2019-09-25 - Un récapitulatif sur le blocage des réformes dans la psychiatrie française

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/737

Document du mercredi 25 septembre 2019
Article mis à jour le 30 août 2020
par  A.B.

En réponse (et en complément) du billet du Dr Pascal Boissel, psychiatre, président de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), publié sur Les contes de la folie ordinaire de Mediapart, cliquer sur ce lien pour accéder à ce billet

Sur notre site internet : 2019-08-18 - 2010-2018 : un constat sur la psychiatrie française


À propos de la crise de la psychiatrie publique française

Les chefs d’écoles de la psychiatrie des années 1960 aux années 1990 sont profondément responsables de notre situation actuelle : ce naufrage de la psychiatrie publique.
 

Rappel des principales positions historiques de ces chefs d’école :

— Henri Ey (SPH, médecin directeur de l’hôpital psychiatrique de Bonneval) années 1960 - 1970 : on ne touche pas à la loi de 1838,

— Jean Oury (médecin directeur de la clinique La Borde) mêmes années et suites : On ne touche pas à la loi de 1838,

— Pr. Henri Baruk, pourtant très militant contre l’internement abusif (années 1960 aux années 1990, académicien, médecin directeur de l’hôpital psychiatrique de Charenton) : on ne touche pas à la loi de 1838,

— Lucien Bonnafé (médecin chef du secteur de Corbeil-Essonnes) et ses partisans : abrogation de la loi de 1838. Cette revendication maximaliste bloquant toute réforme puisque entravant une réflexion médiane qui aurait pu être opérationnelle et réformiste.

— Le même : développement de la sectorisation avec autonomie des secteurs en conseils de secteur, et réflexion sur une législation sur la contrainte aux soins toutes disciplines confondues, en même temps que l’internement psychiatrique (pratique barbare) dépérit ==> pas de réforme. Blocage des réformes.

— Jean Ayme (SPH années 1960 - 1970, médecin directeur de l’hôpital psychiatrique de Moisselles, Val d’Oise) : le pouvoir aux psychiatres = > pas de contre pouvoir des psychiatrisés.

— Félix Guattari (L’Anti-Oedipe, 1972, éditions de minuit, psychanalyste à la clinique La Borde, fondateur du Centre d’études, de recherches et de formations institutionnelles, CERFI) : la schizophrénie à la mode. L’être fou ou le devenir fou est ce qu’il faut être à Paris 8 Vincennes comme ailleurs …

— Les courants gauchistes antipsychiatriques : abolition de la loi de 1838. Position maximaliste => pas de réforme.

— Quelques psychiatres italiannistes, partisans du Dr Franco Basaglia (psychiatre italien fondateur du courant antipsychiatrique italien) réclament une judiciarisation par le juge des tutelles tenu par des avis de psychiatres experts hospitaliers. Proposition de loi du sénateur centriste Henri Caillavet 1978. Proposition mise de côté.

— Le Groupe information asiles, GIA (1982 - 1989 et suites) : pour une judiciarisation des internements psychiatriques par la 1re civile des TGI en formation collégiale. Suppression du placement volontaire (HDT).

Le Groupe information asiles, GIA, est strictement combattu et cantonné en marge. Cette organisation issue du gauchisme 68 ard est stigmatisée comme étant scientologue … On en rigole encore …

— Le sénateur Michel Dreyfus Schmitt (PS, Belfort) mène une fronde des sénateurs en avril 1990 dans la commission des lois qu’il présidait pour une judiciarisation par le juge des tutelles, mais est mis en minorité à peu s’en faut. La Gauche rocardienne et mitterandienne ne fait que moderniser la loi de 1838 et satisfait partiellement les immobilistes …

— Le groupe parlementaire communiste prend une position systématique en faveur de la judiciarisation des internements psychiatriques à partir de 1990 en autonomie par rapport aux syndicats et à la place du Colonel Fabien (autonomie du pouvoir parlementaire). Un apport de M. Gilles Masson secrétaire juridique de ce groupe de 1990 à 1999.

— Les associations d’usagers en psychiatrie se développent sous la houlette et sous la tutelle du ministère de la santé, des institutions psychiatriques et du corps médical à dater de 1996 … Leur autonomie est quasi nulle, leurs dirigeants sont tenus par des subventions.

— 2001, rapport Drs Éric Piel et Jean-Luc Roelandt, préconisation d’une judiciarisation par le juge des tutelles. Cette partie de ce rapport est enterrée par le ministère de la Santé.

— Les gouvernements successifs passent en force à partir de 1991 (réforme hospitalière) des réformes qui permettent à l’administration centrale d’avoir la main et qui shuntent de plus en plus le pouvoir des psychiatres des hôpitaux jusqu’à vider ce pouvoir ancien de sa substance (loi hospitalière de juillet 2009, hôpital, patients, santé, territoire),

— En face les lobbys du terrain psychiatrie nous jettent et nous combattent.

— Le GIA puis le CRPA ont été forces de propositions mais nous nous sommes faits jeter notamment par les corporations de psy. issues des anciens courants de l’antipsychiatrie … N’est-ce pas !

Si la psychiatrie française est en situation de naufrage la responsabilité politique en incombe aussi bien aux corporations du terrain, dans lesquelles seulement quelques individus ont pris leurs responsabilités en s’efforçant de ne pas trop vite se mettre leurs collègues sur le dos …

Un état des lieux est nécessaire pour qu’il soit possible de tourner la page et de faire autrement. Si le rapport des députés Martine Wonner (LREM), Caroline Fiat (France insoumise) et Brahim Hammadou (LREM) le permettent, ce dont je doute d’ailleurs, autant en profiter … Mais ce sera sans nous. Pourquoi ne ferions-nous que prendre des raclées d’insultes diagnostiques dans le regard de protagonistes qui ne voient en nous que des malades mentaux, point, là où nous sommes des femmes et des hommes en lutte ?

André Bitton, pour le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA).