2021-09-27 - Conférence de presse contre les assises gouvernementales de la santé mentale

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/809

Document du lundi 27 septembre 2021
Article mis à jour le 3 mars 2022
par  A.B.

2021-06-20 - Chasse aux sorcières à l’EPSM Roger Prévot de Moisselles

Blog du Dr Mathieu Bellahsen sur Mediapart Club, cliquer sur ce lien


Conférence de presse - Oublis et oublié(e)s des Assises gouvernementales de la psychiatrie et de la santé mentale

Lundi 27 septembre à 8h30 au « Le Beaucé », 43 rue Richer 75009 Paris, métro Cadet / métro Grands Boulevards.

2021-09-27 Dossier de presse La psychiatrie abandonnée.

A l’occasion d’une conférence de presse exceptionnelle initiée par le Printemps de la psychiatrie et avec la participation de plusieurs acteurs importants du champ psychiatrique et pédopsychiatrique sanitaire et médico-social, nous proposons de mettre en lumière trois phénomènes liés à cette nouvelle psychiatrie, oubliés des Assises : la tarification, l’abandon et la répression. Ces trois axes seront les trois temps de la conférence de presse avec un temps conclusif sur ce qu’il est souhaité pour la psychiatrie.

Les Assises virtuelles de la psychiatrie et de la santé mentale organisées par le gouvernement et ses alliés de l’institut Montaigne - fondation FondaMental (1) nous imposent de mettre en perspective des thématiques qui resteront dans l’ombre de cet événement officiel (2). Comprendre la catastrophe en cours et à venir pour la psychiatrie et la pédo-psychiatrie que ces Assises ne traiteront pas voire renforceront est une nécessité.

Ces Assises sont à l’image de la psychiatrie qui nous attend, virtuelle et verticale (3). Alors que la psychiatrie est soumise à une catastrophe gestionnaire depuis de nombreuses années (4), que des soulèvements épars se sont déroulés en 2018-2019 dans plusieurs hôpitaux psychiatriques (5), que les alertes récurrentes sont émises (6) les réponses avant et après le covid restent les mêmes : « le problème n’est pas celui des moyens mais de l’organisation » (7). Et pour réorganiser la psychiatrie, nul besoin de la repenser globalement et politiquement son cadre même, la technique suffira : télé-psychiatrie, plateformes d’évaluation et d’orientation, nouvelles modalités de financement (8). Pour autant des lieux continuent d’inventer une autre psychiatrie, ouverte et démocratique, bien loin des vitrines de la santé mentale officielle (9).

1. Tarification

La tarification de l’activité (10), celle-là même qui n’a eu de cesse de détruire l’hôpital public depuis une quinzaine d’années ferait son arrivée en psychiatrie sous l’appellation de tarification de compartiments -T2C ou T2A psy (11) au 1er janvier 2022 (12). Les soins dispensés seront fonction du financement et de la rentabilité des pratiques proposées (13), notamment selon des critères de court terme (14), peu compatibles avec les pathologies et troubles nécessitant le temps qu’il faut, souvent long, de l’enfance à la vieillesse (15).

Déjà, les plateformes de « l’uberpsychiatrie » (16) se mettent en place en dictant la forme et la durée des soins pour les patients et les pratiques pour les professionnels, notamment les psychologues (17) pour les prises en charge des Troubles du Neuro Développement dans le cadre des plateformes d’orientation et de coordination.

Des associations composées d’usagers, de familles et de professionnels, co-organisatrices de la journée « Parlons d’inclusion » en juillet 2021 (18), exposeront la lettre ouverte écrite et signée par des parlementaires (19), députés et sénateurs, pour alerter sur les effets de la Tarification par compartiment - car « compartimenter n’est pas soigner »- qui doit s’appliquer au 1er janvier 2022, notamment dans le champ de la pédo-psychiatrie et de l’autisme (20).

Les collectifs organisant la mobilisation du 25 septembre pour la défense du secteur médico-social, de la psychiatrie et de l’accès aux soins psychiques pour tous aborderont les enjeux des réformes sur l’évolution des pratiques (21).

2. Abandon

Des associations de psychiatrisés, de familles et d’usagers présents expliqueront les évolutions majoritaires des pratiques psychiatriques : entre abandon progressif (22) et normalisation constante (23), loin d’être « déstigmatisante et inclusive » la nouvelle psychiatrie s’adapte de moins en moins aux besoins fondamentaux des personnes les plus en souffrance (24).

A contrario, les dispositifs sécuritaires se renforcent comme la réforme de l’irresponsabilité pénale (25). Là où des avancées majeures dans le champ du Droit émergent en psychiatrie, notamment par le biais des Questions Prioritaires de Constitutionnalité (26), ces dernières se trouvent immédiatement perverties par une bureaucratisation croissante qui s’ajoute à la stratégie d’étouffement par voie de protocoles mise en place dans les établissements, le gouvernement évitant les débats majeurs que devrait susciter l’expansion constante des pratiques d’isolement et de contention dans les hôpitaux psychiatriques (27). La contention et l’isolement seront formellement judiciarisés et protocolisés, ces pratiques ne seront pas remises en cause au fond alors que certaines associations demandent l’abolition pure et simple de la contention physique (28).

Anti-thérapeutique, la logique de pénurie entretenue par le nouveau management public est devenue un organisateur des dispositifs de soins abandonnant à leur sort les plus fragiles, les plus malades et les plus précaires.

3. Répression

Ensuite, des professionnels viendront exposer la répression de la part des tutelles (directions des établissements, Agences Régionales de Santé) dont ils sont les cibles alors qu’ils lancent de façon continuelle des alertes sur les conditions indignes d’hospitalisation et de soins des patients (29), sur les besoins humains et matériels minimaux nécessaires pour accomplir leurs missions (30) et sur les lignes éthiques à ne pas franchir quand il s’agit de libertés fondamentales (31). Collectifs de soignants ou professionnels isolés, la répression qui suit toute mise en question de cette psychiatrie du non accueil et de la ségrégation est intense et violente, que ce soit à Rouen, au Havre, en Nouvelle Aquitaine, en Ile de France ou ailleurs. Là encore, les Assises n’en diront mot.

A cette occasion, nous reviendrons sur l’alerte lancée par le secteur d’Asnières sur Seine auprès du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) à l’occasion de la première vague du covid et de ce qu’elle démontre de la culture d’enfermement que ces Assises ne traiteront pas (32). Dans cette recommandation publiée en urgence (33) au Journal Officiel le 19 juin 2020, le CGLPL a relevé la confusion entre confinement sanitaire et isolement psychiatrique (34). Cette confusion s’était traduite par un enfermement généralisé et illégal des patients au sein de l’établissement public de santé Roger Prévot dont dépend le secteur d’Asnières sur Seine, enfermement illégal qui est allé jusqu’à quatorze jours pour certains des patients. Cette alerte a conduit à des représailles graves contre l’équipe de ce secteur et une répression intense contre les lanceurs d’alerte (35). Au terme de plusieurs mois de harcèlement, les représailles se sont traduites par le limogeage du chef de pôle et de la cadre supérieure de santé (36), par la fermeture en plein été d’une trentaine de lits (les lits d’hospitalisation de ce secteur). Dans le même temps, certains des acteurs clés de l’enfermement de la séquence covid ont été promus tandis que les lanceurs d’alerte furent accusés de ce qu’ils dénonçaient (37).

A ce jour, aucune enquête n’a vu le jour pour déterminer les responsabilités de ces enfermements illégaux. A ce jour, aucune réponse n’est parvenue de la part des tutelles (ministère, ARS) aux interpellations des usagers (38), des professionnels (39) et de parlementaires (40). Une lettre ouverte écrite par des professionnels du secteur expliquera le traumatisme de la destruction d’un travail de secteur et de ce que cela nous enseigne d’une façon plus général sur l’état et le fonctionnement réel de la psychiatrie publique (41). Une lettre ouverte adressée à la présidente de l’UNAFAM, également participante des Assises, sera également diffusée pour clarifier la position officielle concernant l’enfermement et les pratiques de portes ouvertes dans les établissements de psychiatrie (42).

Ainsi, cette conférence de presse sera l’occasion de dévoiler l’envers des Assises et de faire le constat que loin de soutenir et d’aider au travail de soins psychiatriques et pédopsychiatriques dans l’Hexagone, les autorités de tutelles (Ministère de la Santé, Agences Régionales de Santé) l’entravent toujours plus dans le sanitaire, le social et le médico-social, que ce soit par la restriction et le conditionnement des financements, par la promotion d’une psychiatrie « positive », soi-disant « résiliente » (43) non adaptée à l’ensemble des usagers - et notamment les plus gravement malades - et par une répression forcenée des soignants tenant des positions éthiques dans les soins.

4. La psychiatrie que nous voulons

Au terme de cette conférence de presse, la conclusion portera sur la psychiatrie que nous soutenons au quotidien et celle que nous appelons de nos vœux (44) : formations réelles des professionnels aux problématiques de la souffrance humaine, accueil inconditionnel des différences, moyens psychiques, matériels et humains suffisants et adaptés. Psychiatrie et pédopsychiatrie qui se fondent sur des pratiques de terrain ouvertes, sur mesure pour chacune et chacun, respectueuses des libertés fondamentales et émancipatrices. Nous appellerons aux Assises Citoyennes pour la Psychiatrie qui se tiendront en mars 2022 et au rassemblement-tintamarre le 28 septembre à 14h devant le Ministère de la santé,

Contact : CPpsy chez gmx.fr

Déroulé de la conférence de presse

1. Introduction (8h30)

— Printemps de la Psychiatrie : présentation + lecture du texte sur les Assises citoyennes avec communication de la date et du lieu en mars 2022

2. Réforme du financement de la psychiatrie

— Quelques clés pour comprendre le cadre de transformation des pratiques (collectif Parlons d’inclusion)

— Tarification psy : lecture de la lettre ouverte d’Austi’mob signée par des parlementaires (Autis’mob)

3. Plateformisation des soins

— le précédent des CMPP de nouvelle Aquitaine

— l’enjeu de l’arrêté sur l’expertise spécifique des psychologues

— la création d’un ordre des psychologues : collectif Grand Est

4. Abandon et ségrégation

— Association CRPA

— Association Humapsy

— Association Le Fil conducteur

5. Répression

— Soignant du Rouvray,

— Collectif d’Asnières sur Seine

6. Conclusion : Quelle psychiatrie voulons-nous ?

— Texte du Printemps

— Annonce du Rassemblement tintamarre le mardi 28 septembre à 14h devant le Ministère de la Santé

— Date Assises citoyennes mars 2020

7. Questions (fin 10h)

⇒ Un dossier de presse sera remis en complément de celui du communiqué de presse avec les différentes interventions et les documents les complétant.

⇒ La conférence de presse sera doublé d’un lien par visio en cas de besoin (pour les intervenants et pour les participants). Le lien visio sera communiqué dans le courant de la semaine prochaine avec le dossier de presse.


Dr Mathieu Bellahsen - Lettre ouverte à la présidente nationale de l’UNAFAM

Billet de blog, 27 SEPT. 2021, Mediapart Club

Source : https://blogs.mediapart.fr/mathieu-…

Mathieu Bellahsen - Psychiatre

2021-09-28 Mediapart - A Asnières un service de psychiatrie détruit pour avoir défendu les droits des patients.

Alors que des Assises de la santé mentale débutent ce jour, nous publions une lettre ouverte à la présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM), participante à ces Assises. Restée sans réponse, cette lettre adressée début septembre demande une clarification des positions de l’association envers les privations de liberté.

Madame la Présidente,

Je vous sollicite afin de connaître la position nationale de l’UNAFAM concernant la représentation des usagers dans les instances des établissements publics de psychiatrie.

En effet, j’exerçais comme praticien hospitalier chef de pôle du secteur d’Asnières-sur-Seine (92) dans l’établissement public de santé Roger Prévot à Moisselles.

J’ai été démis de mes fonctions de chef de pôle en juillet 2021. Un an plus tôt, en mai 2020, j’avais sollicité la Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) pour une confusion entre confinement sanitaire et isolement psychiatrique lors de la première vague du covid. Une recommandation en urgence est parue au Journal Officiel le 19 juin 2020 alertant des « conditions indignes d’accueil » des patients et « des atteintes graves aux droits fondamentaux ».

Suite à cette recommandation en urgence, j’ai été surpris de ce qui nous était rapporté des propos répétés d’un responsable local de l’UNAFAM qui aurait déclaré lors d’instances de l’établissement qu’il n’y avait pas besoin, en plus du covid, de ce genre d’interpellation au CGLPL.

Je tiens à préciser que nous avions de bon rapports de travail avec les représentants de l’UNAFAM du secteur et de l’établissement, ce qui a notamment conduit à la création du Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM) sur la commune d’Asnières sur Seine par le biais du Conseil Local de Santé Mentale (CLSM). J’entretiens par ailleurs des liens de travail avec différentes sections locales de l’UNAFAM sur le territoire national.

En plus de ces déclarations supposées, j’avais déjà été très surpris de positions ambivalentes qui nous avaient été rapportées concernant les pratiques de portes ouvertes que nous avions dans le service, pratiques instituées par mon prédécesseur le Dr Thierry Najman. Il est à préciser que nous étions le seul service de l’établissement à fonctionner entièrement porte ouverte depuis une dizaine d’années avec des patients en soins libres (SPL) et en soins sans consentement (SPDT et SPDRE) grâce à un travail institutionnel constant de réunions soignants soignés, d’activités thérapeutiques et de circulation entre le dispositif intra-hospitalier de Moisselles et l’ambulatoire d’Asnières pour créer un climat de confiance et d’alliance dans les soins.

Lors de leurs visites la Haute Autorité de Santé (HAS)1 et le CGLPL2 ont qualifié nos pratiques respectivement de « recommandées » et de « bonnes pratiques » alors même que les autres services de l’établissement étaient fermés avec, notamment, des patients en soins libres. Cette illégalité n’est pas propre à l’établissement, elle semble être la norme pour la majorité des services de psychiatrie en France.

A plusieurs reprises, lors de sorties non programmées ou non autorisées de patients (souvent nommées à tort de « fugues » selon une sémantique carcérale impropre aux soins psychiatriques), la pratique de porte ouverte était incriminée par la direction de l’établissement. Et plutôt que de la soutenir, il nous a été rapporté que des représentants de l’UNAFAM la décriait. Comme a pu le montrer mon prédécesseur, le Dr Thierry Najman dans son livre « Lieu d’asile », les études montrent que les « fugues » ne sont pas plus nombreuses en secteur ouvert qu’en secteur fermé… Mais les patients« fuguant » d’un secteur ouvert reviennent plus vite que les autres : les patients ayant plus tendance à revenir dans un lieu où ils savent qu’ils ne seront pas enfermés de façon indue. La liberté de circulation est, selon nous, une valeur centrale pour des soins de qualité et nous pensions que cela était partagé par l’ensemble des associations représentantes des usagers dont l’UNAFAM.

En mai 2020, dans les suites immédiates de ma sollicitation du CGLPL, une lettre anonyme est parvenue à la direction pour nous accuser d’un certain nombre de griefs (dont la création du Groupe d’Entraide Mutuelle…). Cette lettre a été instrumentalisée par la direction de l’établissement qui s’est empressée d’ouvrir une enquête administrative, sans même nous recevoir au préalable pour comprendre le contexte. Cette enquête, construite à charge de façon partiale et parcellaire, aura duré plus de neuf mois. Sans rentrer dans les détails, tout en les tenant à votre disposition si cela vous intéresse, une autre lettre de dénonciation a été envoyée à la direction nous accusant de façon calomnieuse de « morts de patients », « d’épuration de professionnels » et de nombreuses « fugues » ! Cette seconde calomnie a été reprise in extenso, sans filtre, par la direction de l’hôpital sans que cela ne soit étayé par des faits précis ni par des comparaisons impartiales avec les autres services de l’établissement. Suite à ces nouveaux éléments, la direction a décidé de me retirer la chefferie de pôle et de le faire valider par les différentes instances de l’établissement, à l’exception notable de la Commission Médicale de l’Etablissement…

J’ai été très surpris d’apprendre que la Commission des Usagers (CDU) avait suivi l’impulsion de la direction et que son président, responsable de l’UNAFAM aurait plaidé pour que cette situation qui n’avait que trop duré cesse… Une partie de l’équipe du pôle et moi-même n’avons pas compris ce renversement de la CDU et de son président : bien plus que de soutenir des pratiques respectueuses des Droits fondamentaux des patients et de mettre en perspective les chiffres fantaisistes avancés par la direction, la CDU a pris fait et cause pour la direction sans qu’aucun patient du pôle n’ait pu être entendu…

Les usagers du pôle sont d’ailleurs sous le choc mais, en tant que professionnels, nous n’avons pas pu les tenir informés des tenants et aboutissants afin de ne pas les fragiliser davantage et pour ne pas être taxés de les « instrumentaliser ». Pour autant, la CDU, son président et les membres usagers de cette instance (tous de l’UNAFAM) auraient du s’enquérir de la réalité des pratiques de terrain et de l’avis des usagers.

Cela n’a pas été le cas et cette situation a conduit à une catastrophe pour le secteur.

Une vingtaine de patients du secteur ont écrit une lettre à la directrice de l’hôpital et au Ministre de la Santé pour exprimer "leur consternation". Là encore, pas de réponse.

Devant tant de pratiques harcelantes que nous avons dû subir depuis autant de mois et malgré notre volonté de tenir bon la quasi-totalité des médecins s’est retrouvée en arrêt de travail au début de l’été. Le service d’intra-hospitalier a été fermé administrativement en août 2021, les patients ont été déplacés dans d’autres secteurs. Nous nous sommes retrouvés accuser de ce que nous dénoncions auprès du CGLPL ! CGLPL qui a validé notre point de vue par une recommandation en urgence au Journal Officiel, preuve s’il en faut, que nous avions bien jugé la situation grave et indigne de privation de libertés dans l’établissement.

Tous ces faits sont d’autant plus étonnants que nous soutenions l’importance de la CDU pour les patients et son rôle de contre pouvoirs face aux soignants que nous sommes. A notre sens, la vitalité de la démocratie se juge à la vitalité des contre-pouvoirs.

Depuis 2014, de nombreuses réunions soignants-soignés du service ont d’ailleurs sollicité à différentes reprises la CDU. En 2017, nous avions entrepris un travail au sein des associations paritaires soignants-soignés et des clubs thérapeutiques du service pour que les usagers psychiatrisés puissent se représenter et être représentés dans les instances de l’établissement. Les patients s’étaient étonnés, à juste titre, que seules les familles siégeaient dans cette instance alors qu’il y avait des avis contrastés voire contradictoires entre usagers et familles d’usagers.

Dans cette perspective, un contentieux au tribunal administratif a été porté par le Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie (CRPA) pour le compte d’une association née dans le service afin que les sièges de la CDU ne soient pas exclusivement détenus par des représentants de familles d’usagers. Ce contentieux n’a pas abouti car la loi organisant la démocratie sanitaire ne fait pas de distinction entre les types d’usagers (familles ou patients) malgré des appréciations qui peuvent être radicalement différentes en psychiatrie entre usagers et familles.

A aucun moment la CDU n’a demandé une enquête face aux dysfonctionnements institutionnels graves soulevés par le CGLPL lors de la première vague du Covid. Dès lors, nous nous interrogeons sur la position des représentants de l’UNAFAM.

Que penser de ces positions institutionnelles qui ont privilégié la privation de libertés et l’atteinte aux droits des patients sur leur respect ? S’agit-il d’initiatives personnelles ou d’une ligne politique nationale portées par l’UNAFAM ?

En vous remerciant par avance pour la clarification de ces points que nous jugeons fondamentaux, je vous prie d’agréer Madame la présidente, mes salutations distinguées.

Dr Mathieu Bellahsen, psychiatre

1- Rapport HAS 2020, p22 : "Par ailleurs, la mise en œuvre de la liberté d’aller et venir n’est pas organisée conformément aux recommandations de préservation des libertés individuelles. Les unités d’admission accueillent l’ensemble des entrées du secteur géographique dont elle dépendent, quel que soit le mode d’hospitalisation : libre ou sans consentement. Ces unités sont fermées à clé. Les patients en hospitalisation libre ne peuvent donc sortir qu’en demandant au soignant disponible de leur ouvrir la porte. Toutefois il existe un pôle qui dispose d’une unité d’admission ouverte, et un autre pôle qui conduit une expérimentation d’aménagement d’un espace fermable au sein du service, dédié aux patients hospitalisés sans consentement. Ce dispositif permettant aux personnes en hospitalisation libre de pouvoir aller et venir librement, sur des créneaux horaires définis"

2- Synthèse CGLPL 2016 : "Seule l’unité d’hospitalisation du pôle n°2 fonctionne « portes ouvertes » et permet aux patients un accès libre au parc de l’hôpital. Cette pratique mériterait d’être étendue à l’ensemble des pôles de l’établissement. De façon plus générale, une réflexion globale et une harmonisation entre les unités des modalités de restriction des libertés individuelles des patients devraient être menées au sein de l’hôpital."


(Libération - Tribune) Depuis vingt ans, on soigne l’argent, pas les gens

par Mathieu Bellahsen, Psychiatre, ancien chef de pôle à l’unité d’Asnières de l’hôpital Roger-Prévot-de-Moisselles, co-auteur de "la Révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire" (édition La Découverte)

publié le 4 octobre 2021.

Source : https://www.liberation.fr/idees-et-…

Les Assises de la santé mentale organisées par le gouvernement cachent mal le mépris avec lequel il traite la psychiatrie, en voie d’ubérisation.

Annoncées comme « historiques », les Assises de la santé mentale se sont conclues par des mesures pour ne pas faire d’histoires. Numéro vert pour les suicidants, remboursement de consultations psychologiques sur prescription médicale, financement de 800 postes dans les centres médico-psychologiques (CMP), à mettre en regard du millier de postes déjà vacant qu’aucun psychiatre ne souhaite occuper… Ces annonces sont des leurres pour détourner l’attention des problèmes de fond.

« Historique » peut néanmoins qualifier la façon indécente dont le gouvernement traite des lois qui vont réorganiser la psychiatrie… Ainsi la réforme de l’irresponsabilité pénale, pas même mentionnée par ces Assises alors qu’elle revient sur les liens entre justice et psychiatrie issus de l’héritage des Lumières et de la Révolution française. Ainsi le procédé indigne consistant à faire passer dans la loi de financement de la sécurité sociale 2022 l’article 30 visant à mettre en conformité avec la Constitution le contrôle des mesures d’isolement et de contentions, sans aucune discussion avec les usagers et acteurs de terrain. L’an passé, ce même procédé avait été employé en catimini dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2021. Le Conseil constitutionnel avait fait un rappel sévère au gouvernement pour qu’il édicte des lois compatibles avec la Constitution… Alors, si la délibération démocratique et la séparation des pouvoirs ont encore un sens, nous appelons les parlementaires à une saisine du Conseil constitutionnel pour dénoncer ce cavalier législatif.

La rentabilité et le tri à tous les échelons hospitaliers

« L’historique » se passe dans les arrière-boutiques des « task forces » ministérielles, loin des vitrines de ces Assises. La honte historique, c’est l’arrivée de la tarification de l’activité (T2A) en psychiatrie sans tambour ni trompette sous le nom de tarification de compartiments (T2C). Le ministre de la Santé l’a annoncé, les décrets d’applications paraîtront d’ici à la fin de la semaine. La même T2A qui a détruit l’hôpital public depuis le mitan des années 2000 et que la crise du Covid-19 a révélée au grand public. Introduisant la rentabilité et le tri à tous les échelons hospitaliers, Jean Castex en a été l’un des artisans. Roselyne Bachelot en a été l’exécutante avec la loi sur la gouvernance de l’hôpital en 2009. Une décennie plus tard, les mêmes poisons sont réadministrés. Comme ces psychotropes, sans odeur ni couleur, mis dans un cocktail joliment présenté, le ministre de la Santé fait avaler la T2A à la psychiatrie française. Fascinés par les images du cerveau et par la transformation de leur discipline en psychiatrie de laboratoire, connectée et entrepreunariale, les participants aux Assises n’ont pas bronché face à ce tsunami gestionnaire.

Plus question de soigner des personnes, il s’agit de traiter des flux de façon rentable en organisant le tri des malades, leur évaluation, leur orientation tout en diminuant les soins et l’accompagnement. L’ubérisation de la psychiatrie est en marche, le Covid-19 a été une manne pour développer des plateformes et aggraver la pénétration des marchés privés au sein des services publics. L’hôpital public implose. Rappelons-nous des soulèvements de soignants en psychiatrie partout en France pendant près de deux ans. Ils ont enchaîné les grèves de la faim et les occupations d’hôpitaux pour ne pas abandonner leur éthique et ne pas attacher les patients aux canons de la rentabilité hospitalière. Aujourd’hui, la psychiatrie publique est devenue indésirable pour les soignants qui la désertent comme jamais et invivable pour les patients et leurs familles. Cyniquement, les idéologues de la « Santé mentale » se présentent en sauveurs de cette catastrophe construite par trente ans de politiques publiques délétères : « Ce n’est pas un problème de moyens mais un problème d’organisation », proclame l’institut Montaigne. Mantra vide de sens qui réorganise vers toujours plus d’exclusion des plus vulnérables.

Une criminalisation des troubles psychiques

Pour autant, un soin particulier se développe. Celui accordé aux fichiers de renseignement. Mis en place en 2018 par le gouvernement pour toute personne hospitalisée sans son consentement, le fichier Hopsyweb est croisé avec les fichiers S depuis 2019. Cette criminalisation des troubles psychiques dévoile l’envers de la déstigmatisation officielle. Cela avait suscité un tollé de l’ensemble des acteurs de la psychiatrie, les Assises sont restées silencieuses.

Ainsi, depuis vingt ans, la santé mentale soigne l’argent, pas les gens : avoir une population en bonne santé mentale pour remplir les objectifs stratégiques de l’Union européenne (« livre vert » de l’Union européenne, 2006) ; la santé mentale, c’est s’adapter à une situation que l’on ne peut pas changer (rapport Couty, 2009) ; la santé mentale coûte cher 3% à 4 % du PIB, la santé mentale est un fardeau pour l’économie.

Avec ces déclarations, la nouvelle psychiatrie de laboratoire et entrepreneuriale poursuit le dépeçage du service public, ce dernier ne servant plus qu’à diriger les personnes nécessitant des soins vers le secteur privé pour créer de nouveaux marchés. L’argent public est détourné au profit d’une Recherche compatible avec la marchandisation. Psychotropes connectés aux smartphones, inflation d’écrans pour diminuer le nombre de soignants au travers de la e-santé mentale, intervention chirurgicale sur le cerveau, données de santé exploitées par des firmes privées… La santé mentale numérique crée des patients virtuels mais ne fera pas disparaître les patients réels. Faute de soins psychiques réels, les enfants sont envoyés de plateformes en plateformes, quand ils ne sont pas simplement abandonnés à leurs familles. Devenus adultes, ils peuvent croupir à domicile, en prison, dans la rue ou se suicider. Trop en difficulté pour s’adapter aux canons de la déstigmatisation et de l’inclusion, ces personnes n’ont qu’à faire semblant d’être « normales » et s’adapter au cadre prescrit par « la santé mentale positive ».

Mais à trop vouloir parler d’économie, ce sont les enfants, les adolescentes et les adolescents, les femmes et les hommes en chair et en os avec leurs souffrances et leurs histoires qui sont économisés. Historique ?


Dr Mathieu Bellahsen - Désabusage : petit traité des décapités entendant garder la tête haute

Billet de blog, 15 novembre 2021, Dr Mathieu Bellahsen

Source : https://blogs.mediapart.fr/mathieu-…

« C’est ça la réalité dans nos hôpitaux » éructait le Ministre de la santé il y a tout juste un an. Mais c’est quoi la réalité quand on déréalise ? C’est quoi la politique quand on dépolitise ? C’est quoi le mérite quand on traumatise ? C’est quoi faire respecter la loi quand soi-même on peut s’en affranchir sans encombre ? C’est quoi abuser, désabusés, le désabusage ?

Le temps présent couronne les abus. L’hôpital public et la psychiatrie en sont de bons exemples. Il suffit d’écouter les interventions du ministre de la Santé qui tout en se réclament de « la réalité dans nos hôpitaux » s’empresse d’en reconstruire une autre plus communicable .

Tandis que de nombreux articles de presse, toute tendance politique confondue, mettent en lumière la fuite des professionnels, les fermetures de lits et l’état de catastrophe sanitaire liée à l’orthodoxie néolibérale, rien n’y fait. La machine s’emballe et « en marche ». Oui, cent balles et un mars.

Répondant aux sénateurs lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale 2022, Olivier Véran se félicite que le privé lucratif soit gagnant des réformes en cours dont la réforme du financement de la psychiatrie et de la pédo-psychiatrie mettant en place une tarification de l’activité. La même qui de l’avis général a détruit la possibilité même de soins adaptés, notamment aux personnes ayant les pathologies les plus graves et les situations sociales les plus précaires. Désabusés, les hospitaliers partent, toutes professions confondues.

Désabusé, mot étrange

D’après l’Académie Française, « il s’emploie comme nom pour désigner celui, celle qui a perdu ses illusions. » Celles et ceux qui ne seraient plus abusés donc. Or les abus se perpétuent sur les désabusés. Que l’on parte de l’hôpital public ou que l’on y reste. Que l’on y travaille ou que l’on s’y soigne. Les premiers concernés par les abus sont bien les usagers de l’hôpital public, les patients. Celles et ceux qui sont de plus en plus usés par cette déliquescence programmée, voulue, désirée politiquement.

Les soignants - tout le monde est au courant - sont usés par les restrictions budgétaires, la bureaucratie, l’inflation de la demande de soin et la diminution de l’offre… Mais les patients ? Ils ne manifestent pas beaucoup. Leur expression n’est tolérée que dans les rouages bien huilés de la démocratie sanitaire falsifiée avec des représentants d’usagers, trop souvent complices.

Quand on pense que l’une des marques de « la qualité des soins » promue par la haute autorité de santé (désormais on l’écrira has en minuscule, marre de majusculer ce machin) c’est la déclaration des « événements indésirables », on se gausse. Pourtant, tout porte à croire que l’événement indésirable central, inaugural de tous les autres, c’est l’existence même de l’hôpital public. Quand on dit hôpital public, il faut entendre santé publique. Et tous les soignants qui tentent de soigner tout le monde. C’est un état d’esprit qui peut se voir partout à l’hôpital public ou ailleurs. État d’esprit indésirable donc.

Evénements indésirables, publics indésirables

Rien d’étonnant à cet indésirable de l’hôpital public. Il est juste à l’image des gens qui y ont recours, faute de mieux. Les indésirables, quoi. Les plus pauvres, les plus malades, les précaires, toutes et tous les « sans ». Pas besoin de faire un dessin. La psychiatrie publique est de plus en plus réservée au traitement de la contrainte. Pour la vitrine, on va montrer de beaux centres de préférence experts où les patients seront transformés en cobayes de laboratoire. Car oui, désormais pour être inclus dans tel hôpital de jour de tel centre expert vous devez désormais signer votre consentement aux recherches et au partage de vos données, sinon bye bye. On peut aussi entendre des professeurs en blouse blanche expliquer que les problèmes sociaux, ça n’a rien à voir avec la psychiatrie. Les malades pauvres n’ont qu’à se démerder tout seul. La science et le progrès ne vont tout de même pas s’encombrer de pareilles contingences.

L’usager désirable c’est le client. Le client désiré c’est celui qui paye, c’est celui qui n’est pas trop compliqué à soigner. Voire mieux, c’est celui qui n’est pas malade. C’est plus pratique pour tarifer l’activité. C’est simple, transparent. Ca remplit les objectifs et ça ne met pas le bordel. Le dispositif désirable, c’est la plateforme, le désert médical, les partenariats privés-privés.

L’hôpital public, cet événement indésirable, est traité avec le silence que l’on réserve tantôt aux enterrements tantôt aux divagations de grands fous. La saison des amours présidentielles va encore nous le montrer.

Comptes, contes et contention

Parfois, il existe des soubresauts inattendus. La semaine dernière, les sénateurs ont enlevé de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) l’article 28 sur l’encadrement judiciaire de la contention et l’isolement. Pour la deuxième année consécutive le gouvernement tente de faire passer dans une loi de finance un article sur les pratiques. Aveu inconscient du pouvoir d’une analogie entre la contention financière, la contention du corps social et la contention de nos corps individuels ? A juste titre, les sénateurs ont considéré l’article comme un cavalier législatif. Mais le travail parlementaire n’est pas fini et l’avenir nous dira ce que les députés playmobiles de la majorité vont faire.

Précisons que la saisine systématique du Juge des Libertés et de la Détention (JLD) est une avancée dans la construction de possibles contre-pouvoirs au sein de l’institution psychiatrique quand les personnes sont attachées et enfermées. Mais comme nous l’avions déjà abordé, si le cadre de cet article de loi est inadapté, en outre il permet aux gouvernants de s’affranchir de leurs responsabilités dans la crise systémique que connaît la psychiatrie. Crise dont la cristallisation la plus terrible est précisément l’inflation des contentions et des isolements dans les hôpitaux psychiatriques.

Il est honteux qu’un ministre de la santé, médecin de surcroît, énonce publiquement que la contention est un acte thérapeutique. Attacher n’est pas un soin. Il suffit d’écouter ou de lire les témoignages des personnes qui ont eu à subir ces mesures. Qu’un ministre se montre compatissant avec les soignants qui attachent ne change rien à l’affaire. Qu’il pense un peu aux personnes attachées et ce qui les attache réellement… Il est possible de ne pas attacher si les conditions politiques, sociétales et individuelles existent. Du personnel formé et en nombre auprès des patients. Une société moins sécuritaire qui sentirait moins le renfermé. Mieux vaudrait s’attacher aux patients plutôt que de les attacher, les comprendre plutôt que se limiter à les contraindre.

C’est sûr que dans ce contexte il est plus commode de penser qu’attacher c’est soigner. Economie de temps, de réflexion collective, de moyens et d’argent. En Marche, On Attache ! Rien d’étonnant que du côté des soignants les désabusés viennent gonfler les rangs des burn-outés et des démissionnaires de l’hôpital public.

Dans notre cas, la lutte va se prolonger à l’extérieur de l’hôpital public et de la psychiatrie publique. L’enjeu est que celle-ci redevienne désirable. Mais pas n’importe comment. Car le désirable d’un système de santé publique digne de ce nom se soutient d’un accueil inconditionnel des usagers. « Le directeur de l’hôpital c’est le patient » disait Philippe Koechlin. Les professionnels ne doivent pas sacrifier les patients sur l’autel de leur travail, de leurs jouissances et de leurs pouvoirs. Expérience que nous avons vécu dans l’hôpital où nous exercions. Suite à notre saisie du Contrôleur Général des Lieux de Privations de Liberté en juin 2020, d’après des tracts de syndicats complices, soutenir le droit des patients revenait à mettre en danger les professionnels de l’établissement. Aberration et indignité. Il y a de quoi être désabusé…

Limiter les abus

Désabusé, drôle de mot encore. En psychiatrie, une grande partie du travail est précisément de limiter les abus que les personnes vivent, qu’elles ont vécu, afin de créer des lieux véritablement soignants. Limiter le côté abusif des institutions de soin, arrêter aussi les abus des soignants sur les patients… Sans cela, sans ces mises en question, les soins psychiques demeurent empreints de facticité. Des soins en toc.

S’il y a du « désabus » c’est qu’il y a de l’abus. Transformer le passif des désabusés en une activité de lutte contre les abus et les personnages du monde qui les commettent - les abuseurs - contient une dimension politique et une dimension clinique. Nommer les abus permet de ne pas répéter le crime, de ne pas être assigné à une place de complice silencieux.

Devenir désabuseurs pour ne plus être désabusés. Mais par quel mécanisme on désabuse activement ? Par le désabusage ?

Désabusage, néologisme étrange. Tirons le fil.

Une guerre peut en cacher une autre. Il y a le « Nous sommes en guerre » macroniste déroulé lors de la première vague du covid… L’imaginaire de la Guerre de 14 mobilisé par les généraux à la petite semaine pour « tenir ». Pour que l’hôpital tienne, pour que la population tienne… A tout prix.

Il y a aussi les derniers travaux de Françoise Davoine « voix du soin en contexte traumatique », son formidable travail sur "la psychiatrie de l’avant" développé lors de la première guerre mondiale et les liens pour la psychanalyse de la folie.

Il y a aussi ce texte de Pascale Molinier au œur de la première vague covid : « le soin n’est pas la guerre ». Et de constater qu’une guerre a bien lieu : la guerre aux soins. Renversement pervers propre à la culture de l’abus.

Il y a aussi cet historien qui s’inspire de la question du retranchement traumatique, Olivier Hilaire, dont les travaux portent sur le désobusage de la Première Guerre Mondiale. Des millions d’obus n’ont pas explosé sur le milliard et demi tiré (25 % d’après les estimations) pendant cette guerre. Il nous apprend que le désobusage – l’action d’enlever les obus - n’est pas encore fini et pour cause, il a été saboté par celles et ceux qui devaient s’en occuper créant des déchets de guerre. Des industriels et des ingénieurs peu scrupuleux ont désobusé partiellement. Au passage les industries se sont enrichies et certaines ont escamoté les obus du paysage en dépit des dégâts laissés aux générations futures. Résultat, des historiens expliquent que le dernier mort de la première guerre mondiale n’est pas encore né. Tous les ans, des paysans continuent de sauter sur des obus de la grande guerre en labourant leurs champs.

Guerres réelles, guerres supposées. Désabusage donc

Désastre industriel du désobusage raté, désastre sanitaire-humanitaire des abus dans le champs des soins. Pollution des sols par les obus de la grande Guerre. Empoisonnement des liens par les abus orchestrés sur l’hôpital et la santé publique.

Pourtant, il y a un rôle à tenir pour éviter une catastrophe empoisonnant sur le long terme le lien social. Le travail de désabusage de l’hôpital public se doit d’être lent et minutieux. Des outils existent. Il est nécessaire de lire « Le Ministère des Contes Publics » de Sandra Lucbert. Ce conte s’ouvre sur la fermeture d’une maternité de proximité. Désabusage par le travail sur la langue. Désabusage également par les pratiques juridiques, par les pratiques cliniques, par les pratiques militantes pour remettre les institutions abusives à l’endroit. A défaut d’un désabusage digne de ce nom, les abuseurs poursuivront leurs forfaits, les désabusés deviendront légions. Quant aux patient.e.s, il est probable qu’ils se transforment en « abusagers ».

Décapité la tête haute

En tant que psychiatre, nous avons pu constater à quel point ce qui rend fou c’est le silence, celui qui entoure les abus physiques et psychiques. Les personnes qui auraient du être là se sont défaussées voire ont rejeté la faute sur celles et ceux qui témoignaient d’abus vécus.

Il est nécessaire de mettre en lumière les abus, de témoigner des catastrophes. Sans témoins, les abus sont retranchés. Effacer les témoins et silencier les témoignages fait trauma. Psychiquement, socialement.

Marquer les réponses absentes, les manques, les creux. Certes, ne pas céder sur des pratiques et sur des principes peut amener à des représailles voire à de la répression. Mais ne pas transiger sur des lignes éthiques que l’on considère comme infranchissables creuse des sillons dans la trame invisible de la société. Ils créent des possibles. Ils peuvent donner des idées à d’autres qui vivent des situations identiques et dont émergera du radicalement nouveau.

Avec les professionnel.le.s engagé.e.s du secteur dans lequel nous avons exercé pendant une dizaine d’années, nous avons vécu une décapitation des pratiques instituant d’autres modalités de liens entre les patients et les soignants dans ce que nous appelons le collectif de soins. De nombreux témoignages au ras des pratiques subsisteront de cette période, des rencontres tissées au fur et à mesure des années. Ces traces subsistantes se perpétueront dans les temps à venir. Comme l’écrit Et Tout et Tout, nous sommes des « rexistants ».

Décorer la tête basse

Car d’un côté on enferme et on détruit et de l’autre on décore. C’est que nous abordions dans le billet précédent Hôpital Public, ordre du mérite et séquestration. Une directrice - qui décapite un service dans lequel travaillait un collectif de soin tentant de mettre en acte une psychiatrie fondée sur l’accueil et le respect sans concession des Droits des patients - se voit aujourd’hui décorée. Il paraît utile de publier en fin de ce texte la lettre adressée à la chancellerie de la Légion d’Honneur qui est en charge de la remise de ce genre de médailles dans laquelle nous reprenons la définition du mérite… Utile de prendre un dictionnaire quand les mots ont la tête à l’envers.

En guise de conclusion, nous souhaitons laisser la parole aux premiers concernés, les usagers du secteur qui ont écrit au Ministre de la Santé :

Monsieur Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé,

Madame Luce Legendre, Directrice de l’établissement de Santé Publique Roger Prevot,

Nous, signataires du présent courrier, patients du pôle d’Asnières-sur- Seine, Hauts-de-Seine, sommes consternés de la rétrogradation du Docteur Mathieu Bellahsen dans ses fonctions de Chef de Pôle.

Nous vous livrons ci-après, les motifs de notre inquiétude et de nos tourments. En effet, depuis qu’il est entré en fonction, le Docteur Mathieu Bellahsen s’est toujours battu pour l’intérêt de ses patients. Nous lui en sommes reconnaissants. Au sein de l’hôpital, il a lutté pour accompagner les patients afin qu’ils soient eux-mêmes représentés à la CDU, étant donné qu’actuellement seules les familles le sont. La qualité des soins et activités au sein de l’hôpital Roger Prévot, du Centre-Médico-Psychologique, du Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel et de l’Hôpital de Jour d’Asnières-sur-Seine ont permis la création de véritables lieux thérapeutiques, d’échanges, d’écoute et d’épanouissement pour acquérir stabilité et tendre vers la guérison.

Monsieur Bellahsen a également donné la voie et la voix aux patients au sein du Conseil Local de Santé Mentale avec la création d’un Groupe d’Entraide Mutuelle à Asnières-sur-Seine.

Sa bienveillance, son efficacité et son dévouement vont nous manquer… Un véritable pilier ! Nous en avons besoin. Par ailleurs, nous ne comprenons pas la mutation de la Cadre supérieure de santé, Mme Patricia Hauteur. Vous ne tenez pas compte de sa rigueur, de son implication, et de la qualité de son travail !

Nous estimons qu’en destituant le Docteur Mathieu Bellahsen, les options actuelles de certaines bureaucraties hospitalières portent atteinte au bien-être des patients et nous demandons sa réintégration en tant que Chef de Pôle dès que possible.

Par ailleurs, la visite de M. A, Directeur des soins et son discours a été perçu par la majorité des patients comme infantilisant. Lors du premier confinement, le Docteur Mathieu Bellahsen a fait preuve de rigueur en demandant de faire respecter la loi.

Nous vous remercions de l’intérêt que vous porterez à ce courrier et vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre de la Santé, Madame la Directrice de l’EPS Roger Prévot, nos sincères salutations.

Ce courrier signé par dix-neuf personnes a été envoyé fin août 2021.

*****

A l’attention de la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, 1 rue de Solférino 75007 Paris

Madame, Monsieur,

Nous vous sollicitons concernant la décoration de Mme Luce Legendre en tant que chevalier de l’ordre national du mérite publié au Journal Officiel en janvier 2021. La remise de médaille de Mme Legendre est prévue le 15 novembre 2021.

Nous tenons à porter à votre connaissance à quel point cette décoration est particulièrement choquante pour le respect des libertés fondamentales des personnes psychiatrisées. En effet, une recommandation en urgence publiée au journal officiel le 25 mai 2020 concernant l’hôpital de Moisselles, sous la direction de Mme Legendre, explique : "A l’occasion de cette visite, des violations graves des droits des personnes privées de liberté ont été constatées (…) Ces privations de liberté injustifiées et illégales ont été mises en œuvre dans des conditions indignes."

Une recommandation de la sorte est rare pour un établissement de santé mentale. Elle témoigne de la gravité des faits qui se sont déroulés sous la responsabilité de la directrice de l’établissement. La publication au Journal Officiel de la décoration de Madame Legendre est donc postérieure de six mois à cette recommandation. Que faut-il en penser ?

Selon le Larousse le "mérite" se définit comme "Ce qui rend quelqu’un (ou sa conduite) digne d’estime, de récompense, eu égard aux difficultés surmontées". S’il est certain que la crise sanitaire constituait une difficulté à surmonter, elle ne justifiait pas « des violations graves des droits des personnes privées de liberté injustifiées et illégales, mises en œuvre dans des conditions indignes ».

Cette décoration est donc au minimum problématique, voire indigne, tendant en réalité à l’inverse de ce qu’elle entend récompenser.

De quoi ce mérite est-il le nom ? Citons pour conclure la recommandation en urgence :

« A l’occasion de cette visite, des violations graves des droits des personnes privées de liberté ont été constatées. Elles résultent d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du covid-19. Bien que, localement, des mesures correctrices aient été prises dès les jours qui ont suivi la visite, la gravité des violations constatées et le risque que cette ambiguïté provoque des atteintes de même nature aux droits des patients accueillis dans d’autres établissements de santé mentale justifient l’usage de la procédure prévue à l’article 9, alinéa 2, de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « S’il constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. » Les présentes recommandations ont été adressées au ministre des solidarités et de la santé le 25 mai 2020 ; il lui a été demandé de faire connaître ses observations avant le jeudi 4 juin. Aucune réponse n’est parvenue au contrôle à la date de publication des présentes recommandations. »

Etant donné la gravité des faits, nous nous réservons la possibilité d’entreprendre toutes les actions médiatiques voire juridictionnelles possibles afin de mettre en lumière le hiatus existant entre cette décoration et la recommandation en urgence toutes deux publiées au Journal Officiel.

En vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à ce signalement, nous vous prions d’agréer Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.

Mathieu Bellahsen