2022-06-09 - Le JLD de Bordeaux ordonne la mainlevée de la SDRE de Romain Dupuy en ce qu’elle s’exerce en UMD

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/821

Document du jeudi 9 juin 2022
Article mis à jour le 27 février 2024
par  A.B.

2016-02-01 Décret réglementant les UMD.

Sur notre site, décret du 1er février 2016, réglementant les unités pour malades difficiles (UMD).

2022-06-17 La Cour d’appel de Bordeaux maintient Romain Dupuy en UMD

2023-07-03 - Début de judiciarisation pour l’admission et la sortie d’UMD

Wikipedia sur l’affaire Romain Dupuy, cliquer sur ce lien


Hospimedia - Un juge des libertés ordonne la sortie d’unité pour malades difficiles de Romain Dupuy

Publié le 10/06/22 - 17h45 - par Caroline Cordier.

Source : https://www.hospimedia.fr/actualite…

2022-06-09 Ordonnance du JLD de Bordeaux.

Placé depuis près de dix-sept ans en unité pour malades difficiles, Romain Dupuy peut désormais poursuivre ses soins sans consentement en service « classique ». Ses avocats évoquent « un revirement de jurisprudence capital » mais un appel est possible.

Près de vingt ans après les faits, l’affaire dite Romain Dupuy reste sensible et ses suites judiciaires scrutées. Ce 9 juin, un « revirement de jurisprudence capital » est intervenu, selon les avocats de ce dernier, déclaré pénalement irresponsable après avoir commis le double homicide d’une infirmière et d’une aide-soignante au CH des Pyrénées à Pau (Pyrénées-Atlantiques) en 2004. Cette affaire très médiatisée à l’époque, ayant suscité un vif débat sur l’irresponsabilité pénale et conduit l’exécutif à légiférer sur le sujet, revient en effet de nouveau dans l’actualité. Les avocats de Romain Dupuy, hospitalisé depuis janvier 2005 au sein de l’unité pour malades difficiles (UMD) du CH de Cadillac (Gironde), tentent d’obtenir son transfert en service de psychiatrie « classique » pour poursuivre ses soins sans contentement.

Jusqu’à présent, la préfecture de Gironde s’oppose à ce changement malgré des avis médicaux favorables (lire notre article). Cependant, un juge des libertés vient tout juste d’ordonner sa sortie d’UMD.

Placement « irrégulier » et atteinte aux droits

Dans une décision rendue le 9 juin (à télécharger ci-dessous), un juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Bordeaux (Gironde) « ordonne la mainlevée du placement » en UMD de Romain Dupuy. Il « autorise le maintien de l’hospitalisation complète » du patient et « dit que, en l’état, la poursuite de cette hospitalisation complète devra se faire hors [UMD] ». Dans ses conclusions, le magistrat rappelle que « le juge judiciaire doit veiller à ce que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles soient adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental et à la mise en œuvre du traitement requis », comme mentionné à l’article L3211-3 du Code de la santé publique.

Or une hospitalisation en UMD comporte « plus de restrictions aux libertés individuelles que celles qui existent dans un service de psychiatrie générale fermé », relève le JLD. Il estime qu’il est « constant et médicalement constaté que [Romain Dupuy] ne relève plus actuellement » d’une hospitalisation en UMD. « De la même façon que l’admission [dans cette unité] se fait sur proposition médicale, la sortie se fait par la préfecture sur indication médicale après envoi des délibérations de la commission de suivi médical et, en cas de difficultés, par le juge après recueil de l’avis du collège et de deux expertises », poursuit-il.

Le placement de ce patient en UMD « est devenu irrégulier et il y a bien atteinte aux droits du patient », déclare le juge, décidant que ce placement doit donc être levé. Il ajoute qu’il est « tout aussi constant et médicalement constaté que l’état de santé de [Romain Dupuy] nécessite un maintien […] en hospitalisation complète ». Il autorise par conséquent sa prolongation et précise qu’il appartiendra « à l’administration et aux établissements de définir le nouveau lieu d’hospitalisation » du patient.

Fin d’une « perpétuité psychiatrique » ?

Au regard de cette décision « qui sera très probablement frappée d’appel* soit par le ministère public soit par la préfecture de Gironde dans les heures ou jours qui viennent », a expliqué le 9 juin à d’Hospimedia l’avocate du patient, Me Hélène Lecat, « une perspective de mettre fin à cette condamnation de Romain Dupuy à la »perpétuité psychiatrique« s’ouvre enfin ». Elle précise ce 10 juin que le ministère public a fait appel, avec une audience fixée au 15 juin à la Cour d’appel de Bordeaux. La préfecture a également décidé de faire appel, ont indiqué les services de cette dernière à Hospimedia.

Au côté de Me Serge Portelli dans ce dossier, l’avocate estime que « cette ordonnance constitue un revirement de jurisprudence capital ». Elle instaure enfin un contrôle réel du juge judiciaire, en l’espèce le JLD, sur les mesures de soins sans consentement dans les UMD, poursuit Hélène Lecat. Cette décision « s’inscrit dans l’évolution constante du droit en la matière après la reconnaissance de la nécessité d’une intervention du juge judiciaire pour contrôler désormais l’isolement et la contention des patients placés en psychiatrie ».

Par ailleurs, ajoute l’avocate, « cette décision qui constitue également une reconnaissance du travail des psychiatres et des personnels infirmiers dans les soins, a le mérite de faire prévaloir l’efficience des traitements et la situation clinique du patient sur des considérations d’ordre politique ou une interprétation dépassée des droits des patients ». En effet, plusieurs dimensions se mêlent dans ce dossier : sociétale, sécuritaire mais aussi juridique car la question du contrôle juridictionnel des décisions de sortie d’UMD se pose. Si le préfet décide de ne pas prendre d’arrêté de sortie malgré des avis médicaux favorables, qui peut l’y enjoindre entre le juge judiciaire et le juge administratif ? Dans une précédente décision d’un JLD, via une ordonnance datée du 29 avril 2021, ce dernier a constaté « l’incompétence du juge judiciaire pour décider d’un transfert de patient ».

Incompétence du JLD sur l’affectation en UMD ?

L’avocate rappelle pourtant que son client bénéficie, depuis janvier 2018, d’avis de commissions du suivi médical (CSM) favorables sans cesse renouvelés préconisant son transfert « vers un établissement psychiatrique dit ordinaire lequel le prendrait également en charge » en hospitalisation complète. « Malgré ces cinq avis favorables, la préfecture de Gironde n’a de cesse de ne pas prendre d’arrêté en ce sens et ce alors même que durant la seule année 2021, pas moins d’une trentaine de patients de l’UMD de Cadillac ont, pour leur part, pu bénéficier d’un arrêté de transfert », souligne-t-elle. Hélène Lecat juge que « cette position [équivaut] à un déni de justice », la préfecture de Gironde « assumant clairement le fait qu’elle ne prendra de décision administrative que si elle y est enjointe ».

Dans ses observations produites lors de la dernière audience JLD en date du 24 mai dernier, qu’Hospimedia a pu consulter, la préfète de Gironde a prononcé « le maintien de la mesure de soins sans consentement […] sous sa forme actuelle ». Sur le volet juridique, elle reprend l’argumentaire de la décision du JLD d’avril 2021 selon laquelle il n’appartiendrait pas à ce juge de « décider des conditions de l’hospitalisation […] ni de choisir l’unité dans laquelle le patient doit être affecté ».

Trouver une équipe « suffisamment solide »

Le procureur de la République a défendu lors de l’audience que « la mainlevée de la mesure de soins engendrant une sortie d’UMD représenterait un risque particulièrement élevé de troubles à l’ordre public et d’atteinte à la sécurité des personnes ». Mais sur le point précis de la sortie d’UMD vers un service « classique », il cite l’un des experts psychiatres indiquant que l’on « peut considérer que [le patient] pourrait justifier désormais d’une possibilité d’hospitalisation dans un cadre plus général ». Dans cette hypothèse, selon l’expert, la question est « de trouver une équipe psychiatrique suffisamment solide pour le prendre en charge en milieu hospitalier, puis mettre en place le cas échéant, dans un second temps, un programme de soins ».

Le magistrat du parquet relève « l’usage du conditionnel [par l’expert], qui subordonne un changement de cadre institutionnel au fait de trouver une équipe psychiatrique »suffisamment solide« pour le prendre en charge en milieu hospitalier ». Ce n’est pas le cas dans le département de la Gironde, selon le procureur, alors que le « le CH spécialisé Charles-Perrens [à Bordeaux] a émis un avis défavorable pour la poursuite des soins dans son établissement ».

* L’appel peut être formé dans un délai de dix jours.

Liens et documents associés - L’ordonnance [PDF]

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Mediapart - Affaire Romain Dupuy : l’internement à vie divise les magistrats

Le parquet de Bordeaux a fait appel de la décision d’un juge de transférer Romain Dupuy, enfermé dans une unité pour malades difficiles depuis 2005, vers un hôpital psychiatrique de droit commun. Au cœur d’un terrible fait divers, ce schizophrène est stabilisé, d’après un collège de médecins.

Michel Deléan

10 juin 2022 à 15h19

Source : https://www.mediapart.fr/journal/fr…

L’affaire Romain Dupuy est un cas d’école pour les magistrats, les médecins et les pouvoirs publics. Résumée de façon abrupte, elle pose la question suivante : une personne peut-elle rester retenue à vie dans un établissement de haute sécurité par la seule décision de l’administration ?

Romain Dupuy, 38 ans, est enfermé à l’unité pour malades difficiles (UMD) de Cadillac (Gironde) depuis janvier 2005. Après des années d’efforts, ses avocats viennent d’obtenir une victoire historique, jeudi 9 juin. Un juge des libertés et de la détention (JLD) a accepté, pour la première fois, la demande de le placer dans un établissement psychiatrique classique.

Cette décision « constitue un revirement de jurisprudence capital. Elle instaure enfin un contrôle réel du juge judiciaire, en l’espèce le JLD, sur les mesures de soins sans consentement dans les UMD », ont réagi les avocats de Romain Dupuy, Hélène Lecat et Serge Portelli.

Mais selon des informations obtenues par Mediapart, le parquet de Bordeaux a aussitôt fait appel de l’ordonnance du JLD, ce vendredi 10 juin. Cet appel est suspensif, et l’affaire sera plaidée mercredi 15 devant la cour d’appel.

Pour ses défenseurs, il ne s’agissait pas de demander la mise en liberté de ce patient très médiatisé. Mais, comme l’ont soutenu Hélène Lecat et Serge Portelli, « les conditions du maintien de Romain Dupuy en UMD sans justification médicale portant atteinte à ses droits fondamentaux nécessitent son transfert sans délai dans un établissement de droit commun ».

Par trois fois, depuis janvier 2018, la commission de suivi médical de l’hôpital de Cadillac, composée de deux médecins et d’un cadre de santé, a constaté que l’état de Romain Dupuy s’était stabilisé, et elle s’est prononcée pour sa sortie de l’UMD et son transfert dans un établissement psychiatrique classique. Le patient ne pose aucun problème, accepte son traitement, et s’est investi dans une psychothérapie, note la commission.

Ultrasécurisées, les UMD enferment les malades mentaux qui présentent un danger pour les autres ou pour eux-mêmes. Ce n’est plus le cas de Romain Dupuy, selon la commission de suivi médical. Mais le préfet de Gironde s’oppose avec constance à ce transfert depuis 2018, et aucun hôpital psychiatrique ne s’est proposé pour accueillir ce patient qui a défrayé la chronique voilà seize ans.

Déjà soigné pour schizophrénie depuis 2000, Romain Dupuy, âgé de 21 ans à l’époque des faits, alors en crise mais en liberté, s’était rendu à l’hôpital psychiatrique de Pau (Pyrénées-Atlantiques), dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, et avait tué à coups de couteau une aide-soignante, Lucette Gariod, 40 ans, et une infirmière, Chantal Klimaszewski, 48 ans, cette dernière ayant étant décapitée.

L’affaire avait déclenché une onde de choc, et jeté une lumière crue sur la misère de la psychiatrie. Les parents de Romain Dupuy avaient notamment demandé l’internement de leur fils à de multiples reprises avant son passage à l’acte. En vain.

Romain Dupuy avait finalement été déclaré pénalement irresponsable en 2007. Nicolas Sarkozy, tout juste élu président de la République, avait alors demandé à sa ministre de la justice, Rachida Dati, de « réfléchir » à la possibilité de traduire devant un tribunal un auteur de crime, même s’il est déclaré irresponsable pénalement. Juger les fous, en somme.

Le préfet bloque toute possibilité de transfert

La commission de suivi médical de Cadillac a rendu trois décisions favorables (le 11 janvier 2018, le 5 septembre 2019 et le 3 juillet 2020) à une sortie de l’UMD de Romain Dupuy. Selon le Code de la santé publique (article R. 3222-6), il revient au préfet de prendre un arrêté pour transférer le patient dans un autre établissement. Mais le préfet de Gironde n’a pris aucun arrêté.

Un autre rapport d’expertise du 20 octobre 2020 et un avis d’un collège d’experts du 27 octobre 2020 ont pourtant confirmé que l’état de Romain Dupuy était stabilisé. Ils se sont prononcés pour une hospitalisation en psychiatrie, son état ne justifiant plus qu’il reste en UMD. Ses défenseurs et sa famille craignent les conséquences psychiques sur le jeune homme de ce blocage administratif.

« Il n’y a aucune reconnaissance de l’être que je suis devenu », a déclaré Romain Dupuy à l’un des médecins experts. Il aspire à être soigné dans un hôpital psychiatrique classique pour se réhabiliter et gagner en autonomie. En UMD, toutes les portes sont fermées à clé, les horaires immuables, et les activités assez limitées.

« Ce blocage de l’administration, c’est une foi aveugle dans un déterminisme absolu. Et ce sont les mêmes institutions qui ont failli avant l’horreur paloise », déclarait à Mediapart Marie-Claire Dupuy, la mère de Romain, en avril 2021. « Pendant des années, tout était centré sur Romain, les regards et les âmes. » Son fils a été décrit comme un monstre.

« Avant Pau, malgré mes alertes et mes appels au secours, on ne voulait pas admettre qu’il était malade. Il y a eu des manquements de la part de la psychiatrie, mais aussi des policiers, des gendarmes, des pompiers, de SOS Médecins, accusait-elle. Aujourd’hui, on ne donne aucun sens à sa vie. On veut le nier, qu’il reste ad vitam æternam en UMD. Or il n’a plus rien à faire au milieu des zombies shootés aux calmants. Il est en rémission, même s’il reste schizophrène. »

« Romain n’a pas eu de sortie accompagnée depuis un an, poursuivait sa mère. Pour le visiter, on fait 400 kilomètres dans la journée, et on le voit une heure dans une pièce vitrée qui ressemble à un bocal à poissons surveillés et enfermés à double tour. Il participe à de nombreux ateliers, il fait attention à lui, il s’accroche, mais j’ai peur qu’on le perde si on le laisse croupir là-bas. »

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Pour sa part, la préfecture de la Gironde estime que Romain Dupuy a une personnalité « borderline » qui représente encore un trouble à l’ordre public et un danger pour la sécurité des personnes. Quant à l’agence régionale de santé (ARS), elle retient l’avis divergent donné le 6 octobre 2020 par un expert, qui préconise son maintien en UMD, et s’inquiète – dans le cas contraire – qu’il ne soit un jour libéré ; elle invoque également l’absence d’hôpital souhaitant l’accueillir.

Saisie par la famille Dupuy, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, a écrit à la préfecture de la Gironde le 20 octobre 2020 pour recommander le transfert « sans délai » de ce patient vers un établissement de droit commun.

Dans un avis rendu le 17 janvier 2013, le contrôleur général de l’époque, Jean-Marie Delarue, s’inquiétait déjà du sort des internés en UMD en ces termes : « Le CGLPL s’est rendu compte que des patients restent en UMD alors même que la commission de suivi médical et le préfet se sont prononcés en faveur de leur sortie. Outre le fait que souvent l’établissement d’origine n’est pas très enclin, par appréhension spontanée, à réadmettre un patient qui a représenté pour le personnel un danger, c’est surtout le flou des textes qui ne permet pas de déterminer l’autorité en mesure d’imposer l’établissement devant accueillir un patient sorti d’une UMD et laisse place à des tractations aux résultats aléatoires. ».


Commentaires sur l’article de Mediapart du 10 juin. Extraits

J’ai pu lire l’ordonnance elle-même prise par le JLD de Bordeaux hier (via une dépêche d’Hospimedia de ce jour).

Cette ordonnance est entachée d’une erreur de droit. Le JLD aurait dû ordonner la levée de la mesure de SDRE médico-légale en donnant un effet différé à sa décision conformément à l’article L. 3211-12-1 III du code de la santé publique (loi du 5 juillet 2011 modifiée). Le JLD de Bordeaux a été au-delà du texte de loi auquel il se réfère. Il a excédé ses compétences en ordonnant d’une part la levée de la mesure de SDRE médico-légale en ce que celle-ci s’exerce en UMD mais aussi et d’autre part en concluant au maintien de la mesure d’hospitalisation complète…

En espérant que l’État finisse par élever le conflit et par saisir le Tribunal des conflits … En tout cas cette ordonnance encourt une cassation. Pour le reste, elle n’en est pas moins une avancée.

A.B.