorsqu’on
appartient au corps des soignants spécialisés en psychiatrie. Cette négation de
la réalité par certains professionnels, incapables de remettre en cause leurs
pratiques et leur dépendance à l’administration, est une véritable insulte aux
innombrables souffrances des patients.
On n’attend pas de même d’un
député qu’il prenne ses ordres auprès de la Chancellerie, ni qu’il fasse écrire
ses discours par le secrétariat de la Direction Générale de la Santé, mais
qu’il exerce son esprit critique, de façon autonome et, singulièrement, à
l’égard de l’exécutif, afin qu’il concoure à protéger le citoyen de
l’arbitraire du pouvoir dont il convient toujours de se méfier, en démocratie,
comme savent fort bien le faire les Anglo-saxons. Toujours se méfier du Prince,
même lorsqu’on lui laisse la couronne sur la tête !. On risque, autrement,
de n’être bientôt plus en démocratie, mais de revenir à l’Ancien Régime ou de
sombrer dans les filets de quelque république bananière, à moins qu’il ne
s’agisse de dictatures sectorielles dignes du sultanat turc, comme se plait à
le dire le professeur Denis BUICAN pour caractériser le régime politique
français de ces dernières décennies.
Faut-il, en effet, rappeler
que toutes les Républiques ne sont pas forcément démocratiques. Celle rêvée par
Platon demeurait esclavagiste. Notre III ème République géra un empire colonial
d’une main de fer qui lui permit de puiser la chair à canon du premier conflit
mondial. N’existe-t-il pas, par ailleurs, un peu partout en Europe, de nombreux
royaumes démocratiques dont notre législateur républicain ferait bien, parfois,
d’en prendre la graine ?
Je vous prie de croire,
Madame, à l’assurance de mon total dévouement à la sauvegarde des libertés et
des droits des patients, donc des droits de l’homme.