COUR D'APPEL
D'ANGERS
1ère CHAMBRE B
BD/SM
ARRÊT N° 709
AFFAIRE N° :04/01007
Jugement du Tribunal de Grande Instance du Mans du 11 Février 1997
Arrêt de la Cour d'Appel du 14 Décembre 1998
Jugement du Tribunal des Conflits du 22 Mars 2004
n° d'inscription au RG de première instance 97/00536
ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2005
APPELANT:
Monsieur Joël DESHAYES
né le 5 Novembre 1950 à LE MANS (72) 49 avenue Léon Bollée 72000 LE MANS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2004/003244 du 22/06/2004 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'ANGERS)
représenté par Maître VICART, avoué à la Cour
assisté de Maître LEQUEUX, substituant Maître BOUGNOUX, avocats au barreau d'ANGERS.
INTIMÉS :
LE CENTRE HOSPITALIER SPÉCIALISÉ DE LA SARTHE Centre d'Allonnes
Route de Spay B.P. 4
72700 ALLONNES
représenté par la SCP DUFOURGBURG-GUILLOT, avoués à la Cour assisté de Maître DRUAIS, avocat au barreau de RENNES.
LA VILLE DU MANS représentée par son Maire en exercice Hôtel de Ville
72039 LE MANS
représentée par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour assistée de Maître LORRAIN, avocat au barreau du MANS.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2005 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur DELÉTANG, président de chambre
Monsieur TRAVERS, conseiller
Monsieur ANGIBAUD, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PRIOU
ARRÊT : contradictoire
Prononcé publiquement le 14 décembre 2005, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues aux deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELETANG, président, et par Madame PRIOU, greffier.
as.
Vu les dernières conclusions de Monsieur Joël DESHAYES en date du 3 octobre 2005 ;
Vu les dernières conclusions de la Ville du MANS en date du 11 octobre 2005 ;
Vu les dernières conclusions du Centre Hospitalier Spécialisé de la Sarthe (le CHS 72) en date du 17 octobre 2005 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 17 octobre 2005.
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FAITS ET PROCÉDURE
Suite à un accident domestique le 6 avril 1984, Monsieur DESHAYES a été conduit par les services de secours aux urgences du Centre hospitalier du MANS et hospitalisé.
Le 14 avril suivant, il 'a été pris en charge par les services de police et conduit au CHS 72 où il a régularisé son admission le 16 avril. Il est ressorti, hors avis médical, le 19 mai avec suivi ambulatoire. Placé sous traitement et suivi en dispensaire, il a été ré-hospitalisé les 10 décembre 1984, 30 avril 1985 et 29 avril 1987.
Consécutivement à son placement, II a engagé diverses procédures administratives et judiciaires :
Par jugement du 23 février 1993, le tribunal administratif de NANTES a annulé les décisions de transfert au CHS du 14 avril 1984 et de placement volontaire du 16 avril suivant.
Monsieur DESHAYES a alors sollicité du CHS une indemnisation gracieuse le 5 janvier 1995 puis a saisi le tribunal administratif en indemnisation le 18 août 1995. Sa demande a été rejetée par jugement du 15 juillet 1998. Par arrêt infirmatif du 2 août 2002, la Cour administrative d'appel de NANTES a renvoyé devant le Tribunal des Conflits.
Parallèlement, par acte du 5 septembre 1995, Monsieur DESHAYES a assigné le CHS 72, la Ville du MANS, la Caisse d'allocations familiales et la CPAM 72, en réparation de son préjudice devant le tribunal de grande instance du MANS.
Par jugement du 11 février 1997, le tribunal de grande instance du MANS s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande.
Par arrêt du 29 septembre 1997, Monsieur DESHAYES a été déclaré irrecevable en son contredit. Par arrêt du 14 décembre 1998, statuant sur son appel, la Cour a confirmé l'incompétence pour connaître des fautes administratives, s'est déclarée compétente pour connaître du préjudice résultant de la voie de fait mais a déclaré prescrite l'action, et a sursis à statuer sur le préjudice résultant de la violation du secret professionnel, dans l'attente de l'issue d'une information en cours. Pourvoi à été formé contre cet arrêt.
Par arrêt du 7 janvier 2002, la Cour a débouté Monsieur DESHAYES de son action fondée sur la violation du secret médical.
Par arrêt du 22 mars 2004, le Tribunal des Conflits a décidé notamment que
la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître de . l'ensemble des conclusions à fin d'indemnité présentées par Monsieur DESHAYES
Par arrêt du 15 juin 2004, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi en ce qu'il porte sur la juridiction compétente pour connaître des conclusions à fins d'indemnités présentées par Monsieur DESHAYES et rejeté pour le surplus le pourvoi.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur DESHAYES demande à la Cour de :
- le recevoir en son appel et l'y dire bien fondé
- surseoir à statuer dans l'attente des décisions définitives au juge administratif concernant la légalité des admissions des 10 décembre 1984, 30 avril 1985 et 29 avril 1987
- subsidiairement :
le défaut de notification et d'information dont il a été victime tant durant son internement que durant son traitement psychiatrique ambulatoire et lors de ses diverses hospitalisations enregistrées comme "libres" par le CHS, concernant les décisions d'admission et leur motifs, les raisons de la détention, la nature de la pathologie dont il souffrait, la nature et les effets des traitements mis en place, sur sa situation juridique et sur ses droits
- la contrainte de soins dont il fut l'objet
- en conséquence, toutes causes de préjudice confondues et à titre de dommages-intérêts
- condamner la ville du MANS à lui verser la somme de 10.000 €
- condamner le CHS 72 à lui verser la somme de 64.000 €
- condamner l'ensemble des défendeurs, chacun en ce qui les concerne, à verser à Maître BOUGNOUX, avocat, la somme de 4.500 € par le CHS de la Sarthe et 1.500 € par la ville du MANS
- les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi que de contredit qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle et à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile
Le Centre hospitalier spécialisé de la SARTHE demande à la cour de dire n'y avoir lieu à sursis à statuer, la Cour étant seulement saisie sur l'hospitalisation du 16 avril, de dire Monsieur DESHAYES irrecevable en ses demandes, subsidiairement, le dire mal fondé, de condamner Monsieur DESHAYES à lui verser la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.
La Ville du MANS demande à la Cour, statuant dans les limites de sa saisine après rejet de son second moyen de pourvoi, de dire Monsieur DESHAYES non recevable, en tout cas non fondé en ses demandes, fins et conclusions, de l'en débouter et de le condamner à lui payer la somme de 2.500 € par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de le condamner en tous les dépens, recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la demande de sursis à statuer
Monsieur DESHAYES demande à titre principal qu'il soit sursis à statuer jusqu'à décisions définitives du juge administratif concernant la légalité de ses admissions en milieu hospitalier spécialisé des 10 décembre 1984, 30 avril 1985 et 29 avril 1987, suite à ses requêtes en annulation présentées le 28 septembre 2005 devant le tribunal administratif de NANTES.
Il apparaît toutefois que la Cour est saisie de l'instance introduite par acte du 5 septembre 1995 tendant à la réparation du préjudice subi par Monsieur DESHAYES du fait de son transfert au CHS de la SARTHE et à son placement volontaire dans l'établissement, décisions qui ont fait l'objet d'une annulation par jugement du tribunal administratif de NANTES.
La Cour n'est pas saisie des faits d'hospitalisation postérieurs qui ont fait l'objet des arrêtés dont Monsieur DESHAYES remet en cause la validité par ses requêtes du 28 septembre 2005.
Le sort des instances en cours devant la juridiction administrative ne commande nullement l'issue du litige dont la Cour est saisie, et le résultat de ces procédures autonomes, quel qu'il soit, ne présente aucun risque de contrariété avec la présente décision.
Il n'existait en outre, après les différentes décisions des deux ordres cidessus rappelées, aucune question préjudicielle qui ait dû être posée à la juridiction administrative avant qu'il soit statué au fond dans l'instance en réparation suite à l'interpellation et au placement du 14 avril 1984.
La demande sera en conséquence rejetée.
Sur le fond
A l'issue des diverses instances judiciaires ci-dessus évoquées, le litige est circonscrit. Spécialement :
L'arrêt de la Cour d'appel d'ANGERS du 14 décembre 1998 a notamment confirmé le jugement déféré du chef de l'incompétence pour statuer sur les conséquences dommageables d'un défaut d'information, d'une contrainte de soins et d'un défaut de contrôle. Par ailleurs, elle a retenu "Sur le fonds pour les actions non prescrites" que "Monsieur DESHAYES ne justifie pas d'un préjudice spécifique qui serait résulté pour lui de l'irrégularité des décisions qui ont été annulées".
La décision du Tribunal des conflits du 22 mars 2004 a rappelé que l'autorité judiciaire était seule compétente tant pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique que, lorsque la juridiction administrative s'est prononcée sur la régularité de la décision administrative de placement, pour statuer sur l'ensemble des conséquences dommageables de cette décision, y compris celles qui découlent de son irrégularité et qu'il suit de là qu'il appartient à la juridiction de l'ordré; judiciaire de connaître de l'ensemble des conclusions à fin d'indemnité présentées par Monsieur DESHAYES;
L'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2004, qui a dit n'y avoir lieu à statuer sur le moyen du pourvoi portant sur la compétence, celui-ci étant devenu sans objet, a relevé que la prescription quadriennale à laquelle était soumise la créance de Monsieur DESHAYES résultant de la voie de fait a commencé à courir le premier jour de l'année au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué et qu'il n'est pas contestable que le 5 septembre 1995, date à laquelle Monsieur DESHAYES a décidé d'engager son action, sa créance était prescrite. Il a en outre rappelé que les dispositions de la Convention européenne de sauvegardé des Droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent priver d'effét celles du droit interne relatives à la prescription de l'action en justice.
Monsieur DESHAYES ne peut donc rechercher que l'indemnisation des préjudices nés sur des griefs pour lesquels la Cour d'appel a été censurée pour s'être déclarée incompétente et ceux qui leurs sont connexes, en lien de causalité direct et certain avec son hospitalisation psychiatrique.
Monsieur DESHAYES reproche ainsi l'absence de notification des décisions d'admission du 14 avril 1984 et de maintien du 16 avril suivant, l'absence d'information sur la raison de sa détention, sur sa situation juridique et sur ses droits lors de son arrestation et de son internement, comme sur les particularités du traitement entrepris et poursuivi pendant et après son placement, sur l'absence de règlement intérieur conforme à l'article L 328 ancien du Code de la santé publique, l'absence de recherche de consentement au traitement et le défaut de contrôle du CHS par les autorités visées à l'article L.332 ancien du Code de la santé publique.
Complétant les prétentions initiales, les demandes, qui relèvent des faits consécutifs au transport et au placement au CHS, et qui tiennent aux modalités de prise en charge administrative et médicale, ainsi qu'aux modalités de contrôle du placement, et qui sont présentées pour la première fois devant la Cour, postérieurement à la décision du Tribunal des conflits par les conclusions de Monsieur DESHAYES en date du 5 octobre 2004 ne sont pas irrecevables.
Elles visent à reconnaître la responsabilité de la puissance publique, en l'espèce le CHS du MANS et la VILLE DU MANS.
Il ne saurait cependant être soutenu que les règles applicables à l'espèce sont les règles du droit administratif, s'agissant de faits susceptibles de constituer des atteintes à la liberté individuelle dont la réparation ne peut être restreinte par l'exigence d'une faute lourde.
Il s'ensuit que Monsieur DESHAYES est recevable à agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et que le régime de prescription applicable est celui de la prescription des actions en responsabilité civile extra contractuelle, soit dix ans, applicable aussi aux établissements publics et aux communes par l'effet de l'article 2227 du même code.
Il y a lieu de rappeler que la décision d'annulation des décisions de transfert et de placement est du 23 février 1993 et que Monsieur DESHAYES a assigné en responsabilité devant le tribunal de grande instance du MANS le 5 septembre 1996.
- sur le défaut de notification, de motivation et d'information
Monsieur DESHAYES a été conduit au CHS du MANS au vu d'un certificat médical établi au Centre Hospitalier du MANS eu égard à son comportement dans le service et l'intéressé a fait l'objet de divers soins.
Il relève du régime du placement volontaire et non du placement d'office.
Il n'est pas contesté que la décision n'a pas été notifiée et qu'il n'a pas été délivré d'information à l'intéressé.
L'article L.343 ancien du Code de la santé publique, qui prévoit des obligations de notifications aux autorités et à la famille de l'intéressé exclut, en raison même de son objet, l'application de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983. Monsieur DESHAYES ne peut donc se prévaloir du bénéfice des dispositions de la loi du 11 juillet 1979 et du décret 1983 susvisés sur la motivation des actes administratifs et l'information compte tenu de la spécificité de l'affection médicale en cause. Par ailleurs, les dispositions de l'article 5-2 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales qui stipule que toute personne arrêtée doit être informée dans le plus court délai des raisons de son arrestation et des accusations portées contre elles, ne garantissent pas un droit de notification.
- en ce qui concerne les autres griefs,
Il convient d'observer en premier lieu que Monsieur DESHAYES à l'appui de sa démonstration, prend en compte l'ensemble de sa situation, de ses traitements et de ses hospitalisations successives alors que la Cour n'est saisie que des faits survenus pendant la période du 14 avril au 19 mai 1984 et des préjudices qui ont pu en découler. Il en résulte qu'une partie de ses griefs et de son argumentation est hors débat.
La Cour, qui n'est pas compétente pour apprécier la pertinence d'un diagnostic médical, observe que Monsieur DESHAYES entré le 14 avril a été vu par le médecin chef le 20 avril puis par un autre médecin les 22 et 28 avril, 3 et 16 mai avant de sortir, sur demande de l'épouse et contre avis médical le 19 mai. Le défaut de règlement intérieur du CHS qu'ill allègue, et selon lequel il aurait dû bénéficier d'une double visite quotidienne - si avait été adopté le règlement intérieur type résultant de l'arrêté ministériel du 5 février 1938 modifié - n'a donc eu aucune incidence sur la nature et la durée de son traitement et de son séjour, et n'a été pour lui à l'origine d'aucun préjudice.
Si la décision d'admission a fait l'objet d'une annulation en raison de ses insuffisances formelles, il n'est pas en revanche démontré, au vu des pièces que Monsieur DESHAYES verse lui-même aux débats, et spécialement des fiches d'observations, qu'il était sans motifs médicaux et qu'un consentement libre et éclairé du malade pouvait utilement être recueilli.
Il est par ailleurs établi par la production de la fiche d'hospitalisations et du registre prescrit par l'article L.337 du Code de la Santé publique que le Maire du MANS, par son délégataire, a rempli ses obligations légales de surveillance, et que le registre a été visé par le procureur de la République qui a effectué la visite périodique.
Monsieur DESHAYES, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice moral de principe qui résulte de son placement au CHS, ne démontre pas, en conséquence, dans les limites de la saisine de la Cour après l'arrêt de cette Cour du 14 décembre 1998, de l'arrêt du Tribunal des Conflits du 22 mars 2004 et de l'arrêt du 15 juin 2004 de la cour de Cassation, l'existence d'un préjudice réparable en lien de causalité direct et certain avec des fautes distinctes de celles résultant de la voie de fait ou d'autres fautes déjà examinées par cette Cour.
Il sera en conséquence débouté de l'ensemble de ses demandes.
Sur les autres demandes
II sera alloué au CHS du MANS et à la Ville du MANS, chacun une somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile pour les frais exposés par eux à l'occasion de la procédure d'appel.
Monsieur DESHAYES qui échoue en son appel supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Vu l'arrêt de cette Cour du 14 décembre 1998, l'arrêt du Tribunal des Conflits du 22 mars 2004 et l'arrêt du 15 juin 2004 de la cour de Cassation ;
Rejette la demande de sursis à statuer ;
Déboute Monsieur DESHAYES de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne Monsieur DESHAYES à verser au CHS de la Sarthe et à la Ville du MANS chacun une somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne Monsieur DESHAYES aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT