T R I B U N A L AIDE JURIDICTIONNELLE
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
1ère chambre
3ème section JUGEMENT
N°RG: 05/11144 rendu le 23 avril 2007
Assignation du 28 juillet 2005
PAIEMENT
MISE HORS DE CAUSE (AJT)
DEMANDEURS
Madame Evelyne S.
représentée par Me Michel BUTHAUD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B289
(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle (85 %) accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PONTOISE)
Mademoiselle C. S.
Monsieur A. S. représenté par sa mère Mme Evelyne S. en qualité d’administratrice légale
représentés par Me Michel BUTHAUD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B289
DÉFENDEURS
AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
Direction des Affaires Juridiques
Bâtiment Condorcet - Teledoc 353
6 rue Louise Weiss
75703 PARIS CEDEX 13
représentée par Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 229
CENTRE HOSPITALIER DE GONESSE
25, rue Pierre de Thielly
95500 GONESSE
représenté par Me BESSIS HELMANN (Association CABINET HELLMANN) avocat au barreau de PARIS, vestiaire R.001
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Florence LAGEMI, Vice-Président
Catherine COSSON, Vice-Président
Dominique LEFEBVRE-LIGNEUL, Vice-Président
GREFFIER
Anne CONSTANTIN, lors des débats
Karine NIVERT, lors du prononcé
DÉBATS
A l’audience du 29 janvier 2007 tenue en audience publique devant Florence LAGEMI et Dominique LEFEBVRE-LIGNEUL, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé en audience publique
Contradictoire
En premier ressort
Sous la rédaction de Catherine COSSON
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Madame Evelyne S. a été hospitalisée au Centre Hospitalier de Gonesse à la demande de son mari du 6 au 8 février 2002, du 14 février au 7 mars 2002 et du 21 novembre au 15 décembre 2003.
Considérant ces internements irréguliers, injustifiés et abusifs, Mme S. et ses enfants, Mlle C. S. et M. A. S., par actes des 11 et 12 juillet 2005, ont fait assigner devant ce tribunal l’agent judiciaire du Trésor et le Centre Hospitalier de Gonesse en réparation de leurs préjudices.
Par ordonnance en date du 3 juillet 2006, le juge de la mise en état, au motif que sous les termes de légalité externe, Mme S. demandait au tribunal tout à la fois de statuer sur la régularité formelle des décisions administratives d’hospitalisation et sur la nécessité et le bien-fondé de ces mesures, a rejeté l’exception d’incompétence soulevée considérant qu’il appartiendrait au tribunal d’écarter les demandes relatives à l’appréciation de fautes qui ne relèveraient pas de sa compétence.
Par dernières conclusions signifiées le 5 octobre 2006, Mme S., Mlle et M. S. font valoir :
1° qu’en ce qui concerne l’hospitalisation du 6 février 2002, les allégations des divers médecins psychiatres qui ont examiné Mme S. ne peuvent avoir valeur probante et ne justifient pas la mesure d’hospitalisation à la demande d’un tiers qui doit être annulée pour vice de forme,
2° qu’en ce qui concerne l’hospitalisation du 14 février 2002, le certificat du docteur Carbonnaux ne mentionne pas de péril imminent et que la mention d’urgence est fausse, que le docteur Ruiz n’a pas fait de diagnostic médical, intervenant dans un conflit conjugal, que les notions d’urgence, de péril et de soins immédiats sont absentes du certificat de quinzaine de même que le diagnostic précis des troubles psychiatriques dont souffriraient la patiente,
- que la responsabilité du CHS de Gonesse est engagée pour avoir maintenu Mme S. en internement arbitraire et abusif pendant 21 jours sans lui signifier officiellement son internement et sans probablement adresser copie des certificats au préfet du département et à la commission des hospitalisations psychiatriques et sans la transférer immédiatement à la clinique ouverte de Longpont,
3° qu’en ce qui concerne l’hospitalisation du 21 novembre 2003, les certificats tant du docteur Taquet Louineau que du docteur Mersch sont insuffisants pour décrire les troubles, qu’aucun signe clinique réel d’une pathologie mentale lourde ne justifiait une hospitalisation sous contrainte, que le certificat du docteur Gauthe ne dit rien quant à l’impossibilité de recueillir le consentement de la patiente, que le refus de traitement psychiatrique et de l’internement ne peuvent être jugés pathologiques et justifier l’hospitalisation à la demande d’un tiers,
4° que le défaut de notification a Mme S. de l’ensemble des décisions de placement et de maintien " affecte la régularité de la détention arbitraire ", constitue une violation de l’article 5 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme et l’a empêchée de saisir le juge des Libertés dans l’ignorance de ses droits,
5 ° que le procureur de la République n’a pas saisi le juge des Libertés dans le délai de 3 jours comme l’y incite l’article 3211-12 du code de la Santé Publique, engageant ainsi la responsabilité de l’administration judiciaire,
6° que le droit des malades n’a pas été respecté puisque Mme S. a été obligée de prendre les médicaments prescrits lors de ses deux hospitalisations de février 2002 et novembre 2003,
7° que l’information n’a été ni accessible ni loyale et que la patiente n’a pu participer aux choix thérapeutiques alors que son dossier mentionnait son désir d’être conduite à la clinique de Longpont,
8 ° que Melle C. S. a tenté d’obtenir la sortie de sa mère sans succès, qu’elle n’a pas été informée qu’elle pouvait saisir le juge des Libertés et qu’alors qu’elle a demandé la sortie le 1er décembre 2003, le directeur du CHS de Gonesse n’a pris la décision que le 15 décembre 2003,
9° que l’article 8 § 2 de la convention européenne des droits de l’Homme a été violé compte tenu des conditions du maintien en hospitalisation de Mme S. qui ne fut pas admise à engager une psychanalyse malgré sa demande, dut rester en pyjama dans une chambre seule, sans que ses plaintes relatives à son divorce et à une demande d’avocat soient entendues, et ce alors qu’elle justifie par une attestation du docteur Cahn de son bon état mental,
10° que le CHS de Gonesse ne rapporte pas la preuve que les troubles de Mme S. nécessitaient des soins immédiats avec surveillance constante en milieu hospitalier et que ceux-ci rendaient impossible son consentement, que les médecins n’ont pas constaté les troubles qu’ils ont décrits mais ont repris dans leurs certificats les doléances du mari de la patiente, qu’aucun diagnostic de pathologie grave nécessitant des soins immédiats et imposants eux-mêmes une surveillance constante en milieu hospitalier n’a été posé.
Ils sollicitent en conséquence la condamnation solidaire de l’agent judiciaire du Trésor et du CHS de Gonesse à payer :
- à Mme S. la somme de 150.000,00 euros au titre des préjudices psychologique, moral et matériel ainsi que du pretium doloris subis,
- à Melle C. et A. S., ses enfants, perturbés par les internements de leur mère, la somme à chacun de 20.000,00 euros.
Ils ajoutent que Mme S., dans l’hypothèse où le tribunal refuserait d’entrer en voie de jugement à l’encontre des défendeurs au motif de la non contestation préalable devant le tribunal administratif des décisions d’hospitalisation litigieuses, demande qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de son action devant cette juridiction.
Enfin, ils réclament le versement en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, en ce qui concerne Mme S. d’une somme de 4.500,00 euros, Maître Buthaud renonçant par avance à l’aide juridictionnelle, et en ce qui concerne Melle C. et A. S. d’une somme de 700,00 euros pour chacun d’eux.
Par conclusions signifiées le 27 janvier 2006, le Centre Hospitalier de Gonesse soutient que le juge civil est incompétent pour connaître de la légalité externe des décisions privatives de liberté et qu’il y a lieu en conséquence pour le tribunal de se déclarer incompétent au bénéfice du tribunal administratif et subsidiairement de surseoir à statuer jusqu’à la décision que devra rendre cette juridiction.
En tout état de cause, il considère que les placements à la demande d’un tiers étaient parfaitement justifiés, que les demandes sont exorbitantes et qu’aucun document ne justifie du préjudice moral des enfants. Il réclame le paiement d’une somme de 1.000,00 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Aux termes d’écritures signifiées le 9 août 2006, l’agent judiciaire du Trésor sollicite sa mise hors de cause au motif que s’agissant d’hospitalisations à la demande d’un tiers, la responsabilité de l’Etat ne peut se trouver engagée.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 décembre 2006.
SUR CE
Si la juridiction administrative est seule compétente pour apprécier la régularité formelle (légalité externe) d’une décision administrative d’hospitalisation sous contrainte d’une personne en application du code de la santé publique, les tribunaux de l’ordre judiciaire, gardiens des libertés individuelles, sont seuls compétents, non seulement pour apprécier la nécessité et le bien fondé d’une telle mesure (légalité interne) mais également pour statuer sur les conséquences dommageables de l’ensemble des irrégularités entachant la mesure d’internement.
Ainsi, si par principe, il appartient à la présente juridiction de se prononcer sur le bien fondé de l’internement en cause, et le cas échéant, d’évaluer l’indemnisation de l’ensemble des conséquences dommageables résultant de la privation de liberté injustifiée et des irrégularités formelles, il ne lui incombe ni de statuer sur les irrégularités formelles qui entacheraient les certificats médicaux ni d’annuler les mesures d’hospitalisation à la demande d’un tiers.
Sur les responsabilités
Aux termes de l’article 5-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté et nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans certains cas et selon les voies légales, cas parmi lesquels figure celui de la détention régulière d’un aliéné. Doivent donc être examinées les conditions dans lesquelles Mme S. a été hospitalisée à la demande de son mari du 6 au 8 février 2002 (2 jours), du 14 février au 7 mars 2002 (22 jours) et du 21 novembre au 15 décembre 2003 (25 jours).
L’article L 3212-1 du code de la santé publique, applicable à la cause, dispose qu’une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande d’un tiers que si :
1° ses troubles rendent impossibles son consentement ;
2° son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier.
Sur l’hospitalisation du 6 au 8 février 2002
Le 6 février 2002, Mme S. a été examinée :
- par le docteur Aveno, praticien hospitalier au CHI de Clermont de l’Oise lequel a indiqué avoir constaté chez l’intéressée les troubles suivants : agitation psychomotrice avec angoisse massive et éléments délirants de persécution, de mécanismes intuitif et interprétatif. Ce médecin a ajouté que d’après l’époux, il y avait une notion de troubles délirants évoluant depuis au moins 15 jours avec hallucinations accoustico-(mot illisible), idée de référence (radio), idées délirantes de persécution (se sent épiée, surveillée dans la rue, dans les transports en commun, persuadée d’être sur écoute téléphonique, d’être poursuivie par une secte), des troubles dû sommeil, un amaigrissement, une méconnaissance des troubles et une opposition aux soins, - par le docteur Sabrachou, médecin au Centre hospitalier de Senlis lequel expose avoir constaté chez la patiente un trouble du comportement avec état d’agitation important et délire de persécution.
Pour ces deux praticiens, les troubles rendent impossibles le consentement et justifient une hospitalisation dans un établissement spécialisé en application de l’article L 3212-1 du code de la santé publique. Le mari de Mme S. a signé le même jour une demande d’hospitalisation au centre hospitalier de Gonesse.
Le certificat de 24 heures, signé du docteur Ruiz le 7 février 2002, psychiatre des hôpitaux, est rédigé ainsi que suit : " D’après son entourage, elle (Mme S.) présente un vécu délirant à mécanisme interprétatif et intuitif depuis une quinzaine de jours. Ce jour la patient présente une fuite du regard et une méfiance maintenue par un vécu interprétatif. La patiente n’accepte pas les soins ce jour. La continuation de ceux-ci est nécessaire et doit se faire sous le mode d ‘HDT. "
Le 8 février 2002, le docteur Ruiz établit le certificat de levée de l’HDT et de sortie suivant : " D’après son entourage, elle (Mme S.) présente un vécu délirant à mécanisme interprétatif et intuitif depuis une quinzaine de jours. La patiente continue à présenter une méfiance maintenue par un vécu persécutif. Ce jour, la famille demande un transfert dans une clinique spécialisée. Nous avons accepté le principe du transfert et avons pris contact avec le médecin psychiatre de la clinique où elle est attendue après le démarches faites seulement par le mari. Quand le médecin de la clinique a eu les renseignements cliniques et avec notre avis il demande que le transfert soit fait le lundi 11 février 2002. Le mari n’accepte pas la décision et demande la sortie ce jour contre avis médical de son épouse. Manque d’éléments cliniques pour demander une hospitalisation d’office transitoire. Nous acceptons la sortie contre avis médical demandée par le mari. "
Les certificats du 6 février 2002 décrivent les particularités de l’état mental de Mme S. laquelle est alors notamment en proie à un délire de persécution, ces troubles rendant impossibles son consentement et imposant des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. Le certificat de 24 heures en revanche, est particulièrement succinct puisqu’il ne constate pas d’éléments délirants, rapporte les propos de l’entourage, se contente de faire état d’une fuite du regard et d’une méfiance maintenue par un vécu interprétatif et ne caractérise pas la nécessité de soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. Dès lors, il sera considéré que l’hospitalisation sur demande d’un tiers n’était plus justifiée à partir du 7 février.
Sur l’hospitalisation du 14 février au 7 mars 2002
Le 14 février 2002, Mme S. a été examinée par :
- le docteur Carbonnaux lequel aux termes d’un certificat dont il n’est fourni qu’une photocopie partiellement lisible, décrit un comportement auto / hétéro agressif, une agitation, des dépenses inconsidérées et des propos incohérents, - le docteur Bessala qui indique que la patiente est atteinte de troubles mentaux caractérisés par des troubles du comportement à type d’agitation psychomotrice majeure et hétéro agressivité, une notion de dépenses inconsidérées ces derniers jours, une opposition et un discours diffluent.
Pour ces deux praticiens, les troubles rendent impossibles le consentement et justifient une hospitalisation dans un établissement spécialisé en application de l’article L 3212-1 du code de la santé publique. Le mari de Mme S. a signé le même jour une demande d’hospitalisation au centre hospitalier de Gonesse.
Le docteur Ruiz a établi, le 15 février, le certificat de 24 heures, précisant avoir constaté : " La patiente aurait présenté un état d’agitation maintenue par un vécu délirant. Ce jour, elle présente une méfiance centrée sur son mari ainsi qu’une banalisation complète de sa façon d’agir. Réticence vis-à-vis de nous s’exprime peu et s’oppose aux soins. Cet état justifie une évaluation et un traitement, pour l’instant nous ne pouvons la traiter que sous le mode d’une hospitalisation à la demande d’un tiers. "
Le certificat de quinzaine rédigé par le même praticien le 27 février 2002, rapporte " Sous traitement la patiente n’est plus agitée. Il persiste une méfiance vis-à-vis de son entourage maintenue par un vécu persécutif. Elle n’a aucune conscience de sa pathologie. Le maintien de l‘HDT est nécessaire. "
Le 7 mars 2002, le docteur Ruiz délivre un certificat de levée de l’HDT et de sortie qui mentionne " Sous traitement la patiente accepte les soins. Persistance d’une certaine méfiance sans élaboration délirante et la patiente accepte la continuation des soins dans une clinique privée de son choix. L’HDT n’est plus justifiée et la patiente est transférée ce jour dans une clinique. "
Si les deux certificats du 14 février décrivent les troubles, agitation, propos incohérents et comportement hétéro agressif notamment, ne permettant pas que soit recueilli le consentement et qui justifient la nécessité de soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier, il n’en est pas de même des certificats suivants. En effet, le 15 février la patiente ne présente plus l’état d’agitation maintenue par un vécu délirant. Il n’est relevé qu’une méfiance centrée sur son mari, une banalisation complète de sa façon d’agir et l’opposition aux soins. Il n’est pas fait état d’un-diagnostic mais de la nécessité d’une évaluation. Le 27 février ce sont des éléments similaires qui sont notés. Dès lors, les conditions posées par l’article L 3212-1 du code de la santé publique n’étant pas réunies, il doit être considéré que l’hospitalisation sous la contrainte n’était pas justifiée entre le 15 février et le 7 mars 2002.
Sur l’hospitalisation du 21 novembre au 15 décembre 2003
Le 21 novembre 2003, Mme S. a été examinée par son médecin traitant le docteur Taquet Louineau laquelle a indiqué avoir constaté chez sa patiente les troubles suivants : idées délirantes de persécution avec attitude de fuite, ces troubles rendant impossible son consentement et justifiant son hospitalisation. A ce certificat, le docteur Taquet Louineau a joint un courrier destiné à son confrère dans lequel elle explique que Mme S. présente depuis plusieurs semaines des idées délirantes de persécution, persuadée d’être suivie, ayant l’illusion que son mari est manipulé à son insu, que des choses disparaissent dans la maison, qu’elle fait état du fait que son mari la frappe mais ne l’a jamais fait constater, qu’elle passe d’une idée à l’autre, que son langage est décousu, logorrhéique, qu’elle quitte son domicile le soir, se rend à la gendarmerie pour porter plainte ou se réfugie chez une voisine en disant qu’elle a peur, qu’elle a des troubles du sommeil, qu’elle dit que son mari ne veut pas lui donner d’argent mais qu’il semblerait qu’elle soit dépensière. Le praticien ajoute qu’il parait y avoir une mésentente dans le couple, Mme S., femme au foyer, souhaitant divorcer, a entrepris des marches en ce sens, que sa fille de 20 ans souffre d’une anorexie mentale pour laquelle elle est suivie et que son fils de 13 ans est très perturbé par l’état de sa mère. Enfin, est rappelée la précédente hospitalisation de mars 2002.
Le même jour, Mme S. est vue par le docteur Mersch lequel fait état d’éléments délirants de persécution non structurés, de troubles du sommeil, d’un discours cohérent [mot illisible] et d’une ambivalence vis-à-vis des soins.
Pour ces deux médecins, les troubles rendent impossibles le consentement et justifient une hospitalisation dans un établissement spécialisé en application de l’article L 3212-1 du code de la santé publique. Le mari de Mme S. a signé le même jour une demande d’hospitalisation au centre hospitalier de Gonesse.
La fiche d’observation du même jour mentionne une patiente calme au discours cohérent qui fait état de violences commises par son mari, de la disparition d’objets de la maison et d’un vague sentiment de menace. Il est conclu à la nécessité de l’hospitalisation pour préciser la symptomatologie et repenser le traitement.
Le certificat du 22 novembre est rédigé par le docteur Gauthé ainsi que suit : "Hospitalisée sans son consentement par son médecin traitant à la suite de troubles du comportement peut être sous tendus par une activité délirante qu’il est docile d’objectiver dans un contexte de conjugopathie. Notion d’un épisode identique antérieur en février 2002. A l’entretien, il existe des éléments en faveur d’un épisode hypomaniaque sur un [mot illisible] dépressif évoquant la possibilité d’un trouble affectif bipolaire de type II. L’hospitalisation à la demande d’un tiers est justifiée. "
Le certificat de quinzaine établi le 4 décembre 2003 par le docteur Ruiz constate : " Diminution de son hyperactivité et son activité interprétative sous son traitement actuel et l’encadrement que lui procure le cadre de l’hospitalisation. Sa prise en charge est difficile de par les conflits familiaux et leur prise de position. Des demandes en vue d’un transfert en clinique vont se mettre en place. L’HDT est justifiée pour l’instant en attendant une alternative de soins acceptée par la patiente. "
L’ensemble de ces éléments, comme lors des événements précédents, montre une situation de crise décrite dans les certificats initiaux et justifiant alors l’hospitalisation sous contrainte, apaisée dès le lendemain, le tout dans un contexte de conflit familial et sans qu’un diagnostic certain ne soit porté en dépit de trois séjours dans le même hôpital; dans les mêmes conditions et pour les mêmes motifs. Il ne peut être considéré, à la lecture des certificats médicaux, que l’état de santé de Mme S. justifiait une surveillance constante en milieu hospitalier à compter du 22 novembre 2003.
Sur la notification des droits et l’exercice de recours
L’article 5-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales précise que toute personne arrêtée doit être informée dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. L’article 5-4 du même texte ajoute que toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
Enfin l’article L 3211-3 du code de la santé publique indique que lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement, elle doit être informée dès l’admission et par la suite, à sa demande, de sa situation juridique et de ses droits.
En l’espèce, le CHS de Gonesse ne démontre pas avoir informé Mme S. de sa situation lors de son admission en hospitalisation à la demande d’un tiers et des recours qu’elle pouvait exercer et a ainsi engagé sa responsabilité.
Il ne peut en revanche lui être reproché de ne pas avoir fourni à Mlle C. S. les renseignements relatifs aux recours susceptible d’être introduits dans la mesure où celle-ci n’était pas sa patiente, se trouvait libre de ses mouvements et pouvait se procurer les renseignements utiles.
Mme S. formule par ailleurs une hypothèse, non étayée et qui ne peut être retenue, soutenant que l’établissement hospitalier n’a probablement pas adressé copie des certificats au préfet du département et à la commission des hospitalisations psychiatriques.
Elle ne démontre pas davantage que le procureur de la République avait l’obligation de saisir dans le délai de 3 jours le juge des Libertés et que faute de l’avoir fait, il a engagé la responsabilité de l’administration judiciaire et partant de l’Etat. Dans ces conditions, la responsabilité de l’Etat ne pouvant par ailleurs être recherchée dans le cadre d’une hospitalisation à la demande d’un tiers, l’agent judiciaire du Trésor sera mis hors de cause.
Sur les conditions des hospitalisations
Il n’est pas contesté que Mme S. a dû prendre des médicaments pendant les hospitalisations litigieuses. Celle-ci considère qu’il s’agit en la circonstance de la violation de son droit de malade. Cependant, si les hospitalisations à la demande d’un tiers n’apparaissent pas justifiées au regard des conditions posées par l’article L 3212-1 précité, il n’en demeure pas moins que Mme S. souffrait de troubles qui l’ont conduite à accepter des hospitalisations et des soins en clinique et que partant les traitements qu’elle a été amenée à prendre se justifiaient. Il sera relevé au surplus qu’il n’est pas démontré que les traitements qui lui ont été administrés ont eu des effets secondaires sur sa santé.
En revanche, il est difficilement compréhensible qu’il lui ait été imposé lors de la dernière hospitalisation de rester en pyjama, dans une chambre individuelle avec interdiction de sortir de l’unité.
Sur la réparation des préjudices
S’il est exact que Mme S. avait engagé un processus afin d’exercer une activité professionnelle, il n’est pas établi que la dernière hospitalisation à la demande d’un tiers de novembre 2003 a anéanti ses efforts. En effet, les pièces versées aux débats datent de septembre 2003 en ce qui concerne la synthèse relative à la valorisation des compétences, et du 11 novembre 2003 en ce qui concerne le bilan de l’accompagnement qui a été réalisé du 12 août au 11 septembre 2003. Aucune explication n’est par ailleurs fournie sur la situation actuelle tant familiale que professionnelle de Mme S.
Il sera ajouté que les appréciations des personnes n’ayant pas connu l’intéressée lors des faits litigieux sont de peu de portée et que le jugement médical du docteur Cahn sur Mme S. ne peut concerner que le moment où il l’a reçue, soit juin 2004.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, étant rappelé que la privation d’aller et de venir a duré au total 46 jours, il sera alloué à Madame S. en réparation de ses préjudices la somme de 5.000,00 euros.
Aucune pièce versée aux débats ne permettant d’établir le préjudice allégué de Melle C. et A. S., ceux-ci seront déboutés de leurs demandes.
Sur les autres demandes
Les conditions d’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile étant réunies au bénéfice de Mme S. quine bénéficie que d’une aide juridictionnelle partielle, il lui sera alloué de ce chef la somme de 3.000,00 euros.
Les réclamations présentées du même chef par Melle C. et A. S. et par le CHS de Gonesse seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL
Statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Rejette l’exception d’incompétence ;
Déclare abusif les hospitalisations à la demande d’un tiers subies au Centre Hospitalier de Gonesse par Madame Evelyne S. du 7 au 8 février 2002, du 15 février au 7 mars 2002 et du 22 novembre au 15 décembre 2003 ;
Dit que la responsabilité du Centre Hospitalier de Gonesse est engagée ;
Met hors de cause l’agent judiciaire du Trésor ;
Condamne le Centre Hospitalier de Gonesse à payer à Madame Evelyne S. :
* la somme de 5.000,00 (cinq mille) euros en réparation de ses préjudices,
* la somme de 3.000,00 (trois mille) euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Rejette tous autres chefs de demandes des parties ;
Condamne le Centre Hospitalier de Gonesse aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.
Fait et jugé à Paris le 23 avril 2007
Le Greffier Le Président
Karine NIVERT Florence LAGEMI