2023-03-31 - L’isolement - contention sera-t-il de nouveau déclaré inconstitutionnel ? Revue de presse

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/833

Document du jeudi 23 mars 2023
Article mis à jour le 4 mars 2024
par  A.B.

Dossier sur cette procédure sur le site du Conseil constitutionnel, cliquer sur ce lien

Décision du 31 mars 2023, cliquer sur ce lien

Billet et entretien, Dr Mathieu Bellahsen sur cette QPC, cliquer sur ce lien

Dossier sur notre site sur la légalisation de l’isolement et de la contention en psychiatrie depuis la loi Santé du 26 janvier 2016 : https://lc.cx/eadosL

Pour retrouver ce billet sur l’édition participative « Les Contes de la folie ordinaire » sur le club de Mediapart, cliquer sur ce lien


(Communiqué) Troisième audience sur QPC mardi 21 mars devant le Conseil constitutionnel

CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton. 14, rue des Tapisseries, 75017, Paris.
Pour nous contacter, cliquer sur ce lien

Paris, le 23 mars 2023.

— Pour visionner cette audience :

2023-03-23 Communiqué.

Le 26 janvier courant la Cour de cassation transmettait deux nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel portant d’une part sur l’absence d’information délivrée au patient dès le début d’une mesure d’isolement - contention sur ses droits et voies de recours, d’autre part sur l’absence de représentation obligatoire par avocat lors d’un contrôle judiciaire sur dossier (sans audience) de ces mesures.

2023-01-31 Conclusions d’intervention CRPA.

L’article L 3222-5-1 du code de la santé publique relatif à l’isolement et à la contention en psychiatrie (pour lire cet article de loi, cliquer sur ce lien) a été censuré à deux reprises par voie de QPC le 19 juin 2020 et le 4 juin 2021 ; mais aussi à une troisième reprise à l’occasion d’une saisine parlementaire du Conseil constitutionnel relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

2023-03-05 Observations complémentaires du CRPA.

L’audience d’une durée d’une heure trente a eu lieu mardi 21 mars avec pas moins de huit organisations intervenantes au soutien des requérants : le CRPA, les Barreaux des Hauts-de-Seine et de Seine-St-Denis, la Conférence nationale des Barreaux, l’association Avocats droit et psychiatrie, ainsi que le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l’Union syndicale de la psychiatrie.

Cette procédure est pour le moins solennelle. En effet s’il faut revenir à trois reprises en trois ans devant le Conseil constitutionnel par voie de QPC en inconstitutionnalité de la législation relative à l’isolement et à la contention en psychiatrie, c’est pour de bon que le Gouvernement, le Parlement et les détenteurs du pouvoir institutionnel en la matière n’ont pas entendu porter jusque-là un net intérêt à ce sujet.

A l’exception de la traçabilité de l’isolement et de la contention adoptée par amendement du député PS Denys Robiliard dans le cadre de la loi santé du 26 janvier 2016 (cliquer sur ce lien), l’ensemble des réformes concernant les droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte depuis 2010 ont été adoptées par le Gouvernement et le Parlement sous la contrainte de décisions de censure prises par le Conseil Constitutionnel. Celui-ci statue ce mois-ci pour la neuvième fois depuis l’instauration des QPC en mars 2010 sur la question psychiatrique… [1]

Il est ainsi acquis et de « notoriété publique » (pour reprendre un concept qui a permis de faire interner en psychiatrie bon nombre de personnes depuis la loi du 30 juin 1838) que la question des droits fondamentaux des personnes hospitalisées sous contrainte et traitées en milieu psychiatrique est un non-sujet. La population visée (les personnes psychiatrisées) pour le corps social et notamment dans la logique de la défense d’intérêts strictement corporatistes, étant une population infra - humaine.

Ainsi ces pratiques cruelles, inhumaines et dégradantes que sont l’isolement couplées à la contention trouvent leur légitimité pour certains acteurs institutionnels dans le manque de moyens et de personnels.

Par ailleurs on observe dans cette troisième procédure en QPC devant le Conseil constitutionnel, la remarquable absence des représentants du handicap, alors même que ces questions concernent éminemment ce secteur. Absence aussi des représentants institutionnels dument agréés des psychiatrisés, des familles de patients et des aidants. Seul un syndicat de psychiatres tout à fait minoritaire est présent dans cette procédure. Remarquable absence également de France assos santé (ex-CISS, collectif inter-associatif en santé fondé en 1996). Cet organisme censé représenter auprès des pouvoirs publics, l’ensemble des associations d’usagers du système de santé, sur habilitation législative et réglementaire, fonctionne sur des subventions accordées annuellement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale.

Ces acteurs institutionnels sont tenus par voie d’agréments et de subventions sur fonds publics par le Gouvernement, par les agences régionales de santé ainsi que par les établissements où siègent les représentants des usagers désignés sur arrêté préfectoral.

Ce lien de dépendance avec les pouvoirs publics et les institutions sanitaires est-il la seule cause de cette absence ? Nous ne le pensons pas.

La population des personnes psychiatrisées a été croissante depuis l’ouverture des institutions dans les années 1960 -1970 (actuellement environ 2, 2 millions de personnes) ouvrant un bassin d’emploi pour le moins conséquent. Il a été considéré que cette population marginale et marginalisée devait être tenue sous un contrôle médico-social étroit. Ces différents acteurs institutionnels ont été associés progressivement à ce contrôle médicalisé depuis un demi-siècle.

Quoiqu’il en soit, la mobilisation des représentants des Barreaux aux plans départemental et national est une excellente chose, malgré le féodalisme de l’institution judiciaire française.

Il est en effet trop facile de fouler aux pieds les droits, la dignité et l’humanité même des personnes psychiatrisées dont on sait qu’elles sont recrutées quasi définitivement dans les files actives de la psychiatrie en extrahospitalier comme en institutions, et de plus en plus souvent dès la scolarité, dès l’enfance.

Plus que jamais, le Conseil constitutionnel est ici un garde-fous.

Délibéré le vendredi 31 mars.

— Vous trouvez en pièces jointes les conclusions et observations de notre association en intervention au soutien des deux requérants et de leur conseil.

— Me Jean-Marc Panfili, avocat du CRPA étant en déplacement à l’étranger n’a pas pu être présent à cette audience.

Note 1. Le CRPA est adhérent au Réseau européen des (ex) usagers et survivants de la psychiatrie (ENUSP / REUSP)


(Hospimedia) Les sages vont examiner l’information du patient sur ses droits en isolement-contention

Source : https://abonnes.hospimedia.fr/artic…

Publié le 27/01/23 - 16h32

Le Conseil constitutionnel est interrogé sur la constitutionnalité de l’absence de dispositions, dans la législation actuelle, sur l’information du patient sur ses recours dès le début d’une mesure de placement en isolement ou sous contention.

Dans un arrêt rendu le 26 janvier, la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux modalités d’information du patient en soins sans consentement en psychiatrie quant à ses voies de recours lors d’un éventuel placement en isolement ou sous contention. Les sages du conseil devront déterminer si la législation actuelle — récemment réformée (lire nos articles ici et là) — qui ne prévoit pas, dès le début de la mesure de contrainte, une information sur la possibilité de saisir le juge ou d’être assisté d’un avocat porte atteinte ou non à la Constitution.

Plusieurs atteintes aux droits visées par la QPC

La Cour de cassation a examiné une QPC transmise par un juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Rennes (Ille-et-Vilaine) et a estimé que la question posée « présente un caractère sérieux ». Ce JLD a été saisi par le directeur d’un centre hospitalier afin de statuer sur la poursuite de l’isolement d’un patient, deux jours après un premier placement en chambre l’isolement. Ce premier placement est survenu près d’une semaine après l’admission du patient dans l’établissement en soins psychiatriques sans consentement.

Ce juge rennais s’interroge sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L.3222-5-1 du Code de la santé publique, « en ce qu’elles ne prévoient pas d’obligation pour le directeur de l’établissement spécialisé en psychiatrie ou pour le médecin d’informer le patient soumis à une mesure d’isolement ou de contention — et ce, dès le début de la mesure — de la voie de recours qui lui est ouverte contre cette décision médicale ».

Il signale que cette voie de recours est prévue sur le fondement de l’article L.3211-12 du Code se la santé publique mais l’article L.3222-5-1 ne mentionne pas non plus le droit pour le patient d’être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou commis d’office. Le juge se demande ainsi si l’absence de ces dispositions dans la législation actuelle est « conforme à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense [et] du droit à une procédure juste et équitable ». Il s’interroge également sur la conformité de la loi avec le « principe de dignité de la personne, [de] la liberté fondamentale d’aller et venir et du droit à un recours effectif, ainsi qu’à l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice résultant des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Pour la Cour de cassation, « la disposition contestée, qui fixe, dans sa rédaction issue de la loi […] du 22 janvier 2022, les conditions dans lesquelles il peut être recouru, à l’égard de patients en hospitalisation complète sans consentement, à des mesures d’isolement et de contention en prévoyant un contrôle du [JLD], est applicable au litige ». Elle relève que cette disposition « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ». La cour reconnaît le caractère sérieux de la question car « la disposition contestée est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Elle reconnaît que la législation en vigueur depuis janvier 2022 ne prévoit pas, dès le début d’une mise en isolement ou sous contention, « une information du patient quant à la possibilité de saisir le [JLD] d’une demande de mainlevée de la mesure […] et à son droit d’être assisté ou représenté par un avocat ».

Que prévoit la loi actuelle ?

L’article L.3222-5-1, qui encadre le recours à l’isolement-contention, ne fait référence à l’information sur une mesure de contrainte que dans le cadre d’un renouvellement de la mesure, non d’un premier placement à l’isolement ou sous contention. En outre, n’est abordée explicitement que l’information des proches du patient. Il est en effet prévu que « le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint […] ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical ». Cependant, cette partie de l’article renvoie pour des conditions d’application à un décret. Paru le 25 mars 2022 au Journal officiel, ce décret précise cette fois les informations que le directeur de l’établissement de santé doit donner au patient en cas de saisine du JLD. Le directeur indique notamment au patient qu’il peut être assisté ou représenté par un avocat, qu’il peut demander à être entendu par le JLD et qu’il sera représenté par un avocat si le juge décide de ne pas procéder à son audition au vu de son état de santé attesté médicalement. Mais ces dernières dispositions sur l’information du patient sont d’un niveau règlementaire et non du niveau législatif. De plus, la procédure d’information du patient prévue s’inscrit, là encore, dans le cadre d’une prolongation de la mesure de contrainte et non pas dès le début d’une mesure initiale.

Caroline Cordier

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(Dalloz Actualité) Isolement et contention en soins psychiatriques sans consentement : vers une troisième abrogation ?

Pour lire cet article, cliquer sur ce lien


(Editions législatives) Contention et isolement : deux QPC relatives aux droits du malade transmises au Conseil constitutionnel

Editions législatives, 1er mars 2023.

Source : https://www.editions-legislatives.f…

Mathias Couturier, Maître de conférences à l’université de Caen.

Présentent un caractère sérieux justifiant une transmission au Conseil constitutionnel, les questions prioritaires de constitutionnalité soulevant la non-conformité de la procédure de placement à l’isolement et en contention en psychiatrie, en ce que celle-ci ne prévoit pas de notification obligatoire de ses droits et voies de recours existants à la personne faisant l’objet de la mesure, ni d’assistance obligatoire du malade par un avocat lors de la procédure de contrôle juridictionnel par le JLD.

La loi du 16 janvier 2022 relative à l’état d’urgence sanitaire (loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique), en modifiant l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, a créé un dispositif encadrant le recours à la contention et à l’isolement en psychiatrie en introduisant un contrôle obligatoire par le juge des libertés et de la détention (JLD) à certaines échéances.

Ce dispositif avait été introduit à la suite d’une abrogation de l’ancienne version de l’article L. 3222-5-1 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC) qui reprochait au législateur de n’avoir pas prévu d’intervention systématique du juge alors même que ces pratiques constituent une privation de liberté qui impliquerait un contrôle de la mesure sur le fondement de l’article 66 de la Constitution. En réaction à cette décision, le Parlement avait adopté, dans la LFSS pour 2021 (loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, art. 84), une nouvelle version du texte qui encadrait la durée de ces mesures mais, afin de ne pas compliquer le travail des établissements psychiatriques et alourdir celui du JLD, ne prévoyait qu’une information obligatoire de ce dernier à 24 h pour la contention et à 48 h pour l’isolement et non un contrôle de légalité systématique.

Cependant, à la suite d’une nouvelle saisine sur QPC par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 1er avr. 2021, n°s 21-40.001, 21-40.002, 21-40.003 QPC), le Conseil constitutionnel abrogeait cette nouvelle version en reprochant au législateur cette transposition minimaliste de sa décision initiale (Cons. const., 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC). Ainsi contraint de créer un véritable contrôle obligatoire de légalité systématique, le législateur se résignait à introduire, dans le projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2022, une nouvelle version de l’article L. 3222-5-1. Hélas, le Conseil constitutionnel censurait une nouvelle fois le texte mais au motif, cette fois-ci, que celui-ci constituait un cavalier législatif qui n’avait rien à faire dans une loi sur le financement de la sécurité sociale (Cons. const., 16 déc. 2021, n° 2021-832 DC). En catastrophe, le gouvernement réintroduisait ce texte dans le projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » visant à créer le pass vaccinal. Cette loi était soumise au Conseil constitutionnel dans sa partie relative au pass vaccinal mais pas concernant celle réformant le placement à l’isolement ou en contention.

C’est pour cette raison qu’un dispositif ayant pourtant déjà fait l’objet de trois contrôles successifs par le Conseil constitutionnel, et ayant donné lieu en ces occasions à deux abrogations puis à une censure a priori, peut à nouveau faire l’objet de QPC. Tous ces événements en disent malheureusement long sur la qualité du processus de production législative que connaît la France ces dernières décennies.

Absence de notification des droits

Sur le fond, ces deux QPC soulèvent, il est vrai des arguments qui n’avaient été examinés par le Conseil constitutionnel dans aucune de ses trois décisions antérieures. La première QPC (Cass. 1re civ., 26 janv. 2023, n° 22-40.019) soulève le problème de l’absence de notification de ses droits à la personne faisant l’objet de la mesure de contention ou d’isolement. La question est ainsi formulée : « Les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, en ce qu’elles ne prévoient pas d’obligation pour le directeur de l’établissement spécialisé en psychiatrie ou pour le médecin d’informer le patient soumis à une mesure d’isolement ou de contention - et ce, dès le début de la mesure - de la voie de recours qui lui est ouverte contre cette décision médicale sur le fondement de l’article L. 3211-12 du même code et de son droit d’être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou commis d’office, [sont-elles] conforme[s] à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable, au principe de dignité de la personne, à la liberté fondamentale d’aller et venir et du droit à un recours effectif, ainsi qu’à l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice résultant des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ».

La Cour de cassation juge cette question sérieuse dans la mesure où, « en ce qu’elle ne prévoit pas, dès le début de la mesure de placement en isolement ou sous contention, une information du patient quant à la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention d’une demande de mainlevée de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12 du code de la santé publique et à son droit d’être assisté ou représenté par un avocat, la disposition contestée est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Elle est donc transmise au Conseil constitutionnel.

Sans présumer de la réponse que ce dernier produira, on notera qu’il est exact que la notification de ses droits à une personne privée de liberté par l’autorité publique est devenue un fondamental de notre système juridique. L’article 63-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi que la personne placée en garde à vue bénéficie « immédiatement » d’une information sur ses droits dès le début de celle-ci. Il en va de même en matière de déclenchement d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement puisque l’article L. 3211-3 prévoit que la personne faisant l’objet d’une telle mesure doit être informée également de ses droits « dès l’admission ». Le manquement à ces obligations fait encourir une remise en cause de l’une ou de l’autre mesure : nullité pour la garde à vue ; mainlevée pour la mesure de soins psychiatriques (Cass. 1re civ., 5 juill. 2018 n° 18-50.042). Cependant, on notera que, dans un cas comme dans l’autre, le droit admet que cette notification puisse être retardée lorsque la situation le justifie. Pour la garde à vue, la Cour de cassation prévoit que des « circonstances insurmontables », dont il importe de justifier, peuvent entraîner un décalage dans le temps de cette notification (Cass. crim., 29 sept. 2021, n° 20-17.036). Pour la mesure de soins psychiatriques sans consentement, l’article L. 3211-3 prévoit lui-même que la notification doit avoir lieu dès l’admission « ou aussitôt que [l’état de la personne] le permet ».

On voit mal comment la contention et l’isolement, que le Conseil constitutionnel a bel et bien qualifiés de privation de liberté dans ses deux décisions abrogeant les précédentes versions de l’article L. 3222-5-1, pourraient sur le principe échapper à cet impératif de notification des droits. Néanmoins, il est probable que le Conseil constitutionnel tiendra compte du fait, pour moduler sa critique, que l’état d’une personne placée à l’isolement ou en contention, qui peut être notamment lié à une crise, à de l’excitation ou de l’agressivité (contre soi-même ou autrui) pourra éventuellement justifier un décalage dans cette notification.

Absence d’assistance par un avocat

La seconde QPC (Cass. 1re civ., 26 janv. 2023, n° 22-40.021 QPC), intervenant elle aussi sur le registre des droits de la défense, porte sur la mise en œuvre de ces derniers devant le JLD lors de son contrôle obligatoire de l’isolement et de la contention à l’échéance des délais prévus par la loi : « Le II de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est-il contraire à la Constitution en ce qu’il porte atteinte aux principes du respect des droits de la défense qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au respect de la liberté individuelle que l’article 66 de la Constitution place sous la protection de l’autorité judiciaire, en ne prévoyant pas l’intervention systématique d’un avocat au côté du patient lors du contrôle des mesures d’isolement et de contention ? ».

A nouveau, la Cour de cassation juge cette question sérieuse et devant être transmise au Conseil constitutionnel, considérant qu’en « ce qu’il ne prévoit pas l’assistance ou la représentation systématique du patient par un avocat lorsque le juge des libertés et de la détention, saisi d’une demande de mainlevée ou de prolongation de la mesure d’isolement ou de contention ou se saisissant d’office, statue sans audience selon une procédure écrite, l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est susceptible de porter atteinte au principe des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. »

A nouveau la question est pertinente. On sait, en effet, que l’intervention de l’avocat est un droit fondamental de la procédure dès lors qu’une privation de liberté est en jeu. Le législateur a renforcé ce droit à l’avocat dans un principe d’assistance obligatoire par l’avocat pour les contentieux impliquant des personnes particulièrement vulnérables. Ainsi en est-il en matière de mise en cause de la responsabilité pénale d’une personne soumise à une mesure de protection qui, comme le prévoit l’article 706-116 du code de procédure pénale, « doit être assistée par un avocat » durant la procédure. De même, en matière de soins psychiatriques, la personne, dont on part du postulat qu’elle est atteinte de troubles mentaux, doit impérativement être assistée et/ou représentée par un avocat durant la procédure de contrôle de légalité de la mesure de soins (art. L. 3211-12-2). On ne comprend donc pas pourquoi il n’en irait pas de même pour la procédure de contrôle de légalité de la mise à l’isolement ou en contention.


Hospimedia. Psychiatrie. Vers une nouvelle injonction à légiférer sur l’isolement-contention pour l’exécutif ?

Publié le 29/03/23 - 12h50 - Par Caroline Cordier.

Source, cliquer sur ce lien

Le Gouvernement pourrait être une troisième fois contraint par le Conseil constitutionnel à légiférer sur l’encadrement de l’isolement et de la contention. Va-t-on enfin vers l’épilogue de ce feuilleton juridique qui dure depuis plusieurs années ?

Une révision du dispositif encadrant l’isolement et la contention en psychiatrie pourrait être de nouveau imposée au Gouvernement par le Conseil constitutionnel.

Depuis quelques années maintenant, un véritable feuilleton se construit épisode après épisode, sur la législation liée à l’encadrement de l’isolement et de la contention en psychiatrie. Ces allers-retours des dispositions régissant le contrôle de ces pratiques entre le Conseil constitutionnel, le Gouvernement et le Parlement ne sont cependant pas réductibles à un bras de fer juridique entre les pouvoirs publics ou à un ping-pong technique intéressant uniquement les spécialistes du Code de la santé publique et de la Constitution. Les effets des rebondissements de ce dossier sont en effet loin d’être anecdotiques étant donné l’importance des enjeux qu’ils recouvrent en pratique. Ceci tant en matière de respect des droits fondamentaux pour les patients hospitalisés que de l’organisation des établissements de santé, ainsi que des conditions de travail des professionnels de la psychiatrie et du monde judiciaire concernés. L’exécutif pourrait être dans quelques jours contraint de nouveau à revoir sa copie sur l’encadrement de ces pratiques : est-ce le dénouement de cette affaire ?

Réforme de la législation « forcée » par les QPC

Les sages rendent ce 31 mars leur réponse sur deux nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), transmises par le Conseil d’État. Ces QPC pointent l’absence d’obligation d’information au patient sur ses droits et voies de recours dès une première mesure d’isolement ou de contention (lire notre article) et l’absence de représentation obligatoire par avocat lors d’un contrôle judiciaire des mesures sur dossier — donc sans audience. Le 23 mars, cette affaire a été examinée au Conseil constitutionnel (voir le replay de l’audience). En cas d’abrogation de dispositions actuelles, le Gouvernement devra donc légiférer de nouveau. Ce sera ainsi la troisième version du dispositif encadrant l’isolement-contention préparé par l’exécutif, après celles qu’il a dû élaborer à la suite d’une première abrogation en 2020 et une seconde en 2021 (lire nos articles ici et là).

De manière générale, il y a ici une nouvelle illustration du fait que les différents gouvernements depuis plus de dix ans ne légifèrent sur la psychiatrie qu’au forceps — à l’exception du volet financier de la discipline. L’association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA) le rappelle justement sur son site. À l’exception de la traçabilité de l’isolement et de la contention adoptée par amendement de Denys Robiliard, alors député socialiste du Loir-et-Cher, dans le cadre de la loi Santé du 26 janvier 2016, « l’ensemble des réformes concernant les droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte depuis 2010 ont été adoptées par le Gouvernement et le Parlement sous la contrainte de décisions de censure » prises par le Conseil constitutionnel, souligne-t-elle. L’association relève que les sages statuent en ce mois de mars pour la dixième fois sur la question psychiatrique depuis l’instauration des QPC en 2010.

Régime « d’urgence permanente »

Comment expliquer que le Gouvernement n’ait pas rendu dès le départ une copie irréprochable sur le respect des droits des personnes subissant un isolement ou une contention et se fasse à plusieurs reprises mettre en défaut sur le respect de la Constitution ? Il a visiblement tenté de concilier, notamment à la suite de la première censure en 2020, les exigences posées par les sages d’une part et le principe de réalité d’autre part, en ayant en tête notamment la faiblesse des moyens de la justice. C’est ce qu’expliquait début 2021 le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie Frank Bellivier : « il a fallu trouver des modalités d’intervention du juge pas complètement baroques » (lire notre interview). En bref, concevoir un dispositif en fonction des moyens dont la société dispose, au risque qu’il comporte encore certaines failles juridiques.

Mais cela n’a pas empêché l’exécutif de se heurter dans le même temps à ce même principe de réalité : l’insuffisance des moyens donnés aux professionnels de la psychiatrie, directeurs comme médecins et soignants, pour mettre en œuvre la réforme proposée. Une insuffisance qui est d’ailleurs encore aujourd’hui dénoncée par le monde de la psychiatrie, toujours actuellement en crise profonde. Et la solution proposée pour pallier le manque de magistrats — instaurer un contrôle non systématique du juge — n’a finalement pas tenu et a conduit à une nouvelle censure.

Quelle que soit la décision rendue dans quelques jours par le conseil, qu’elle aille ou non dans le sens d’un alourdissement de la procédure et d’une charge supplémentaire de travail pour les professionnels concernés, cette problématique des moyens ne sera de toute façon toujours pas réglée. Cet enjeu a justement été soulevé par le sénateur Antoine Lefèvre (LR, Aisne), dans une interpellation écrite au Gouvernement à laquelle ce dernier a répondu le 7 mars. « S’il répond à l’impérative nécessité de protéger les droits des patients, le dispositif est pourtant perçu dans sa configuration actuelle comme excessivement contraignant, autant pour les services de psychiatrie que pour les magistrats », rappelle le sénateur. Cette situation crée « un régime d’urgence permanente et générant une charge de travail techniquement difficile à assumer ».

Pistes concrètes pour « alléger » le dispositif ?

L’élu explique que « les organisations syndicales représentatives de la justice ont déjà suggéré plusieurs recours pour alléger ce dispositif, parmi lesquels le retour à une procédure écrite fondée sur le contrôle sur pièces, le maintien d’un contrôle du [juge des libertés et de la détention] sur le seul respect des durées suspensives de libertés, ou encore l’augmentation des équivalents temps plein travaillé du ministère dédiés à cette fonction ». Dans sa réponse, le ministère de la Justice rappelle qu’un comité de suivi a été instauré par le Gouvernement dont l’objectif est de mesurer l’impact de la réforme au sein des établissements psychiatriques et des juridictions, puis « de proposer des pistes d’évolution afin de simplifier la procédure ». Il assure alors que l’exécutif « portera une attention particulière aux propositions qui permettront de concilier les différents impératifs » évoqués.

Du côté des hospitaliers, les syndicats de psychiatres ne cessent de pousser leurs revendications en matière d’attractivité et de revalorisations, incluant des primes spécifiques en lien avec la pénibilité ou encore la hausse de la charge administrative induite justement par cette réforme de l’isolement-contention (lire notre article). Mais la concertation avec le ministère de la Santé — qui porte sur l’ensemble des difficultés, incluant celles liées à cette réforme — semble actuellement bloquée (lire notre article).

D’autres zones d’ombre

Dans le bilan de la feuille de route gouvernementale psychiatrie et santé mentale diffusé le 3 mars, le ministère ne fait pas mention des dernières QPC et de la saisine du conseil mais il revient sur les précédentes censures, l’évolution du cadre et les difficultés d’application. Il évoque également ce « comité de suivi santé-justice […] d’ores et déjà mis en place pour rechercher les moyens d’une application plus fluide » du dispositif actuel. Il explique que pour « mieux identifier et répondre aux difficultés » rencontrées par les professionnels de santé et les magistrats, une nouvelle enquête de terrain a été engagée, en lien avec la Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement de CH spécialisés et l’Association des établissements du service public en santé mentale. Une enquête sur les contraintes d’application de cette réforme est aussi menée en lien avec le ministère de la Justice, ajoute-t-il, et « le croisement des données est à l’étude ».

Le ministère fait également mention du plan d’accompagnement doté de 15 millions d’euros « pérennes de crédits supplémentaires » délégués en 2022 (soit le même montant qu’en 2021) pour « accompagner les recrutements nécessaires et organiser le temps médical afin de répondre aux modalités de surveillance et de renouvellement des mesures ». Ce niveau d’investissement annuel a pourtant été jugé dès le départ comme très largement insuffisant, à la fois par les représentants des praticiens, des directeurs d’hôpital et familles de patients.

Enfin, au-delà des moyens et pour en revenir aux enjeux des droits, il reste à voir si la décision du conseil le 31 mars, et les éventuels ajustements législatifs qui seront apportés par l’exécutif en application de cette décision, mettront fin, ou non, à la remise en cause de la constitutionnalité des textes encadrant l’isolement et la contention en psychiatrie. Cela n’épuisera certainement pas en tous cas les sujets, sensibles et complexes, autour de ces pratiques. D’autres zones d’ombre juridiques restent d’ailleurs à éclaircir en la matière, avec par exemple la question des droits des mineurs hospitalisés en psychiatrie (lire notre article).


[1Rectificatif : le Conseil constitutionnel a été amené à statuer à neuf reprises sur l’hospitalisation psychiatrique sous contrainte depuis l’instauration de
la QPC en 2010 et non à dix reprises comme je l’ai rédigé par erreur dans ce communiqué