2022-06-07 Sur l’abus de prescription de psychotropes légaux tenant lieu de prise en charge

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/815

Document du mardi 7 juin 2022

par  A.B.

Rubrique Témoignages

2021-03-20 - Neuroleptisé dès l’âge de 18 ans, mort à 43 ans…

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Témoignage – Sur l’abus de prescription de psychotropes légaux tenant lieu de prise en charge

7 juin 2022.

Bonjour,

Témoignage - Sur un abus de prescription

J’apprécie beaucoup le sérieux ainsi que l’indépendance d’esprit de votre association. Je n’ai jamais revendiqué le statut d’ancien malade mais je déplore les lacunes et l’aspect coercitif de plus en plus présents en psychiatrie. (On ne peut même plus y fumer librement !).

À l’heure où les droits les plus élémentaires des patients semblent bafoués au nom du « Pas de moyens, c’est de toute façon pour leur bien », je souhaite participer pour la première fois, longtemps après mon expérience, à votre association.

J’espère que le récit suivant n’est pas trop long. J’en suis d’autant plus sûr que mon dossier d’ordonnances est en grande partie conservé.

Je suis âgé de 61 ans et j’ai été hospitalisé librement en 1990 et 1991 à trois reprises, pour une durée totale de trois mois et demi.

Mon père, médecin du travail dans le Nord, lui-même lourdement médicamenté, m’encourageait (en s’en mêlant à l’occasion) à poursuivre une thérapie d’abord très légère. La stabilité professionnelle primait sur le reste.

La précarité de mon activité non choisie d’architecte m’a d’abord conduit à un burn out aggravé par la prise de stimulants (Ordinator) après la fermeture de l’agence lilloise qui m’employait.

Lors de ma première hospitalisation à Paris, mon rapide rétablissement après 15 jours d’Anafranil a surpris le chef de service. Cela m’a été confirmé par le psychiatre (recommandé à Lille) qui me suivait. Lui-même s’intéressait à l’aspect délinquance de mon adolescence que j’ai confessé pour le convaincre de m’accepter alors qu’il me refusait son aide.

À l’Anafranil et ses rapides inconvénients a succédé une période d’intense médicamentation. En deux ans et demi, à raison de deux séances par semaine certaines périodes, j’ai essayé, souvent à haute dose, 42 sortes de substances, d’après les ordonnances conservées.

Certaines ordonnances étaient parfois (rarement) refusées en pharmacie et je me rappelle les doses massives de Solian que je devais aller chercher à la pharmacie centrale, avec parfois 23 de tension, suite à une deuxième hospitalisation censée m’aider à aborder un nouvel emploi qui m’attendait (que j’ai bien sûr abandonné).
Mis à part l’aide ponctuelle de ma mère, il n’y avait aucun accompagnement.

Mon psychiatre m’encourageait parfois à entrer « durablement » dans un « service », m’assurant qu’il n’y avait pas d’autre solution.

Le suicide d’une de mes sœurs, psychologue, à 32 ans, et les répercussions sur le travail en intérim m’ont quasiment mis à terre. Je me disais souvent : « Le suicide t’est interdit. ».

Je me suis rendu à plusieurs reprises en urgence au CPOA de Sainte Anne mais je n’ai pas pensé à alerter sur la succession rapprochée de médicaments .

J’ai finalement accepté l’hospitalisation à Epinay-sur-Seine et, en un mois et demi, j’y ai pris près de 45 kg. Aucun contrôle cardiaque n’a été fait, ni durant le séjour ni à la sortie. Et toujours aucun accompagnement en vue, sauf parfois celui de ma mère.
Il a fallu une nouvelle série d’essais et une chute dans un bar (où heureusement j’étais connu) pour me décider à cesser cette thérapie.

Le psychiatre a tenté, seul, de me retrouver à mon domicile et a alors conseillé, en mon absence, à ma mère présente de m’interner, puisque mon caractère empirait, ce qui nous a définitivement choqués.

J’ai tenté durant peu de temps de consulter à nouveau mais je n’étais plus en confiance. Tout était à refaire, en bricolant au niveau professionnel.

Il m’a fallu plusieurs années, souvent stressantes, pour me sevrer progressivement avec des médecins généralistes auxquels je ne parlais pas de mes antécédents psychiatriques.

Il me reste un goût amer de ces années, aussi à cause de la solitude. Par exemple, peut-être à la suite d’un entretien calamiteux sous sédatifs, l’ANPE ne m’a jamais transmis d’offre d’emploi ni financé de formation en 12 ans d’inscription pour des emplois aussi variés que possible. J’étais toujours en décalage, soit à côté de la plaque ou pas assez handicapé. (J’ai essayé d’intégrer des ateliers protégés.)

Je ne dénigre pas la psychiatrie, elle est nécessaire, peut-être plus que jamais dans ce monde qui montre des limites de toutes sortes. Mais ce que je ne comprenais pas il y a 30 ans me paraît toujours plus accentué, jusqu’à l’horreur de la contention, couramment utilisée par manque de moyens certes, mais aussi presque encouragée ! À l’époque, de simples incidents avec des infirmiers pouvaient être ignorés. Le plus marquant est celui de cette infirmière qui me plaquait un bol contre les lèvres durant mon sommeil. Aucune explication ni défense ne m’a été donnée par le médecin sinon : « Vous lui en voulez parce qu’elle s’appelle Jacqueline comme votre mère ! »…

La parole du malade est trop systématiquement ignorée et le temps de sevrage minoré.