2021-06-04 - (Hospimedia) Le Gouvernement est contraint à légiférer de nouveau sur l’isolement-contention

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/788

Document du vendredi 4 juin 2021
Article mis à jour le 24 juillet 2021
par  A.B.

2021-06-04 - (Décision QPC) Vers une judiciarisation systématique de l’isolement et de la contention

2020-06-19 - Le maintien en isolement et contention en psychiatrie devra être judiciarisé

Dossier sur notre site sur l’isolement et la contention en psychiatrie, cliquer sur ce lien.


Le Gouvernement est contraint à légiférer de nouveau sur l’isolement-contention

Hospimedia - Par Caroline Cordier - Publié le 04/06/21 - 14h35

Source (site d’Hospimedia) : https://abonnes.hospimedia.fr/artic…

2021-06-04 Dépêche d’Hospimedia.

Le Conseil constitutionnel a décidé d’abroger (avec effet différé) une partie de l’article 84 sur l’encadrement de l’isolement-contention car le contrôle par le juge des mesures en cas de dépassement de durées n’était pas systématique mais facultatif. Le Gouvernement devra donc légiférer de nouveau sur le sujet avant la fin de l’année 2021
 

C’est une décision importante et certainement lourde de conséquences pour les équipes des établissements autorisés aux soins sans consentement en psychiatrie. Dans une décision très attendue rendue ce 4 juin, le Conseil constitutionnel a jugé à nouveau que le législateur ne peut, au regard des exigences de l’article 66 de la Constitution, autoriser le maintien à l’isolement ou en contention en psychiatrie au-delà d’une certaine durée sans l’intervention « systématique » du juge judiciaire. Il a décidé en conséquence une abrogation avec effet différé de certaines disposition de l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021. Ce qui va obliger le Gouvernement à légiférer une nouvelle fois sur le sujet, avant la fin de l’année.
 

Une suspicion d’inconstitutionnalité confirmée

Les sages ont été saisis il y a quelques semaines de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC, lire notre article) sur l’article 84. Elles ont été examinées de manière conjointe lors d’une audience publique le 25 mai dernier. Cette procédure a permis de (re)poser la question de la constitutionnalité de la réforme de l’isolement-contention — qui est elle-même issue d’une précédente décision du Conseil constitutionnel en juin 2020 (lire notre article). Cette réforme controversée qui instaure un contrôle judiciaire des mesures lorsqu’elles dépassent certaines durées (lire notre article), était déjà suspectée d’inconstitutionnalité. Mais le dispositif voté au Parlement n’avait pas été examinée par les sages, puisque — fait rare — ces derniers n’ont pas été saisis par les parlementaires sur la LFSS 2021 avant sa promulgation.

Les dispositions contestées via les QPC autorisent le médecin à prolonger, à titre exceptionnel, une mesure d’isolement ou de contention au-delà des durées totales autorisées dans la loi de quarante-huit heures et de vingt-quatre heures.
« Les requérants et parties intervenantes reprochaient à ces dispositions de méconnaître l’article 66 de la Constitution au motif que, en cas de poursuite des mesures […] au-delà des durées maximales prévues par le législateur, elles se bornaient à prévoir l’information du juge des libertés et de la détention [JLD] ainsi que la faculté pour les personnes soumises à ces mesures ou leurs proches de saisir ce juge », développe le conseil. Mais surtout l’article 84, ne prévoit pas un contrôle systématique de ces mesures par le JLD.

« Il en aurait résulté que ces mesures auraient pu être mises en œuvre sur de longues périodes en dehors de tout contrôle judiciaire », relèvent les juges constitutionnels.

 

Abrogation partielle effective fin 2021

Avec l’article 84, « le législateur n’a, de nouveau, pas prévu de soumettre le maintien d’une personne à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution », poursuit le conseil. Il rappelle que cet article 66 prévoit que nul ne peut être arbitrairement détenu et que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe.

« La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », poursuit-il

Or les mesures d’isolement et contention constituent une privation de liberté.

Le conseil a, en conséquence, jugé contraires à la Constitution le troisième alinéa du paragraphe II de l’article L3222-5-1 du Code de la santé publique ainsi que, par voie de conséquence, le sixième alinéa du même paragraphe (lire l’encadré). Dès lors que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait entraîné des conséquences « manifestement excessives », les sages ont jugé qu’il y a lieu « d’en reporter les effets au 31 décembre 2021 ». Ils précisent pour finir que « les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
 

Les dispositions abrogées

Le principal passage qui sera abrogé fin 2021 est le suivant :

« À titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au delà des durées totales prévues […], la mesure d’isolement ou de contention, dans le respect des autres conditions prévues […]. Le médecin informe sans délai le [JLD], qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure, ainsi que les personnes [proches du patient] dès lors qu’elles sont identifiées. Le médecin fait part à ces personnes de leur droit de saisir [le JLD] aux fins de mainlevée de la mesure […] et des modalités de saisine de ce juge. En cas de saisine, [le JLD] statue dans un délai de vingt-quatre heures. »

Difficultés majorées en perspective ?

Cette décision constitue incontestablement une avancée pour les droits des patients en psychiatrie. L’absence de contrôle systématique du juge avait en effet été dénoncée par de nombreux acteurs du monde du droit et de la psychiatrie, dont la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot (lire notre interview), des parlementaires, des avocats ou encore des associations. Mais la mise en œuvre effective de cette décision des sages devrait cependant engendrer des difficultés supplémentaires en pratique. Déjà, la réforme votée en LFSS avait été « calibrée » par le Gouvernement pour tenir compte de l’insuffisance des moyens de la justice, comme l’a reconnu le délégué ministériel à la santé mentale et psychiatrie Frank Bellivier (lire notre interview).

Or, avec l’instauration d’un contrôle systématique, les JLD vont être encore plus sollicités. De même que les directeurs des établissements de santé autorisés à assurer des soins sans consentement et les psychiatres qui auront à renouveler des mesures d’isolement et de contention. Le dispositif — pourtant aujourd’hui déjà quasi unanimement qualifié d’inapplicable par les acteurs hospitaliers concernés — va logiquement s’alourdir encore. Outre travailler aux nouvelles dispositions législatives attendues dans les prochains mois, le Gouvernement va devoir également travailler à des rallonges budgétaires pour les budgets de la justice et de la psychiatrie, sans quoi se profilent des difficultés plus grandes encore dans les hôpitaux concernés.


Hospimedia - Trois QPC sont posées au Conseil constitutionnel sur la réforme de l’isolement-contention

Publié le 21/04/21 par Caroline Cordier - 12h33 - Mis à jour le 10/05/21 - 15h06

Source (site Hospimedia) : https://abonnes.hospimedia.fr/artic…

2021-04-21 Dépêche d’Hospimedia.

La Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale 2021 qui encadre l’isolement et la contention en psychiatrie.
 

Information mise à jour : Ce sont finalement trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui ont été transmises au Conseil constitutionnel sur l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021. Elles seront examinées de manière conjointe par le conseil lors d’une audience publique programmée le 25 mai prochain.

La question de la constitutionnalité de la réforme (controversée) de l’isolement-contention en psychiatrie revient se poser, comme l’on pouvait s’y attendre. Votée via l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, cette réforme sensible qui instaure un contrôle judiciaire des mesures lorsqu’elles dépassent certaines durées (lire notre article), était déjà suspectée d’inconstitutionnalité sur certains aspects. Mais elle n’a pas été examinée par les sages, puisque — fait rare — ces derniers n’ont pas été saisis par les parlementaires sur la LFSS 2021 avant sa promulgation. Cependant, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été posée par un justiciable et la Cour de cassation l’a renvoyée au Conseil constitutionnel, dans un arrêt rendu le 1er avril.
 

Forme et fond attaqués

Un homme a été admis le 26 décembre dernier en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d’une hospitalisation complète au CH de Plaisir (Yvelines), sur décision du directeur d’établissement, en raison d’un péril imminent. Le 31 décembre, le directeur a saisi le JLD pour poursuivre la mesure et l’homme concerné a alors posé une QPC. Par ordonnance du 6 janvier 2021, le JLD du tribunal judiciaire de Versailles (Yvelines) a transmis cette question ainsi rédigée :

« Les dispositions de l’article 84 de [la LFSS pour 2021] sont-elles compatibles avec les normes constitutionnelles en vigueur et plus particulièrement les articles 34, alinéa 20, et 66 de la Constitution ? »

Les articles de la Constitution invoqués

Le demandeur pose la question de savoir si le récent dispositif qui encadre l’isolement-contention respecte l’article 34 de la Constitution dans son alinéa 20 qui prévoit que « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Il s’agit donc de savoir s’il est constitutionnel d’inscrire une telle mesure dans une LFSS. Il invoque aussi l’article 66 de la Constitution qui indique que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que « l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Pour la Cour de cassation, les dispositions contestées « sont applicables au litige », qui concerne « la poursuite d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement à l’égard d’une personne placée à l’isolement ». Les magistrats relèvent qu’elles « n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ».

L’inconstitutionnalité est suspectée en premier lieu sur la forme, c’est-à-dire qu’un tel dispositif n’aurait rien à faire dans une loi de financement, dont le périmètre est régi par la Constitution, et serait donc un cavalier législatif. Cette problématique a été soulevée tout au long du parcours parlementaire du projet de loi de la sécurité sociale (PLFSS), à la fois par des parlementaires, des acteurs de la psyiatrie et du droit et même par le rapporteur général du PLFSS à l’Assemblée nationale. Cependant, la Cour de cassation indique que « la méconnaissance de la procédure d’adoption d’une loi ne peut être invoquée » à l’appui d’une QPC et qu’il n’y a donc pas lieu de transmettre aux sages cette question sur ce point d’incompatibilité avec l’article 34.
 

Saisine non systématique du juge attaquée

En revanche, ont souligné les magistrats

la question posée présente « un caractère sérieux en ce que l’atteinte portée à la liberté individuelle par les mesures d’isolement et de contention pourrait être de nature à caractériser une privation de liberté imposant […] qu’elles ne puissent être prolongées au-delà d’une certaine durée sans la décision d’un juge »

La cour a donc jugé qu’il y avait lieu de renvoyer cette QPC pour examen, « en ce qu’elle invoque une contrariété avec l’article 66 de la Constitution ».

Pour rappel, lors de l’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale, un amendement avait été défendu dans l’hémicycle par Pierre Dharréville (GDR, Bouches-du-Rhône) — aux côtés d’autres amendements similaires d’autres groupes politiques — soutenant que seule une saisine systématique (et non optionnelle) du juge permet un réel respect des libertés fondamentales. Mais il avait été retoqué, sans argument étayé du Gouvernement pour justifier son avis défavorable (lire notre article). Cette non-automaticité de la saisine avait aussi été dénoncée par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, qui avait prédit en novembre dernier (lire notre interview) que si le texte était voté au final en ces termes, il y aurait vraisemblablement une nouvelle QPC qui arriverait.
 

L’association CRPA en appui de la QPC

2021-04-20 Conclusions d’intervention du CRPA.

En appui de cette QPC, le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA) vient de déposer au Conseil constitutionnel, via son avocat Me Jean-Marc Panfili, un mémoire en intervention et observations (à télécharger ci-dessous). L’association « se joint aux requérants dans leurs arguments » contre l’article 84 de la LFSS 2021 qui n’institue pas un contrôle judiciaire systématique des décisions d’isolement-contention, au-delà d’une certaine durée, et « viole en conséquence l’article 66 de la Constitution ». Le CRPA soutient en outre notamment que l’article 84 doit être déclaré inconstitutionnel « dans la mesure où il ignore le principe d’égalité des citoyens devant la loi » au regard des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ceci en permettant « de fait un droit de recourir contre une mesure d’isolement et de contention, aux personnes bénéficiant d’un entourage et de soutiens susceptibles de saisir le juge judiciaire dans le cadre d’une saisine facultative ».

Liens et documents associés

Le mémoire du CRPA en appui de la QPC article 84 [PDF]