2020-09-20 - Propositions pour une judiciarisation du maintien de l’isolement et de la contention

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/772

Document du dimanche 20 septembre 2020
Article mis à jour le 2 octobre 2020
par  A.B.

Sur notre site, un dossier sur la question de l’isolement et de la contention, cliquer sur ce lien

Décision du Conseil constitutionnel, cliquer sur ce lien

Différents communiqués d’organisations institutionnelles de la psychiatrie, cliquer sur ce lien

Pour retrouver cet article sur l’édition participative de Mediapart, Les contes de la folie ordinaire, cliquer sur ce lien

Projet de réforme du Gouvernement, cliquer sur ce lien


CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
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Communiqué

Paris, le 20 septembre 2020.

Propositions en vue d’une réforme du maintien en isolement et contention des personnes psychiatrisées sous contrainte

2020-09-20 Propositions pour une réforme de l’isolement et de la contention

Le CRPA a été intervenant au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité relative à la traçabilité de l’isolement et de la contention des personnes psychiatrisées sous contrainte, statuée par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2020.

Après en avoir discuté avec notre conseil, Me Jean-Marc Panfili avocat au Barreau de Montauban et ancien cadre supérieur de santé à l’EPSM de Montauban [1], notre association propose les points de réforme suivants relatifs à l’isolement et à la contention des personnes psychiatrisées sous contrainte :

1. - Instauration d’une période moratoire d’un an sur la contention des patient.e.s en vue d’interdire cette pratique.
 
2. - Réforme du deuxième paragraphe de l’article L 3211-12-2 du code de la santé publique relatif à la représentation obligatoire du patient lors des contrôles judiciaires des mesures de soins sans consentement.

Selon nous (et pas seulement selon nous !) la personne dont la mesure est contrôlée, qu’il s’agisse de l’hospitalisation sous contrainte ou de la décision d’isolement et /ou contention, doit avoir le choix entre un avocat commis ou choisi ou une personne de confiance (désignée à l’admission ou par avance) pour la représenter lors d’un contrôle judiciaire. Cette personne de confiance pouvant porter les directives pour lesquelles la personne psychiatrisée la mandate. Cela afin de responsabiliser les aidants bénévoles ou professionnels, ainsi que les représentants des usagers, et de limiter une extension problématique de la représentation obligatoire par avocat. Le film « 12 jours » de novembre 2017 prouve que dans nombre de juridictions cette représentation obligatoire par avocat est un désastre.

Nous avons été amenés à constater que la judiciarisation de l’internement psychiatrique depuis le 1er août 2011 a aussi bien et dans les faits renforcé le nombre de professionnels qui vouent aux malades psychiques une ségrégation sans frein digne de l’époque coloniale [2]. Le regard habituel qui est porté dans les prétoires ainsi qu’à la Chancellerie aux personnes psychiatrisées nous renvoie par exemple à la situation des noirs américains aux USA avant la déségrégation ou à n’importe quel opuscule de l’époque coloniale française .
 

3. - Réfléchir à des modalités permettant de mettre à effet le droit des patients au libre choix de l’unité, du praticien, du secteur et de l’établissement, puisque si une situation provoquant une mise à l’isolement et/ou en contention du patient a été dénotée, il y a lieu de se poser la question d’un changement d’unité hospitalière, voire d’un changement d’hôpital.
 

4. - Sur le délai d’intervention du juge judiciaire :

Après réflexion, il ne nous a pas paru possible de prendre une position tranchée sur la question du délai d’intervention du juge judiciaire pour le maintien en isolement – contention.

— Tout d’abord, nous prônons que ce soit le juge des libertés et de la détention (JLD) qui soit chargé de ce contrôle, afin de simplifier le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte.

— En ce qui concerne le délai d’intervention du JLD, un délai rapproché de l’admission nous semble pouvoir constituer à tout moment un dispositif propre à remettre en cause le délai de 12 jours du contrôle de la mesure elle-même d’hospitalisation sans consentement. En effet, depuis les concertations de 2013, il est devenu clair que les représentants des acteurs institutionnels du terrain avaient et ont intérêt à un contrôle par le JLD des mesures d’internement au plus près de l’admission … en vue que ne soient octroyées que le minimum de mainlevées judiciaires possibles : proximité de la crise ayant induit l’admission en hospitalisation contrainte.

Selon nous le même raisonnement que pour le contrôle des mesures d’hospitalisation s’applique au contrôle spécifique du maintien en isolement – contention. Si le texte de loi prévoit que le contrôle par le JLD du maintien de l’ isolement est distinct du contrôle de la mesure et que ce contrôle de l’isolement a lieu au plus proche de l’admission, sauf exceptions - vu la mentalité répressive de la majorité des JLD - ce contrôle sera fictif : un coup de tampon de la juridiction sur cette procédure psychiatrique.

Pour les mêmes raisons : magistrats répressifs, avocats qui ne soulèvent aucun moyen aussi souvent que possible, carriérisme, principe de précaution, ouverture de parapluie pour préserver les carrières … etc -

Par contre si on place ce contrôle judiciaire spécifique au quatrième ou cinquième jour de l’isolement - contention, il y aura plus de possibilités de nullités puisque s’accumulent dès le premier jour d’isolement et de contention des protocoles provenant de la recommandation de la haute autorité de santé (HAS) de mars 2017 qui sont contraignants en cas de contentieux, ainsi que des obligations législatives ou jurisprudentielles.

Ce positionnement du contrôle JLD de l’isolement et de la contention au 4e ou au 5e jour de la mesure d’isolement devrait permettre, nous semble-t-il, d’obtenir plus aisément que des JLD n’autorisent pas le maintien en isolement avec ou sans contention.

Au surplus si on sépare nettement le contrôle de la mesure d’isolement et de contention de celui de la mesure d’hospitalisation contrainte, il doit rester possible si coïncidence entre l’échéance du contrôle par le JLD de la mesure d’hospitalisation et du contrôle de l’isolement de joindre ces deux procédures, « pour une bonne administration de la justice », et que ces deux types de mesure soient statuées ensemble.

Il nous semble néanmoins que la séparation claire du contrôle par le JLD de l’isolement et de la mesure d’hospitalisation pose problème. Comme l’avait conclu la Cour d’appel de Versailles le 24 octobre 2016 sur conclusions de Me Raphaël Mayet, la sanction de l’irrégularité d’une mise en isolement, en tant qu’atteinte à la liberté d’aller et venir, devrait être la libération du patient. Quitte à ce que l’administration prenne sur le champ une nouvelle mesure dans le laps de temps du délai de 24 h, ou dans le cadre du temps strictement nécessaire pour formaliser une mesure tel que l’avis de la Cour de cassation du 11 juillet 2016 l’autorise.

La Cour de cassation, formation criminelle (voir Dalloz Actualité, 16/09/2020), a récemment rendu deux arrêts selon lesquels l’atteinte à la dignité d’un détenu carcéral devait se traduire par la libération de ce détenu si la juridiction constatait l’indignité des conditions de la détention. Un même raisonnement devrait être suivi en matière d’isolement et de contention puisqu’indéniablement une contention d’un patient dans une unité psychiatrique est aussi une atteinte à sa dignité. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait la Cour d’appel de Versailles dans son ordonnance précitée du 24 octobre 2016 : la personne avait été libérée. Il serait utile de conserver cette possibilité.

En l’état actuel de cette réflexion nous ne pouvons pas prendre une position claire sur ce point précis du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention.


[1Me J.-M. Panfili a connaissance es-qualité d’hospitalier retraité de la question de la non-intégration des personnes en situation de handicap psycho-social lesquelles sont considérées par le corps social comme des dégénérés irresponsables ou mieux comme des « schizophrènes dangereux » du Sarkozysme ambiant.

[2Voir à ce sujet les œuvres de Frantz Fanon (cliquer sur ce lien), psychiatre antillais (1925 - 1961). Notamment Peaux noires, masques blancs, ou Les damnés de la terre. Voir aussi de récentes interventions sur Mediapart Club de Mme Anne-Sarah Kertudo, juriste handicapée visuelle.