2019-01-10 La CEDH condamne la Croatie pour absence de défense effective d’un interné

• Pour citer le présent article : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/720

Document du jeudi 10 janvier 2019
Article mis à jour le 27 août 2020
par  A.B.

Sur ce même sujet, sur notre site internet : 2015-02-19 La CEDH condamne la Croatie pour une mise à l’isolement avec contention injustifiée sans garantie procédurale

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Note introductive CRPA

Résumé - La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé sa jurisprudence le 10 janvier 2019, concernant les contrôles judiciaires des hospitalisations psychiatriques sans consentement. Les magistrats et les avocats en charge de ces contrôles doivent assurer effectivement un contrôle de légalité des mesures, à défaut la condamnation de l’État peut être encourue.
 

2019-01-10 Communiqué de presse de la CEDH.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 10 janvier passé un arrêt important concernant le droit à une défense effective et à comparaître lors de l’audience judiciaire sur la base de laquelle le maintien de l’internement psychiatrique est décidé.
 

2019-01-10 Arrêt CEDH Cutura C/ Croatie en anglais.

Cet arrêt n’est disponible qu’en anglais, néanmoins le greffe de la Cour a diffusé un communiqué en français qui permet de mesurer l’ampleur de l’enjeu. Nous mettons à disposition une traduction de cet arrêt qui a été assurée par trois avocates du Barreau de Versailles (Mes Julie Barère, Pauline Pietrois Chabassier et Cécile Robert)

De la même façon que dans un arrêt précédent du 15 février 2015 concernant également la Croatie, la Cour a statué qu’un avocat passif qui ne soulève aucun argument et qui ne défend pas son client pour lequel il est commis d’office, commet une faute qui engage la responsabilité de l’État.

2019-01-10 Arrêt CEDH Cutura C/Croatie traduit en français.

De même le magistrat en charge de l’audience à partir de laquelle le maintien est décidé commet une faute en ne s’assurant pas que la personne internée puisse comparaître à son audience et être effectivement entendu lui-même.

Intéressant à exploiter si besoin vu la situation que nous connaissons en France dans nombre de juridictions et qui a été publicitée par le film « 12 jours ».


Analyse de Me Raphaël Mayet

Le 23 janvier 2019.

Cher Monsieur,

Je reviens vers vous suite à la diffusion par vos soins de l’arrêt rendu le 10 Janvier dernier par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cutura C/ Croatie) et du communiqué de presse du même jour.

Cette décision n’est en l’état disponible qu’en Anglais mais son importance mérite qu’on la prenne en considération sans attendre que sa traduction officielle soit disponible en Français.

En effet, la CEDH pose un certain nombre de principes quant aux procédures au cours desquelles sont examinées les conditions de placement ou de maintien en hospitalisation psychiatrique sans consentement.

Dans son considérant 49, la Cour pose comme principe essentiel que « l’effectivité de la représentation juridique des personnes souffrant de troubles mentaux exige un devoir de contrôle renforcé des juridictions nationales compétentes ».

Ainsi la Cour considère que les personnes atteintes de troubles mentaux sont avant tout des personnes particulièrement vulnérables pour lesquelles les juridictions doivent être particulièrement vigilantes quant aux conditions dans lesquelles elles se trouvent hospitalisées sans consentement.

Elle pose aussi comme principe que la personne hospitalisée ne peut pas « sans raison valide » être écartée de l’audience (considérant 51). En droit interne, l’article L 3211-12-2 du Code de la santé Publique pose le principe de la comparution personnelle de la personne hospitalisée à l’audience sauf si « au vu d’un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle dans son intérêt à son audition ».

Le second principe posé par cette décision est celui de la nécessaire assistance effective par l’avocat de la personne hospitalisée. La Cour précise à cette occasion le rôle essentiel que doit jouer l’avocat de la personne hospitalisée dans la défense effective des droits de celle-ci. La Cour développe à cette occasion les exigences déjà posées dans l’arrêt M.S. C/ Croatie du 19 Février 2015.

Elle oppose le principe de représentation effective par l’avocat au rôle d’observateur passif (passive observer) constaté dans l’espèce qui lui était soumise.

La Cour détaille ce qui l’amène à considérer que l’avocat n’a eu qu’un rôle d’observateur passif après avoir posé la règle selon laquelle « la simple rencontre avec un avocat ne permet pas de considérer comme satisfaite l’exigence d’aide juridique pour les personnes retenues du chef d’aliénation mentale » (considérant 49).

La Cour retient concrètement que l’avocat n’a pas rencontré son client avant l’audience, qu’il n’a fait aucune remarque ni adressé aucune demande au juge, qu’il n’a pas informé la personne hospitalisée de ses droits ni contacté ses proches (considérants 53 à 55).

Pour finir, la Cour retient que c’est au juge national compétent de s’assurer que la personne hospitalisée bénéficie bien d’une aide juridique effective faute de quoi les dispositions de l’article 5§1 de la Convention ne sont pas respectées.

Ainsi, la Cour met en évidence le rôle fondamental de l’avocat dans ce type de procédures. Dans le contrôle des hospitalisations sous contrainte, l’assistance ou la représentation par un avocat est obligatoire en droit interne et cette décision doit inciter chaque avocat dans ce domaine à mesurer les obligations de vigilance renforcées qui sont les siennes.

Votre bien dévoué,

Maître Raphaël MAYET. Avocat au Barreau de Versailles.


Internement forcé : l’interné doit bénéficier d’une défense effective et du droit d’être entendu à l’audience

ACTUALITÉS DU DROIT PUBLIC SANTÉ

15 JANUARY 2019

Source https://www.actualitesdudroit.fr/br…

Les exigences procédurales requises pour le maintien d’une personne en hôpital psychiatrique ne sont pas remplies dès lors que la personne n’a ni bénéficié d’une représentation juridique effective ni été entendu par le tribunal. Ainsi statue la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 10 janvier 2019.

Dans cette affaire, en janvier 2014, un tribunal a ordonné le placement du requérant dans un hôpital psychiatrique après avoir proféré des menaces verbales contre des voisins alors qu’il se trouvait aux prises avec des troubles mentaux. En juillet de la même année, l’hôpital sollicita le prolongement de cet internement. Après une visite à l’hôpital et une audience à laquelle avaient assisté les représentants de l’hôpital, le parquet ainsi que l’avocat commis d’office, le tribunal ordonna que l’internement forcé de requérant fût prolongé d’un an.

Contestant la décision, le père du requérant forma appel, soutenant ignorer que son fils pouvait être maintenu à l’hôpital, qu’il n’avait pas été informé de la procédure et que l’avocat était inefficace. L’appel a été rejeté ainsi que le recours constitutionnel formé à la suite de ce rejet.

Devant la CEDH, le requérant se plaignait de ne pas avoir bénéficié des garanties procédurales appropriées pendant la procédure relative à son internement forcé.
 

Pas d’information du patient et de sa famille

Énonçant la solution précitée, la Cour a conclu à la violation de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (droit à la liberté et à la sûreté). En effet, l’avocat commis d’office en troisième lieu s’est comporté en observateur passif de la procédure relative à la prolongation de l’internement forcé du requérant : il ne s’est adressé ni à son client ni au juge pendant la visite qu’il a effectuée à l’hôpital en compagnie de ce dernier ; il n’a pas cherché à prendre contact avec le requérant ou sa famille et il n’a pas présenté de conclusions au nom de ce dernier pendant l’audience ultérieure.

Bien que parfaitement conscients de la passivité de l’avocat, les tribunaux n’ont pas veillé à ce que le requérant bénéficiât d’une représentation effective, alors même qu’ils étaient tenus par un devoir de contrôle renforcé à l’égard des personnes handicapées.

Par ailleurs, rien n’indique que le juge ait informé le requérant de ses droits ou qu’il ait même envisagé que celui-ci pût prendre part à l’audience, alors qu’il n’existait aucune raison valable de l’exclure. De surcroît, le tribunal n’a pas sollicité la participation de la famille, laquelle s’était précédemment opposée à la prolongation de l’internement du requérant.

Par Laïla Bedja


Mail ouvert à la Dr Natalie Giloux, psychiatre au CH Le Vinatier, co-initiatrice du film « 12 jours » de Raymond Depardon, sorti en novembre 2017

Copie pour Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et pour le Bureau du CRPA.

Paris, le 23 janvier 2019.

Docteur,

Je vous dérive ce mail de diffusion d’un arrêt de la CEDH du 10 janvier courant, Cutura C/ Croatie, qui devrait permettre désormais aux avocats consciencieux de permanence dans les contrôles des hospitalisations sans consentement, ainsi qu’aux magistrats qui entendent faire leur travail de gardien des libertés individuelles, de rendre opérationnel le contrôle judiciaire de ces mesures qui sont particulièrement attentatoires aux libertés individuelles.

Au contraire de ce que vous avez participé à agencer sur le ressort de la juridiction de Lyon, avec le Barreau de Lyon et le TGI de cette même ville, pour le CH du Vinatier, et que nous avons constaté dans le film « 12 jours » diffusé le 17 novembre 2017 lors d’une projection durant la 1re journée du colloque sur les 10 ans du CGLPL.

Ce film nous sert depuis lors, a contrario, précisément pour dénoncer ce que le cinéaste et vous-même avez entendu délivrer comme message dans ce film : l’inutilité et l’inanité du droit en matière d’internement psychiatrique.

Je me permets de vous signaler que pour contrer efficacement l’entrée du droit et son effectivité dans l’exercice de la psychiatrie française, vous devez - avec d’autres - prôner que la France retire sa signature de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et pas seulement qu’elle fasse usage de sa dérogation à cette convention posée le 27 novembre 2015 au moment de l’état d’urgence. Prôner que la France redevienne une pure et simple dictature ce qu’elle était au moment de Louis-Philippe et de l’aliéniste qui est votre maître je pense : Jean-Etienne Esquirol …

La monarchie de juillet (1830 - 1848) a été particulièrement sanglante et a rendu nécessaire la révolution de février 1848. Voir à ce sujet Les misérables de Victor Hugo sur la répression des émeutes républicaines de 1832.

Avec un tel retrait de signature de l’État français, on connaîtra le visage structurel de votre discipline dont j’ai d’ailleurs bien connu un temps la hideuse réalité.

Je vous prie de recevoir l’expression de mon entier dégoût pour tout cela, ainsi que ma révolte dont je me suis efforcé qu’elle cesse d’être destructrice et qu’elle me serve de moteur pour participer à changer les choses.

André Bitton pour le CRPA (cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie).