2019-06-07 - Statistiques 2018 : Le Gouvernement mène une politique de hausse des soins sans consentement

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/700

Document du vendredi 7 juin 2019
Article mis à jour le 2 septembre 2020
par  A.B.

Sur notre site internet : 2017-02-15 - Rapport de la mission d’évaluation de la loi du 27 septembre 2013

Ainsi que : 2015-01-31 - Statistiques • Augmentation en 2012 du nombre de personnes ayant subi une mesure de contrainte psychiatrique

Ou bien : 2013-12-31 - Statistiques sur l’internement psychiatrique • Un état des lieux avant la réforme du 5 juillet 2011

Pour retrouver cet article sur Les contes de la folie ordinaire, édition participative de Mediapart, cliquer sur ce lien

2019-06-12 - Sept-mille mainlevées judiciaires d’hospitalisations sans consentement en 2018 et en 2017


Un colloque institutionnel consacre que le Gouvernement mène en réalité une politique de hausse des mesures de soins sans consentement

 

CRPA - Cercle de Réflexion et de Proposition d’Acàtions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Réf. n° : W751208044
Président : André Bitton. 14, rue des Tapisseries, 75017, Paris
Pour nous contacter, cliquer sur ce lien
 

Communiqué

Paris le 11 juin 2019.

Une dépêche d’Hospimedia de ce jour titrée : « Beaucoup de zones d’ombre demeurent sur les programmes de soins sans consentement » résume un colloque tenu à Paris vendredi 7 juin au cours duquel des statistiques ont été fournies sur la hausse des mesures de soins sans consentement tous régimes confondus (+ 20 % en 6 ans). Le nombre de personnes subissant des soins sans consentement en 2018 s’élève à 95 600 personnes, contre 94 000 en 2016, 92 000 en 2015 et 77 000 en 2012, soit 24 % de hausse en 6 ans. Le volume des personnes en programmes de soins sans consentement par rapport au nombre total de personnes en soins sans consentement est de 44 % contre 35 % en 2012 …
 

2019-06-11 Communiqué CRPA.

Cette nette hausse des programmes de soins (44 % des personnes en soins sans consentement en 2018) a été dénoncée par anticipation dès 2009, et plus encore à partir du 5 mai 2010 avec le dépôt du projet de loi Roselyne Bachelot (ministre de la Santé), non seulement par les soignants coalisés dans le Collectif des 39 et dans le Collectif Non à la politique de la peur, mais également par le Groupe information asiles (GIA) dont j’assurais à l’époque la présidence.

Nous avions soutenu dans un communiqué du 30 mai 2010 que cette modalité - dont le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 avril 2012 a fait une lecture littérale reprenant celle du sénateur UMP Jean-René Lecerf en avril 2011 - ne pouvait qu’exploser, la contrainte des murs n’y étant plus.

Un nombre indéfini de personnes peuvent être placées en programmes de soins ambulatoires sans consentement avec des séquences en hospitalisation complète à titre de contrôle médico-social.

Nous avons la traduction concrète d’un passage à l’acte, de celles et ceux qui entendent faire d’une population de psychiatrisés de plus en plus nombreuse, un marché "captif", une nouvelle forme d’ « internés libres » dedans - dehors, à qui l’on demande au surplus d’intérioriser toujours plus avant leur acceptation d’un tel système et leur des-humanisation par voie de chimiothérapie psychiatrique.

Non seulement des études sont nécessaires sur ces programmes de soins, mais leur mise en œuvre systématique elle-même ne peut qu’être dénoncée.

Cela d’autant que les programmes de soins sont souvent des hospitalisations complètes de fait, servant aux institutions à couper court au contrôle judiciaire de plein droit. Ce que la Cour de cassation avait relevé dans un arrêt de principe publié au Bulletin, du 4 mars 2015 (n°14-17824) par lequel elle avait validé la requalification d’un programme de soins d’une durée inférieure à 48 h hebdomadaire en hospitalisation complète par la Cour d’appel de Versailles sur conclusions de Me Blandine Vercken, (secrétaire de la conférence).

Cette journée du 7 juin nous donne une preuve que le ministère de la Santé ne mène nullement une politique de réduction des soins psychiatriques sans consentement puisque c’est l’inverse que l’on constate en pratique. Le Gouvernement mène une politique de hausse continue de l’enfermement psychiatrique et de la mise sous traitements psychiatriques sous contrainte d’un nombre sans cesse croissant de personnes, au mépris des libertés individuelles.


Hospimedia - Beaucoup de zones d’ombre demeurent sur les programmes de soins sans consentement

Publié le 11/06/19 - 11h03 – HOSPIMEDIA.

Source : https://www.hospimedia.fr/actualite…
 

Huit ans après la création des programmes de soins en psychiatrie, des questionnements juridiques, médicaux et éthiques demeurent sur ces modalités de prise en charge sans consentement. Plusieurs dimensions restent à clarifier à ce jour.

2019-06-11 Dépêche d’Hospimedia.

L’impérieuse nécessité de recherches et d’évaluations sur les programmes de soins en psychiatrie s’est imposée comme le fil rouge d’une journée le 7 juin à Paris dédiée à ces modalités de prises en charge, qui restent sans équivalent à ce jour. Co-organisée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et le groupement de coopération sanitaire (GCS) pour la recherche et la formation en santé mentale du centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) de Lille (Nord), cette journée nationale se voulait justement le point de départ d’un projet de recherche pluridisciplinaire sur ces programmes. Créés et mis en place par la loi du 5 juillet 2011, ils ont permis une prise en charge jusqu’alors inédite, à savoir extra-hospitalière, à temps partiel et en ambulatoire, sans consentement. Mais dès leur mise en application, des critiques ont émergé en termes de libertés individuelles et de qualification juridique (lire notre article). Et si des clarifications sur ces points sont toujours attendues, huit ans après, des incertitudes planent toujours sur l’efficacité de ces programmes (lire notre analyse), qui ont concerné en 2018 près de 44%* des personnes en soins sans consentement (contre 35% en 2012).
 

Plusieurs pistes de recherche

Introduite par Delphine Moreau, enseignante-chercheuse en sociologie à l’EHESP, Magali Coldefy, géographe, a livré des données quantitatives actualisées sur ces derniers. Elle a notamment mis à jour ses travaux présentés dans une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) publiée il y a près de deux ans (lire notre article). En 2018, 95 600 personnes ont été prises en charge au moins une fois sans consentement en psychiatrie, soit 5,2% de la file active totale et 24% de la file active hospitalisée, a-t-elle indiqué. Depuis 2012, une hausse sensible du recours à la contrainte est observée, même si la tendance s’infléchit légèrement depuis 2016 (+20% pour la file active en soins sans consentement sur 2012-2018 par rapport à l’ensemble des prises en charge en psychiatrie, qui elles ont augmenté de 12% sur la période).

La file active hospitalière (à temps plein) en psychiatrie a baissé de 2% sur la période mais dans le même temps celle des personnes hospitalisées sans consentement a augmenté de 13%. Parmi les facteurs explicatifs de cette hausse, outre la forte montée en charge des soins en cas de péril imminent (SPI) figure l’extension des soins sans consentement extra-muros, dans le cadre des programmes. Ils concernent en 2018 plus de 42 400 personnes, dans une proportion des soins sans consentement « qui tend à se stabiliser ». Ces programmes concernent cette année-là 60% des personnes jugées pénalement irresponsables, 57% des personnes en soins à la demande du représentant de l’État (SDRE), 42% de celles en soins à la demande d’un tiers (SDT) et 37% de celles admises en SPI.
 

Extension de la contrainte

Au-delà de ces données, de nombreux points restent à approfondir, a souligné Magali Coldefy. Les données sont à actualiser sur les effets des programmes dans le parcours de soins. En 2015, les données montrent que ces personnes qui souffrent de troubles sévères (troubles psychotiques, dont schizophrénie, pour 55% de la file active) ont un accès à des soins plus variés et plus fréquents qu’en file active globale des soins sans consentement. Pour autant, il n’y a pas de réduction du recours à l’hospitalisation temps plein pour ces patients ayant bénéficié d’un programme (en regardant les durées moyennes de séjour (DMS) par exemple, ou en comparant des taux de réadmission).

« On peut se dire que les programmes sont destinées aux patients ayant le plus gros besoin de soins mais c’était tout de même un des objectifs affichés pour créer ces programmes : moins hospitaliser les personnes », a relevé la chercheuse. Il faudrait aussi regarder le devenir des patients et le bénéfice retiré du programme, a-t-elle poursuivi. En 2015, un tiers de ceux suivant un programme n’avait pas été hospitalisé à temps plein dans l’année : « Comment a évolué cette donnée ? » Au final, dans les faits, « une extension de la contrainte aux soins et d’une restriction à la liberté des personnes, dans le temps et dans l’espace (dans et en dehors de l’hôpital) » est constatée. Ce qui « interroge » et mériterait d’être mesuré, a-t-elle souligné. Et de citer un psychiatre suisse, en faisant remarquer que « finalement, les programmes de soins, si ça marche, on continue, et si ça ne marche pas, on continue ». La sortie du programme n’a en effet pas été spécialement pensée par le législateur et certains peuvent s’étendre sur des années.
 

« Monstre juridique à domestiquer »

Enfin, autre piste de recherche, des « disparités territoriales importantes » existent dans l’utilisation des programmes, entre départements (avec des taux allant du simple au triple) mais aussi dans certains secteurs au sein d’un même établissement, selon des travaux menés par le CCOMS. Or ces fortes disparités « interrogent les pratiques soignantes et l’équité dans l’accès aux droits, aux modalités de soins proposées donc à l’accès à des soins de qualité sur tout le territoire », a souligné Magali Coldefy. En particulier, par exemple, le fait de proposer des programmes pour les SPI questionne. Idem pour le panel de soins effectivement inclus dans le programme : sont-ce des « vrais soins intensifs » ou des sortes de sorties d’essai pour préparer la fin de l’hospitalisation, sous surveillance ?

Plus tôt dans la matinée, d’autres enjeux des programmes ont été exposés. « Ce sont des monstres juridiques à domestiquer », a souligné Éric Péchillon, professeur de droit public à l’université de Bretagne Sud. Le législateur a en effet « omis de prévoir explicitement le régime juridique » du programme de soins. Ce n’est pas un contrat de soins, a-t-il poursuivi, mais un acte administratif unilatéral (pris par une autorité administrative, le directeur d’établissement ou le préfet) sur préconisation d’un psychiatre. « D’où la difficulté, lorsque l’on fait un procès à l’acte de savoir qui est-ce que l’on juge », a-t-souligné, et des difficultés en cas de rupture du programme. La complexité se retrouve aussi au niveau de la question de la responsabilité, qui peut être recherchée par les victimes du côté de l’établissement ou du psychiatre, lorsque le patient suivi dans un programme commet une infraction. Mais la jurisprudence manque encore (2), a signalé Valériane Dujardin, juriste à l’EPSM Lille Métropole et au CCOMS, pour clarifier à ce jour cette autre zone d’ombre sur cette récente modalité de soins sans consentement.

(1) Source : recueil d’information médicalisé en psychiatrie (RIM-P) 2018.

(2) La jurisprudence récente sur des psychiatres ayant été poursuivis pour homicide involontaire concerne des cas où les patients étaient hospitalisés à temps plein et ont commis les homicides au cours de fugues hors de l’établissement, et non des patients suivis en programmes de soins.

Caroline Cordier, à Paris