2018-10-05 QPC sur les classements sans suite suivis d’hospitalisations d’office (non transmise)

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/zxEESJ ou https://psychiatrie.crpa.asso.fr/679

Document du vendredi 5 octobre 2018
Article mis à jour le 27 août 2020
par  A.B.

Sur le recours du CRPA devant le Conseil d’État contre le décret du 23 mai 2018 (cliquer sur ce lien).

Sur la décision QPC CRPA du 20 avril 2012, (cliquer sur ce lien).

Pour retrouver cet article sur Les contes de la folie ordinaire de Mediapart, (cliquer sur ce lien).

Sur la non transmission de cette QPC par arrêt du Conseil d’État du 28 décembre 2018, cliquer sur ce lien


Note introductive - CRPA

Résumé - Le CRPA a déposé le 5 octobre passé devant le Conseil d’État un mémoire à fin de question prioritaire de constitutionnalité visant l’inclusion des personnes dont l’affaire est classée sans suite, alors qu’elles sont pénalement déclarées irresponsables, parmi les personnes susceptibles de faire l’objet d’une hospitalisation d’office médico-légale.
 

2018-10-05 Dépêche d’APM sur cette affaire.

Me Raphaël Mayet avocat du CRPA a déposé le 5 octobre passé un mémoire à fin de QPC dans le cadre de notre recours en annulation du décret du 23 mai 2018 portant fichage généralisé des personnes en soins psychiatriques sans consentement. Ces conclusions à fin de QPC visent l’article L. 3213-7 du code de la santé publique .

Cet article, inclus dans le chapitre du code de la santé publique sur les mesures de soins sur décision du représentant de l’État, vise les personnes qui sont l’objet d’une enquête préliminaire ordonnée par le parquet et pour lesquelles le parquet opère un classement sans suite appuyé sur une expertise psychiatrique déclarant ces personnes pénalement irresponsables au titre de l’article 122-1 du code pénal.

Ce rajout du classement sans suite dans la catégorisation des médico-légaux avait été effectué dans la loi du 5 juillet 2011 dans une visée sécuritaire qui était celle de Nicolas Sarkozy alors président de la république et de son gouvernement. Il s’agissait de neutraliser un maximum de délinquants, même potentiels (!) par le biais de l’internement psychiatrique d’office avec régime dérogatoire pour la levée des mesures …

La décision QPC CRPA du 20 avril 2012 avait de son côté censuré l’article L 3213-8 qui légifère sur les modalités de levée administrative des mesures de SDRE, lesquelles ont été réformées par la loi du 27 septembre 2013. L’article L 3213-7 du code de la santé publique n’a donc pas à ce jour prêté lieu à un examen de constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel.

Cet article pose problème sur le plan du droit à la défense mais aussi de la proportionnalité des mesures. En effet la décision de classer sans suite une plainte est prise de façon discrétionnaire par les parquetiers (procureur, substitut), et ne prête pas lieu à une procédure contradictoire permettant à la personne de se défendre mise à part l’audition en police.

Au surplus les personnes qui voient les plaintes pénales dirigées contre elles classées sans suite mais qui sont, sur expertise psychiatrique, déclarées pénalement irresponsables peuvent être internées d’office et placées sous contrainte aux soins sur des durées indéfinies en dehors de toute proportionnalité.

Enfin pour conclure quand il y a classement sans suite c’est qu’il n’y a pas lieu à poursuites … Par contre on peut vous interner et que vous soyez maintenu ainsi tantôt dans les murs tantôt en programme de soins sur une durée indéterminée…

Nous avons convenu de conclure à l’abrogation entière de l’article L 3213-7 du code de la santé publique et non des seuls mots concernant le classement sans suite, du fait qu’au troisième paragraphe de cet article il est prévu que l’information des personnes visées par les transmissions entre l’autorité judiciaire et les Préfectures à fin de mesures de soins sur décision du représentant de l’État, n’ait lieu que si leur état de santé le leur permet. Nous soutenons que cette information - notification doit être systématique.

Je vous rappelle qu’à notre demande expresse lors d’une conférence de presse du 15 juin 2011 organisée par les sénateurs de l’opposition de gauche auditionnant les organisations en désaccord avec le projet de loi Roselyne Bachelot alors en deuxième lecture au Parlement, la loi du 5 juillet 2011 n’a pas prêté lieu à un examen par le Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État va-t-il décider d’envoyer notre QPC au Conseil constitutionnel ? Affaire à suivre.

André Bitton, pour le CRPA.


Mémoire à fin de question prioritaire de constitutionnalité

2018-10-05 Mémoire à fin de question prioritaire de constitutionnalité.

Envoyé par télé-recours au greffe de la section du contentieux du Conseil d’État le 5 octobre 2018.

CRPA / DÉCRET DU 23 MAI 2018

CONSEIL D’ETAT

Requête 421329

MÉMOIRE A FIN DE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

POUR :

L’Association Cercle de Réflexion et de Proposition d’Action sur la psychiatrie (CRPA),
Association régie par la loi de 1er juillet 1901, dont le siège social est
14 rue des Tapisseries – 75017 PARIS, prise en la personne de son président, M. André BITTON, domicilié en cette qualité audit siège.

Requérante

Ayant pour Avocat :
Maître Raphaël MAYET
SELARL MAYET ET PERRAULT
Avocat à la Cour – C 393.
78000 VERSAILLES

CONTRE :

Le décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
 

Par requête enregistrée le 8 juin 2018, l’association Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie a sollicité l’annulation du décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.

Ce décret, et notamment son article 1er, autorise la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement pris en charge en application des dispositions des articles L 3212-1, L 3213-1, L 3213-7, L 3214-3 du code de la santé publique et 706-135 du code de procédure pénale.

Par le présent mémoire, l’association requérante entend que soit transmise au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité des dispositions de l’article L 3213-7 du code de la santé publique.

Ainsi qu’il vient d’être rappelé, ces dispositions de l’article L 3213-7 du code de la santé publique sont de celles qui permettent la mise en œuvre du traitement informatisé autorisé par le décret attaqué.

L’article L 3213-7 dudit code dispose que « Lorsque les autorités judiciaires estiment que l’état mental d’une personne qui a bénéficié, sur le fondement du 1er alinéa de l’article 122-1 du code pénal, d’un classement sans suite, d’une décision d’irresponsabilité pénale ou d’un jugement ou arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale, nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l’ordre public, elles avisent immédiatement la commission mentionnée à l’article L 3222-5 du présent code, ainsi que le représentant de l’État dans le département qui ordonne sans délai la production d’un certificat médical circonstancié portant sur l’état actuel du malade. Au vu de ce certificat, il peut prononcer une mesure d’admission en soins psychiatriques dans les conditions définies à l’article L 3213-1. Toutefois, si la personne concernée fait déjà l’objet d’une mesure de soins psychiatriques en application du même article L 3213-1, la production de certificat n’est pas requise pour modifier le fondement de la mesure en cours.

A toutes fins utiles, le Procureur de la République informe le représentant de l’État dans le département de ses réquisitions ainsi que des dates d’audiences et des décisions rendues.

Si l’état de la personne mentionné au 1er alinéa le permet, celle-ci est informée par les autorités judiciaires de l’avis dont elle fait l’objet, ainsi que des suites que peut y donner le représentant de l’État dans le département. Cette information lui est transmise par tout moyen et de manière appropriée à son état.

L’avis mentionné au 1er alinéa indique si la procédure concerne des faits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes, et d’au moins 10 ans d’emprisonnement en cas d’attente aux biens. Dans ce cas, la personne est également informée des conditions dans lesquelles il peut être mis fin à la mesure de soins psychiatriques en application des articles L 3211-12, L 3211-12-1 et L 3213-8 ».

Ainsi, ce texte permet la mise en œuvre d’une information auprès du représentant de l’État des personnes qui ont fait l’objet non seulement des décisions d’irresponsabilité pénale prononcées par l’autorité judiciaire, mais également de celles qui ont fait l’objet de décisions de classement sans suite par le Procureur de la République.

Le 4e alinéa de ce texte dispose également que l’avis donné au représentant de l’État indique si les faits sont punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes, et d’au moins 10 ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens.

Or, dans cette hypothèse, les conditions de levée de la mesure d’hospitalisation sous contrainte sur décision du représentant de l’État sont plus strictes que dans l’hypothèse d’une hospitalisation sur décision du représentant de l’État « de droit commun ».

Le Conseil Constitutionnel a été, à plusieurs reprises, amené à se prononcer sur la conformité de dispositions législatives relatives à l’hospitalisation sous contrainte à la Constitution, notamment des décisions 2010-71 QPC, 2001-135/140 QPC, 2011-174 QPC, 2011-185 QPC et 2012-235 QPC ont sanctionné totalement ou partiellement des textes législatifs relatifs à ce régime d’hospitalisation sous contrainte attentatoires aux libertés individuelles.

Plus particulièrement, dans sa décision n°2012-235 QPC du 20 avril 2012 (pièce 1), l’association requérante avait contesté un certain nombre de dispositions de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Dans cette décision le Conseil Constitutionnel avait déclaré notamment non conforme à l’article 66 de la Constitution, au préambule de la Constitution de 1946 et aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789, les dispositions de l’article L 3213-8 du code de la santé publique dans leur rédaction alors applicable.

Dans son considérant n°25 le Conseil Constitutionnel avait alors énoncé : « Considérant qu’en raison de la spécificité de la situation des personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou qui présentent, au cours de leur hospitalisation une particulière dangerosité, le législateur pouvait assortir de conditions particulières la levée de la mesure de soins sans consentement dont ces personnes font l’objet ; que toutefois il lui appartient d’adopter les garanties légales contre le risque d’arbitraire encadrant la mise en œuvre de ce régime particulier ».

Dans son considérant n°28, le Conseil Constitutionnel a également énoncé « Considérant que la transmission au représentant de l’État par l’autorité judiciaire est possible quelle que soit la gravité et la nature de l’infraction commise en état de trouble mental ; que les dispositions contestées ne prévoient pas l’information préalable de la personne intéressée ; que par suite faute de dispositions particulières relatives à la prise en compte des infractions ou à une procédure adaptée ces dispositions font découler de cette décision de transmission sans garantie légale suffisante des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes soumises à une obligation de soins psychiatriques, notamment en ce qui concerne la levée des soins ; que pour les mêmes motifs ces dispositions ont également méconnu les exigences constitutionnelles précitées ».

Le commentaire de cette décision émanant du Conseil Constitutionnel (pièce 2), précise que si la mesure d’hospitalisation a été décidée au terme d’une procédure juridictionnelle à l’issue d’un débat contradictoire et qui est susceptible de recours, le Conseil Constitutionnel n’avait pas d’objection au principe d’une différenciation de régime de levée d’hospitalisation après transmission à l’autorité préfectorale.

Toutefois, il était indiqué « Il n’en va pas de même des conséquences attachées à la transmission au représentant de l’État de la décision de classement sans suite, ou de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. En effet, dans le cadre de l’article L 3213-7 la détermination du régime juridique dérogatoire résulte non pas d’une décision juridictionnelle mais de la simple transmission de l’autorité judiciaire à l’autorité administrative ».

Le commentaire indiquait également que l’information préalable de l’intéressé était une condition nécessaire à la mise en œuvre d’une possible transmission à l’autorité administrative.

Ainsi, il résulte clairement tant de la décision n°2012-235 QPC que des dispositions de l’article L 2313-7 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013, que sont susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’hospitalisation dérogatoire au droit commun des personnes qui ont fait l’objet d’une procédure pénale ayant abouti à un classement sans suite, alors même que cette procédure n’a impliqué aucun débat contradictoire, ni aucune possibilité de recours de la part de la personne qui en a fait l’objet.

De même, le 3e alinéa de l’article L 3213-7 du code de la santé publique ne prévoit l’information de la personne qui fait l’objet de la mesure que si son état le lui permet.

Au cas d’espèce, la loi permettrait de ne pas informer de la transmission à l’autorité administrative d’un avis de l’autorité judiciaire concernant classement sans suite, ou une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental en fonction de l’état de la personne qui en fait l’objet.

A tout le moins la loi est taisante sur les conditions dans lesquelles pourrait être déterminée la capacité de l’intéressé à recevoir l’information en question.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’association requérante sollicite que soit transmise au Conseil Constitutionnel la question relative à la conformité des dispositions de l’article L 3213-7 du code de la santé publique aux normes constitutionnelles en vigueur.
 

Signatures :

André BITTON, Président du CRPA
Me Raphaël MAYET, avocat.

 
LISTE DES PIECES JOINTES :

1. Décision 2012-235-QPC du Conseil Constitutionnel du 20 avril 2012.
2. Commentaire du Conseil Constitutionnel concernant la décision n°2012-235 QPC du 20 avril 2012.