2021-12-30 - Vide juridique sur l’isolement - contention (revue de presse)

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/808

Document du samedi 1er janvier 2022
Article mis à jour le 2 janvier 2022
par  A.B.

Dossier sur notre site sur la légalisation de l’isolement et de la contention en psychiatrie, cliquer sur ce lien cliquer sur ce lien

2021-12-27 - Au 1er janvier 2022 l’isolement - contention privé de base légale


Le Monde - Après trois censures du Conseil constitutionnel sur les mesures d’isolement et de contention en hôpital psychiatrique, le gouvernement instaure un contrôle par le juge

Par Jean-Baptiste Jacquin

Publié le 30 décembre 2021 à 18h17.

2021-12-30 Le Monde.fr

Source : https://www.lemonde.fr/societe/arti…

Le projet de loi transformant le passe sanitaire en passe vaccinal soumis au Parlement contient une belle incongruité. L’article 3 (et dernier) de ce texte passé lundi 27 décembre en conseil des ministres porte sur les mesures d’isolement et de contention en hôpital psychiatrique, sans aucun rapport avec la gestion de la crise sanitaire. Il vient réparer en catastrophe des malfaçons en série du gouvernement au sujet des soins sans consentement en psychiatrie hospitalière. Trois censures du Conseil constitutionnel en dix-huit mois sur le même sujet sont passées par là.

2021-12-29 Etude d’impact article 3 du projet de loi sur le Pass vaccinal.

Le 19 juin 2020, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), l’institution présidée par Laurent Fabius censurait la loi de 2016 encadrant les mesures d’isolement (enfermement dans une chambre) et de contention (immobilisation médicamenteuse ou mécanique) dans les hôpitaux psychiatriques. Ces décisions, prises par les médecins pour des patients jugés dangereux pour les autres ou pour eux-mêmes, « constituent une privation de liberté » et ne peuvent pas être maintenues au-delà d’une certaine durée sans un contrôle par le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, avait affirmé le Conseil constitutionnel.
Trois censures

Les ministères de la santé et de la justice ont donc fait voter, dans la loi du 14 décembre 2020, un nouveau dispositif permettant aux médecins de renouveler ces mesures « à titre exceptionnel » au-delà de la limite légale de quarante-huit heures pour un isolement et de vingt-quatre heures pour une contention, à la condition que le médecin informe « sans délai le juge des libertés et de la détention [JLD], qui peut se saisir d’office ». Mais patatras, nouvelle QPC, nouvelle censure, le 4 juin 2021. Selon le Conseil constitutionnel, cette information n’empêche pas de renouveler indéfiniment des mesures sans avoir la garantie d’un contrôle effectif par le juge. L’institution reporte au 31 décembre l’effet de cette censure, le temps pour le législateur d’établir un nouveau texte.

Bon gré mal gré, l’avenue de Ségur et la place Vendôme se sont rangées à la saisine automatique du juge judiciaire à laquelle ils étaient rétifs, en raison notamment des craintes sur la capacité d’une justice déjà surchargée à faire face. L’article voté en novembre pour modifier le code de la santé publique prévoit que l’autorisation d’un juge est obligatoire pour pouvoir prolonger une mesure d’isolement au-delà de quatre jours ou une mesure de contention au-delà de trois jours. De quoi respecter enfin l’article 66 de la Constitution selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu ».

Mais le gouvernement a eu la mauvaise idée de glisser cet article dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, en dépit de l’avertissement de plusieurs parlementaires. Résultat, le 16 décembre, encore une censure ! Cette fois, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur le fond, mais sur la forme, dénonçant un cavalier législatif, c’est-à-dire une disposition sans rapport avec l’objet de la loi qui l’abrite. C’est ce même article qui se retrouve aujourd’hui dans le texte sur le passe vaccinal, mais le gouvernement a pris soin de le préciser dès le titre de son projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique ».

« Situation inédite de vide juridique »

Reste une difficulté. Que va-t-il se passer dans les hôpitaux psychiatriques, et en particulier dans les unités pour malades difficiles (UMD), après le 31 décembre, date d’entrée en vigueur de la censure prononcée en juin, et le moment, d’ici à fin janvier 2021, où le nouveau texte devrait être promulgué ? « C’est une situation inédite de vide juridique, constate Paul Jean-François, psychiatre à l’hôpital Paul-Guiraud, à Villejuif (Val-de-Marne), et membre du bureau du Syndicat des psychiatres des hôpitaux. Notre responsabilité peut être engagée au pénal et au civil alors qu’il y a des situations d’urgence où nous n’avons pas le choix. Dans certains cas de crise, ne pas placer un patient à l’isolement poserait la question de la non-assistance à personne en danger. »

D’un point de vue juridique, c’est donc l’état du droit antérieur à 2016 qui s’applique, sauf que recourir à l’isolement ou à la contention sans contrôle du juge judiciaire a été déclaré contraire à la Constitution. Des poursuites pour « séquestration » pourraient théoriquement être engagées. La Fédération française de psychiatrie recommande ainsi aux médecins de faire comme si… et de saisir le juge des libertés, conformément au dernier article censuré. Avec le risque d’interprétations divergentes par les JLD, certains pouvant tout simplement rejeter ces demandes d’autorisation sans base légale.

Pour André Bitton, du Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie, cette impasse législative à laquelle le gouvernement a été acculé « prouve le désintérêt des responsables politiques pour ces sujets, sauf quand on est sous un angle purement sécuritaire ». La Haute Autorité de santé avait préconisé, en 2017, la création d’un observatoire national des soins sans consentement et des mesures d’isolement et de contention, afin notamment de « participer et stimuler la recherche à partir du recueil des données nationales concernant ce sujet ».

En 2021, on en est encore à rechercher une solution logicielle pour recueillir ces données de façon fiable et uniforme. Matignon avance néanmoins des chiffres selon lesquels 121 000 placements à l’isolement et 33 000 mesures de contention ont été prescrits en 2018 pour des personnes hospitalisées sans consentement.


AFP - Derrière le pass vaccinal, nouveau repêchage pour une mesure psychiatrique trois fois retoquée

Mise à jour 29.12.2021 à 19:00

© 2021 AFP

2021-12-29 AFP

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/san…

Le projet de loi transformant le pass sanitaire en pass vaccinal, examiné à l’Assemblée à partir de mercredi, comporte également un article encadrant l’isolement et la contention des malades psychiatriques, objet de trois censures du Conseil constitutionnel en 18 mois.

Le Covid n’est pas la seule urgence. Pris en défaut sur une mesure portant atteinte à la liberté individuelle, le gouvernement n’a plus le droit à l’erreur, face à un risque imminent de vide juridique.

A l’origine était un amendement déposé en mars 2015 par une quarantaine de députés de l’ex-majorité socialiste - dont l’actuel ministre de la Santé Olivier Véran - dans la loi « de modernisation de notre système de santé » portée par Marisol Touraine et promulguée en janvier 2016.

Puisant ses motivations dans « les principes des Nations unies » et les recommandations du Conseil de l’Europe ainsi que du Défenseur des droits, le texte affirmait que « le placement en chambre d’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours » ne pouvant relever que de la « décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée ».

Hélas, le législateur avait omis de préciser ladite durée. Saisis en mars 2020 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), les Sages de la rue Montpensier n’ont pas manqué de soulever cette lacune pour justifier, en juin de la même année, leur première censure, assortie d’un « effet différé » au 31 décembre pour se prémunir de « conséquences manifestement excessives ».

Un délai mis à profit par le gouvernement pour fixer, dans le budget de la Sécurité sociale pour 2021, « une durée maximale » de 48 heures pour l’isolement et de 24 heures pour la contention, conformément aux recommandations de la Haute autorité de santé.

Mais le Conseil constitutionnel, à nouveau saisi d’une QPC en avril 2021, constate que « le législateur n’a, de nouveau, pas prévu (…) l’intervention systématique du juge judiciaire » et censure une deuxième fois la réforme en juin, encore avec « effet différé » au 31 décembre.

Qu’à cela ne tienne, le gouvernement revoit encore sa copie et intègre la disposition dûment modifiée dans le budget de la Sécu pour 2022. La mesure est pourtant retoquée une troisième fois car considérée comme un « cavalier social » n’ayant pas sa place dans un texte budgétaire.

Les Sages n’ont « pas censuré sur le fond mais sur la forme », a relevé M. Véran mercredi devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale, soulignant que « cette disposition est indispensable pour offrir un cadre juridique solide et stable à ces situations si particulières » et que « les professionnels de la santé mentale et de la psychiatrie » sont « très en attente ».

Ce dernier revirement contraint toutefois l’exécutif à agir vite, car la date butoir reste inchangée. Le texte retoqué est donc repris à la virgule prêt dans le nouveau projet de loi, avec la bénédiction du Conseil d’État qui n’y a décelé « aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel ».

Selon l’étude d’impact, la mesure « s’appliquera dès le lendemain de la publication de la loi », en même temps que le pass vaccinal dont l’entrée en vigueur est envisagée « à compter du 15 janvier ».


JIM - L’hospitalisation sous contrainte s’invite dans le débat sur le passe vaccinal !

Paris, le vendredi 31 décembre 2021.

Source : https://www.jim.fr/medecin/actualit…

(JIM : Journal international de médecine).

Le projet de loi transformant le passe vaccinal en passe sanitaire contient un article renforçant le contrôle judiciaire sur l’hospitalisation sous contrainte.

Quel rapport entre l’hospitalisation sous contrainte des malades psychiatriques et le passe vaccinal ?

Aucun me direz-vous et vous auriez bien raison. Et pourtant, le projet de loi sur le passe vaccinal, actuellement examiné en commission à l’Assemblée Nationale, contient un article 3 qui met en place un contrôle judiciaire renforcé sur les mesures d’isolement et de contrainte des personnes hospitalisées sans leur consentement. Un article sans aucun rapport avec la crise sanitaire, qui devrait a priori moins soulever les passions que les dispositions relatives au passe vaccinal, mais qui risque pourtant de bouleverser l’activité des hôpitaux psychiatriques français.

Dans le détail, l’article 3 du projet de loi modifie l’article L. 3222-5-1 du code de la Santé Publique qui disposera désormais que le directeur d’un établissement psychiatrique devra saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) à chaque fois qu’un médecin souhaitera prolonger une mesure d’isolement d’un malade au-delà de 96 heures ou une mesure de contention au-delà de 72 heures.

Le JLD devra être saisi pour chaque prolongation de la mesure. Cependant, s’il a déjà autorisé le maintien de l’isolement ou de la contrainte à deux reprises, sa saisine ne sera nécessaire que tous les 7 jours.

Quand le Conseil Constitutionnel devient fou

Ce dispositif est le fruit d’un processus judiciaire complexe qui dure depuis 18 mois. Tout a commencé le 19 juin 2020, lorsque le Conseil Constitutionnel, saisi par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a jugé que les dispositions de la loi du 26 janvier 2016, qui ne prévoyaient aucun encadrement judiciaire en cas d’isolement ou de contrainte d’un malade mental, étaient contraires à la Constitution. Les neufs sages avaient jugé que sans intervention du juge, ces mesures portaient atteinte à l’interdiction de la détention arbitraire, prévue à l’article 66 de la Constitution.

Le gouvernement et les parlementaires avaient cru répondre à cette censure en insérant dans la loi du 14 décembre 2020 un dispositif prévoyant que les médecins devaient informer le JLD au bout de 48 heures pour un isolement et de 24 heures pour une contention, le JLD devant alors choisir de se saisir de l’affaire ou non. Pas suffisant pour le Conseil Constitutionnel, qui a censuré la nouvelle loi à la suite d’une autre QPC le 4 juin 2021, estimant que seul un contrôle systématique du juge répondait aux exigences de la Constitution.

Le gouvernement s’est alors remis à l’ouvrage, a créé le dispositif de contrôle judiciaire décrit plus haut et l’a inséré dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Nouvelle erreur : le 16 décembre dernier, le Conseil Constitutionnel censurait à nouveau la loi, pour une question de forme cette fois. En effet, la nouvelle règlementation constituait ce qu’on appelle un « cavalier législatif », c’est-à-dire qu’elle avait trop peu de rapport avec l’objet principal de la loi.

Espérant cette fois mettre fin à tout débat judiciaire, le gouvernement a donc inséré sa réforme dans le projet de loi actuel, qu’il a eu soin de nommer « projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique » pour éviter les foudres du juge constitutionnel.

Les psychiatres face à un vide juridique

Si on peut supposer que la nouvelle procédure sera jugée conforme à la Constitution, l’imbroglio juridique n’est pas fini pour autant.

En effet, dans sa décision du 4 juin 2021, le Conseil Constitutionnel avait laissé au législateur jusqu’au 31 décembre 2021 pour revoir sa copie. Mais le cavalier législatif et sa censure ont fait perdre un temps précieux au gouvernement. Le délai ne sera pas respecté, puisque le projet de loi actuel ne devrait pas entrer en vigueur avant le 15 janvier 2022 au mieux. Les psychiatres français vont donc se retrouver, pendant quelques semaines au moins, dans un vide juridique.

Techniquement, ce sont les dispositions antérieures à la loi du 26 janvier 2016, censurée en 2020, qui s’appliquent. Mais cette loi ayant été la première à définir légalement la contrainte et l’isolement, ces mesures se retrouvent donc privés de toute base légale et assimilables à des violences ou à de la séquestration. La Fédération française de psychiatrie recommande donc aux hôpitaux psychiatriques de faire « comme si » la loi du 14 décembre 2020 était toujours en vigueur et d’informer le JLD à chaque mesure d’isolement et de contrainte. Avec le risque que des juges trop zélés n’annulent systématiquement chaque mesure, au motif qu’elle ne repose sur aucune base juridique.

On assiste ici aux effets pervers de la justice constitutionnelle et de l’État de droit. Au nom d’un impératif tout à fait justifié de protection des droits et libertés des malades psychiatriques, on en vient à bouleverser toute l’activité des psychiatres, ce qui pourrait être, in fine, préjudiciable aux malades.

Quentin Haroche

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