2020-01-14 Le droit pour les patients à une psychiatrie sans médicaments

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/749

Document du mardi 14 janvier 2020
Article mis à jour le 27 août 2020
par  A.B.

Présentation du collectif signataire de cet article :

Ce blog nous permet de partager ce que nous apprenons auprès des équipes et des personnes en soin ainsi que toutes les initiatives que nous rencontrons sur notre route. La psychiatrie appartiendrait désormais à ce concept plus vaste de « santé mentale", mais aujourd’hui, elle est en crise ! Et ce n’est pas seulement la psychiatrie qui traverse une crise mais l’ensemble de notre société. Saurons nous saisir cette « possibilité de changement » qu’une crise peut représenter ?


Le droit pour les patients à une psychiatrie sans médicament

13 janv. 2020 Par KinoPsy

2020-01-13 Le droit à une psychiatrie sans médicaments

Source (Mediapart Club) : https://blogs.mediapart.fr/kinopsy/…

Résumé

Cette unité psychiatrique située au nord de la Norvège est la première de ce type dans le pays. Elle constitue la pierre angulaire d’un réel changement de paradigme et de conception dans la psychiatrie médicale actuelle. Sa particularité tient au fait qu’elle est le fruit d’une lutte conjointe très importante des associations de patients, de familles et de soignants
 

L’unité se situe en Laponie, à l’extrême nord de la Norvège. Région la plus vaste mais la moins peuplée avec 480 000 habitants. C’est à ce bassin de population que l’unité que nous avons découverte s’adresse.

Cette unité est la première de ce type dans le pays et constitue la pierre angulaire d’un réel changement de paradigme et de conception dans la psychiatrie médicale actuelle.

Sa particularité tient au fait qu’elle soit le fruit d’une lutte conjointe très importante des associations de patients, de familles et de soignants.

Associations qui malgré leurs divergences de points de vue sur plusieurs sujets ont réussi à se mettre d’accord et à travailler ensemble pour faire changer la loi en psychiatrie à l’échelle du pays en ce qui concerne l’hégémonie du recours au traitement médicamenteux.

Grete Johnsen Membre de l’association We Shall overcome

"Nous avons commencé la coopération en 2011, cela n’a pas été facile. Mais je pense que la raison pour laquelle nous avons réussi et continuons à coopérer est que nous avons été très concentrés sur le seul et unique objectif sur lequel nous sommes tous d’accord. Pour obtenir des services sans médicaments disponibles pour toutes les personnes en Norvège. Cet objectif, toutes les organisations le soutiennent. Je peux également dire que ces réunions et la coopération de ces années ont plutôt permis de travailler ensemble sur d’autres questions, nous sommes plutôt devenus un réseau plutôt que des organisations se battant les unes avec les autres, et cela a également influencé le reste de notre travail. À mon avis, nous avons vraiment besoin de coopération et d’union pour obtenir les changements que nous voulons."

En 2010, la Norvège est alors dans un contexte de fortes mesures de contraintes (soins sans consentement).

Les 5 principales associations qui comprennent des associations de patients, de famille et de soignants réunis, se sont accordées sur le « pas de traitement médicamenteux forcés ».

Un des responsables du Service, le Dr Magnus Hald, psychiatre, dit : “Cinq organisations d’usagers en Norvège ont joint leurs forces et ont exigé la possibilité d’un soin sans médicament pour les personnes avec « troubles mentaux sévères » (Mental Helse, Hvite Ørn, Landsforeningen for Pårørende innen Psykisk helse, Aurora, We Shall Overcome – WSO)

En 2011, suite à cette forte mobilisation des associations unifiées, le gouvernement émet alors une circulaire. Mais cette circulaire n’est pas respectée et aucun changement n’apparait dans la pratique en psychiatrie en Norvège, les psychiatres et services n’en tiennent pas compte.

Devant ce silence des professionnels, le ministère émet non pas une recommandation mais cette fois une obligation afin que ce qui a été décidé de concert avec les associations soit mis en place. En 2015, le ministère de la santé émet une Circulaire : « Les patients nécessitant une aide psychiatrique doivent, « dans des cadres de traitement prudents », avoir le choix entre différentes options de traitement, parmi celles-ci, les options de traitement qui n’incluent pas l’utilisation de médicaments. Ces options seront développées en étroite collaboration avec les « organisations d’usagers ». Chaque instance régionale de la santé doit établir des alternatives aux médicaments, y compris une aide à la réduction progressive et à la cessation de l’utilisation des médicaments et aider à établir d’autres mesures de traitement thérapeutique. Pour les patients qui sont admis dans des établissements de traitement psychiatrique et qui sont traités avec des médicaments, il devrait être prévu de réduire puis d’interrompre le traitement médicamenteux. Pour acquérir de l’expérience dans le traitement sans médication des patients souffrant de graves problèmes mentaux, chaque « Regional Health Trust » doit établir au moins une unité de lit réservée à cet effet. »

Le ministre de la santé Bent Høie, demandait en 2015 un système pensé comme : « le système de santé du patient dans son organisation et son travail clinique ». Et d’ajouter : « La question fondamentale est : Et si le patient avait le droit de décider comment organiser et gérer le système de santé ? C’est une question radicale. La réponse que nous obtenons doit être prise au sérieux et elle doit être décisive pour le travail sur « le système de soins de santé du patient ». Une réelle volonté est exprimée pour que le système soit pensé avec et pour lui.

L’unité a ouvert en 2017, soit 7 ans après le début de ce débat sur le droit à se soigner autrement qu’avec des traitements médicamenteux. Cette unité constitue “une réelle alternative” d’après l’équipe et « une possibilité pour les personnes souffrant de graves problèmes mentaux de choisir un traitement qui n’inclut pas les neuroleptiques. »

Dans ce cadre, il est recommandé que : « L’essentiel du protocole de ce traitement sans médicament au niveau régional est basé sur le fait que c’est un choix du patient de s’orienter vers cette prise en charge et que ce choix « drug free » a été réclamé par les patients eux même. Cela doit également être une option sure pour les patients. Il parait essentiel de faire un effort majeur pour réduire la consommation de psychotropes. Pour que la prise en charge se fasse dans de bonnes conditions, elle doit se concentrer sur la coopération avec les programmes locaux de traitement (…), se faire en réseau, impliquer les familles des patients, se concentrer sur l’activité, l’emploi, l’école et bien sûr le réseau. (.) Employer des personnes ayant leurs propres expériences « Experts by experience » ou « experience consultant »

Il est ajouté que : « Le traitement sans médicaments doit être basé sur les idées principales sur lesquelles « The User Initiative » s’est concentrée. Premièrement, les patients de ce programme ne doivent pas être soumis à la coercition ou à des pressions pour utiliser tout type de médicament. L’aspect le plus important du traitement est de fournir un environnement sûr, un lit pour dormir, une personne avec qui parler et des repas réguliers pour chaque patient.

L’accent sera mis sur le développement d’une « bonne culture de traitement pour un traitement sans médicament » qui peut contribuer au développement de nouvelles connaissances nécessaires. Les médicaments ne doivent pas être une partie prévalente du traitement offert, mais ne doivent pas être refusés aux patients qui veulent des médicaments. »

Magnus Hald détaille lors de notre venue les critères d’admission dans l’unité

Tout d’abord, ils exigent l’absence de coercition. Les patients faisant une demande d’hospitalisation dans l’unité ne doivent pas être sous contrainte. Si la capacité à consentir change pendant le séjour, que l’unité n’est pas suffisamment contenante par ce qu’elle met en place, le patient est transféré dans une autre unité de l’hôpital. Les deux équipes de l’unité, travaillent cependant ensemble afin de ne pas mettre en péril ce qui a été travaillé pour la décroissance de traitement dans l’Unité « Drug Free » selon les souhaits du patient.

Deuxième critère, en lien avec le précédent, seuls les patients en demande de cet axe de travail pourront intégrer l’unité.
Troisième critère, il a été décidé de donner la priorité aux patients atteints de psychose ou de « troubles » bipolaires pour l’accès à cet unité (cf résultats depuis deux ans plus loin dans l’article).
Quatrièmement, d’un point de vu organisationnel, l’orientation se fait uniquement à partir d’autres services spécialisés de psychiatrie, hôpital du territoire concerné ou centre de santé mentale.
Cinquième critère, aucune admission ne se fait en aigu, sauf pour les patients qui ont déjà intégré le programme.
Sixième critère énoncé, l’unité n’accueille aucun patient présentant des problèmes majeurs de toxicomanie.
Et pour finir avec les pré requis établis lors de la création de l’unité, la réduction progressive des médicaments psychotropes doit se faire avant l’admission en principe. En pratique, ils accueillent aussi des personnes qui n’ont pas fait cette décroissance : certaines personnes n’ayant pas réussi à le faire seules (nous développerons par la suite ce point). A l’inverse, il leur est arrivé d’accueillir en soin des personnes ayant tout interrompu brutalement. La création de cette unité a pour objectif d’apporter un choix supplémentaire de traitement en psychiatrie. Comme nous l’avons écrit précédemment, ils ne reçoivent pas de personnes sous contrainte. Ces personnes nécessitant des soins sont contrainte, sont réputées pour être associées en psychiatrie à des prises en charge plus compliquées. Magnus Hald nous raconte que cela leur a été reproché au motif qu’un dispositif qui ne prend pas en charge les patients « les plus lourds » ne serait pas sérieux.N’est-il pas justement cohérent qu’ils décident qu’un dispositif créé pour donner le choix ne soit pas être intégré au panel de la contrainte, la contrainte qui est un « non choix » ?

A leur connaissance et à la nôtre, il n’existait pas, jusqu’à la création de ce service en Norvège, d’expérience au niveau international d’une unité de lit sans médicament dans le cadre d’une clinique ou d’un hôpital psychiatrique.

La prise en compte des savoirs multiples en ce qui concerne les options de soin est essentielle. C’est pourquoi il a paru fondamental de s’appuyer sur les connaissances et expériences des patients, de leurs familles en plus des connaissances et expériences déjà édictées par les professionnels.

Le savoir des personnes en souffrances psychiques et de leur famille est très riche : Quel est le vécu des symptômes et l’impact des traitements sur l’esprit et le corps ? Quelles sont leurs inquiétudes et incertitudes concernant « l’efficacité et la dangerosité de ces traitements. En effet de nombreuses études démontrent les effets secondaires de ces traitements et notamment sur les capacités cognitives, le nombre de rechutes. » (cf liens en fin d’article)

Il a été de nombreuses fois évoqué par l’équipe que les traitements médicamenteux actuels en psychiatrie ne sont pas « curatifs » (En médecine, une différence est faite entre le traitement curatif et le traitement symptomatique : curatif s’apparente à la guérison. Cela est différent de ce qu’on appelle le traitement symptomatique qui lui agit sur les symptômes de la maladie, sans « guérir » la maladie. Le traitement symptomatique par son effet peut cependant améliorer l’espérance de vie, augmenter nettement la qualité de vie, etc… En médecine les traitements symptomatiques sont très importants dans de nombreuses situations.)Le raisonnement peut alors être le suivant : « Si ce n’est pas curatif, pourquoi ne pas chercher à avoir un impact symptomatique et diminuer la souffrance psychique en utilisant autre chose qu’un traitement médicamenteux ? »Rappelons qu’au-delà de son effet chimique, l’efficacité d’une molécule est variable selon la personne, en témoigne les études placebo.

De plus, il revient au cours des échanges avec l’équipe qu’un lien s’établit entre traitement médicamenteux dans le but de « juguler les symptômes et ainsi gérer la crise » et la notion de coercition. Ce modèle, qu’ils qualifient « de « paternaliste » du soin, sans autre option proposée ». (traduit de l’anglais “Closely linked to coercion” “paternalism - No other options”).

On aperçoit nettement que cela dépasse le cadre “purement médical” diront certains, mais est-il possible de définir un tel cadre ?

Nous découvrons dans le service une véritable volonté de changement de pratique de soin et de regard porté sur la souffrance psychique.Il nous explique que le « Modèle médical » actuel basé sur une conception neuro biologique des troubles implique une prise en considération individuelle d’un dysfonctionnement :« Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? ». Cette individualisation du trouble amène l’idée que c’est une maladie, une pathologie. Dans ce modèle, l’évaluation est standardisée, un diagnostic est établi à partir des symptômes et en découle un algorithme de traitement, puis la mise en route d’un traitement médicamenteux voire d’une contention, d’un isolement. « et moins tu prends tes traitements dans la psychiatrie actuelle plus on t’en impose » dit Magnus.

L’équipe de l’unité s’atèle à pratiquer un soin selon un modèle « user oriented ». Selon eux, la question ne sera pas qu’est ce qui ne va pas chez vous mais plutôt « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » où l’importance de la prise en charge et de l’impact du Réseau est alors primordiale.

Ils expliquent accorder une importance particulière au récit que fait le patient de ce qu’il vit et de son histoire, de la description qu’il peut en faire, de tout ce avec quoi il a été amené à interagir et ce qu’il a pu déjà mettre en place. Le respect du choix du patient est un élément primordial dans la prise en charge car même dans un modèle qui accorde une grande importance à tout ce qui tisse l’existence des personnes en soin, ces dernières restent partie prenante du soin. Il en découle une prise en charge « sur mesure », conçue comme essentielle pour aider la personne à comprendre ce qu’elle traverse, afin de découvrir et élaborer ensemble des possibilités.

Une autre critique faite au fonctionnement actuel du système de santé mentale est l’organisation en « Treatment Chain » qui décrit une sorte de « parcours de soin » dans lequel le patient doit respecter des étapes successives et codifiées dans la prise en charge qui sont pré établies pour lui.

Selon l’équipe, ce système qui présuppose des conditions bien définies, sape la question de la responsabilité. Ils soutiennent que cette façon de considérer l’organisation du soin, implique des idées de connaissances hiérarchiques qui, elles, sapent le développement des connaissances, mais aussi la continuité du soin.

Ils préfèrent eux, au traitement « en chaine », le traitement en réseau : « Treatment WEB ». Dans ce cas de figure, ils pensent le patient comme existant dans un tissu relationnel, véritable support à la création d’un « tissus de soin » si le patient le souhaite.

L’importance d’une prise en charge en réseau accorde une place particulière à la rencontre. Outre la rencontre entre l’équipe et le patient, il y a une place importante faite pour la rencontre avec toutes les personnes impliquées, soit directement mais aussi parfois par Skype avec le patient et son réseau privé mais aussi son réseau professionnel. Et ce, toujours avec l’accord du patient ou à sa demande.

D’après l’équipe, cela permet à la personne de trouver d’autres ressources que la prise médicamenteuse. Cela renforce la coopération, la création et le partage des connaissances dans une vision démocratique. Les connaissances locales étroitement liées au soin ont alors toute leur place. Ils prennent à ce propos, l’exemple de patients issus des communautés Sami (Les Samis sont un peuple autochtone d’une zone qui couvre le nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande ainsi que la péninsule de Kola en Russie connue sous le nom de Laponie).

Ils insistent sur l’importance de la continuité, et nous expliquerons par la suite l’organisation de cette continuité du lien avec les personnes hors hospitalisation.

The « daily program » in the unit

The « daily program » in the unit : quels enjeux sont travaillés au quotidien dans l’unité ?

Il y a par exemple : la perspective relationnelle entre l’équipe et la personne en soin et les difficultés rencontrées de part et d’autres, les attente de chacun ou les doutes, puis l’approche environnementale de la prise en charge (évoqué précédemment), le milieu dans lequel évolue le patient, une perspective de « recovery » également, l’activité physique ou encore l’art thérapie.

Le « Recovery » est un temps de partage d’expérience où l’équipe et les patients se concentrent sur un thème particulier que les patients ont choisi et auquel ils sont confrontés afin de discuter et de chercher ensemble ou de partager des solutions. Les soignants partagent aussi leur propre expérience, important à souligner. Un des thèmes écrit sur le tableau blanc de la salle de réunion est « Crises - une partie naturelle de la vie ».

En ce qui concerne l’exercice physique, il est aussi multiple : exercice de force, entraînement par intervalles, à l’intérieur et à l’extérieur, en groupe, en individuel.

Les séances sont toujours accompagnées par des soignants qui « font avec » les personnes en soin. Le faire ensemble est quelque chose de très importants dans ce lieu. Tout est adapté aux conditions physiques et aux besoins individuels des participants.

En pratique comment se fait une décroissance dans cette unité ?

Concernant leur retour à ce jour en ce qui concerne le « Tapering down » médicamenteux. Il semble qu’en parallèle se déploient deux processus, d’un côté la réduction progressive des neuroleptiques et de l’autre un accès graduel accru aux émotions et aux pensées et pour certains à d’autres symptômes.

Pour ce faire, ils utilisent les « Tapering strips ». Ce sont des doses de médicament très graduellement réduites et pré-conditionnées. Cela permet de suivre la décroissance progressive jusqu’à l’arrêt du traitement.

Ces doses sont importées laborieusement depuis les Pays-Bas « malgré la quantité de paperasse importante et de formulaires à remplir ». Magnus Hald s’amuse de cette « difficulté générée par le fait de se fournir des micro doses alors que de grosses doses sont très faciles à se procurer ! ». Il a été créé un Institut international pour le retrait de médicaments psychiatriques dont fait partie Magnus Hald le psychiatre de l’unité et professeur à la faculté à Tromsø. « Le but de cette organisation est de développer des connaissances basées sur la recherche et la pratique qui faciliteront une réduction et un retrait sûrs des médicaments psychiatriques.Il tend à contribuer aux pratiques fondées sur des données probantes pour la réduction et le retrait des médicaments psychiatriques et faciliter leur inclusion dans les directives de pratique générale.Il soutient le droit humain à un choix éclairé en matière de médicaments psychiatriques et promeut des pratiques qui aident les familles, les amis et les praticiens à soutenir la réduction et le retrait des médicaments psychiatriques en toute sécurité et à prendre en compte les aspects relationnels et sociaux essentiels à ce processus. »

En Norvège, cette demande de changement d’offre de soin en psychiatrie à l’origine de nouvelles pratiques a entraîné une levée de boucliers de la part d’universitaires en psychiatrie Norvégiens : dans un article de 2019 du journal de psychopharmacologie intitulé « Réflexions des psychiatres sur un programme sans médicament pour les patients atteints de psychose », la conclusion est la suivante :

« Malgré toutes les pressions internes et externes auxquelles les psychiatres (non drug free) ont déclaré avoir été exposés, cela n’a pas affecté leur intégrité professionnelle, dans les décisions médicales basées sur les « guide lines », l’expertise et la recherche. Ils pensent que cette option de traitement (le drug free) va exacerber les attitudes négatives à l’égard des médicaments et aggraver encore les problèmes d’adhésion (à la prise de traitement médicamenteux) déjà existants. » D’après cette étude la pratique « drug free » n’est pas encore acceptée par la majorité des psychiatres…

Article-association-norvégienne

Également, dans le Journal de l’Association médicale norvégienne # 6, 2017 :

« Services hospitaliers sans médicament - une mesure sans aucune base de connaissances » par Jan Ivar Røssberg (Professor/Psychiatrist, University of Oslo), Ole A Andreassen, Stein Opjordsmoen Ilner

Ou encore « Le secrétaire à la santé, Høie, s’est laissé manipuler par des groupes d’intérêt et n’a pas voulu écouter les professionnels. » Tor Ketil Larsen (professeur en psychiatrie à l’hôpital universitaire de Stavanger)

Magnus Hald nous lance malicieusement : « La question de savoir si c’est légitime de ne pas utiliser de traitement médicamenteux devrait être en fait « est-il légitime d’utiliser systématiquement ces médicaments ».

Remise en question dans cette unité, l’utilisation du diagnostic en « santé mentale » l’est actuellement au-delà des frontières de la Norvège : un article du conseil supérieur de santé belge met en garde contre l’utilisation des catégories DSM, extrait de l’article dans le lien suivant : https://www.thelancet.com/journals/…

Voici l’extrait : « Dans le monde entier, le DSM est, tout comme l’ICD, un instrument de diagnostic classificatoire fréquemment utilisé. Cependant, des questions ont été soulevées quant à son statut pragmatique et scientifique.Par conséquent, en 2016, le Conseil gouvernemental supérieur de la santé belge a mis en place un groupe d’experts composé d’universitaires et de praticiens en psychiatrie, en psychologie clinique, en sociologie et en philosophie ainsi qu’un utilisateur de services pour évaluer la littérature et les preuves pertinentes. ». Sur le plan épistémologique, le groupe d’experts a conclu que les catégories de troubles mentaux ne devraient pas être traitées comme des catégories naturelles mais comme des constructions qui ont un impact causal sur ceux qui sont classés. Sociologiquement, le groupe a observé que les classifications diagnostiques tendent à légitimer les structures organisationnelles et à protéger la psychiatrie des pressions en faveur du changement. De plus, la littérature suggère qu’une approche biomédicale ne réduit pas, comme on l’espérait, la stigmatisation et la discrimination.Cliniquement, le groupe a conclu que les catégories diagnostiques courantes manquent de validité, de fiabilité et de pouvoir prédictif. De plus, celles-ci ne correspondent pas aux nouvelles conceptions de la santé, définies par la capacité d’adaptation malgré les obstacles biopsychosociaux. Le Conseil a observé que la formulation multicouche de cas cliniques fournit une alternative utile. Ainsi, les symptômes, les plaintes et la souffrance peuvent être mieux contextualisés en termes d’informations biographiques, de défis existentiels, de fonctionnement contextuel-interactionnel, de processus mentaux et de considérations biologiques.La classification peut toujours se produire mais sur la base d’un petit nombre de syndromes généraux (par exemple, le syndrome psychotique ou le syndrome de dépression), ce qui stimule la formulation diagnostique personnelle. Ceux-ci devraient être discutés en termes de continuum de la crise à la reprise pour évaluer le besoin de soins et de soutien.Le rapport se termine par des recommandations qui encouragent la psychiatrie contextualisée centrée sur le patient. Ces recommandations comprennent des conseils pour ne pas utiliser les catégories DSM pour organiser et rembourser des interventions et pour organiser la prévention et la promotion de la littérature en santé mentale.Le rapport contient cinq recommandations clés à l’intention des cliniciens, des décideurs et du grand public :

— Des approches par défaut non problématisantes et non médicalisantes des plaintes ou crises mentales, car elles pourraient exprimer des problèmes existentiels et sociaux
— Une écoute attentive des expériences subjectives
— Fournir une aide et un soutien pour les plaintes ou crises mentales sans diagnostic formel comme condition préalable
— Prendre le point de vue des personnes souffrant de troubles mentaux ou de crises et la façon dont elles donnent un sens au centre du diagnostic et du traitement Lors de la formulation d’un cas, en prêtant une attention particulière à la manière spécifique à la personne de prendre forme, entre autres, mentales, existentielles (donner et perdre du sens), biologiques, sociales et culturelles. À notre connaissance, c’est la première fois qu’un organisme public tire une conclusion aussi explicite sur la meilleure façon d’utiliser le diagnostic psychiatrique dans la pratique clinique et de santé publique. JVO (Jim Van Os) était membre du groupe de travail DSM-5 sur les troubles psychotiques.Cette correspondance est publiée avec l’approbation du Conseil supérieur belge de la santé.Les auteurs remercient les membres du panel DSM (5) : L’utilisation et l’état du diagnostic et la classification des problèmes de santé mentale.".

L’unité « drug free » de Tromsø que nous découvrons

L’unité est installée au sein d’un hôpital psychiatrique classique « central psychiatric hospital ». cet hôpital psychiatrique comprend des services de crise, des services de géronto psychiatrie, des services de soins sous contrainte (« Forensic Wards »). Magnus Hald insistera à plusieurs reprises sur le fait que leur service est « différent mais intégré ».

La création de l’unité a été réalisée en 2017 par une équipe de 4 personnes dont l’originalité tient au fait qu’elle ne soit pas uniquement médicale, mais pluridisciplinaire, par un infirmier TORE OSDEGARD, une psychologue MERETE ASTRUP, un expert par expérience STIAN OMAR, un psychiatre MAGNUS HALD.Autre particularité, l’unité a mis en place une réunion avec un Conseil de surveillance de manière régulière tous les deux mois : conseil composé de représentants de quatre organisations « d’usagers ». Ces réunions ont pour fonction de réfléchir sur ce qui est entrepris dans le service, se réajuster si nécessaire ou encore élaborer de nouvelles pratiques. Ces échanges et ce regard extérieur entre l’équipe de l’hospitalisation et les associations permettent de conserver une dynamique de soin et d’évolution permanente par la remise en question.

C’est mi-octobre, sous les premières neiges que le service « Drug free » de l’établissement d’Asgard nous a ouvert les portes de quelque chose qui semble être « en rupture avec la psychiatrie mainstream ».

Dès notre arrivée, nous avons été accueillis très chaleureusement par l’équipe de soin et les patients. Cette petite unité de 6 lits (avec possibilité d’étendre à l’accueil à 8 lits) baignée de lumière se situe en bord de mer.

Ce qui nous a d’abord surpris était le calme qui régnait dans cette unité, une odeur de gâteau qui émanait de la cuisine située au milieu du service.

Au cours de nos échanges, ils répéteront l’importance qu’ils accordent à l’atmosphère du service. Du calme oui mai pas de l’inertie !

Le lieu est décoré comme une maison, et la salle à manger où les personnes en soin et les soignants mangent ensemble les repas préparés dans la cuisine du service autour d’une immense table toute en longueur.

Ce que l’on nous dit c’est qu’ici la devise est : traiter l’autre comme on aimerait être traité !

L’équipe se compose de 24 personnes ( 6 infirmier(e)s, 2 éducateurs sociaux, 3 travailleurs sociaux, 1 psychologue, 2 kinésithérapeutes, 2 « peer supporter ou expert par expérience », 2 ergothérapeutes, 1 assistant, 1 psychiatre, 2 art-thérapeutes, 2 « autres »).

Le recrutement de l’équipe s’est fait en repartant de zéro grâce aux budgets alloués par le ministère : toutes les personnes engagées dans ce projet venaient convaincues qu’une autre façon d’appréhender le soin était possible.

« J’ai eu beaucoup de mal à recruter pour cette unité mais surtout des psychiatres ! » nous dit Magnus Hald le psychiatre de l’unité.

C’est une grosse équipe mais cette équipe ne travaille pas uniquement sur « l’intra » mais a beaucoup de rendez vous extérieurs, le territoire est très vaste, et les vols en avions sont parfois nécessaires.

L’organisation est pensée pour qu’il y ait toujours plusieurs référents par patient, dans une connaissance mutuelle réciproque, et toujours l’un deux présents jour et nuit.

Ce roulement du personnel se fait de telle sorte que le patient soit toujours en présence d’une personne en qui il a confiance et qui lui est familière.

L’équipe a été constituée entièrement à partir de personnes voulant travailler dans cette dynamique du « drug free », le budget alloué par le ministère a permis de recruter entièrement l’équipe afin d’aboutir à une certaine cohérence dans la pratique. Cette cohérence n’est pas synonyme d’uniformisation, il y a au sein de l’équipe une grande diversité des pratiques et des orientations théoriques des différents soignants.

Magnus Hald a travaillé de nombreuses années avec Tom Andersen, psychiatre et professeur de psychiatrie sociale, mais également très en lien encore aujourd’hui avec Jaako Seikkula et le travail de l’open dialogue. Andersen était son ami, il nous explique qu’il a beaucoup développé l’approche relationnelle à la faculté et de la notion de réseau, mais que cela s’est perdu depuis le décès de son ami, il espère développer une nouvelle forme d’enseignement pour transmettre cette approche du soin dans ses cours à l’université, le milieu universitaire étant pour l’instant très réticent (pour ne pas dire opposé). Plusieurs personnes de l’équipe sont formées à la thérapie familiale avec entre autre comme inspiration la thérapie familiale systémique de Milan. Ils feront référence successivement à Aronson, Selvini-Palazzolli, Boscolo, Cecchin, Prata.

Toutes ces personnes qui travaillent ensemble, sont donc venues dans cette unité, convaincues qu’il était possible de travailler sans traitement ou avec à l’esprit l’intime conviction qu’il fallait tendre au maximum vers cet objectif…

Lorsqu’on les interroge sur leur place au sein des autres unités non « drug free », ils nous expliquent que les échanges et le travail avec les autres unités sont possibles et qu’ils les encouragent.

Par exemple si un patient de l’Unité « drug free » arrive dans une des autres unités de l’hôpital ou s’il arrive qu’un transfert soit nécessaire, une articulation se fait entre les deux unités afin que tout le chemin parcouru précédemment avec le patient ne soit pas anéanti. Ils tiennent compte de l’importance d’une demande de décroissance médicamenteuse. En somme, ils nous explique que l’équipe de l’unité fait son maximum pour préserver le travail du patient avec l’équipe « drug free ». Les échanges entre les équipes sont alors fréquents pendant l’hospitalisation du patient. Ils peuvent aller lui rendre visite pour travailler avec le patients dans ce moment difficile dans une autre unité. Magnus Hald nous dira : « il faut être assez différent pour influencer le système mais pas trop ».

Comme nous l’avons rapporté précédemment, les nouveaux patients arrivent dans le service pour diminuer les traitements jusqu’à les arrêter totalement.

Toujours avec l’idée que les traitements psychotropes ne sont pas curatifs, qu’ils ne guérissent pas la psychose et ne sont en réalité que sédatifs pour faire diminuer les symptômes. En toute logique, il arrive donc souvent qu’à la décroissance du traitement, une crise surgisse.

Comme nous l’avons évoqué précédemment ils considèrent la crise comme une occasion pour le patient et le soignant de découvrir ensemble ce que le patient traverse et tenter de trouver des solutions sans sédation. La crise est un moment à saisir dans l’histoire du patient pour lui permettre d’aller mieux, un temps de remaniement psychique. Ceci appuie leur idée que les traitements sédatifs empêchent dans ce type de moment d’accéder à quelque chose de très utile par la suite dans la prise en charge. Alors immédiatement un ou plusieurs soignants s’isolent du reste du groupe avec le patient pour l’aider à traverser ce moment, l’aider à comprendre ce qu’il ressent, et faire face avec lui.

Beaucoup de personnes en soin décident d’arrêter leur traitement, seuls la plupart du temps, à cause des effets secondaires délétères : prise très importante de poids, problèmes cardio-vasculaires, perte de l’érection, fatigue très importante et inhibition des émotions. L’idée ici est de les accompagner et de leur permettre d’accéder à d’autres ressources qui leur sont propres. La décroissance du traitement faisant réapparaître de nombreuses émotions, il peut être compliqué de gérer seul ces moments-là.

Également abordé précédemment, leur pratique ne se focalise pas sur la question diagnostique. Lorsque que le patient est adressé par un spécialiste dans le service, il arrive avec son étiquette diagnostique. Cependant, ce n’est pas sur cet élément que l’équipe s’attarde, mais plutôt sur qui est le patient au-delà du diagnostic, comment vit la personne, quelle est sa famille, ses préoccupations, son récit de vie, qu’a-t-il déjà réussi à mettre en place ?

Cela constitue donc une autre rupture avec le paradigme actuel d’une psychiatrie médicale, qui essentialise la maladie mentale.

En effet, cette équipe considère que le DSM est un système de classification majoritairement employé et guidant actuellement les prises en charge et les recommandations. En aucun cas, ce ne serait un système de diagnostic « médical ».

Pour étayer ce propos, ils considèrent que contrairement à ce qui est communément véhiculé, il n’y a rien de tangible quant à une cause directe biologique ou psychologique du trouble, son pronostic, son traitement nécessaire et la façon dont le trouble évoluera ou se développera avec le temps.

Stian Omar est « peer suporter », il fait partie des 4 personnes qui ont contribuées à penser l’unité et à la créer. Un « pair aidant » ou « peer supporter » ou « expert par l’expérience » est une personne qui a été « psychiatrisée » et qui ne l’est plus et qui devient soignant à son tour.

Stian nous explique que le fait qu’il ait une expérience de psychiatrisé permet d’établir plus vite une relation de confiance avec le patient et de l’apaiser.

Il aborde ensuite avec nous la question de la créativité de chacun et de son rôle de pilier dans l’existence. Pour illustrer ses propos, il raconte l’histoire d’un musicien en très grande souffrance psychique qui prenait des neuroleptiques et que la sédation l’empêchait de travailler. Il a été membre de l’unité, et lors de l’arrêt progressif des traitements ils sont allés en studio pour qu’il joue de nouveau. Il raconte que ce dernier est ressorti en disant : « I’m a new man ».

Stian nous raconte que sa parole est ici entendue comme celle de chacun. Il n’est pas traité différemment au sein de l’équipe soignante, il est un soignant.

En effet, l’idée de réduire au maximum la présence de la hiérarchie à tout niveau est centrale dans cette unité :

— hiérarchie par un savoir pré établi (et restreint à certains champs) entre soignants et personnes en soin,
— hiérarchie au sein de l’équipe soignante, même si la responsabilité reste celle du médecin.

Toute l’équipe nous a dit à quel point c’était important et précieux de travailler dans cet environnement d’écoute et de partage. Chacun et chacune est entendue et considérée.

L’absence de hiérarchie est également expliquée par le psychiatre du service qui est aussi professeur à la faculté de Tromsø comme quelque chose de culturel dans le nord de la Norvège. Il semble que dans cette région les choses soient « moins formelles et donc moins organisées par la hiérarchie qu’ailleurs ».

Par exemple, outre les réunions régulières avec les associations au sein de l’unité, chaque semaine les soignants et les patients réfléchissent ensemble à ce qui pourrait être amélioré ou créé dans l’unité : ainsi, à la demande de certains patients, une séance de méditation a été mise en place chaque matin. Chacun reste libre d’y participer ou non et, à présent, les nouveaux venus dans le service peuvent en bénéficier.

Les patients sont partie prenante de l’organisation du service. Nous avons été invités à effectuer une séance de méditation avec eux, et à la fin nous avons tous abordés nos ressentis, notre rapport à cette pratique, ce que l’on a découvert ou non. Nous avons pu évoquer ensemble ce que la méditation nous apprenait de notre rapport au corps, et du peu de temps que passe chacun avec soi, sans une perpétuelle agitation. Les patients ont également partagé qu’il était très important pour eux d’être aussi de réels organisateurs du service.

Il est important de souligner que ce n’est pas toujours une position d’écoute de la part du soignant mais sinon un échange et un partage entre soignants et patients.

Les hospitalisations sont planifiées avec les patients

.

Ils nous expliquent que souvent plusieurs hospitalisations de quelques jours sont nécessaires pour parvenir à arrêter le traitement.

« Prendre le temps » revient toujours au fil des entretiens ! Souvent des patients ont pris des traitements pendant de nombreuses années et cela peut être dangereux de les arrêter brutalement. Prendre le temps de répéter des hospitalisations courtes, prendre le temps de parvenir à découvrir quelles autres ressources que le traitement ces personnes ont en elles et prendre le temps de construire une relation de confiance également. Il n’y a pas de règle mais souvent les hospitalisations durent 2 semaines et répété 4 fois par an, mais rien n’est figé. Lorsque nous étions dans le service, une dame était hospitalisée pour 5 jours.

Ici, ils nous diront que c’est la co-création de solutions pour et avec le patient qui fait sens et permet de changer, de dépasser la crise.

Afin de permettre au patient de découvrir différentes voix de connaissance de leurs propres ressources et d’expression, ont été mis en place diverses pratiques avec l’équipe : l’art thérapie, la méditation, les « recovery cessions », le sport dans une salle au rez de chaussée de l’hôpital, des randonnées dans les environs, mais aussi le très nordique « ice bath ». Aux moments informels, tels que préparer le goûter ou chanter ensemble pendant que Tore l’infirmier, joue du piano, s’ajoutent des temps communs ou individuels programmés.

Une des personnes en soin de l’unité nous a fait faire une visite de l’extérieur de l’hôpital et de la Cabane construite par l’équipe pour se réunir et nous a expliqué à quel point ces moments vécus ensemble où ils échangent autour du feu étaient importants.

Nous n’insisterons pas assez sur la liberté dont dispose ce service à l’origine d’une forte créativité et inventivité : pas de règle relative au temps d’hospitalisation minimum ou maximum ni de protocole. L’idée étant de créer un dispositif singulier pour chaque prise en charge. La vie dans le service ou le rythme des ré hospitalisations sont décidés avec le patient !

Le dossier médical est lui aussi considéré comme un moyen d’expression par l’équipe. Rédigé par les soignants et le patient concerné, chacun est libre de lire les observations de l’autre. D’après les soignants, le patient peut justement utiliser ce support comme moyen d’expression si l’échange verbal est difficile. Ils nous expliquent que c’est également un moyen supplémentaire de confronter les points de vue, s’ils divergent entre soignant et patient et une occasion supplémentaire d’échanger.

L’idée de multiplier les supports d’expression revient souvent dans les entretiens que nous avons faits. Ainsi l’art thérapie évoquée plus haut en est un autre. Et comme chaque activité du service, elle n’est pas prescrite par un soignant mais c’est le patient qui s’y inscrit s’il le souhaite.

Lorsque nous commençons à filmer une interview avec l’équipe en salle d’Art thérapie, les dessins des patients sont aussitôt décrochés des murs par Merete Astrup. Elle s’excuse de cela mais nous explique « nous n’avons pas eu le temps de leur demander l’autorisation que leurs œuvres soient filmées et ils sont sortis ». La préoccupation pour les patients et leur liberté est constante. La règle des soignants de « traiter l’autre comme tu aimerais que l’on te traite » va de pair avec leur souci de toujours pratiquer un soin qui défend les droits humains.

Évidemment, ce qui vient en premier à l’esprit est que c’est une unité où les patients ne sont pas sous contrainte. A cette remarque et à la question « est-il possible de faire la même chose avec contrainte », Magnus hald me répondra : « Non, pas la même chose mais bien sûr qu’il est possible d’inventer qqch de cet ordre avec des personnes qui sont sous mesure de contrainte, mais pensé avec un « design » différent ».

Loin de se dire abouti, Magnus Hald nous dit que même si certains patients ont pu recevoir un traitement plus conforme à leurs souhaits, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.Il se dit cependant content que cette option « drug free » soit mise à l’agenda Norvégien en Psychiatrie et que cela ait permis d’ouvrir le débat. Plusieurs fois, la question de la diversité des soins sera évoquée comme quelque chose de nécessaire.

Magnus dit : « le débat est aussi qqch de nécessaire » (la question d’une nécessité du conflit sera reprise plus loin dans ce texte). Il insistera à plusieurs reprises sur le fait que l’on a toujours tendance à vouloir homogénéiser l’offre de soin alors que cela ne lui semble pas être la bonne solution. Il faut s’adapter aux besoins et à la demande que font les personnes.

Dora Stendahl Schmidt, l’art thérapeute nous confiera : « Comme toutes les personnes qui explorent et sur lesquels on fonde beaucoup d’espoir, nous avons une responsabilité, nous le savons et nous en prendrons soin. »

Quelques « chiffres » pour des premiers résultats. : Sur 49 patients admis durant les deux premières années de vie de l’unité, 47 avait un trouble bipolaire ou une schizophrénie (50/50), 26 n’utilisent plus à ce jour de neuroleptiques alors qu’ils seraient recommandés selon le DSM et 11 ont pu diminuer la dose de neuroleptiques. La moitié des patients ont été admis plus d’une fois en hospitalisation.

Résultats à venir de recherche en cours

Des budgets ont été attribués à l’unité pour une recherche universitaire et l’établissement d’un partenariat de recherche avec la Psychologue Elisabeth Klæbo Reitan.

Les patients présents à cette période dans l’unité avec lesquels nous avons pu échanger se disaient tous très satisfaits que puisse exister cette unité.

Discussion

Cette unité a pour particularité de décentrer la question de la souffrance psychique d’une causalité uniquement biologique, qui entraîne l’avènement d’une frontière normal/pathologique. De cette complexification, émane la remise en question du diagnostic, d’une vision modulaire du patient, du parcours de soin qui en découle et du fonctionnement par protocoles qui semblent de plus en plus systématiques en psychiatrie, de la hiérarchie d’un savoir médical biologique sur tous les autres savoirs qui concerne l’être humain.

Là, l’être au monde du patient ne se fait pas uniquement par le prisme de la maladie, du diagnostic mais dans sa complexité. Cette dernière ouvre un horizon de possibles quant à l’issue de la crise, l’assignation ne sera donc pas définitive et la chronicité comme seule carrière envisageable.

La remise en question de ce parcours de soin qu’ils opèrent peut nous permettre de prendre un peu de recul sur la manière dont est organisé le nôtre, en France. L’idée que sous-tend cette équipe en expliquant que le parcours de soin « en chaîne » sape la responsabilité et morcelle le patient et ce qui devrait être ‘un tissu de soin’, ne peut que nous renvoyer au morcellement actuel à tout niveau d’organisation dans notre société. Que faire de cela ? Comment le traiter dans un système qui dit promouvoir la continuité des soins ?

Il nous parait important de souligner que même s’ils considèrent que le traitement ne soit pas curatif mais simplement symptomatique, ils ne l’invalident pas pour autant, il est une option de soin dont la non utilisation devrait être systématiquement interrogée et où la tentative de faire autrement aurait toute sa place, et non une place de « solution alternative » au sens trivial où elle est souvent entendue.

A ce titre, le désir et les savoirs des personnes en soin sont entendus et incorporés dans une démarche de co-création avec les autres savoirs, et un des produits de cette co-création est l’unité « drug free » que nous avons découvert. Cet Edelweiss a pour particularité d’être à l’origine, le fruit d’un puissant désir des organisations de personnes en soin et soignants qui main dans la main ont réussi à travailler ensemble, à faire une place pour l’autre et que cet élan ait été réellement entendu et soutenu par un gouvernement à l’échelle du pays.

Le « pas de contrainte du tout » semblait trop compliqué dans un premier temps, ils se sont concentrés sur un autre possible dans l’éventail de prise en charge thérapeutique. Ils nous ont dit « cependant c’est quelque chose vers lequel nous devons tendre ».

Mais ne pas être focalisé sur la finalité et garder à l’esprit que toutes les étapes intermédiaires doivent être incarnées et sont cruciales. Peut-être alors que cette finalité rêvée par certains en sera autre et d’autant plus intéressante que ce que l’on avait initialement prévu.

Chacun semble être partie prenante dans cette affaire, les personnes en soin, les familles, les soignants. Chacun dans la société pourrait s’interroger sur sa place et son rôle dans ce rapport à la différence, à la souffrance, à l’exclusion. Nous sommes un tissu et à ce titre nous sommes impliqués dans ce qu’il arrive aux membres de cette société. Comment le traiter dans un système qui dit promouvoir l’inclusion de tous ?

Nous nous sommes ensuite interrogés de l’effet sur les patients d’entendre les affects des soignants ; selon nous cela doit pouvoir s’ajuster en fonction de l’interlocuteur.

Également, la question pour un patient de co-écrire son dossier et de lire ce que son psy a écrit sur lui ? Qu’est-ce que cela modifie de la place du soignant ? Il est évident que le contenu écrit ne sera pas le même en co-écriture que tout seul…

Quelle place occupe alors le patient quand il devient rédacteur de son dossier médical, habitué à ce que l’on parle et décrive son état à sa place, et qu’il soit simplement consultant de ce dossier ?

Le rapport soignant soigné s’apparente à un rapport de force tacitement amené par la question du savoir, qu’en sera-t-il de la position médicale lorsqu’elle accordera une place importante à l’incertitude ?

Si le traitement médicamenteux n’est pas le support de la guérison, qu’est ce qui peut en être le support ? La relation qui s’établit ? Cela implique de repenser la place du médecin psychiatre non comme expert et prescripteur, dans une position de savoir sur l’autre mais comme co-créateur d’une relation de soin.

Nous nous positionnons plutôt dans l’interrogation et dans une demande de pluralité que dans la défense d’une technique (traitement sans médicament) comme solution qui renverserait les autres.

En ce qui me concerne, interne des hôpitaux de Paris, encore étudiante donc, j’aimerais qu’il soit possible que cette pluralité émane dans nos enseignements, nos lieux de stages et dans le discours tenu par nos séniors, que l’accès à cette pluralité ne soit pas forcément payant (DU, DIU, colloques…).

Je n’ai eu de cesse pendant la rédaction de cet article de me rappeler les nombreuses réflexions d’un assistant d’un stage en CHU, dont une « arrête de croire au pouvoir magique de la parole, c’est uniquement l’effet de la mise en route du traitement »

Ce qui a été très appréciable dans cette rencontre avec cette équipe, c’est leur sens de l’accueil de la différence et de la parole de l’autre, mais aussi la remise en question permanente dont ils font preuve au quotidien. Toujours, ils s’interrogeaient sur ce qu’ils étaient en train de mettre en place.

Cela amène notre prochaine rencontre avec l’équipe « Open Dialogue » en Finlande et l’importance accordée à cette notion de « tolérance à l’incertitude » dans le soin.

Liens

https://www.cambridge.org/core/jour…

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed…

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed…

https://ajp.psychiatryonline.org/do…

https://www.tandfonline.com/doi/ful…