2025-01-27 (Mediapart) Un expert psychiatre radié par le Conseil de l’ordre des médecins du Grand - Est

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/877

Document du vendredi 25 avril 2025
Article mis à jour le 26 avril 2025
par  A.B., antoine

Le Monde 20 janvier 2025. A Strasbourg, la radiation d’un expert psychiatre, déjà sanctionné par le passé, interroge cliquer ici

Ainsi que : 2012-01-03 - Deux psychiatres médecins-chefs du CH Sainte-Anne suspendus par le Conseil de l’ordre des médecins


À Strasbourg, un expert psychiatre radié pour des pratiques expéditives et dégradantes

Mediapart, 27 janvier 2025, par Guillaume Krempp (Rue89 Strasbourg),
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Article de Mediapart du 27.01.25

Strasbourg (Bas-Rhin).– L’expert psychiatre Henri Brunner a été radié de l’ordre des médecins. La chambre disciplinaire du Grand Est a publié cette décision le vendredi 10 janvier. Elle intervient à l’issue d’une audience qui s’est tenue vendredi 13 décembre. Sept plaintes y ont été examinées. La première émane de cinq médecins. Les autres signalements viennent de victimes des expertises brutales, expéditives et dégradantes de l’ancien chef de service de l’hôpital psychiatrique de l’Epsan, à Strasbourg. Notre partenaire Rue89 Strasbourg s’est procuré le document de la décision, afin de rendre compte des arguments employés pour fonder cette sanction.

Décision du Conseil de l’Ordre des médecins

La chambre disciplinaire estime que le Dr Henri Brunner a méconnu trois articles du Code de la santé publique, dont l’un concerne « le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ». Les quatre médecins et le juge administratif à l’origine de cette décision citent plusieurs expertises de l’expert psychiatre strasbourgeois : « À l’examen, on est en présence d’une personne particulièrement corpulente (elle déclare 90 kilos pour 1,70 mètre, mais elle minimise par coquetterie) et souriante, qui se révèle volubile et envahissante au point de s’emparer de l’interlocuteur dont par ailleurs elle ne tient aucun compte, labile entre le sourire et les pleurnicheries, puériles et théâtrales. »

La formation collégiale décrit des « jugements de valeur formulés de manière très désobligeante à l’égard des personnes examinées et souvent formulés au regard de l’aspect physique de celles-ci ». « Le Dr Brunner a gravement méconnu les dispositions de l’article R. 4127-2, 4127-3 et R4127-7 du Code de la santé publique », continue la chambre disciplinaire qui souligne enfin les témoignages concordants sur un expert psychiatre « particulièrement agressif à l’égard des personnes examinées, remettant fréquemment en cause leurs dires, y compris dans des domaines étrangers à toute pratique médicale, et refusant de prendre connaissance des documents qu’elles souhaitaient voir pris en compte ».

L’article R4127-56 du Code de la santé publique oblige les médecins à « entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité ». Le Dr Henri Brunner n’a pas respecté cette obligation, selon la chambre disciplinaire, qui cite deux exemples, dont l’expertise de Corinne, victime d’emprise et de violences sexuelles de la part d’un prêtre au cours de son enfance : « Il semble bien en effet qu’il y ait eu des praticiens pour se faire prendre au piège d’un miroir aux alouettes, sur lequel il est vrai que Mme L. insiste lourdement mais ce n’est pas une raison pour être fasciné à ce point-là. »

Les certificats de complaisance

Pour la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins du Grand Est, les témoignages de plaignantes convergent vers une méthode problématique chez l’expert psychiatre strasbourgeois. Le Dr Brunner les « accueille de manière particulièrement intimidante », « n’hésite pas à remettre en doute la réalité de l’événement traumatique à l’origine de leur pathologie ».

À cela s’ajoute « un refus de prendre véritablement connaissance des éléments médicaux dont font état les personnes examinées, lesquelles sont souvent invitées à se taire ». Cette façon d’expertiser se trouve aux antipodes de la science puisqu’elle « permet au médecin poursuivi de conforter sa première impression qui n’est fondée sur aucun élément scientifique […] et de rendre des conclusions généralement conformes aux attentes de l’entité qui a sollicité l’expertise ».

Les médecins et le juge administratif affirment enfin que les entretiens de dix à vingt minutes du Dr Henri Brunner sont insuffisants « pour procéder à une véritable expertise dans le domaine psychiatrique ».

« Le Dr Brunner a amplement méconnu les dispositions précitées des articles R4127-28 et R4127-33 », conclut la chambre disciplinaire. Ce premier article porte sur l’interdiction de délivrer des rapports tendancieux ou des certificats de complaisance. Le second oblige le médecin « à toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ».

Déjà sanctionné par le passé

La chambre disciplinaire estime enfin que le Dr Henri Brunner a violé le secret professionnel qui s’impose aux médecins. Dans deux expertises, il révèle des éléments sur la santé mentale du frère du patient. La décision de radiation se base notamment sur la révélation, dans ses comptes rendus d’expertise, « d’éléments médicaux portés à sa connaissance lors de l’examen qui n’étaient pas utiles à l’élaboration des réponses aux questions posées ».

La chambre disciplinaire de l’ordre des médecins du Grand Est rappelle aussi que le psychiatre avait déjà été sanctionné par le passé, en 2016 et 2018, et conclut en ces termes : « Au vu du caractère particulièrement grave et répété sur une longue durée des manquements du Dr Brunner, qui n’a tenu aucun compte des sanctions disciplinaires prononcées antérieurement par la juridiction ordinale en raison de son attitude envers les personnes examinées, et qui n’a nullement pris conscience du caractère fautif de son comportement, il y a eu lieu de prononcer à son encontre la sanction de radiation du tableau de l’ordre. »

Henri Brunner a annoncé lundi 20 janvier au Monde qu’il ferait appel de cette décision. Déjà expert honoraire, il peut donc reprendre ses expertises psychiatriques à l’attention des tribunaux, de l’inspection du travail ou d’autres organismes jusqu’à ce que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins se prononce. Une procédure qui pourrait durer entre une et deux années.

À la suite de la décision en première instance, un collectif des victimes du Dr Henri Brunner s’est créé, dans le but de collecter d’autres témoignages de personnes se déclarant victimes des expertises du psychiatre. L’objectif est également d’obtenir des indemnités en réparation des préjudices subis par les conclusions de ces rapports, si la radiation du psychiatre strasbourgeois devait être confirmée.

Guillaume Krempp (Rue89 Strasbourg)