2024-06-07 - Sur décision du Défenseur des droits le Dr Mathieu Bellahsen est officiellement lanceur d’alerte

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/871

Document du dimanche 23 février 2025

par  A.B.

2020-06-19 - Recommandation en urgence de la CGLPL relative à l’EPSM de Moisselles

2021-06-20 - Chasse aux sorcières à l’EPSM Roger Prévot de Moisselles

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Lettre de la Défenseure des droits au Dr Mathieu Bellahsen

Décision du Défenseur des droits.

Monsieur Mathieu BELLAHSEN
XXXXXXXXX XXXXXXXXX

Paris, le 7 juin 2024

A rappeler dans toute correspondance :
N/Réf : XXXXXX
Interlocuteur : XXXX Téléphone : XXXX
Courriel : XXXXX
XXXXX
Lettre recommandée avec accusé de réception (et copie par courriel)
Objet : Notification de décision

Monsieur,

Vous avez saisi le Défenseur des droits en votre qualité de praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie exerçant vos fonctions au sein de l’établissement public de santé Roger Prévot. Vous estimez avoir fait l’objet de mesures de représailles dans l’exercice de ses fonctions depuis votre signalement d’une alerte.

L’enquête diligentée par mes services a permis de considérer que vous avez fait l’objet de mesures de représailles après avoir lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi.

Par suite, j’ai décidé d’adopter la décision nº 2024-086, dont vous trouverez ci-joint une copie, portant observations devant votre le tribunal administratif de Cergy- Pontoise conformément aux dispositions de l’article 33 de la loi organique nº 2011- 333 du 29 mars 2011.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de toute ma considération.

Claire HÉDON


Décision du Défenseur des droits

Paris, le 7 juin 2024.

La Défenseure des droits,

Vu l’article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la loi organique nº 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;

Vu le décret nº 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits ;

Vu la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

Vu le code de la santé publique ;

Saisie par M. Mathieu BELLAHSEN, praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie, qui s’estime victime de mesures de représailles après avoir signalé une alerte dans les conditions prévues par la loi ;

Décide de présenter les observations suivantes devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par l’intéressé.

Claire HÉDON.


Observations en application de l’article 33 de la loi organique nº 2011-333 du 29 mars 2011

1. Le Défenseur des droits a été saisi de la situation de M. Mathieu BELLAHSEN, praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie qui estime avoir fait l’objet de mesures de représailles depuis son signalement d’une alerte dans les conditions prévues par la loi.

FAITS ET PROCEDURE :

Sur l’alerte :

2. M. BELLAHSEN exerçait les fonctions de chef du pôle de psychiatrie adultes pour le secteur d’Asnières-sur-Seine au sein de l’établissement public de santé Roger Prévot à la date des faits.

3. Le 18 avril 2020, il a alerté la direction de l’hôpital sur les mesures de privation de libertés irrégulières au sein de l’unité Covid-19, appliquées à partir de la mi- avril 2020 à des patients en psychiatrie atteints de Covid-19, sans prescription médicale d’un psychiatre et contre leur gré.

4. La direction de l’hôpital n’a pas réagi à ce premier signalement.

5. Le 9 mai 2020, il a signalé à la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés (CGLPL) l’enfermement général à clefs de tous les patients de l’unité d’Asnières-sur-Seine contre leur gré, y compris ceux qui n’avaient pas le Covid- 19, à la suite d’une fièvre déclarée chez deux patients.

6. Le 10 mai 2020, il a à nouveau alerté la direction de l’établissement.

7. M. BELLAHSEN a également saisi le procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale le 13 mai 2020 de ces mêmes faits.

8. La CGLPL a effectué une visite inopinée des locaux le 18 mai 2020 et a émis des recommandations en urgence le 25 mai 2020 eu égard aux « violations graves des droits des personnes privées de liberté » résultant « d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du covid-19 ».

9. M. BELLAHSEN s’est également exprimé dans la presse, parfois anonymement, concernant les faits dénoncés, notamment les 16 mai 2020 [1], 21 mai 2020 [2], 21 juin 2020 [3] et 3 juillet 2020 [4].

Sur les représailles :

10. Le 14 mai 2020, une lettre non signée de « l’équipe infirmière de l’extra hospitalier » a été diffusée dénonçant notamment des injonctions hiérarchiques incohérentes, un abus de pouvoir, du harcèlement moral et de la maltraitance de la part du réclamant. M. BELLAHSEN soutient que cette lettre aurait en réalité été rédigée par la direction afin de l’évincer à la suite de son alerte.

11. Le 19 juin 2020, une enquête administrative a été ouverte sur le fondement de cette lettre. L’intéressé souligne que tous les agents de son service, dont quinze professionnels, n’ont pas été auditionnés et que l’enquête a été partiale.

12. M. BELLAHSEN précise qu’il a été mis à l’écart dès le mois d’août 2020. Il n’a plus été convié aux réunions, n’a plus reçu de courriels de la part de sa hiérarchie et des agents de son service ont été mutés sans qu’il en soit informé.

13. L’enquête administrative précitée s’est achevée le 4 novembre 2020. Elle a conclu notamment à des problèmes de management. C’est ainsi que la direction de l’hôpital a émis des recommandations sur la gestion de son pôle, et notamment sa formation au management, ainsi que la nécessité de présenter un projet de pôle définissant les grandes orientations et modalités de prise en charge des patients.

14. A la suite de la lettre non signée de « l’équipe infirmière de l’extra hospitalier » et de l’enquête administrative menée, M. BELLAHSEN a sollicité la protection fonctionnelle le 8 février 2021. Il a ainsi demandé à l’administration hospitalière de lui adresser une lettre personnelle de soutien, ainsi qu’aux membres de l’équipe accusatrice en question un courrier rappelant le cadre juridique du fonctionnement d’un pôle clinique, le risque pénal encouru pour dénonciation calomnieuse et le risque disciplinaire encouru en cas de diffamation envers les collègues ou la hiérarchie.

15. Sa demande a fait l’objet le 8 avril 2021 d’une décision implicite de rejet qu’il a contestée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

16. Le 16 juin 2021, lors d’une réunion de directoire de l’établissement, M. BELLAHSEN a été accusé de pousser les personnels ne se conformant pas à son projet de pôle vers la sortie ainsi que d’être à l’origine de fugues et de décès de patients.

17. Après le conseil de surveillance de l’établissement du 22 juin 2021, M. BELLAHSEN s’est vu retirer ses fonctions de chef de pôle par une décision en date du 7 juillet 2021.

18. Cette décision était notamment fondée sur des allégations de graves dysfonctionnements au sein de son pôle et sur une souffrance d’une partie importante du personnel. Elle était également motivée par « les difficultés à travailler de concert entre le docteur Mathieu BELLAHSEN et la direction de l’établissement au premier rang desquelles les remises en cause publiques et répétées de l’institution et des décisions de la direction, ou l’absence de réponse aux demandes d’informations de la direction ».

19. Le réclamant était soutenu par plusieurs de ses agents et collègues ainsi que par le syndicat Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), qui ont adressé des courriers à la direction les 11 février, 24 juin et 28 juin 2021.

20. Il a contesté la décision de retrait de ses fonctions de chef de pôle par un recours gracieux le 16 juillet 2021 et a également saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

21. Il a aussi porté plainte les 25 mars, 7 juillet et 6 octobre 2021, notamment devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pontoise, pour dénonciation calomnieuse, diffamation non publique et publique et harcèlement moral. L’instruction est toujours en cours à la date de la présente décision.

22. Le réclamant a également saisi de sa situation notamment, le ministère de la santé par le biais du syndicat USP le 1er juillet 2021 et l’ARS le 8 juillet 2021.

23. L’ensemble de cette situation a conduit à une dégradation de l’état de santé du réclamant qui a été placé en arrêt de travail pour maladie de juillet à fin septembre 2021.

24. C’est dans ce contexte que M. BELLAHSEN a saisi le Défenseur des droits.

Sur la procédure devant le Défenseur des droits :

25. Le Défenseur des droits a obtenu l’autorisation d’instruire le 6 avril 2023.

26. Par courrier du 28 avril 2023, il a demandé à l’établissement public de santé Roger Prévot la communication des pièces et explications utiles à l’examen de la réclamation de M. BELLAHSEN.

27. Par courrier reçu le 28 juin 2023, l’établissement public de santé Roger Prévot a transmis les éléments sollicités.

28. Dans le cadre du débat contradictoire, le Défenseur des droits a informé par courrier du 29 février 2024 la directrice de l’établissement public de santé Roger Prévot, qu’il était susceptible, au regard des éléments de faits et de droit dont il disposait, de conclure au fait que M. BELLAHSEN a fait l’objet d’une mesure de représailles après avoir lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi.

29. Par courrier reçu le 14 avril 2024, la directrice de cet établissement a fait part de ses observations au Défenseur des droits.

30. Au terme de son instruction, la Défenseure des droits porte l’analyse suivante sur la réclamation de M. BELLAHSEN.

ANALYSE :

1. Sur la qualité de lanceur d’alerte de M. BELLHASEN :

31. L a qualité de lanceur d’alerte s’apprécie au regard des dispositions des articles 6 et 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ces dispositions ont été modifiées par la loi nº 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2022.

32. Toute personne signalant une alerte bénéficie du dispositif de protection issue de la loi du 9 décembre 2016 sous réserve qu’il satisfasse aux conditions prévues par les articles 6 et 8 de cette loi.

33. Ainsi que l’a déjà retenu le Défenseur des droits dans une décision nº 2021-24 du 28 mai 2020 pour déterminer si les dispositions de la loi Sapin II relatives à la protection des lanceurs d’alerte ou de tout autre dispositif spécifique sont applicables ratione temporis, il convient de se placer à la date des représailles.

34. En l’espèce, la qualité de lanceur d’alerte de M. BELLAHSEN sera examinée au regard des dispositions de la loi du 9 décembre 2016 dans leur version initiale, dès lors que les représailles qu’il estime avoir subies sont antérieures au 1er septembre 2022.

En ce qui concerne la démarche de l’auteur du signalement :

35. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 dans sa version initiale, « un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. (…) ».

36. Sont ainsi susceptibles d’être signalés des actes ou des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit à l’instar des faits d’enfermement dénoncés par M. BELLAHSEN.

37. En effet, aux termes de l’article 432-4 du code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

Lorsque l’acte attentatoire consiste en une détention ou une rétention d’une durée de plus de sept jours, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle et à 450 000 euros d’amende."

38. Un agent public révélant de tels actes doit remplir trois conditions pour répondre à la définition du lanceur d’alerte posée par la loi :

agir de manière désintéressée ce qui signifie ne pas avoir formulé le signalement en raison de griefs personnels à l’égard de l’employeur ou dans l’attente d’un gain financier ou personnel ;

avoir eu personnellement connaissance des faits, et ainsi ne pas se contenter de transmettre ce qui lui aurait été relaté de manière indirecte.

Il ressort en effet des travaux parlementaires relatifs à la loi du 9 décembre 2016 que ce critère exige la connaissance du fait « et non sa déduction ou sa supputation » [5] ;

être de bonne foi, c’est-à-dire avoir une conviction raisonnablement établie que les faits et actes signalés sont véridiques, au regard des informations auxquelles l’agent a eu accès, et être dénué de toute intention de nuire.

39. En l’espèce, c’est bien dans le cadre de ses fonctions de chef de pôle de psychiatrie adulte pour le secteur d’Asnières-sur-Seine que le réclamant a eu connaissance des faits objet de son signalement. Il est constant qu’il a eu personnellement connaissance de ces faits.

40. De tels faits sont susceptibles d’être considérés comme une violation grave de la loi ou de la règlementation, ainsi que, au regard de leur gravité, de recevoir une qualification pénale de séquestration (article 432-4 du code pénal).

41. Les préoccupations que M. BELLAHSEN a exprimées lors de ses signalements afin que les agissements ne se reproduisent pas témoignent du caractère désintéressé de sa démarche. M. BELLAHSEN ne semble pas avoir formulé ses signalements en raison de griefs personnels à l’égard de sa hiérarchie. Il n’a pas davantage reçu une quelconque contrepartie financière à son signalement.

42. A la suite de ses signalements, la CGLPL a émis des recommandations en urgence le 25 mai 2020 eu égard aux « violations graves des droits des personnes privées de liberté » résultant « d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du covid-19 ». L’établissement a mis en place des mesures correctrices à la suite des recommandations de la CGLPL. Des notes des services ont rappelé la règlementation et une analyse des situations ayant conduit à s’en écarter été réalisée. Un plan d’action « droits des patients » a également notamment été approuvé en septembre 2020, avec des points d’étapes régulièrement présentés aux instances.

43. Les allégations de l’établissement public de santé selon lesquelles l’intéressé n’aurait pas agi de manière désintéressée et serait de mauvaise foi n’apparaissent pas de nature à remettre en cause sa qualité de lanceur d’alerte.

44. L’élément tiré de ce que M. BELLAHSEN serait nécessairement de mauvaise foi dès lors qu’il a allégué que l’établissement aurait fabriqué de toutes pièces le courrier de l’équipe « infirmière de l’extra hospitalier » du 14 mai 2020 ne repose sur aucun élément tangible ni ne convainc, par lui-même.

45. L’établissement ajoute que l’attitude de M. BELLAHSEN les mois qui ont suivi le signalement à la CGLPL et les critiques via la presse interrogent sur le caractère désintéressé et sincère de sa démarche. Cette mise en cause publique de la directrice contredirait le caractère désintéressé de la démarche de l’intéressé. Il y aurait eu une intention de nuire à la directrice de l’établissement. Il y aurait ainsi eu des attaques personnelles et diffamatoires de la directrice dans des articles parus dans la presse où l’intéressé s’est exprimé. Selon l’établissement, la campagne de presse initiée par M. BELLAHSEN en amont comme à la suite de la décision de fin de sa chefferie de pôle serait critiquable car cela irait à l’encontre de ses obligations statutaires et professionnelles.

46. Il n’en demeure pas moins que le fait que le réclamant ait saisi la presse, tout comme ses correspondances adressées notamment au ministre de la santé et à l’ARS ne traduisent pas de mauvaise foi de sa part dès lors que M. BELLAHSEN n’a pas fait usage de termes outranciers dans ses écrits [6] et qu’il disposait d’éléments suffisants pour croire raisonnablement en la véracité des faits qu’il dénonçait.

47. Selon l’établissement public de santé, M. BELLAHSEN aurait également manqué à son obligation de réserve dans un courriel du 8 juillet 2021 adressé à des professionnels internes et externes au centre hospitalier, au directeur général de l’ARS, dans lequel il relatait notamment qu’il était farouchement opposé à une action de fusion entre le centre hospitalier de Moisselles et le CASH de Nanterre. Un autre courriel du 28 septembre 2021 adressé notamment à des professionnels internes et externes à l’hôpital sur le retrait de sa fonction de chef de pôle et l’enquête administrative menée à la suite de la lettre anonyme, traduirait également un manquement à son obligation de réserve.

48. Toutefois, eu égard au contexte de signalement d’une alerte et de harcèlement moral allégué dans lequel sont intervenus ces courriels, il ne saurait être fait grief à l’intéressé d’avoir manqué à son devoir de réserve. Au demeurant que la situation dénoncée était constitutive d’un danger grave et imminent pour les patients du pôle psychiatrie.

49. Par suite, au regard des éléments du dossier, les signalements de M. BELLAHSEN au moment des faits ont été réalisés de bonne foi sans aucune intention de nuire ou autre intérêt que celui tiré de l’intérêt général des patients hospitalisés au sein de l’établissement public de santé Roger Prévot.

En ce qui concerne la procédure graduée :

50. Pour qu’un agent puisse se prévaloir de la qualité de lanceur d’alerte, il doit avoir respecté la procédure de signalement décrite à l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dans sa version initiale :

51. « I. - Le signalement d’une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par celui-ci.

En l’absence de diligences de la personne destinataire de l’alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels.

En dernier ressort, à défaut de traitement par l’un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.

II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public. (…) ».

52. En l’espèce, M. BELLAHSEN a alerté, le 18 avril 2020, la direction de l’hôpital sur les mesures de privation de libertés irrégulières au sein de l’unité Covid-19, appliquées à partir de la mi-avril 2020 à des patients en psychiatrie atteints de Covid-19, sans prescription médicale d’un psychiatre et contre leur gré. Il y avait ainsi eu une confusion entre l’isolement psychiatrique et le confinement sanitaire.

53. La direction de l’hôpital n’a pas réagi à ce premier signalement.

54. A partir du 8 mai 2020, il y a également eu un enfermement général à clefs de tous les patients de l’unité contre leur gré même ceux qui n’avaient pas le Covid- 19 au sein de l’unité d’Asnières-sur-Seine, à la suite de la fièvre dont avait présentée deux patients.

55. M. BELLAHSEN a signalé l’ensemble de ces faits, compte tenu du danger qu’ils représentaient, à la CGLPL le 9 mai 2020 et a saisi le procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale le 13 mai 2020.

56. Le 10 mai 2020, il a à nouveau alerté la direction de l’établissement.

57. Face à la gravité des atteintes portées aux droits des patients de l’établissement public de santé et au danger grave et imminent pour ces derniers, il s’est également exprimé dans la presse, parfois anonymement, concernant les faits dénoncés, notamment les 16 mai 2020, 21 mai 2020, 21 juin 2020 et 3 juillet 2020.

58. Le réclamant a également saisi de sa situation notamment, le ministère de la santé par le biais du syndicat USP le 1er juillet 2021 et l’ARS le 8 juillet 2021.

59. Au regard de ces éléments, il apparaît que M. BELLAHSEN a respecté la procédure de signalement graduée instituée par l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 précitée.

60. Par suite, compte tenu de ce qui précède, la Défenseure des droits considère que M. BELLAHSEN peut bénéficier de la protection qui s’attache à la qualité de lanceur d’alerte.

2º) — Sur la qualification de représailles du refus de protection fonctionnelle et de la décision de retrait des fonctions de chef de pôle de M. BELLAHSEN :

61. A la date des représailles alléguées [7], aucune disposition de portée générale n’interdisait expressément que le lanceur d’alerte soit victime de mesures défavorables en lien avec son alerte, en dehors du code du travail ou du code de la fonction publique, non applicables à la situation de M. BELLAHSEN, praticien hospitalier (cf. article L. 6152-4 du code de la santé publique).

62. Toute mesure de représailles adoptée à l’encontre d’un lanceur d’alerte est toutefois prohibée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

63. Dans son arrêt de Grande chambre, du 12 février 2008, Guja c. Moldova, dont les principes ont été réaffirmés par la décision Halet c. Luxembourg du 14 février 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi jugé que : « en ce qui concerne les agents de la fonction publique, qu’ils soient contractuels ou statutaires, la Cour observe qu’ils peuvent être amenés, dans l’exercice de leur mission, à prendre connaissance d’informations internes, éventuellement de nature secrète, que les citoyens ont un grand intérêt à voir divulguer ou publier. Elle estime dans ces conditions que la dénonciation par de tels agents de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances. Pareille protection peut s’imposer lorsque l’agent concerné est seul à savoir – ou fait partie d’un petit groupe dont les membres sont seuls à savoir – ce qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt général en avertissant son employeur ou l’opinion publique » (§ 72).

64. La Cour a défini un faisceau d’indices permettant d’apprécier la proportionnalité de la divulgation publique d’une alerte : l’existence ou non pour la personne qui a révélé les informations d’autres moyens de procéder à la révélation d’informations, l’intérêt général présenté par les informations révélées, l’authenticité des informations divulguées, le préjudice causé à l’employeur, la bonne foi du lanceur d’alerte ainsi que la sévérité de la sanction infligée à la personne qui a révélé les informations et ses conséquences. Elle considère en outre que cette divulgation publique « ne doit être envisagée qu’en dernier ressort, en cas d’impossibilité manifeste d’agir autrement » (§ 75). Enfin, la Cour considère qu’il importe « d’établir si la personne concernée, en procédant à la divulgation, a agi de bonne foi et avec la conviction que l’information était authentique, si la divulgation servait l’intérêt général et si l’auteur disposait ou non de moyens plus discrets pour dénoncer les agissements en question » (§ 77).

65. L’enquête conduite par les services du Défenseur des droits permet de considérer que M. BELLAHSEN satisfait aux conditions prévues par la loi, semblables aux exigences européennes, pour bénéficier de la protection qui s’attache à la qualité de lanceur d’alerte.

66. S’agissant des représailles, à la suite de son signalement à la CGLPL en mai 2020, une enquête administrative a été ouverte par l’hôpital le 19 juin 2020. Celle-ci ne paraît pas avoir présenté les garanties d’impartialité requises dès lors notamment que tous les agents de son service, dont quinze professionnels, n’ont pas été auditionnés.

67. Si l’établissement public de santé indique que l’enquête administrative en cause n’est pas une enquête disciplinaire, qu’ainsi tous les agents concernés n’avaient pas à être auditionnés, et qu’elle n’avait pas pour objet d’établir un comportement fautif de M. BELLAHSEN, il n’en demeure pas moins qu’à la suite de cette enquête et sur son fondement notamment, M. BELLAHSEN a fait l’objet d’un retrait de ses fonctions de chef de pôle le 7 juillet 2021. Cette enquête a en outre été diligentée dans les semaines qui ont suivi l’alerte.

68. Jusqu’alors, M. BELLAHSEN n’avait pas rencontré de difficultés dans sa carrière.

69. Il ressort, par ailleurs du dossier que des risques psycho-sociaux au sein du pôle du réclamant avaient déjà été signalés avant sa nomination en tant que chef de pôle le 1er septembre 2017. Ils ont donné lieu à une délibération su CHSCT du 15 juin 2017 et à une expertise réalisée par le cabinet Emergence qui a remis son rapport le 5 janvier 2018 à l’issue d’une enquête portant sur des faits antérieurs à sa nomination en tant que chef de pôle.

70. Ainsi, les difficultés au sein de son pôle étaient préexistantes à la nomination de M. BELLAHSEN en qualité de chef de pôle.

71. Par suite, face aux accusations dont il faisait l’objet à la suite de ses signalements, M. BELLAHSEN a déposé plainte les 25 mars, 7 juillet et 6 octobre 2021 pour dénonciation calomnieuse, diffamation non publique et harcèlement moral.

72. S’agissant, tout d’abord, du refus de protection fonctionnelle, selon l’article 11 de la loi nº 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires, rendu applicable aux praticiens hospitaliers par la loi nº 2016- 483 du 20 avril 2016 [8], et constitutif d’un principe général du droit :

« La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. »

73. Les dispositions de cet article établissent à la charge de l’administration une obligation de protection des agents contre des agissements constitutifs de harcèlement et de discrimination, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général (CE, 14 février 1975, Sieur Teitgen, nº87730) ou de faute personnelle de l’agent.

74. Cette obligation de protection a pour objet non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé mais aussi d’assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu’il a subis.

75. L’administration ne peut refuser cette protection à un agent lorsque les conditions en sont remplies (CE, 17 janvier 1996, Mlle Lair, nº128950).

76. En l’espèce, par une décision implicite de rejet du 8 avril 2021, l’établissement public de santé n’a pas accordé la protection fonctionnelle à l’intéressé alors qu’il n’avait commis aucune faute personnelle et qu’aucun motif d’intérêt général ne paraissait de nature à s’y opposer.

77. En outre, un tel refus est intervenu peu après son signalement d’une alerte, alors que M. BELLAHSEN était mis en cause dans une lettre non signée de « l’équipe infirmière de l’extra hospitalier » et qu’il a porté plainte pour dénonciation calomnieuse et diffamation non publique notamment.

78. Par suite, le refus de protection fonctionnelle qui ne paraît pas objectivement justifié peut être regardé comme constitutif d’une mesure de représailles prohibée par la loi.

79. En outre, s’agissant de la décision de retrait de ses fonctions de chef de pôle, selon l’établissement public de santé, elle reposerait sur de nombreux dysfonctionnements constatés au sein du pôle qui auraient préjudicié à son bon fonctionnement. La décision de retrait des fonctions de chef de pôle serait sans lien avec l’intervention de la CGLPL. Les accusations formulées par M. BELLAHSEN à l’encontre de la direction de l’établissement résulteraient de sa propre appréciation et ne seraient ni établies ni de nature à être présumées. M. BELLHASEN n’apporterait aucun élément, aucune pièce, qui permettrait d’étayer le fait que le retrait de la chefferie de pôle serait en réalité une mesure de rétorsion à la suite de son signalement à la CGLPL. La décision de retrait des fonctions de chef de pôle était liée à l’intérêt du service et n’a pas été prise de manière discrétionnaire.

80. De telles affirmations sont toutefois contredites par les pièces au dossier.

81. La décision du 7 juillet 2021 par laquelle M. BELLAHSEN s’est vu retirer ses fonctions de chef de pôle est notamment fondée motivée par « l’absence de volonté du docteur Mathieu BELLAHSEN d’améliorer la situation malgré les nombreuses invitations de la direction à reconsidérer l’expression de souffrance des professionnels (…) », « la gestion clivante par le docteur Mathieu BELLAHSEN des professionnels de son pôle (…) », ainsi que par « l’ensemble de ces dysfonctionnements (qui) induit de graves risques pour le fonctionnement du service (…) ».

82. Si cette décision est motivée par les manquements supposés aux obligations professionnelles de M. BELLHASEN, elle était ainsi également motivée par « les difficultés à travailler de concert entre le docteur Mathieu BELLAHSEN et la direction de l’établissement au premier rang desquelles les remises en cause publiques et répétées de l’institution et des décisions de la direction, ou l’absence de réponse aux demandes d’informations de la direction ». Ainsi, cette décision est en lien avec les signalements que le réclamant a réalisés qui sont qualifiées de difficultés à travailler de concert avec la direction de l’établissement.

83. Dans un arrêt nº 21PA04628 du 28 juin 2023, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a considéré qu’une décision infligeant un avertissement à un policier constituait une mesure de représailles à la suite de son signalement d’une alerte : « eu égard à l’objet même de la sanction en litige, qui porte sur le non-respect des conditions dans lesquelles M. X devait formaliser son signalement sur demande de son supérieur hiérarchique, celle-ci ne peut être regardée comme justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l’intéressé constitutive d’une alerte. (…) ».

84. En l’espèce, au regard de son objet même, la décision prise à l’égard de M. BELLAHSEN apparaît fondée sur des motifs qui ne paraissent pas étrangers aux alertes émises par l’intéressé.

85. Si l’établissement public de santé indique que cet arrêt de la CAA du 28 juin 2023 n’est pas transposable en l’espèce car le retrait de la fonction de chef de pôle n’est pas une sanction disciplinaire, il n’en demeure pas moins qu’il constitue une mesure défavorable qui en tant que telle ne doit pas être fondée sur l’alerte émise par un agent dans l’exercice de ses fonctions.

86. S’agissant des autres motifs de la décision, relatifs aux dysfonctionnements au sein du pôle et à la souffrance d’une partie importante du personnel M. BELLAHSEN indique par ailleurs sans être contredit qu’il était soutenu par plusieurs de ses agents et collègues ainsi que par le syndicat Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), qui ont adressé des courriers à la direction les 11 février, 24 juin et 28 juin 2021.

87. Il ressort de ces éléments que la manière de servir du réclamant donnait pleinement satisfaction. Ses collègues attestent ainsi de ce qu’il s’agit d’un excellent praticien, ce que reconnaît d’ailleurs également l’établissement public de santé dans son mémoire en défense (p. 30) devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise dans le cadre du contentieux initié contre la décision de retrait de ses fonctions de chef de pôle.

88. En outre, dans le courrier du 11 février 2021, de quinze professionnels de l’établissement public de santé n’ayant pas été entendus au cours de l’enquête précitée et adressé à la directrice de l’établissement de santé, il est notamment mentionné, que : « (…) nous souhaitons témoigner, malgré le manque d’effectifs, d’une ambiance de travail apaisée depuis plusieurs mois dans les différentes unités fonctionnelles du secteur. Les réunions sont vivantes et investies par l’ensemble des soignants, toutes catégories professionnelles confondues. Les conflits peuvent s’y dépasser, les discussions cliniques sont riches.

Malgré le contexte de la crise sanitaires et une charge de travail sans cesse croissante, le travail au quotidien est lui aussi apaisé. En témoigne l’augmentation des capacités d’accueil de jour et de l’offre de réhabilitation psychosociale sur le secteur (…) ».

89. Ainsi, de nombreux professionnels et patients ont dénoncé une décision disproportionnée et une enquête à charge ayant conduit au retrait de la chefferie de M. BELLAHSEN.

90. Il ressort ainsi du courrier du 24 juin 2021 de l’équipe du pôle de psychiatrie adulte d’Asnières-sur-Seine adressé notamment au président du conseil de surveillance, que tous les agents concernés n’ont pas été entendus dans le cadre de l’enquête précitée dont les conditions de réalisation seraient à déplorer : « (…) Nous tenons, (…) à vous faire part de notre colère d’apprendre que le service d’Asnières est ainsi mis à l’ordre du jour de différentes instances à l’hôpital à l’exception de la Commission Médicale d’Etablissement (CME), sans que nous ne soyons jamais entendus (…).

91. En refusant d’entendre l’ensemble de l’équipe, la Direction entretient une vision parcellaire de la situation et transforme des désaccords sur le travail en équipe pour en faire des histoires de personnes. Si bien que nous sommes de plus en plus nombreux, à l’hôpital, à vivre ces attaques répétées contre notre travail comme une instrumentalisation des conflits d’équipe par la Direction au profit d’un sordide règlement de compte avec l’encadrement de notre pôle suite à la venue de la CGLPL (…) ».

92. Dans un courrier de la présidente de l’USP du 28 juin 2021 adressé à la directrice de l’établissement de santé, il est aussi notamment fait état de ce que : « je n’ignore pas que la situation s’est détériorée à partir du moment où ce praticien a saisi le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté sur une décision inacceptable, contraire à la loi, d’un administrateur de garde, d’enfermer des patients dans leurs chambres, alors même qu’il n’y avait pas d’indication psychiatrique à ces isolements et que certains étaient en soins libres.

93. Cette faute de la direction n’a curieusement suscité aucune enquête administrative alors que le Docteur Bellahsen et deux cadres font l’objet d’un certain nombre de commentaires, courriers, mesures ou procédures pour le moins inappropriées depuis cette saisie (…) ».

94. En outre, le docteur XXXX, présidente de la commission médicale d’établissement a indiqué, que : « La suspension de ses fonctions de chef de pôle du Dr BELLAHSEN que vous avez envisagée puis décidée ne m’a pas paru adaptée mais à risque de fragiliser encore plus l’équipe médicale et soignante et n’y ai pas donné d’avis favorable (…).

95. L’enquête administrative sur le pôle d’Asnières, partielle, à charge, n’a pas entendu l’ensemble des professionnels sur les difficultés institutionnelles rencontrées par le pôle et a fait apparaitre des témoignages contradictoires. Elle n’a donc pas permis d’en analyser les causes et de mettre en place les remèdes nécessaires. Dans un service comme celui d’Asnières qui a fait évoluer ses pratiques depuis plusieurs années et ceci bien avant l’arrivée du Dr BELLAHSEN, les conflits institutionnels sont fréquents voire inévitables et nécessitent écoute, accompagnement, médiations… ».

96. Dans le même sens, le collège médical de l’établissement a dénoncé l’attitude de la direction de l’établissement notamment à l’égard de M. BELLAHSEN en soulignant, que : « dysfonctionnements conséquents de l’institution et des instances de notre hôpital de par l’absence de transmission aux représentants de la communauté médicale (présidente et vice- président de la CME, représentants médicaux dans les instances hospitalières, chefs de pôles) d’éléments de compréhension de la vie de l’institution. Ce défaut d’information/transmission a de fait, abouti à des décisions brutales, comme la suspension de chefferie de service d’un collègue, et ont donc des conséquences directes tant sur ce service, que par diffusion sur tous les autres services de l’hôpital. Tout cela, dans un contexte global d’épuisement professionnel, de pénurie de personnel y compris médical, qui ne peut avoir qu’un impact délétère sur la permanence médicale des soins actuelle et/ou à venir ».

97. De même, il convient de se référer à un courrier du 20 juillet 2021 adressé à la direction par Mme XXXX, assistante sociale, qui indique : « Pourquoi donc prendre en considération si promptement et avec des conséquences si radicales ces témoignages à charge, alors que, a contrario, le courrier que nous sommes plus de vingt membres de l’équipe du pôle d’Asnières à avoir écrit collectivement et signé individuellement en juin 2021, n’a jamais obtenu de réponse. Par ailleurs, nous sommes nombreux dans le pôle (infirmiers, médecins, travailleurs sociaux, secrétaires, etc.) à ne jamais avoir été auditionnés dans le cadre de l’enquête administrative, malgré les requêtes de certains d’entre nous en ce sens. » (…) « Comment affirmer que le retrait de la chefferie du Dr Bellahsen pourra ramener au plus vite ‘un contexte favorable à l’amélioration des conditions de travail des professionnels et des prises en charge des patients’ ? C’est tout l’inverse qui se produit. (…) ».

98. De nombreux autres professionnels et patients ont également témoigné ou adressé des courriers à la direction en faveur de M. BELLAHSEN en soulignant le caractère partial de l’enquête menée et en portant une appréciation très favorable sur sa manière de servir (voir en ce sens, courriers produits par le réclamant devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise de M. XXXX, psychologue, de M. XXXX, cadre de santé, du Docteur XXXX, de M. XXXX, psychologue, d’un collectif de psychologues, de M. XXXX, psychanalyste, de M. XXXX, artiste intervenant, de M. XXXX, psychologue, de Mme XXXX, assistante sociale, du docteur XXXX, interne, courriers de soutien de patients, du docteur XXXX, et du docteur XXXX).

99. Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Défenseure des droits considère que M. BELLAHSEN a fait l’objet de mesures de représailles après avoir lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi.

100. Telles sont les observations que je souhaite adresser au tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par l’intéressé.

Claire HÉDON


Lanceur d’alerte, officiellement !

Mediapart Club, billet de Mathieu Bellahsen.

Mathieu Bellahsen. Psychiatre et auteur. Billet de blog sur le Club de Mediapart, 13 juin 2024.

L’extrême droite au pouvoir c’est la mise en péril des institutions qui font contre-pouvoir. Dans l’histoire qui suit, je viens d’être certifié lanceur d’alerte grâce au Défenseur des Droits, après une venue du CGLPL. Pour soigner, pour limiter les abus, pour respecter l’éthique médicale, nous avons besoin d’une démocratie en acte soutenue par de telles institutions.

Lundi 10 juin. Réveil. Tête lourde. Hubris du pouvoir à la tête du pays, maître de la pédagogie de la cruauté pour asservir le peuple à son bon vouloir. Prêt à tout. Prêt à livrer le pays aux forces du mal… Pas le moral.

Quelques heures plus tard, tintement dans l’ordinateur. Un message avec un fichier. L’expéditeur : Défenseur des Droits. La pièce jointe, papier à en-tête, marqué dessus : « République Française » (pas encore dissoute). Dix-neuf pages. Cent paragraphes.

Lecture fébrile des premières phrases.

« Monsieur,

Vous avez saisi le Défenseur des droits en votre qualité de praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie exerçant vos fonctions au sein de l’établissement public de santé Roger Prévot. Vous estimez avoir fait l’objet de mesures de représailles dans l’exercice de ses fonctions depuis votre signalement d’une alerte.

L’enquête diligentée par mes services a permis de considérer que vous avez fait l’objet de mesures de représailles après avoir lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi. »

Lire - encore fébrilement- les dernières lignes, pour être bien sûr de ne pas avoir compris de travers…

« Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Défenseure des droits considère que M. BELLAHSEN a fait l’objet de mesures de représailles après avoir lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi. »

Après quatre années difficiles - dont celle de ne pas avoir pu dire au-revoir aux personnes suivies pendant des années sur ce secteur de psychiatrie publique-, c’est une première victoire. A ma connaissance, c’est la première fois qu’une alerte lancée en psychiatrie est traitée par le DDD et qu’elle conduit à la certification de « lanceur d’alerte ».

Rappelons les faits.

Au moment du premier confinement covidien (avril-mai 2020), les patients hospitalisés dans l’unité covid puis dans certains des services de l’établissement étaient « confinés en chambre » pendant 3 à 14 jours, qu’ils soient en hospitalisation libre ou sans consentement. Confiné en chambre, euphémisme local pour ne pas dire enfermés à clé. Après avoir alerté la direction et les confrères dès la mi-avril 2020, sans réponse et devant un nouvel abus cette fois dans le service dont j’étais responsable, nous décidons d’alerter le CGLPL le 9 mai 2020 avec le soutien des soignants investis dans le collectif de soins du secteur.

Adeline Hazan et son équipe viennent sur site le 18 mai 2020. Ils constatent et ils confirment ce que nous dénonçons. Une recommandation urgente est envoyée à l’établissement le 25 mai 2020. Elle est publiée au Journal Officiel le 19 juin 2020.

Dans l’intervalle, une enquête administrative se met en place. Non sur les enfermements abusifs mais sur nous qui venions de dénoncer ces maltraitances objectivées. Elle conduira un an plus tard à mon retrait de la chefferie de pôle. A ce jour, plusieurs procédures sont en cours au Tribunal Administratif pour faire valoir nos droits qui nous ont été refusés, dont notamment une procédure de contestation de refus de protection fonctionnelle.

Lire et relire un peu moins fébrilement le courrier reçu mais avec soulagement :

« En ce qui concerne la démarche de l’auteur du signalement : (…)

36. Sont ainsi susceptibles d’être signalés des actes ou des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit à l’instar des faits d’enfermement dénoncés par M. BELLAHSEN.

37. En effet, aux termes de l’article 432-4 du code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. Lorsque l’acte attentatoire consiste en une détention ou une rétention d’une durée de plus de sept jours, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle et à 450 000 euros d’amende. » (…)

40. De tels faits sont susceptibles d’être considérés comme une violation grave de la loi ou de la règlementation, ainsi que, au regard de leur gravité, de recevoir une qualification pénale de séquestration (article 432-4 du code pénal).

Le 19 juin 2020, le jour où sort la recommandation urgente du CGLPL au Journal Officiel, un directoire se tient en présence des médecins chefs de pôle et de la direction de l’établissement. Je suis mis en accusation pour avoir déclaré au journal Le Monde que « la direction était au courant ». Il est alors dit que c’est de la diffamation… Alors même que mes mails précédents étaient restés sans réponse. A croire que le plus grave pour un établissement n’est pas les pratiques abusives qui s’y passent mais plutôt la mauvaise image renvoyée… Deux poids, deux mesures. On comprend mieux la création puis l’inflation des directions de la communication dans les établissements de santé. Maitriser son image serait-il donc plus important que maîtriser ses pratiques abusives ?

En réalité, mettre le devoir de réserve en avant pour entraver la dénonciation des conduites abusives d’institutions ou de personnes, est un problème :

45. L’établissement ajoute que l’attitude de M. BELLAHSEN les mois qui ont suivi le signalement à la CGLPL et les critiques via la presse interrogent sur le caractère désintéressé et sincère de sa démarche. Cette mise en cause publique de la directrice contredirait le caractère désintéressé de la démarche de l’intéressé. Il y aurait eu une intention de nuire à la directrice de l’établissement. Il y aurait ainsi eu des attaques personnelles et diffamatoires de la directrice dans des articles parus dans la presse où l’intéressé s’est exprimé. Selon l’établissement, la campagne de presse initiée par M. BELLAHSEN en amont comme à la suite de la décision de fin de sa chefferie de pôle serait critiquable car cela irait à l’encontre de ses obligations statutaires et professionnelles.

46. Il n’en demeure pas moins que le fait que le réclamant ait saisi la presse, tout comme ses correspondances adressées notamment au ministre de la santé et à l’ARS ne traduisent pas de mauvaise foi de sa part dès lors que M. BELLAHSEN n’a pas fait usage de termes outranciers dans ses écrits et qu’il disposait d’éléments suffisants pour croire raisonnablement en la véracité des faits qu’il dénonçait.

Pour continuer sur le devoir / l’obligation de réserve :

« 48. Toutefois, eu égard au contexte de signalement d’une alerte et de harcèlement moral allégué dans lequel sont intervenus ces courriels, il ne saurait être fait grief à l’intéressé d’avoir manqué à son devoir de réserve. Au demeurant que la situation dénoncée était constitutive d’un danger grave et imminent pour les patients du pôle psychiatrie. »

A l’époque, certains des syndicats en lien avec la direction soutenaient que nous avions terni l’image de l’hôpital en médiatisant les périls graves et imminents pour les libertés fondamentales et la santé des personnes hospitalisées. Voire que nous étions dans une forme possible de calomnie.

Défendre les droits fondamentaux et le faire savoir, nommer les abus et celles et ceux qui en sont potentiellement responsables n’est donc pas une calomnie. C’est même l’inverse qui prévaut (don’t you think so Roger ?).

En témoigne l’analyse juridique de la Maison des Lanceurs d’Alerte datant d’octobre 2023 :

Au demeurant, il apparaît primordial de rappeler qu’en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale et des articles 432-5 et 434-3 du Code pénal, vous aviez personnellement l’obligation de signaler les faits survenus le 8 mai 2020 au sein de l’établissement public de santé, sous peine de sanction.

Ainsi, vous avez non seulement respecté les exigences relatives au statut de lanceur d’alerte en vertu de la loi Sapin II, mais également l’obligation de signalement imposée par l’article 40 du Code de procédure pénale et les articles 432-5 et 434-3 du Code pénal.

Donc, donc… En creux, nous comprenons que de ne pas signaler un abus grave est un délit au titre de l’article 40 du Code de Procédure Pénale.

Les choses sont remises à l’endroit vis-à-vis de ce que nous avons vécu avec le collectif de soin d’Asnières sur Seine et les dénonciations abracadabrantesques à base de lettres anonymes de soignants remontés contre notre lutte pour les Droits fondamentaux et contre les abus au sein de l’institution. Et les suites données par la direction de l’établissement à ces dénonciations anonymes : enquête administrative partiale et à charge, refus du contradictoire, accusations graves nous concernant.

Au-delà de mon cas particulier, quelques enseignements qui pourront servir à d’autres… Tout d’abord, rappelons le, celles et ceux qui n’ont pas alerté devant les privations indues de libertés se trouvent dans une situation pénalement répréhensible. Or, à l’époque, certaines consœurs et certains confrères m’ont accusé de non-confraternité et à l’époque déjà, je rétorquais que la confraternité s’arrêtait là où la complicité d’un abus, d’un délit ou d’un crime commençait.

Cette décision du DDD peut faire jurisprudence et les personnes en position de pouvoir s’y reprendront, je l’espère, à deux fois avant d’accuser les personnes de ce qu’elles dénoncent.

Peut-être également que le silence (complice ?) de certaines institutions, associations, syndicats supposés faire au minimum appui voire contre-pouvoir pour les droits et les libertés fondamentales devrait être remis en question.

Pour rappel, je n’ai eu aucune réponse de l’Ordre des Médecins que j’avais sollicité. Aucune réponse de l’Agence Régionale de Santé. Une réponse, tardive, du Ministère de la Santé refusant une enquête de l’IGAS dans le service et dans l’établissement à la demande de l’Union Syndicale de la Psychiatrie. Aucune réponse de l’UNAFAM nationale à ma lettre ouverte.

Tout au long de ce combat, qui est loin d’être fini, le collectif de soin d’Asnières a également reçu de nombreux soutiens personnels, collectifs, institutionnels, associatifs, syndicaux (Sud et Union Syndicale de la Psychiatrie notamment). Qu’ils soient ici sincèrement remerciés.

Sans des institutions indépendantes comme le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et le Défenseur des Droits, il est difficile de lutter contre la maltraitance instituée, contre la culture de l’entrave qui sévit en psychiatrie et ailleurs.

A l’heure où l’extrême droite est laissée en position de prendre le pouvoir par l’extrême centre, il est nécessaire de se mobiliser là ou les uns et les autres se situent pour que de telles institutions (CGLPL, DDD et autres organes de contre-pouvoirs démocratiques) ne soient pas pulvérisées.

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Mathieu Bellahsen, le 13 juin 2024.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


[1«  De la psychiatrie confinée à la psychiatrie renfermée. Bas les masques  !  », 16 mai 2020, billet de Blog tenu par M. BELLHASEN sur Médiapart.

[2«  Pratiques abusives  » dans une unité psy du Val-d’Oise : «  j’ai terriblement honte  »  », 21 mai 2020, M. Éric FAVREAU, Libération.

[3«  Pour les confiner, des patients en psychiatrie enfermés à double tour  », 21 juin 2020, Mme Mathilde GOANEC, Mediapart.fr.

[4«  Inadmissible de confondre confinement sanitaire et isolement psychiatrique  », 3 juillet 2020, nº 3167, Mme Brigitte BEGUE, Actualités sociales hebdomadaires.

[5Rapport nº 712 de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 22 juin 2016, p. 48.

[6Cf. CE, 8 décembre 2023, nº 435266.

[7L’article 10-1 de la loi du 9 décembre 2016, dans sa version résultant de la loi du 21 mars 2022, comprend désormais une disposition en ce sens.

[8Relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.