LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL
DE
PARIS
No OIPA02667
REPUBLIQUE
FRANÇAISE
M.André BITTON
AU
NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Mme Cartal
Président
La
Cour administrative d'appel de Paris
Mme Descours‑Gatin
Rapporteur (3
ème Chambre A)
Mme Folscheid
Commissaire du gouvernement
Audience du 9 mars 2005
Lecture du 23 mars 2005
Vu la requête, enregistrée le 9 août 2001, présentée
pour M. André BITTON, par la SCP Mayet, Dervieux, Perrault; M. BITTON demande
à la cour :
1°) d'annuler le jugement n' 975395 en date du
26 février 2001 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté
sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray
Vaucluse à lui verser les sommes de 69 000 F et de 708 000 F, avec intérêts
;
2°) de condamner le centre hospitalier spécialisé
Perray Vaucluse à lui payer la somme de 69 000 F avec intérêts à compter du
5 juin 1994, à titre de complément de salaire ainsi que la somme de 708 000
F avec intérêts à compter du 14 juin 1994 au titre du préjudice moral subi
du fait d'une rémunération insuffisante pour les travaux effectués au titre
de l'ergothérapie durant son séjour dans ce centre hospitalier du 25 juin
1986 au 1er mars 1988
3°) de condamner le centre hospitalier spécialisé
Perray Vaucluse à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article
L. 761 ‑1 du code de justice administrative ;
M. BITTON soutient que le code du travail s'applique
à l'ergothérapie, à moins qu'un texte spécifique de nature législative n'exclut
l'application de ce code dans ce cas ; qu'il n'existe pas de loi dérogeant à
l'application du droit commun pour l'ergothérapie ; que, si le Tribunal
administratif de Versailles énonce que la rémunération due au titre de l'ergothérapie
a comme fondement légal l'article 7 de la loi du 30 juillet 1898 sur laquelle
repose l'arrêté du 4 février 1958, cet arrêté est pris non pas en application
de la loi du 30 juillet 1898, mais de la loi du 30 juin 1838 ; que le visa de
l'article 7 de cette loi de 1838
n'emporte pas exclusion de l'application du code du travail puisque cette loi
ne concerne pas le travail que peut effectuer une
personne dans le cadre d'une
hospitalisation, mais seulement les modalités d'entrée et de sortie des
hospitalisations ; que les personnes hospitalisées, qui sont soumises à des
horaires précis et réguliers et doivent exécuter des tâches déterminées dans le
centre hospitalier, effectuent un véritable travail ; que leur rémunération est
donc un salaire qui doit correspondre à un salaire minimum et équitable,
conformément aux dispositions de l'article 4 de la charte sociale européenne ;
que durant son hospitalisation il était chargé de faire la vaisselle et
diverses autres tâches ménagères pénibles et qu'on ne peut soutenir que le
travail dont il était chargé était strictement thérapeutique, d'autant qu'il
était sous rémunéré
Vu le jugement attaqué
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 9 septembre
2002, présenté pour M. BITTON, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par
les mêmes moyens ; M. BITTON soutient en outre que, dès le mois d'août 1990, il
avait saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à
l'annulation de son placement d'office en date du 7 février 1986 et que cet
acte de procédure a interrompu la prescription ; qu'au surplus, le centre
hospitalier spécialisé Perray Vaucluse étant un établissement public, la
prescription qui lui a été opposée ne serait pas celle de l'article 2277 du
code civil et ne pourrait en aucun cas être soulevée par l'avocat du centre
hospitalier ;
Vu le mémoire en duplique, enregistré le 26 décembre
2002, présenté pour le centre hospitalier Perray Vaucluse, qui conclut aux
mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ; le centre hospitalier
soutient en outre que la demande présentée par M. BITTON devant le Tribunal
administratif de Paris au mois d'août 1990 ne tendait nullement à la
réclamation de ce qu'il prétendrait être des salaires et qu'il n'a fait état
d'une telle prétention pour la première fois que par sa requête du 8 août 1995
, que M. BITTON ne mentionne pas quelle serait la prescription applicable ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 17 avril 2003,
présenté pour M. BITTON, qui conclut comme précédemment par les mêmes moyens
; M. BITTON soutient en outre que la demande qu'il a présentée au mois d'août 1990 tendant
à l'annulation de la décision ordonnant son placement d'office est manifestement
de celles qui interrompent la prescription au sens de l'article 2244 du code
civil ;
En application de l'article R. 611‑7 du code
de justice administrative, les parties avant été informées de ce que l'examen
de la requête était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 février 2005,
produit pour NI. BITTON en réponse au moyen d'ordre public qui lui a été
communiqué ; M. BITTON sollicite de la cour qu'elle se déclare incompétente au
profit du juge judiciaire pour l'examen des conséquences du maintien en service
libre pour la période comprise entre le 25 juin 1986 et le 1" mars 1988,
qui est constitutif d'une voie de fait ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 mars 2005, produit
pour le centre hospitalier PerrayVaucluse en réponse au moyen d'ordre public
qui lui a été communiqué ; le centre hospitalier soutient que, contrairement à
ce que soutient M. BITTON, son maintien en hospitalisation libre à compter du
25 juin 1986 n'est pas constitutif d'une voie de fait ; que, si l'arrêt de la
cour en date du 4 décembre 2001 a annulé la décision de placement libre en date
du 25 juin 1986, la cour n'en a pas pour autant déduit que le maintien en
hospitalisation libre constituait une voie de fait ; que, selon la
jurisprudence, les tribunaux judiciaires ne sont compétents que pour statuer
sur les conséquences dommageables des irrégularités entachant la mesure de
placement d'office
Vu les autres pièces du
dossier
Vu le code de la santé
publique
Vu l'arrêté ministériel du 4 février 1958 relatif à
l'organisation du travail thérapeutique dans les hôpitaux psychiatriques ,
Vu le code de justice administrative
Les parties ayant été régulièrement averties du jour
de l'audience ,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique
du 9 mars 2005
‑ le rapport de Mme Descours‑Gatin,
rapporteur,
‑ les observations de Me Mir, pour M. BITTON,
‑ et les conclusions de Mme Folscheid,
commissaire du gouvernement
Considérant que M. BITTON, qui demande la condamnation
du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui payer la somme de 69
000 F à titre de complément de salaire ainsi que la somme de 708 000 F au
titre du préjudice moral qu'il aurait subi du fait d'une rémunération insuffisante
pour les travaux effectués au titre de l'ergothérapie durant son séjour dans
ce centre hospitalier du 25 juin 1986 au 1er mars 1988, doit être regardé
comme ne demandant l'annulation du
jugement du Tribunal administratif de Versailles qu'en tant que ce jugement a rejeté ses conclusions
indemnitaires pour la période comprise entre le 25 juin 1986 et 1e ler mars
1988, au cours de laquelle il a été admis au centre hospitalier en service
libre ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la
suite de l'abrogation, par arrêté du préfet de police du 23 juin 1986, de
l'arrêté en date du 7 février 1986 portant placement d'office au centre
hospitalier spécialisé Perray‑Vaucluse de M. BITTON, ce dernier a alors
été retenu, à compter du 25 juin 1986, au service libre de cet établissement
sur le seul fondement d'un bulletin d'admission motivé par le médecin chef de
l'établissement par l'état de santé de l'intéressé et signé par le directeur du
centre
Considérant que, par un arrêt en date du 4 décembre
2001, la cour de céans a annulé la décision en date du 25 juin 1986 par
laquelle M. BITTON a été admis en service libre au centre hospitalier
spécialisé Perray Vaucluse à compter de cette date au motif qu'il n'était ni
établi que l'intéressé ait présenté une demande ni que son consentement à
l'hospitalisation libre ait été recueilli, ni davantage établi qu'il ait été
informé du passage du régime de placement d'office à celui de l'hospitalisation
libre ;
Considérant qu'une personne majeure présentant des
signes de maladie mentale, ne peut
être retenue
contre son gré dans un établissement d'hospitalisation que pendant le temps
strictement nécessaire à la mise en oeuvre des mesures d'internement d'office
ou de placement volontaire prévues par le code de la santé publique ; que
M. BITTON s'étant refusé à demander son placement volontaire, il appartenait
à l'administration hospitalière, dans le cas où les médecins de l'hôpital
estimaient que le maintien de ce patient en milieu psychiatrique s'imposait,
dans son intérêt ou celui des tiers, de demander à l'autorité préfectorale
d'user des pouvoirs qu'elle tient des dispositions du code de la santé publique,
et, notamment, de son article L. 350 ; que, dès lors, en l'absence de tout
titre l'autorisant légalement, le maintien contre son gré de M. BITTON au
centre hospitalier spécialisé Perray‑Vaucluse jusqu'au 1er mars 1988
a constitué une voie de fait ;
Considérant que l'action en réparation de l'ensemble
des dommages résultant de cette voie de fait relève de la compétence des
tribunaux judiciaires ; qu'il en va ainsi tant du préjudice résultant de la
privation de liberté du fait du maintien contre son gré de M. BITTON en service
psychiatrique, que de l'indemnité correspondant aux allocations que l'intéressé
aurait été en droit de percevoir si les activités d'ergothérapie avaient été
légalement pratiquées ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement en
date du 26 février 2001 du Tribunal administratif de Versailles en tant qu'il
s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de M. BITTON tendant à la
condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui verser les
sommes de 69 000 F et de 708 000 F et de rejeter sa demande de première
instance comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître
Sur
l'application des dispositions de l'article L. 761‑1 du code de Justice
administrative :
Considérant qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances
de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761‑1
du code de justice administrative ;
D É C I D E
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles
en date du 26 février 2001 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de
M. BITTON tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray
Vaucluse à lui verser les sommes de 69 000 F et de 708 000 F.
Article 2 : La demande présentée devant le Tribunal
administratif de Versailles par M. BITTON est rejetée comme portée devant une
juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le sur‑plus des conclusions de la requête
de M. BITTON et les conclusions du centre hospitalier Perray Vaucluse tendant
à l'application de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative
sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. André BITTON
et au centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse. Copie en sera adressée au
ministre des solidarités, de la santé et de la famille.