2023-03-29 - Mathieu Bellahsen. Conseil constitutionnel, contention et dénis (mise à jour le 2/04/2023)

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/835

Document du mercredi 29 mars 2023
Article mis à jour le 31 août 2023
par  A.B.

Audience devant le Conseil constitutionnel sur cette troisième QPC relative à l’isolement et à la contention, cliquer sur ce lien

Décision du 31 mars 2023, cliquer sur ce lien

2023-08-31 - Sortie du livre de Mathieu Bellahsen en faveur de l’abolition de la contention des patients

Dossier sur notre site sur la légalisation de l’isolement et de la contention en psychiatrie depuis la loi Santé du 26 janvier 2016, cliquer sur ce lien


(Mediapart Club) Conseil Constitutionnel, contention psychiatrique et dénis

Pour la troisième fois en trois ans, le Conseil Constitutionnel rendra une décision concernant l’isolement et la contention en psychiatrie ce 31 mars. Aucun débat sur ces mesures gravement attentatoires à la liberté et à la dignité. Il est temps que cela cesse. Avec ses morts tous les ans, l’abolition de la contention mécanique doit devenir une priorité de santé publique.

Mathieu Bellahsen

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(Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.)

Ce 31 mars 2023, pour la troisième fois en trois ans, le Conseil Constitutionnel rendra une décision sur le contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie suite à deux QPC (questions prioritaires de constitutionnalité). Ces pratiques d’entraves qui consistent à enfermer des personnes et à les attacher avec des sangles aux pieds, poignets et abdomen ont provoqué des inconstitutionnalités en cascade.

Depuis trois ans, le gouvernement refuse d’avoir un débat d’ampleur sur ces pratiques coercitives et utilise à chaque fois des véhicules législatifs inadaptés : loi de finance de la sécurité sociale 2021 et 2022, loi sur le pass vaccinal (cette mode a donc été lancée avant la contre réforme des retraites…). Une réponse exclusivement technique est apportée à ces pratiques traumatisantes pour les personnes qui y sont soumises. Depuis trois ans, le débat démocratique contradictoire manque là aussi.

Alors que de nombreux pays et instances internationales sont sur le chemin de l’abolition de la contention mécanique et de la décroissance des mesures d’entraves, à l’instar de l’ancien ministre de la Santé Véran les gouvernants et une majorité de soignants en France considèrent ces mesures comme « thérapeutiques ». Si certaines de ces mesures de contrôle s’avèrent nécessaires dans de rares situations, les revendiquer comme thérapeutiques légitime leur usage et les abus. Il est ainsi perpétué la culture de la soumission et de la coercition sur les corps psychiatrisés équivalent psychiatrique de la culture du viol et de la domination au sein de nos sociétés.

En 2021, sur les 78500 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 ont été en chambre d’isolement et de surcroît 10 000 d’entre elles ont été attachées. Derrière ces chiffres des catastrophes existentielles et une perte de confiance parfois irrémédiable dans les soins.

Ces mesures dites de « dernier recours » se systématisent à mesure que le système contentionnaire se renforce en psychiatrie. Dans l’indifférence des pouvoirs publics français se développent les complicités et les maltraitances institutionnelles généralisées. Elles s’expliquent par de nombreux facteurs : imaginaire sécuritaire prégnant dans la société et dans les soins, pénuries de moyens psychiques et humains pour accueillir les personnes troublées, désintérêt de la psychiatrie pour l’activité de soins complexes, contentions financières du service public psychiatrique et contention législative par l’absence de débat éclairé.

Abolir la contention et le système contentionnaire (Libertalia, 2023, à paraître) © Libertalia

Dans un travail à paraître prochainement, j’ai pu constater que du côté de la littérature scientifique internationale, le désintérêt est patent. Entre 1976 et 2023, 296 articles traitaient de la contention mécanique en psychiatrie alors qu’ils étaient plus de 110 000 à traiter des médicaments antipsychotiques… L’enjeu est aussi au niveau des politiques internationales comme nous y invite le Conseil de l’Europe dans un rapport de 2021 pour « prévenir et réduire la coercition dans les établissements de santé mentale ». L’Islande a aboli la contention et de nombreuses initiatives se développent partout en Europe et dans le monde : Espagne, Norvège, Suisse, Québec, États Unis, Nouvelle Zélande…

Dans ce contexte, la France doit-elle se contenter du retour à un fonctionnement asilaire transformant l’emprise sur les corps des personnes psychiatrisées en « soins » ? Or la contention tue. Entre 2011 et 2019, l’ANSM relate dans un rapport récent quarante deux morts déclarés dus à la contention mécanique.

Comme en témoignent les Assises de la santé mentale de 2021, les pouvoirs publics sont désormais plus intéressés par la e-santé mentale et sa dématérialisation ; dans les pratiques de la psychiatrie « ordinaire » cela se traduit par la sur-matérialisation de sangles et de murs.

Nous demandons que s’ouvre un débat national en vue de politiques réelles et de pratiques concrètes soutenant la dignité des personnes ayant des troubles, la sauvegarde des Droits Humains fondamentaux. La psychiatrie doit (re)nouer avec des dimensions thérapeutiques réelles, sans se contenter exclusivement des gadgets de la e santé mentale et des recrudescences asilaires répressives et coercitives.

Le silence, le mépris et la honte qui nous attachent toutes et tous au système contentionnaire doivent cesser.

PS : je profite de ce billet de blog pour signaler la soirée autour des Révoltes Psy organisée par les éditions La Fabrique le jeudi 6 avril 2023 à 19h au cirque électrique à Paris, place du Maquis du Vercors, Paris XXe.

Mathieu Bellahsen, livre à paraître.

(Doctissimo, entretien) Mesures de contention mécanique et isolement en psychiatrie : le Conseil Constitutionnel est de nouveau saisi

Publié le 29/03/2023 à 15h23, mis à jour le 29/03/2023 à 15h23.

Source : Doctissimo, cliquer sur ce lien

Sihem Boultif - Journaliste santé

La décision du Conseil Constitutionnel est attendue pour le vendredi 31 mars 2023. En effet, une nouvelle Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) relative au contrôle des mesures de contention mécanique et d’isolement en psychiatrie lui a été soumise. Les explications de Mathieu Bellahsen, psychiatre.

Sommaire
1. Deux axes soumis au Conseil Constitutionnel, à travers une Question Prioritaire de Constitutionnalité
2. Ouvrir le débat sur la contention en France

« En trois ans, il s’agit de la troisième saisie du Conseil Constitutionnel et il est vraisemblable que la loi soit de nouveau déclarée non constitutionnelle » explique tout d’abord le psychiatre Mathieu Bellahsen. Cette loi concerne le monde de la psychiatrie et plus précisément les mesures d’entrave et de contrôle, qui touchent 10 000 personnes par an en France.

Deux axes soumis au Conseil Constitutionnel, à travers une Question Prioritaire de Constitutionnalité

Le Dr Mathieu Bellahsen pose d’abord le contexte. « Chaque année en France, 78 500 personnes sont admises à l’hôpital sans leur consentement. Parmi ces personnes, 30 000 sont en isolement et parmi elles, 10 000 seront soumises à une contention, qui est un mode d’entrave et de contrôle de la personne » détaille le médecin.
« Le premier volet de cette QPC concerne l’information immédiate de la personne sur ses droits au moment de cette contention et non pas 24 ou 48 heures plus tard ». Mathieu Bellahsen rappelle que ces personnes sont des citoyens comme les autres et qu’il est essentiel de leur signifier leur droit de recours à un avocat. « Les patients peuvent recourir à un avocat, vis à vis de ces mesures coercitives » ajoute le psychiatre, qui insiste sur l’importance de l’apaisement du malade et de la discussion qui doit s’engager avec lui à ce moment-là.

Ouvrir le débat sur la contention en France

Au delà de l’enjeu de cette QPC, Mathieu Bellahsen veut aller plus loin. Il prépare un livre qui paraîtra cet été sur la question de la contention en hôpital psychiatrique. « L’enjeu à plus long terme est d’ouvrir un débat que le gouvernement et le corps psychiatrique occultent sans arrêt. Attacher quelqu’un à un lit avec des sangles : est-ce un soin ? Quel est le vécu des personnes sanglées ? Pourquoi la littérature scientifique internationale est silencieuse sur le sujet ? » interroge-t-il, rapportant que des témoignages recueillis pour son ouvrage citant l’inverse, avec des récits associant la contention à un événement « traumatisant, maltraitant et qui fait revivre certains abus, dans les cas les plus graves ».

Mathieu Bellahsen rappelle enfin que certains pays comme l’Islande ont aboli cette pratique, qui n’est « pas nécessaire pour soigner ».

Source : entretien avec le Dr Mathieu Bellhasen, le 29 mars 2023


(Tribune) Psychiatrie : la contention des patients, un traitement inhumain et dégradant

Libération 31 mars 2023.

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Par Kim Reuflet, Présidente du Syndicat de la magistrature et Mathieu Bellahsen, Psychiatre, lanceur d’alerte et auteur

Alors que le Conseil constitutionnel doit statuer ce 31 mars autour des mesures d’isolement et de contention psychiatriques, la France renforce son système coercitif, à l’encontre des traités internationaux dénonçant ces privations de liberté, dénoncent Kim Reuflet, la présidente du Syndicat de la magistrature, et le psychiatre Mathieu Bellahsen

« En 2021, sur les 95 000 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 ont été placées en chambre d’isolement et 10 000 d’entre elles ont été attachées. » (Amelie Benoist/BSIP via AFP)

Tout le monde le sait, la justice et la santé œuvrent dans la misère. Et en leur sein, la psychiatrie et la justice civile – celle qui traite en particulier des soins psychiatriques sous contrainte – trinquent particulièrement et, par là, maltraitent les patients, les justiciables et leur entourage.

Dans ce contexte de dépérissement, mais également à une époque de détricotage des libertés fondamentales (d’aller et de venir, de manifester, d’association…), des victoires juridiques en faveur des droits des patients sont assurément chéries, en l’occurrence ici en matière d’isolement et de contention. C’est en effet majoritairement avec satisfaction, il y a un peu plus d’un an, qu’ont été accueillies les décisions du Conseil constitutionnel enjoignant le gouvernement de rendre obligatoire le contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention dépassant une certaine durée, enfin analysées comme des mesures privatives de liberté. Alors que ces pratiques sont considérées par plusieurs textes internationaux comme des traitements inhumains et dégradants, la loi du 22 janvier 2022 modifiant le régime de l’isolement et de la contention en milieu psychiatrique sous-entend enfin que ces mesures ne peuvent plus être vues comme des derniers recours bien traitants.

Des méthodes qui laissent des traces

L’expérience de tous du confinement permet plus facilement d’imaginer ce que peuvent vivre les patients sanglés et isolés dans une chambre verrouillée et d’appréhender la violence que ces pratiques portent en elles. Quels qu’en soient les motifs, et bien que visant des personnes agitées, troublées, « dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui » diront les textes, d’aucuns ne peuvent plus mésestimer que ces méthodes d’enfermement laissent des traces. Des traces sur le corps du patient, des traces dans les habitus du soignant, des traces sur la liberté d’agir des deux.
De la garantie de ces libertés est fait ce nouveau contrôle du juge. Sauf que nulle garantie il n’y a, il n’y aura, ou si peu. Pour une raison essentielle : notre misère dopée à l’indigence des décideurs.

La misère sur le terrain. Sans surprise, cette réforme a dû être appliquée à moyens constants, de sorte que les juges, les greffiers et les équipes soignantes bricolent et s’épuisent un peu plus pour essayer de mettre en œuvre un texte écrit avec les pieds et aux effets bureaucratiques, beaucoup ayant d’ailleurs renoncé à appliquer cette loi.

En 2021, sur les 95 000 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 ont été placées en chambre d’isolement et 10 000 d’entre elles ont été attachées, ces chiffres recelant des catastrophes existentielles et une perte de confiance parfois irrémédiable dans les soins.

Des pratiques alternatives à la coercition

La création d’un contrôle judiciaire sur la régularité et la proportionnalité de ces mesures, l’immixtion du juge dans ces couloirs confins et honteux de l’hôpital psychiatrique, aurait ainsi dû être l’occasion de (re)penser l’office du juge en cette matière si particulière de la santé mentale, d’inclure les personnes hospitalisées dans le processus décisionnel en permettant notamment des directives anticipées et de renforcer les pratiques alternatives à la coercition. Ce sont au contraire des formulaires, des trames, des boîtes informatiques structurelles, des agendas, des tours de permanence, des délégations de signatures, des auditions téléphoniques qui supplantent l’analyse, l’écoute et le soin. Le greffier esclave, le juge pantin, l’infirmier maton et le médecin cachetonneur sont savamment mis à l’épreuve, au détriment des mêmes, des personnes enfermées et entravées.

L’indigence des décideurs. Depuis trois ans, à l’occasion de ces décisions en cascade du Conseil constitutionnel, le gouvernement refuse d’avoir un débat d’ampleur sur ces pratiques coercitives et n’apporte qu’une réponse exclusivement technique à ces mesures traumatisantes pour les personnes qui y sont soumises. Alors que de nombreux pays et instances internationales sont sur le chemin de l’abolition de la contention mécanique et de la décroissance des mesures d’entraves, la France renforce de son côté le système contentionnaire.

Dans l’indifférence des pouvoirs publics français se développent des maltraitances institutionnelles généralisées s’expliquant par de nombreux facteurs : imaginaire sécuritaire prégnant dans la société et dans les soins, pénuries de moyens psychiques et humains pour accueillir les personnes troublées, désintérêt de la psychiatrie pour l’activité de soins complexes, contentions financières du service public psychiatrique et contention législative par l’absence de débat éclairé.

La surmatérialisation des sangles et des murs

Dans ce contexte, la France doit-elle se contenter du retour à un fonctionnement asilaire transformant l’emprise sur les corps des personnes psychiatrisées en « soins » ? Comme en témoignent les Assises de la santé mentale de 2021, si les pouvoirs publics sont désormais plus intéressés par la e-santé mentale et sa dématérialisation, dans les pratiques de la psychiatrie « ordinaire » cela se traduit par la sur-matérialisation de sangles et de murs.

Le Conseil constitutionnel, saisi de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité, doit rendre une nouvelle décision le 31 mars prochain. Aussi, il est urgent que s’ouvre un débat national car il en va de la dignité des personnes ayant des troubles psychiques graves, de la sauvegarde des droits humains fondamentaux et de l’avenir d’une psychiatrie ayant de réelles dimensions thérapeutiques, qui ne se contentant pas des recrudescences de sa fonction répressive et coercitive.


(France Culture) Interview de Mathieu Bellahsen. Contention en psychiatrie, retour dans le débat public

Samedi 1er avril 2023.

Pour écouter le podcast de ce sujet de 10 mn, cliquer sur ce lien