2022-10-10 - Compte-rendu de la conférence - débat du 17 septembre 2022

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/830

Document du vendredi 21 octobre 2022
Article mis à jour le 4 septembre 2023
par  A.B.

Voir aussi :

2022-09-17 - Conférence débat. Naufrage de la psychiatrie : où en sommes - nous ?

2022-10-04 (Revue de presse) Des internés vous écrivent de l’UMD de Cadillac

2022-06-06 - Tribune - Nos vies valent plus que leur psychiatrie

Pour retrouver cet article sur l’édition participative de Mediapart, Les contes de la folie ordinaire, cliquer sur ce lien


CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton. 14, rue des Tapisseries, 75017, Paris.
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André Bitton, Paris, le 10 octobre 2022.

Conférence - débat 17 septembre 2022. Notes prises en cours de réunion et synthèse

Sur la base de notes prises en cours de réunion par le Dr Mathieu Bellahsen et moi-même (A.B.).

Compte-rendu.

15 personnes étaient présentes au début du séminaire. Vers 15h45, 3 personnes sont arrivées portant le total des personnes présentes à 18 personnes. La composition était la suivante : 3 parents de patients, 4 psychiatres, 1 psychologue, 1 avocate, 1 journaliste de Mediapart, et 8 personnes (ex-) psychiatrisées.

Résumé. Dysfonctionnement général de la psychiatrie. Situation de faillite. Se saisir de l’affaire de Romain Dupuy pour démontrer le déni institutionnel face à la gravité de ce genre de situation

1. - Aff. de M. Romain Dupuy. UMD – Perpétuités psychiatriques

Voir passage à l’acte dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004. Un Wikipedia est disponible sur ce drame ( cliquer sur ce lien ). L’internement sur décision du représentant de l’État (SDRE) de M. R.D. né en 1983, a cours à l’unité pour malades difficiles du CH de Cadillac-sur Garonne, en Gironde.

En exergue :

« C’est le silence qui a été la réponse à nos appels à l’aide » (Mme Marie-Claire Dupuy)

Me Hélène Lecat, avocate de Romain Dupuy avec Serge Portelli depuis janvier 2021. Mme Marie-Claire Dupuy avait d’abord saisi Me Serge Portelli après avoir saisi l’avocat (Me Saint-Palais) qui a défendu Romain Dupuy, pour l’irresponsabilité pénale.

C’est un désert et une absence d’écoute qu’ont traversé et subi les parents de Romain de la part des autorités psychiatriques et des autorités de police. Des années de souffrance et d’errance à voir son enfant sombrer.

Romain est stabilisé depuis plusieurs années. Cinq commissions du suivi médicales (CSM) sont intervenues depuis 2018 concluant qu’il est stabilisé. Pourtant l’arbitraire perdure. Le régime des soins psychiatriques sans consentement sur décision préfectorale échappe en large partie au système judiciaire. On nous dénie la possibilité de voir les demandes de Romain jugées par le JLD. Romain est vu en tant que « fou juridique ». La loi est silencieuse sur la possibilité d’obtenir par voie judiciaire le transfert d’un patient d’UMD (unité pour malades difficiles) en établissement classique sauf à ce que la mesure de SDRE (soins sur décision du représentant de l’État) soit levée.

Question actuellement soulevée : qui est compétent pour trancher cette question, le JLD qui est un juge judiciaire, ou le juge administratif ?

Manque de courage, acharnement du Procureur et de la Préfecture de Gironde. On donne des chances aux détenus mais en l’espèce on oppose des hypothèses : « Et s’il tombait amoureux … Et s’il refumait du cannabis ». Romain Dupuy s’est sevré du Cannabis depuis 2013 [qu’il recevait pas voie postale ( !)]. Entre 2005 et 2013 il a été transféré d’un pavillon à l’autre de l’UMD de Cadillac qui compte trois unités distinctes. Sa détention est arbitraire depuis janvier 2018 au vu des avis successifs de la Commission de suivi médical depuis cette date.

Mme Marie Claire Dupuy prend la parole. Elle a travaillé comme conseillère emploi à Pôle emploi.

Résumé de l’avant drame. Les troubles psychiatriques de Romain démarrent en 2000 — 2001 (Il avait 17 ans – 18 ans). Elle cherchait à comprendre ce qui se passait pour son fils.

Ils habitent un petit village à une douzaine de km de Pau. Le médecin de famille généraliste était spécialisé en gériatrie. Il est devenu, après le drame, responsable du pavillon de psycho-gériatrie du CHP de Pau. Elle le mobilisait fréquemment pour cette affaire, notamment pour des interventions au pavillon de psycho-gériatrie où le drame de décembre 2004 a eu lieu. Elle le sollicitait pour qu’il constate l’état de fait, et qu’il lui prescrive un somnifère qu’elle puisse placer dans le café de son fils pour qu’elle puisse l’emmener aux urgences du CH de Pau.

Mme Dupuy a fréquemment suivi son fils alors qu’il était en errance dans les rues de Pau. Elle n’a jamais eu d’aide de ce médecin généraliste qui a été démissionnaire dans cette affaire. Elle a tenté de l’amener à une consultation de psychiatrie de Pau en 2002 suite à une rupture sentimentale avec une jeune femme avec qui il était en lien depuis l’enfance.

Janvier 2003 la descente aux enfers commence. Il vivait chez ses parents. Le 1er diagnostic est posé par une psychiatre des urgences en janvier 2003.

Cinq H.D.T. [hospitalisation à la demande d’un tiers] se sont succédé depuis 2003. Hospitalisations défectueuses. Séjour de quelques jours, puis sortie ordonnée. Il sortait aussi délirant qu’il était rentré. Mme Dupuy a constaté une démission de fait de l’institution et de l’équipe de psychiatrie de secteur.

La pathologie psychiatrique de Romain se développait au prorata de sa consommation de cannabis avec des phases hautes et d’autres avec une thymie usuelle. Elle s’est déplacée en mai 2003 au CHP en menaçant de faire une grève de la faim dans l’enceinte de l’hôpital. Elle a été menacée d’être internée par un des psychiatres de l’établissement.

Mme Dupuy continuait de se documenter en vue d’un objectif : comment calmer son fils ?

Elle a été en 2003 avec son fils au CH Charles-Perrens de Bordeaux. 200 km avec leur fils, à l’arrière du véhicule. Les deux parents craignaient que leur fils n’éclate en crise avec un passage rapide du calme à la crise. Ils ont vu cet été 2003 à Bordeaux, un professeur de psychiatrie spécialisé dans les troubles bipolaires, qui a minimisé l’état pathologique de leur fils. Cet entretien a été léger, et trop familier.

Le suivi psychiatrique a été totalement déficient. Les démissions et manquements ont été multiples. Mme M. Cl. Dupuy a pris un maximum de notes de ses démarches et de l’évolution de son fils.

« C’est le silence qui a été la réponse à nos appels à l’aide » [le déni]. « Chaque fois que je tirais la sonnette d’alarme, je m’habituais à retrouver mon enfant mort. ».

Les hauts et les bas de Romain Dupuy : « Nous avions face à nous un individu joli garçon, d’un calme olympien. L’instant d’après il était en crise et nous qualifiait de nazis… ». Il rejetait les hospitalisations demandées par ses parents et n’était pas demandeur de soins.

Ce professeur de psychiatre du CH Charles Perrens de Bordeaux qui soignait un cousin de Romain l’a diagnostiqué bipolaire et non schizophrène : « Laissez-le fumer son joint, ce n’est pas un cas de schizophrénie » leur a-t-il dit. M. et Mme Dupuy sont repartis en août 2003 un peu ragaillardis après ce rendez-vous.

« Chaque fois qu’on nous le rendait, nous étions là à nous demander que faire ? … Personne, jamais, à chaque appel au secours : problème de personnel, de sectorisation mais jamais d’aide »

Voyages pathologiques de R. D. entre Paris et Londres. Il revenait dans un état difficilement soutenable. Certaines des nouvelles demandes d’H.D.T. des parents n’aboutissaient pas. La réponse institutionnelle portait sur le manque de moyens. Il fallait se débrouiller. Plusieurs lettres de Mme Dupuy pour dire qu’on allait vers l’horreur, vers un drame, entre 2003 et 2004. Il n’y a jamais eu de réponse.

Le responsable du service psychiatrique de Pau sollicité pour se mettre en relation avec le professeur de psychiatrie du CH Charles Perrens de Bordeaux. Pas de réponse.

Lors d’une hospitalisation de son fils elle a dû constater que celui-ci avait été placé dans une chambre – cellule (chambre d’isolement) qui ressemblait au goulag [ce genre de prise en charge n’arrange rien et ne déclenche pas spécialement la confiance du patient envers l’équipe psychiatrique].

Un clash avec violence de leur fils en 2004 sur son ex-petite amie aurait pu être une occasion de déclencher une H.O. mais celle-ci a été récusée par l’officier de gendarmerie qu’elle a pu contacter.

Il ne leur a pas été possible de faire prendre en charge en hors secteur leur fils. Celui-ci a franchi des étapes dans le délire avec des phases normales notamment lorsqu’il était confronté à d’autres personnes. Leur désarroi et leur terreur ont été croissants de mars 2003 au drame du 17 au 18 décembre 2004. Un gradient dans l’horreur était en place.

Seul un suivi sérieux avec un accompagnement extrahospitalier aurait pu l’aider Cela n’a pas été instauré.

Pas une seule des personnes qui leur ont claqué la porte au nez et les ont regardés avec mépris n’a été inquiétée et n’a eu à répondre des responsabilités engagées dans cette affaire. Le seul qui a été exposé à la vindicte a été leur fils

Celui-ci s’est stabilisé à l’UMD de Cadillac. Mais la famille a dû constater que l’UMD est gérée comme une entreprise comme une autre avec des graves conséquences dans le quotidien.

Suppression totale de sorties thérapeutiques. Déchéance, abysse sans fond. Leur fils a le traitement le plus léger des patients de l’UMD de Cadillac. Le trop plein de stress des soignants. Ceux-ci ne peuvent plus assurer. En face d’eux ils ont des êtres en souffrance. Au quotidien cela devient insupportable.

Tous les experts psychiatres depuis 2018 ont demandé le transfert de Romain dans un hôpital psychiatrique classique.

« On a laissé tomber cet homme, il est enfermé à double tour. Il y avait un soin de qualité à l’UMD de Cadillac qui a périclité. Des dysfonctionnements à répétition. Jusqu’à quand on va-t-on assister à ce délabrement ? »

Me Hélène Lecat nous a appris, que Romain a été transféré à l’ USIP (unité de soins intensifs en psychiatrie) du CH de Cadillac, entre le 10 juin et le 17 juin passé (dates des ordonnances du JLD puis de la Cour d’appel de Bordeaux). Clairement il était mieux traité au pavillon Moreau de l’UMD qu’en USIP…

Judiciairement où en sommes-nous ? La JLD de Bordeaux dans sa décision du 9 juin invalidée en appel : Romain n’a plus rien à faire à l’UMD. Il doit être transféré en établissement psychiatrique classique. La décision de la Cour d’appel du 17 juin invalide certes la décision du JLD du 9 juin mais avec des considérants ouvrant des pistes procédurales à exploiter.

Une saisine va intervenir du tribunal administratif le 18 octobre courant, un délai de deux mois tombe à échéance, en vue d’une saisine du Tribunal des Conflits pour que ce Tribunal tranche sur la question de savoir quelle juridiction est compétente à connaître de la demande de transfert d’une UMD en établissement psychiatrique ordinaire. La compétence du JLD, juge judiciaire, est recherchée. Le JLD est apte à connaître des conséquences d’un avis de la commission de suivi médical favorable au transfert hors UMD.

La Cour de Cassation est par ailleurs saisie en demande de cassation de l’ordonnance de la Cour d’appel de Bordeaux du 17 juin.

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) soutient la lutte juridique actuellement menée pour obtenir le transfert de Romain Dupuy en établissement psychiatrique classique. Les CGLPL dénoncent les conditions indignes d’internement.

Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en 2005 s’emparant de ce drame : « Cet individu ne sortira jamais ». Il a été suivi en cela par Rachida Dati (Garde des Sceaux de 2007 à 2009) et par Michèle Alliot Marie qui était Garde des Sceaux en 2005… Il fallait abattre ce malade et si on ne le pouvait pas, l’enfermer ad vitam aeternam.
29 aout dernier : les 18 pensionnaires sous l’impulsion de Romain adressent avec l’aide d’une infirmière psychiatrique ce courrier d’alerte sur leurs conditions de prise en charge à l’UMD.

Romain n’est pas sorti depuis avril, mis à part les transferts en audience JLD et Cour d’appel.

Ce qui est ressorti en fin d’intervention est le désespoir des parents et celui de Me Lecat, de ne pas voir l’issue du conflit en cours. Je n’ai pas été seul à les rassurer, d’une part sur l’état de mobilisation de Romain : si celui-ci est motivé pour collectiviser une protestation telle cette pétition des pavillonnaires de l’unité Moreau, c’est qu’il est tonique et qu’il a un but et du réseau. Les Drs Mathieu Bellahsen et Jean-Michel Cahn – Filachet ont soutenu également ce point de vue.

Le Dr Cahn-Filachet qui est en fin de carrière, a soutenu qu’en fait ce naufrage de la psychiatrie est de tout temps : il l’a toujours connu en tant que médecin psychiatre. En l’espèce l’affaire de Romain Dupuy est exemplaire de la démission de l’institution psychiatrique. La période actuelle rend plus visible ce genre de drame.

Sur le fait qu’on ne connaisse pas l’avenir, ce que j’ai défendu, j’ai soutenu que le réseau de soutien actuellement en place, avec en plus le soutien de la pétition des patients du pavillon Moreau, par la responsable CGT du CH de Cadillac, ainsi que l’écho du communiqué qu’a préparé Mathieu Bellahsen et que le Printemps de la psychiatrie a signé et diffusé, tout cela ouvre des perspectives qui jusque-là n’étaient pas en place.

Il est certain que dans cette affaire, il est peu probable qu’il y ait un transfert décidé prochainement d’UMD en unité classique, du fait des ordres hiérarchiques reçus tant par le Préfet des Pyrénées-Atlantiques que par le parquet de Bordeaux, mais aussi du fait du contexte sécuritaire actuel. Par contre la lutte juridique pour obtenir une décision de compétence judiciaire du Tribunal des conflits, est résolument fondamentale. Elle permet et consolide une mobilisation médiatique.

Me Hélène Lecat craint que son client ne craque. Je l’ai rassurée, de même que Jean-Michel Cahn et Mathieu Bellahsen. Il faut maintenir du réseau extérieur autour de cet homme et de sa famille, de sorte que cette mobilisation protège Romain et facilite une éventuelle issue favorable. On est là dans une affaire de perpétuité psychiatrique.

Sur l’absence en l’état de mise en cause de la responsabilité du CH de Pau et de l’État qui dans cette affaire, au titre de l’obligation de moyens entre autres, auraient dû agir en prévention de ce drame, je leur ai cité le précédent de l’affaire Benjamin Selam, jeune homme assassiné en 2003 par un ancien copain à lui musulman, du fait qu’il avait pu percer comme D.J. alors que cet ancien collègue et voisin végétait sans issue. Ce dossier avait été défendu par Me Metzker, un avocat de la communauté juive parisienne. Dans cette affaire, l’EPSM de Maison Blanche a été condamné par la juridiction administrative à 30.000 € de réparations aux ayants-droits du fait de ne pas avoir anticipé le risque dangereux de cet homme ( cliquer sur ce lien pour lire la décision )

Mme M. Cl. Dupuy m’a répondu qu’elle ne s’en était pas sentie d’assumer deux conflits en même temps, et qu’elle avait laissé de côté cette hypothèse procédurale.

Il y a eu vers la fin du séminaire un échange avec M. Daniel Chatelain de l’UNAFAM. Sa question étant la suivante : que faire lorsque des fils de famille, restant à domicile, violentent leurs parents, en l’espèce des mères de famille dans un foyer monoparental ?

La question du logement et de l’intégration professionnelle ou de l’autonomie des personnes suivies enfants ou jeunes en psychiatrie est dans ces affaires une vraie question.

Par ailleurs, se pose une question juridique similaire à celle qui a été tranchée dans l’affaire Benjamin Selam par la juridiction administrative. Engager la responsabilité des établissements et de l’État pour négligence et défaut de prévention. Il est convenu que je lui envoie cette jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Paris.

Le Dr Jean-Michel Cahn-Filachet est intervenu sur ce point, en rappelant le dispositif ERIC des Yvelines : une équipe d’intervention à domicile pouvant faire une hospitalisation sans consentement si besoin, mais aussi évaluer la situation sur place et discuter avec les personnes. Ce dispositif n’est pas encore spécialement répandu.

J’ai soutenu un point de vue sur le destin individuel : il appartient aux jeunes et aux personnes aux prises dans des situations bloquées, pathogènes et criminogènes, de trancher dans leur situation de sorte de modifier leur destin.

Dysfonctionnement général de la psychiatrie. Situation de faillite. Se saisir de la situation de Romain Dupuy pour démontrer le déni institutionnel face à la gravité de ce genre de situation.
 

2. - Intervention de la Dr Anna Baleige, psychiatre dissidente et transgenre, jointe au point 3. Mobilisation des psychiatrisés

Exergue :

« La science psychiatrique s’est construite après la pratique : on enferme puis on construit un savoir a posteriori. Fondamental ment. Cette discipline n’existe que pour servir un pouvoir. » (Dr Anna Baleige)

La Dr Anna Baleige a décrit son parcours et les raisons « épistémiques » (ce ne sont pas des raisons conjoncturelles, mais historiques, structurelles) pour lesquelles elle estime qu’il n’y a rien à faire de l’intérieur du système psychiatrique.

Pour des raisons plus cliniques, le Dr Jean-Michel Cahn-Filachet fait de son côté un constat similaire. Toutefois son option est d’agir à côté de l’institution sans s’y confronter frontalement, de sorte de faire un travail soignant et de continuer à pouvoir le faire.

La Dr Anna Baleige a développé un argument en faveur de la thèse abolitionniste en matière de soins psychiatriques sans consentement, thèse qui est celle de l’ENUSP (réseau européen des (ex-) usagers et survivants de la psychiatrie), de Mme Tina Minkowicz (juriste américaine, survivante de la psychiatrie et co-rédactrice de la Convention internationale des droits des personnes handicapées), et du Comité des droits des handicapés des nations-unies. Son camp est spécifique : celui des transgenres.

Cette thèse, qui est aussi une revendication, peut se résumer ainsi : abolition de toute contrainte en psychiatrie, qu’il s’agisse de l’enfermement psychiatrique ou des soins psychiatriques sous contrainte. Inclusion dans le droit commun. Déségrégation systématique de la population concernée.

Son point de vue est radical. La Dr Baleige se positionne dans le cadre d’une lutte spécifique des transgenres. Elle a subi la psychiatrie enfant et adolescente. Tentative de suicide à l’âge de 4 ans.

Médecin psychiatre, elle a suivi un cursus en externat au CHU de Clermont Ferrand dans le service du Dr Llorca, psychiatre lié à la fondation Fondamental (créée en 2007 sous le parrainage du ministère de la Santé).

Elle a ensuite travaillé dans le service anciennement dirigé par le Dr Jean-Luc Roelandt de l’EPSM de Lille Métropole (ex-CHS d’Armentières). Praticienne hospitalière elle a collaboré trois ans durant avec le Centre collaborateur de l’OMS (CCOMS) présidé par le Dr Jean-Luc Roelandt.

Elle a arrêté son activité clinique pour sa transition transgenre.

Selon la Dr Baleige les termes de la lutte politique en santé mentale sont mal posés. Dans les faits la psychiatrie actuelle fonctionne très bien. Cette institution remplit un rôle politique répressif depuis sa création au 19e siècle, et c’est bien cette fonction qui est centrale.

A propos de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et de celle du 5 juillet 2011.

« Être psychiatre relève d’un acte de foi : je suis psychiatre mais… »

Du point de vue des luttes transgenres. Cette communauté a affaire avec la psychiatrie : le changement de sexe n’est autorisé que sur la base d’expertises psychiatriques.

Le combat des transgenres s’insère dans les mouvements de revendication d’ensemble pour les droits civiques. « Fondamentalement la question n’est pas celle des pratiques mais celle des droits », soutient-elle en substance.

L’impératif étant la construction et le développement de réseaux alternatifs hors système. « Les alliés dans le système, dès que la pression monte, perdent leur rôle d’alliés. ». D’après son expérience rester dans le système psychiatrique est un écueil.

« La science psychiatrique s’est construite après la pratique : on enferme puis on construit un savoir a posteriori. Fondamental ment. Cette discipline n’existe que pour servir un pouvoir. »

L’institution psychiatrique : une fabrique de fous dangereux

La nouveauté de la 2e moitié du 20e siècle a été l’élargissement du champ d’application de la psychiatrie à la vie de tous les jours. De plus en plus de choses sont psychiatrisées.

Sur la radicalisation : les professionnels de la psychiatrie ne voulaient pas s’en occuper alors que le pouvoir politique a entendu qu’ils s’en occupent.

Sur la légitimité : nous ne pouvons que rejeter l’explication biologique des pathologies mentales selon laquelle nos gênes déterminent notre vie.

Pour les personnes victimes de ce système : comment se positionner politiquement ? Vouloir de bons soins, c’est déjà être perdu.

L’« esthétique » (au sens de l’habillage, de la présentation) dominante dans notre société, est celle d’un bien-être qui passe par une psychiatrisation. Il s’agit d’une nouvelle « esthétique » mais le mécanisme d’emprise sur les personnes poursuit le même but qu’antérieurement.

La forme que cela prend. Rester dans cette « esthétique », c’est mettre le débat sur la forme. Sur le fond la problématique centrale est celle de l’exclusion et du contrôle médico-social des minorités.

Sur le statut de malade mental. On s’en fiche un peu. On a des droits fondamentaux. On peut être détenu et privé de liberté ou voir sa liberté restreinte en psychiatrie. La limite des droits humains : on ne doit pas pouvoir priver les personnes de leur liberté [sur le seul motif psychiatrique qui en lui-même est ségrégatif (notation d’A.B.)].

La lutte juridique est donc nécessaire. La question étant : « Est-ce que vous avez le pouvoir de faire valoir vos droits ? ». La lutte politique porte sur l’enjeu de l’application effective des droits fondamentaux : « nos droits d’abord » [et non « l’accès aux soins en toute priorité », ce qui est le point de vue institutionnel, mais aussi celui majoritaire dans l’institution judiciaire … Notation d’A.B.]. Il est possible de structurer une communauté revendicative sur cette base.

Les différentes luttes sont fragmentées : les transgenres ont leur propre lutte antipsychiatrique spécifique. De même pour les différents handicaps. Il y a une réelle difficulté pour discuter de cela avec des associations de personnes psychiatrisées. Un front unifié serait nécessaire pour ne pas fragmenter la lutte …

[Ce front commun est introuvable : des carrières, des subventions, des rôles sociaux sont en jeu, ainsi que la peur, la résignation et les avantages sociaux et financiers (AAH etc.) qui empêchent et fragmentent les quelques mobilisations de psychiatrisés qui peuvent avoir cours. Celles-ci en pratique n’ont lieu que sur des feux verts express des institutions psychiatriques, des professionnels du terrain, des ARS, et des pouvoirs publics (notation d’A.B.)]

Position soutenue : refuser les traitements psychiatriques. Personne n’a de carence en neuroleptique qu’il faille combler. L’argument à faire valoir étant de prendre appui sur le principe affirmé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades sur le libre choix du thérapeute, ce qui induit un libre choix de la thérapie (voir l’article L. 1110-8 du code de la santé publique). Actuellement, les patients en psychiatrie n’ont pas cette liberté de choix en matière de soins psychiatriques du fait des mesures de contrainte qui peuvent être mises en œuvre mais aussi des chantages aux prestations ouvertes avec les prises en charge en milieu psychiatrique.

Ainsi pour la Dr Anna Baleige, la base doctrinale de la lutte pour les droits en santé mentale doit être la suivante : abolition des législations portant sur l’internement et la contrainte aux soins. Le consentement doit être libre et éclairé. Le droit commun en matière médicale doit s’appliquer. Cf. l’Islande [qui est une île, peu peuplée. Notation d’A.B.].

La France fabrique de la contrainte et de l’enfermement psychiatrique et entend continuer ainsi. Le Japon bat la France sur ce terrain : 300.000 personnes y sont internées c/ 95.000 personnes en France, en incluant les personnes en programmes de soins ambulatoire ou avec hospitalisations à temps partiel.

Nous devons valoriser le soutien communautaire. Nous ne devons pas accepter dans nos rangs des personnes qui psychiatrisent ou qui médicalisent autrui.

La Dr Baleige nous fait observer qu’actuellement les transgenres se font tabasser plutôt qu’autre chose par les lesbiennes dans les mouvements LGBT.

Autre revendication : suppression de l’irresponsabilité pénale. La capacité juridique de la personne doit être conservée par principe [Je rajoute que cela implique une carcéralisation sans nuance entre les délinquants et criminels atteints au plan psychiatrique et ceux qui ne le sont pas].

La question psychiatrique doit devenir une priorité de santé publique, et être posée en termes de santé publique.

N.B. : La politique actuelle de désengagement de l’État est aussi une chance pour les mouvements alternatifs en psychiatrie.

[Cette conception abolitionniste a été défendue des années 1960 aux années 2000, par les courants désaliéniste et antipsychiatriques, pour l’essentiel formés de (futurs) professionnels de la psychiatrie. Elle a eu comme traduction concrète un consensus de ces courants pour bloquer les réformes sur ce terrain, ce qui a conduit les Gouvernements successifs à passer en force des réformes hospitalières. Cette même situation a conduit à la marginalisation de toute problématique relative à une mise à effet des droits des patients en psychiatrie, renforçant ainsi un certain totalitarisme psychiatrique. En matière politique il est connu que des revendications maximalistes conduisent au maintien du statu quo. Une différence notable entre cette période et notre période actuelle est que cette conception est portée ces dernières années par des (ex) patients eux-mêmes, sur la base de l’entrée en vigueur en mars 2010 en France de la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Notation d’A.B.]

3. - A propos de la société actuelle telle que les personnes psychiatrisées la subissent

Sur la neuro-biocratie en cours d’instauration (ou neuro-bio-politique)

— la biocratie est un régime politique et social où les différences de statut et de condition sont basées sur les aptitudes biologiques et génétiques des personnes et où le pouvoir est détenu par le corps médical. Voir à ce sujet Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley -

Un des médecins psychiatres présents nous dit que dans l’établissement où il a travaillé durant les pics de la pandémie de Covid 19, un triage des malades a été opéré pour l’accès la réanimation. Les malades mentaux dûment recensés comme tels n’étant pas, en l’espèce, prioritaires pour une réanimation …

J’ai précisé, pour ma part, qu’au solde de la période 2010 – 2018 où j’ai fait de la représentation d’intérêts auprès de détenteurs de pouvoir et de mandats, du fait de la judiciarisation rendue nécessaire de par les différentes décisions du Conseil constitutionnel sur QPC relatives à l’hospitalisation psychiatrique sous contrainte ; et alors que j’avais aligné un certain nombre de textes et de prestations qui avaient été remarqués, j’ai été approché à répétition en tant que « fou savant », « fou clinique », pour être potentiellement intégré comme cobaye humain, afin que mon « expertise expérientielle » soit « expertisée » par des chercheurs liés à des laboratoires de sciences humaines.

Ainsi mon « expertise expérientielle », laquelle provient d’un militantisme très risqué, pouvait être éventuellement validée par un certificat « d’expert d’expérience »… Il n’est pas utile de préciser que quelqu’un de frustre et de costaud aurait sans doute été à la castagne et aurait donc été réinterné d’office, satisfaisant ainsi les conceptions de ces professionnels si bien intentionnés.

La conclusion à en tirer était fort simple : ces milieux professionnels dans leur ensemble, sauf des personnes extraites de leur logique de groupe, sont infréquentables en ce qu’ils portent des réflexes ségrégationnistes féodaux. De mon point de vue de migrant – descendant d’immigrés de l’ex-empire colonial français, naturalisé français en cours d’enfance, leur logique est néocoloniale.

Les personnes psychiatrisées forment de fait, une sous-humanité au regard de catégories sociales qui sont considérées comme s’intégrant à une humanité à part entière et qui servent d’étalons : de modèles. La moindre des choses est que nous puissions nous défendre et défendre nos droits, inclus ce droit de ne pas être ségrégués et deshumanisés.

Article 1er de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes [au sens générique] naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. ».
 
Clôture de ce séminaire à 18 h. De façon unanime cet échange a été noté très intéressant voire passionnant.