TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE

1ère Chambre -Section A

04/00963

coll - contradictoire

JUGEMENT DU 12 MAI 2005

DEMANDEURS :

M. Omer VERMEERSCH

représenté par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

Mme Monique DUFOUR épouse VERMEERSCH

représentée par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

M. Christophe VERMEERSCH

représenté par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

Mlle Delphine VERMEERSCH

représentée par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

M. Sébastien VERMEERSCH

représenté par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

M. David VERMEERSCH

représenté par Me Dominique GUERY-SEKULA, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS :

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR

6 rue Louise Weiss, Bât. Condorcet, 75013 PARIS

représentée par Me Christian ROMBAUT, avocat au barreau de LILLE

COMMUNE DE VERLINGHEM

Hôtel de Ville

59237 VERLLNC.EIEM

représentée par Me Jean-François SEGARD, avocat au barreau de LILLE

CENTRE HOSPITALIER DE LOMMELET, 103 rue du Général Leclerc

59350 SAINT ANDRÉ

représentée par Me Jacques DUTAT, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Élisabeth POLLE-SENANEUCH, Vice-Président

Assesseur : Rose PERALES, Juge

Assesseur : Déborah BOHEE, Juge

 

Le dossier a été communiqué au Ministère Public

Greffier

Jacqueline BLAEVOET,

 

DÉBATS

Vu l'ordonnance de clôture en date du 01 Février 2005.

A l'audience en chambre du conseil du 17 Mars 2005, date à laquelle l'affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 12 Mai 2005.

JUGEMENT :

contradictoire, en premier ressort, et prononcé à l'audience publique du 12 Mai 2005 par Elisabeth POLLE-SENANEUCH, Président, assistée de Jacqueline BLAEVOET, greffier.

Exposé du Litige

1- Le Tribunal de Grande Instance de Lille est saisi d'une demande d'indemnisation suite à un internement d'office qui oppose :

- En demande : M. Orner VERMEERSCH, Mme Monique DUFOUR épouse VERMEERSCH et M. Christophe VERMEERSCH, Mlle Delphine VERMEERSCH, M. Sébastien VERMEERSCH et M. David VERMEERSCH, ses enfants,

- En défense : l'État Français, représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM, prise en la personne de son Maire et le Centre hospitalier de LOMMELET, représenté par son Directeur.

M. Orner VERMEERSCII a fait l'objet d'un placement d'office au Centre Hospitalier Ulysse TRELAT à Saint André, le 20 octobre 1987, suite à un arrêté pris en application de l'article L344 ancien du Code de la Santé Publique, par le Maire de la commune de VERLINGHEM. Cet arrêté faisait suite à un procès verbal d'enquête établi par le Maire et à un certificat médical du Docteur PLANCKE, médecin traitant de l'intéressé.

Par arrêté du 30 octobre 1987, le Préfet du Nord prononçait le placement d'office de M. VERMEERSCH au CHS de Lommelet à Saint André.

Le 08 février. 1988, M. VERMEERSCH a demandé au Président du Tribunal de Grande Instance de Lille d'ordonner sa sortie immédiate. Ce dernier a fait droit à sa demande, suivant ordonnance en date du 07 mars 1988.

M. VERMEERSCH est effectivement sorti le 18 mars 1988.

M. VERMEERSCH a alors saisi de plusieurs recours le Tribunal Administratif en vue de l'annulation des décisions ordonnant son placement d'office et l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 24 juin 1997, le Tribunal Administratif de Lille a annulé les arrêtés du Maire de la commune de VERLINGHEM et du Préfet du Nord pour défaut de motivation, mais s'est déclaré incompétent au profit de l'autorité judiciaire pour connaître des réclamations indemnitaires. La Cour Administrative d'Appel de Douai a, le 28 juin 2001, confirmé, sur ce point, le jugement.

2- Estimant que M. Omer VERMEERSCH a été victime d'un internement d'office illégal et abusif, les consorts VERMEERSCH, par actes d'Huissier de Justice en date des 22 et 24 décembre 2003 et 02 janvier 2004, ont fait assigner devant le Tribunal de ce siège l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET afin que ces derniers soient condamnés in solidum, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à verser les sommes de :

- 350.000 Euros à titre de préjudice moral. (pour atteinte à sa liberté, à son honneur et à sa réputation) et de 100.000 Euros à titre de préjudice économique à M. Omer VERMEERSCH,

- 100.000 Euros tous chefs de préjudice confondus à Mme Monique DUFOUR épouse VERMEERSCH

- 35.000 Euros tous chefs de préjudice confondus à M. Christophe VERMEERSCH,

- 35.000 Euros tous chefs de préjudice confondus à Mlle Delphine VERMEERSCH,

- 35.000 Euros tous chefs de préjudice confondus à M. Sébastien VERMEERSCH,

- 35.000 Euros tous chefs de préjudice confondus à M. David VERMEERSCH,

- 9150 Euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre le paiement des dépens dont distraction au profit de Maître GUERY-SEKULA.

Les consorts VERMEERSCII soutiennent en préliminaire que l'illégalité des arrêtés d'internement est en elle-même constitutive d'une faute justifiant une indemnisation spécifique, indépendante de l'appréciation du bien-fondé des mesures puisque l'annulation de l'arrêté de placement d'office prononcée par le juge administratif prive de tout fondement l'hospitalisation de M. VERMEERSCH et a bien pour conséquence de rendre la détention irrégulière, violant notamment l'article 5§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme.

Ils mettent en avant ensuite le défaut de notification des arrêtés de placement d'office : selon eux, le Maire de VERLINGHEM et le Préfet ont manqué à leur devoir d'information en n'y procédant pas, violant par là même l'article 8 de la loi du 17 juillet 1978 et les conventions internationales applicables aux personnes privées de liberté et empêchant M. VERMEERSCH d'exercer un recours, en temps utile, contre ces décisions administratives.

Ils relèvent également le défaut de notification des voies de recours .par le Centre Hospitalier de LOMMELET, contrevenant aux dispositions de l'article L351 ancien du Code de la Santé Publique.

Ils font remarquer, en outre que le Centre Hospitalier de LOMMELET n'était pas spécialement habilité à recevoir des aliénés placés d'office par le Préfet conformément à l'article L326-1 du Code de la Santé Publique.

Ils font valoir enfin que le placement d'office était injustifié puisque ni le Maire, ni le Préfet n'ont caractérisé l'état d'aliénation mentale ou l'imminence d'un danger pour la sûreté des personnes et l'ordre public.

A ce titre, ils relèvent :

- les insuffisances du certificat médical initial établi par le Docteur PLANCKE, médecin généraliste, qui ne démontre pas l'état d'aliénation de M. Omer VERMEERSCH au moment de son internement, et qui a été rédigé sans que ce dernier ne soit examiné,

- la violation des conditions imposées par les articles 343 et 344 du Code de la Santé Publique s'agissant de la nécessité de caractériser un état d'aliénation ou une dangerosité de l'intéressé,

- le défaut de justification médicale du placement et de sa prolongation dans le temps, au travers des certificats médicaux établis par le psychiatre qui a suivi M. Omer VERMEERSCH lors de son hospitalisation, le Docteur BRETON. A ce titre, ils constatent la faute commise par le Centre Hospitalier de LOMMELET qui n'a pas alerté l'autorité préfectorale de la nécessité d'élargir M. Omer VERMEERSCH.

Les consorts VERMEERSCH reprochent en outre au Préfet et au Centre Hospitalier de LOMMELET d'avoir exécuté tardivement la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Lille le 07 mars 1988, ordonnant la sortie immédiate de l'intéressé, qui n'est effectivement sorti que le 18 mars.

3- Par conclusions récapitulatives signifiées le 1er octobre 2004, l'Etat Français représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor demande au Tribunal de débouter les consorts VERMEERSCH et de les condamner au paiement des dépens.

En préliminaire, il conteste le principe d'une condamnation solidaire entre les défendeurs.

Il souligne le bien-fondé de la mesure d'internement d'office prise eu égard à l'état de santé de M. VERMEERSCH qui était dangereux pour lui-même, ses proches et à l'égard des tiers, mais aussi eu égard à son passé psychiatrique. Il met en avant le fait que M. VERMEERSCH, alors qu'il en avait la possibilité, n'a pas demandé la levée immédiate de son placement, souhaitant même poursuivre cette hospitalisation jusqu'aux fêtes de fin d'année.

Il relève également que le médecin traitant du CHS n'a pas préconisé de mesure de sortie, de sorte qu'il ne peut être reproché à l'État d'avoir maintenu M. VERMEERSCH en hospitalisation d'office, les services préfectoraux ne se prononçant qu'au vu des certificats médicaux présentés.

Il estime qu'aucun texte ne lui imposait de notifier l'arrêté de placement d'office, formalité qui devait être accomplie par l'établissement d'accueil.

Il soutient, en outre que les irrégularités formelles relevées par le juge administratif ne sauraient conduire à une indemnisation spécifique dès lors que l'hospitalisation d'office était médicalement justifiée.

S'agissant du préjudice allégué, il relève que le placement était rendu nécessaire par le climat familial, de sorte que les proches de M. VERMEERSCH ne peuvent prétendre à une indemnisation.

Il observe enfin que M. VERMEERSCH ne justifie par aucune pièce le préjudice qu'il invoque et ce alors qu'il a lui-même acquiescé à cette mesure.

 

4- Par écritures récapitulatives signifiées le 16 novembre 2004, la commune de VERLINGHEM conclut au débouté des demandes formulées et sollicite la condamnation des consorts VERMEERSCH à lui verser une indemnité de procédure de 2.000 euros outre le paiement des dépens.

Elle relève que la décision initialement prise par son Maire, et qui visait essentiellement à protéger M. Omer VERMEERSCH de lui-même, a été totalement confortée par les certificats médicaux établis lors de l'hospitalisation du requérant.

Elle fait valoir en outre n'avoir pris qu'une mesure provisoire, confirmée dix jours plus tard par le Préfet et que sa responsabilité doit être observée pour ce seul acte, contestant ainsi le principe de la solidarité évoqué par les demandeurs.

Elle conteste les montants réclamés à titre de préjudice, tant par M. VERMEERSCH lui-même qui ne le justifie par aucune pièce, que par sa famille, qui à l'époque, affirmait craindre les réactions de ce dernier.

 

5- Par écritures récapitulatives signifiées le 09 juin 2004, le Centre Hospitalier de LOMMELET conclut au débouté des demandes formulées et sollicite, subsidiairement, la condamnation de l'état à le relever de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre. Il demande également que la partie succombante soit condamnée à lui verser une indemnité de procédure de 1.000 euros outre le paiement des dépens, dont distraction au profit de la SCP DUTAT LEFEVFRE & ASSOCIÉS.

Il relève qu'il appartenait uniquement au Préfet de se prononcer sur la sortie du patient et qu'il lui a adressé en temps utiles les certificats médicaux prévus par la loi. Il soutient qu'au vu de ces certificats médicaux, M. VERMEERSCH présentait un danger rendant temporairement inopportune toute proposition de levée de la mesure de placement d'office.

Il indique avoir rempli son devoir d'information concernant les droits et voies de recours offerts au patient contre la mesure de placement d'office et, ce dès le début de sein internement et qu'à cet égard, M. VERMEERSCH a manifesté son intention de rester temporairement en hospitalisation d'office.

Il fait remarquer que son absence de règlement intérieur et d'habilitation spéciale ne présente aucun lien de causalité avec le préjudice invoqué.

Enfin, il fait valoir que l'ordonnance ordonnant la sortie immédiate de l'intéressé n'a été notifié qu'au Préfet, de sorte qu'aucun grief ne peut lui être imputé quant à la sortie tardive de M.VERMEERSCH.

 

6- Le Ministère Public a visé la procédure le 23 février 2004.

 

Motifs de la décision :

- Sur l'existence d'un droit à indemnisation résultant de la seule annulation par le juge administratif des arrêtés de placement d'office :

A ce titre, il convient de rappeler les considérants du jugement rendu dans cette affaire par le Tribunal Administratif de Lille le 24 juin 1997, qui a indiqué : "si l'autorité judiciaire est seule compétente pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement ; lorsque cette dernière s'est prononcée sur ce point, l'autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office ", confirmé par la Cour Administrative d'Appel le 28 juin 2001, en ces termes " il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire d'apprécier la nécessité de ces mesures et de statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités commises à l'occasion ou à la suite du placement d'office ".

Ces décisions sont aujourd'hui définitives et s'imposent au juge judiciaire.

En conséquence, le défaut de motivation des arrêtés de placement d'office pris tant par le Maire de la commune de VERLINGHEM que par le Préfet, qui a justifié leur annulation, a rendu, a posteriori, irrégulier le placement d'office de M. VERMEESCH.

Cela a ainsi créé pour ce dernier un droit à indemnisation de la part de l'État et de la commune de VERLINGHEM, indépendamment de l'appréciation du bien-fondé au fond de ce placement et de son maintien durant cinq mois, droit que le juge judiciaire doit examiner.

Néanmoins, dans la mesure où les consorts VERMEESCH ne formulent qu'une demande globale d'indemnisation, ce chef de préjudice sera examiné de manière globale, avec les éventuels autres manquements constatés.

 

- Sur le défaut de notification des arrêtés de placement d'office

M. VERMEESCH fait grief à la commune de VERLINGHEM et au Préfet de ne pas lui avoir notifié les arrêtés de placement d'office, l'empêchant d'exercer toute voie de recours contre ces décisions administratives.

Néanmoins, il convient de relever qu'outre le fait que l'inobservation éventuelle de cette formalité relève de la compétence du juge administratif, M. VERMEERSCH ne peut en tirer comme grief l'impossibilité d'avoir pu exercer toute voie de recours puisque la sanction d'un défaut éventuel de notification d'une décision administrative est justement de suspendre les délais de recours tant que la décision en cause n'est pas notifiée.

En conséquence, M.VERMEERSCH ne peut soutenir l'existence d'un préjudice tiré de ce point, et ce d'autant plus qu'il a obtenu leur annulation par le juge administratif.

 

- Sur le défaut de notification des voies de recours par le Centre Hospitalier de LOMMELET :

En vertu de l'article L351 ancien du Code de la Santé Publique, alors en vigueur, toute personne retenue dans un établissement accueillant des malades soignés pour troubles mentaux dispose de la faculté de se pourvoir par simple requête devant le président du Tribunal de Grande Instance du lieu de l'établissement.

Pour justifier avoir rempli son devoir d'information sur ce point, le Centre Hospitalier de LOMMELET verse uniquement aux débats le certificat de situation établi à la demande du Procureur de la République par le médecin traitant, le Docteur BRETON en date du 18 janvier 1988, qui mentionne que M. VERMEERSCH a été informé de l'ensemble de ses droits dès le début de son hospitalisation.

Néanmoins, cet élément à lui seul, qui a été rédigé plus de trois mois après l'hospitalisation d'office de M.VERMEERSCH et à la demande du Procureur de la République, ne démontre nullement que M.VERMEERSCH a bien été informé dès le début de cette mesure de l'intégralité de ses droits et notamment la possibilité de recourir au juge judiciaire pour remettre en cause son placement.

En outre, il convient de relever les termes de l'attestation de Mme LOYEN, membre d'une association de défense des droits constitutionnels, qui indique que c'est son mari qui a appris à M. VERMEERSCH ses droits en janvier 1988 et l'a ainsi aidé à former son recours devant le Tribunal de Grande Instance.

En conséquence, il convient de relever la faute commise par le Centre Hospitalier de LOMMELET sur ce point et de dire qu'elle a causé un préjudice à M.VERMEERSCH qui n'a pu exercer, plus rapidement, les recours contre son hospitalisation d'office qu'il contestait.

 

- sur l'absence d'habilitation du Centre Hospitalier de LOMMELET et de règlement type au sein de l'hôpital :

M.VERMEERSCH met en avant ces deux éléments en les caractérisant de graves manquements aux dispositions légales destinées à protéger les individus de l'arbitraire.

Néanmoins, force est de constater que M.VERMEERSCH ne tire aucun grief de ces considérations et ne justifie d'aucun lien avec le préjudice allégué.

En conséquence, il ne saurait réclamer l'indemnisation d'un préjudice à ce titre.

 

- Sur le bien- fondé du placement d'office :

Selon l'article L344 ancien du Code de la Santé Publique, " en cas de danger imminent attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, les maires dans les autres communes ordonneront à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale toutes les mesures provisoires nécessaires à charge d'en référer dans les 24 heures au Préfet qui statuera sans délai ".

Et l'article L343 ancien du Code de la Santé Publique dispose " les préfets ordonnent d'office le placement dans un établissement d'aliénés de toute personne ....dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes. Les ordres des Préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendues nécessaires... ".

En préliminaire, il importe de rappeler que le Tribunal Administratif de Lille, le 24 juin 1997, confirmé en appel, a annulé :

- l'arrêté municipal du 20 octobre 1987, pour défaut de motivation, comme se référant à un certificat médical n'apportant pas de précisions suffisantes sur l'état mental de M. VERMEERSCH,

- l'arrêté préfectoral comme étant insuffisamment motivé puisque se référant au certificat médical en cause et ne faisant apparaître aucune dams circonstances ayant rendu nécessaire la mesure d'internement.

Les décisions ainsi rendues sont désormais revêtues de l'autorité de la chose jugée et s'imposent au juge judiciaire qui reste ensuite seul compétent pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique et les conséquences dommageables qui peuvent en résulter.

Ainsi, il convient de souligner, à nouveau, les insuffisances du certificat médical initial établi le 20 octobre 1987 par le Docteur Eric PLANCKE, médecin traitant de M. VERMEERSCH, qui ne l'a pas examiné à cette occasion, certificat rédigé en ces termes:

" Je soussigné certifie que M. VERMEERSCH Omer présente un état de santé le rendant dangereux pour lui-même et autrui et nécessite son placement d'office ".

Par ailleurs, pour justifier l'hospitalisation de M. VERMEERSCH, un procès verbal d'enquête a été établi le 20 octobre 1987, par le maire de la commune de VERLINGEM en ces termes : " Après avoir enquêté dans le voisinage, il appert que M. Omer VERMEERSCH, garagiste (..) présente des troubles mentaux avec violence et que son comportement est dangereux pour lui-même et pour la société. En conséquence, nous déclarons qu'il est urgent de faire admettre M. Omer VERMEERSCH au Centre Hospitalier Spécialisé de LOMMELET à SAINT-ANDRÉ pour y recevoir les soins que nécessite son état.(..). ". A ce titre, si la dangerosité de M.VERMEERSCH est clairement affirmée, aucun fait ou comportement, précisément décrits ne vient soutenir ce point, ne permettant donc pas de justifier son placement.

Au surplus, la lecture du procès verbal établi par les gendarmes à l'occasion de l'internement de M.VERMEERSCH permet de confirmer l'absence de preuve d'aliénation mentale puisque, s'il est mentionné que M.VERMEERSCH est à leur arrivée " dans un état d'excitation avancé ", ces derniers précisent " lors du transport M. VERMEERSCH est calme et très lucide. De notre avis, il ressort que M. VERMEERSCH est effectivement très nerveux, qu'il a de nombreux problèmes familiaux. Il consacre son temps que pour son métier de garagiste. D'aube part, il ne possède aucun antécédent judiciaire et il est très estimé de ses clients ".

Enfin, le recours au placement d'office est même remis en cause par le Docteur BRETON, qui à l'occasion du certificat de 24 heures, constate que M.VERMEERSCH présente " une personnalité névrotique de type phobique (..), néanmoins, il ne présente pas d'état psychotique aigu (.) On peut discuter de la légitirnité du recours à un placement d'office. Néanmoins, on peut estimer judicieux de considérer nécessaire une hospitalisation d'une quinzaine de jours, à titre provisoire, pour lui permettre de se détendre et de l'aider à prendre de la distance ".

Ainsi, force est de constater que les conditions posées par les articles susvisés ne sont pas remplies au vu des seules pièces qui ont été rédigées à l'appui de l'hospitalisation d'office de M.VERMEERSCH et dans les 24 heures qui ont suivi son internement et qu'à ce titre, tant la commune de VERLINGHEM que le préfet ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité à l'encontre de M. VERMEERSCH.

Les consorts VERMEERSCH mettent en cause également les justifications médicales du maintien du placement de M.VERMEERSCH qui est resté hospitalisé contre son grès du 20 octobre 1987 jusqu'au 18 mars 1988, soit près de cinq mois.

De fait, à la lecture des certificats médicaux établis lors de l'hospitalisation de M. VERMEERSCH, s'il apparaît que ce dernier présentait des signes de névrose, aucun autre élément ne permet de le rattacher aux individus pouvant être concernés par un internement prolongé en tenue " d'aliénation compromettant l'ordre public ou la sûreté des personnes ".

A titre d'exemple, dans le certificat de quinzaine établi par le Docteur BRETON, le 04 novembre 1987, il est écrit " on ne relève aucun signe de psychose chez cet homme (...) Il y a donc lieu de s'interroger sur la nécessité de maintenir un placement d'office et s'il n'y aurait pas à offrir à l'équipe de secteur la possibilité de négocier librement avec le patient les conditions de la poursuite du séjour hospitalier. "

Le certificat de situation, établi par ce même praticien, le 30 novembre 1987, mentionne " mon opinion est que le placement d'office n'a pas à être maintenu trop longtemps.(…) Je suis surpris que dans cette affaire, il n'y ait pas eu un simple recours à un placement volontaire,_qui aurait à mon avis pu suffire, fait par un membre de la famille telle l'épouse par exemple. "

Le certificat de situation établi à la demande de M. le Procureur de la République, le 18 janvier 1988, toujours par le Docteur BRETON indique " Nous ne pouvons donc confirmer que l'internement sous le régime du placement d'Office soit justifié à nos yeux. Nous ne l'avons d'ailleurs jamais écrit dans nos certificats antérieurs, nous limitant à rédiger une description de l'état du patient (..) ". Néanmoins, le Docteur BRETON faisant état de menaces proférées par M.VERMEERSCH, ne proposait pas de mainlevée du placement au Préfet et suggérait le recours à une expertise psychiatrique.

Enfin, le certificat médical de situation rédigé le 26 février 1988, conclut " Nous avons toujours mis en doute cette décision [concernant l'hospitaliantion d'office], car pour nous ce patient, malgré ses difficultés psychologiques ne répond pas aux critères de malade mental au sens de la loi du 30 juin 1838, réservé aux " insensés " en état de démence dangereux pour l'ordre public. " Il était au moment de sa réhospitalisation dans le service, certes très nerveux, excité, menant un jeu de bravade, mais conscient de ses actes, et donc responsables de ceux-ci. Toutefois, compte tenu de son fond d'excitation, de ses attitudes de bravade, de ses menaces téléphoniques à l'égard de certains de nos confrères, de propos agressifs tenus devant nous, nous nous sommes trouvés dans l'impossibilité de demander la levée du placement d'office, d'autant qu'il nous disait ne pas envisager au delà de celui-ci de poursuivre un séjour dans le cadre d'un contrat de service libre. "

A la lecture de cet ensemble d'éléments, il apparaît que, si M.VERMEERSCH a pu présenter des perturbations sur le plan mental et un déséquilibre émotionnel, rien dans l'état de son comportement relaté par le psychiatre qui le suivait ne justifiait que soit ordonnée et prolongée cette mesure d'hospitalisation d'office.

Il convient de rappeler en effet, que ce type de placement, particulièrement attentatoire à la liberté individuelle, ne peut être justifié uniquement que dans les cas spécifiés par la loi. Il ne peut être destiné à s'assurer de risques potentiels ou de la poursuite de soins d'une manière plus pratique car pouvant être imposée à un patient, ce qui était manifestement le cas en l'espèce.

A ce titre, le Centre Hospitalier de LOMMELET se devait de tirer les conséquences de ses propres avis et d'attirer l'attention du Préfet sur la nécessité de mettre fin à une mesure non justifiée par l'état du patient et ce alors qu'il est rappelé à de nombreuses reprises les interrogations quant à l'emploi de cette procédure particulièrement grave et strictement encadré par la loi.

En outre, il peut être également reproché à l'autorité préfectorale qui était rendue destinataire de ces certificats médicaux de ne pas avoir pris toute mesure utile pour vérifier le bien-fondé de cet internement, qui était pourtant clairement mis en doute par l'autorité médicale, et ainsi mettre fin à cette mesure particulièrement grave et coercitive quant à ses conséquences pour M.VERMEERSCH.

En agissant de la sorte, les services préfectoraux ont également commis une faute engageant la responsabilité de l'État à l'encontre de VERMEESCH.

Par ailleurs, le simple fait que, dans le passé, M.VERMEERSCH ait subi des soins psychiatriques ne peut constituer un argument probant quant au choix de cette hospitalisation d'office.

En outre, s'il est relaté dans certains certificats médicaux que M. VERMEERSCH ait fait part de sa volonté de poursuivre son internement temporairement, force est de constater que rien dans son comportement ultérieur ne vient soutenir ces propos et, ce alors qu'il démontre avoir contesté cette mesure dès que des tiers l'ont mis en mesure de le faire, en lui donnant connaissance de ses droits.

- Sur la tardiveté de la sortie de M. VERMEERSCH :

Il est constant que suivant ordonnance rendue le 07 .mars 1988, le Président du Tribunal de Grande Instance de Lille a ordonné la sortie immédiate de M.VERMEERSCH, qui n'a été effective que le 18 mars 1988, soit onze jours plus tard.

Il ressort des pièces versées aux débats que l'ordonnance a été notifié tant au service de l'État (via le DDASS) qu'au Centre Hospitalier de TOMMELET.

Néanmoins, il convient de constater que cette ordonnance a été reçue par les services de l'État, le 17 mars 1988, suivant le cachet apposé, de sorte qu'il est permis de s'interroger quant à la date d'expédition et aux délais de notification de cette ordonnance, sans qu'aucune faute ne puisse être reprochée tant au Préfet qu'au Centre Hospitalier de LOMMELET quant à la sortie tardive de M.VERMEERSCH.

Pour l'ensemble de ces motifs, il convient de considérer que les manquements, carences et insuffisances imputables tant au Préfet, qu'à la commune de VERLINGHEM qu'au Centre Hospitalier de LOMMELET engagent leur responsabilité respective, en concourant de façon solidaire à la mesure privative de liberté imposée à M.VERMEERSCH du 20 octobre 1987 au 18 mars 1988, et dont les pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir de manière probante la nécessité et le bien-fondé.

- Sur le préjudice :

La privation de liberté subie du 20 octobre 1987 au 18 mars 1988 et l'atteinte à sa réputation et à son honneur, qui en ont résulté, au regard notamment de son arrestation publique sur son lieu de travail et de la durée injustifiée de cette mesure, ont causé un préjudice moral à M. VERMEERSCH qui appelle à titre de juste réparation la somme de 100.000 Euros.

M. VERMEERSCH invoque également un préjudice économique dont il demande l'indemnisation à hauteur de 100.000 Euros.

Néanmoins, faute de ne le justifier par aucune pièce, il convient de le débouter de ce chef de demande.

Mme DUFOUR épouse VERMEERSCH sollicite une indemnisation à hauteur de 100.000 Euros.

S'il convient de relever à ce titre qu'elle a bien subi lui préjudice moral du fait de l'internement injustifié de son époux intervenu dans de telles conditions fautives, qui doit être réparé, force est de constater qu'aux termes des ces écritures, l'argumentation le concernant ne permet au Tribunal que de lui allouer une somme de 35.000 Euros, étant relevé au surplus que lors de son audition. par les services de la Gendarmerie le 21 octobre 1987, elle a confirmé le caractère agressif de ce dernier à son encontre et vis à vis de leurs enfants, évoquant des violences.

S'agissant des demandes d'indemnisation formulée par chacun des quatre enfants de M. VERMEERSCH à savoir M. Christophe VERMEERSCH, Mlle Delphine VERMEERSCH, M. Sébastien VERMEERSCH et M. David VERMEERSCH à hauteur de 35.000 Euros, il convient de relever de la même façon, que l'argumentation développée au soutient de leur demande ne permet au Tribunal que de leur allouer à chacun à titre de dommages et intérêts, la somme de 10.000 Euros, en réparation de leur préjudice moral du fait de l'hospitalisation d'office injustifiée subie par leur père.

- Sur la demande de garantie formulée par le Centre Hospitalier de LOMMELET à l'encontre de l'État :

Dans la mesure où il a été relevé des fautes distinctes commises par le Centre Hospitalier de LOMMELET à l'occasion de l'hospitalisation d'office de M.VERMEERSCH, ce dernier ne saurait se voir garantir par l'État.

- Sur l'exécution provisoire :

La nature et l'ancienneté du litige commandent d'assortir le présent jugement de l'exécution provisoire.

- Sur les demandes annexes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts VERMEERSCH les frais irrépétibles engagés dans ce procès.

Il y a donc lieu de condamner in solidum l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET à leur payer à ce titre la somme de 2.000 euros, outre le paiement des dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître GUERY-SEKULA.

Il convient en outre de débouter les parties défenderesses, succombantes de leur demande d'indemnités de procédure.

PAR CES MOTIFS,

 

- Déboute les consorts VERMEERSCH de leurs demandes relatives au défaut de notification des arrêtés, au défaut d'habilitation du Centre Hospitalier de LOMMELE'T et de règlement intérieur ainsi que celle liée à la tardiveté de la sortie de M.VERMEERSCH,

- Déclare l'État représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET responsables des dommages résultant du placement d'office de M.VERMEERSCH du 20 octobre 1987 au 18 mars 1988,

- Condamne, en conséquence, in solidum, l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET à payer :

- 100.000 Euros (cent mille euros) en réparation de son préjudice moral à M. Omer VERMEERSCH,

- 35.000 Euros (trente cinq mille euros) tous chefs de préjudice confondus à Mme Monique DUFOUR épouse VERMEERSCH,

- 10.000 Euros (dix mille euros) tous chefs de préjudice confondus à M. Christophe VERMEERSCH,

- 10.000 Euros (dix mille euros) tous chefs de préjudice confondus à Mlle Delphine VERMEERSCH,

- 10.000 Euros (dix mille euros) tous chefs de préjudice confondus à M. Sébastien VERMEERSCH,

- 10.000 Euros (dix mille euros) tous chefs de préjudice confondus à M. David VERMEERSCH,

- Déboute M. VERMEERSCH de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice économique,

- Déboute le Centre Hospitalier de LOMMELET de sa demande de garantie formulée contre l'État,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

- Condamne in solidum l'Agent Judiciaire du Trésor, la. commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET à verser aux consorts VERMEERSCH la somme de deux mille euros (2.000 euros) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ;

- Déboute l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET de leur demande formulée au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile,

- Condamne in solidum l'Agent Judiciaire du Trésor, la commune de VERLINGHEM et le Centre Hospitalier de LOMMELET au paiement des frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître GUERY-SEKULA.

La Greffière,                          La Présidente,