2017-07-20 Conseil d’Etat • Recours contre l’instruction du 29 mars 2017 relative à l’isolement et à la contention

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/YgcceL ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/658

Document du jeudi 20 juillet 2017
Article mis à jour le 30 août 2020
par  H.F., A.B.

Sur notre site internet : 2017-03-29 Instruction du ministère de la Santé relative aux pratiques d’isolement et de contention

Ainsi que : 2017-05-09 Instruction ministérielle sur l’isolement - contention - Recours gracieux du CRPA

Ou bien : 2017-11-30 Santé Mentale • De l’effectivité du dernier recours


Notez bien que ce pourvoi a été rejeté comme irrecevable par le Conseil d’État par arrêt du 12 juillet 2018 (n°412639, 1re chambre) au motif que l’instruction du 29 mars 2017 n’étant pas impérative et n’étant pas un texte à valeur réglementaire elle n’est pas susceptible de recours en excès de pouvoir.

 

CONSEIL D’ÉTAT

RECOURS POUR EXCÈS DE POUVOIR
 

POUR :

L’Association Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la Psychiatrie (CRPA),
association régie par la loi de 1er juillet 1901, dont le siège social est
14 rue des Tapisseries – 75017 PARIS, prise en la personne de son Président, M. André BITTON, domicilié en cette qualité audit siège.

Ayant pour Avocat :
Maître Raphaël MAYET
SELARL MAYET ET PERRAULT
Avocat à la Cour – C 393
78000 VERSAILLES.
 

CONTRE :

L’instruction n° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisée en psychiatrie et désignée par le directeur général de l’Agence Régionale de Santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement, et ensemble une décision de rejet de recours gracieux du Ministre des Affaires Sociales et de la Santé en date du 11 juillet 2017.
 

L’association CPRA a pour objet à titre principal :

— D’informer sur l’abus et l’arbitraire en psychiatrie,

— De promouvoir l’effectivité des droits de l’homme et des droits de la défense dans l’exercice de la psychiatrie, en particulier dès lors qu’il s’agit de mesures de contrainte,

— De militer contre l’internement psychiatrique arbitraire contre toute extension de la contrainte aux soins psychiatriques, contre le détournement du soin psychiatrique à des fins répressives, contre les traitements inhumains et dégradants, contre les atteintes à l’intégrité physique et psychique des personnes dans le cadre des prises en charge psychiatriques.

Cette association bénéfice d’un agrément de représentation des usagers au niveau régional délivré par le directeur de l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France le 6 septembre 2016 (pièce 3).

Elle a déjà eu l’occasion de saisir le Conseil d’État de requêtes tendant à l’annulation de dispositions réglementaires qui méconnaissaient les droits des personnes hospitalisées sans leur consentement (voir à titre d’exemple : Conseil d’État, 13 novembre 2013).

L’association requérante a également saisi le Conseil Constitutionnel de Questions Prioritaires de Constitutionnalité (voir en ce sens décision QPC n° 2012-235 du 20 avril 2012), ce qui a notamment entraîné la réforme issue de la loi du 27 septembre 2013.

L’association requérante a donc parfaitement qualité pour agir en annulation de l’instruction susvisée.

L’instruction du 29 mars 2017 a, à l’évidence, un caractère réglementaire ainsi qu’il va être démontré et son auteur était donc incompétent pour la prendre.

Elle a été prise à la suite de l’introduction par la loi du 26 janvier 2016 d’un article L. 3222-5-1 dans le Code de la Santé Publique qui dispose que :

« L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours, il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui sur décision d’un psychiatre prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’Agence Régionale de Santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1.

Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillé.

Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté sur leur demande à la Commission Départementale des Soins Psychiatriques, au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre.

Ce rapport est transmis pour avis à la Commission des Usagers prévu à l’article L. 1112-3 et au Conseil de Surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ».

Il convient de préciser que ce recours à l’isolement et à la contention a fait l’objet de vives critiques de la part du contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport d’activité annuel pour l’année 2016.

C’est dans ces conditions que la Haute Autorité de Santé a publié le 20 mars 2017 une recommandation sur l’isolement et la contention en psychiatrie générale, recommandation qui en préambule énonce que « Les diverses autorités appellent l’attention sur les recours aux mesures de contention et d’isolement considérant que leur usage n’est pas toujours motivé par des raisons thérapeutiques et qu’il convient de les encadrer » (page 4 de la recommandation).

Ladite recommandation énonce notamment que en 2015 le placement à l’isolement a concerné 8,3% des patients hospitalisés contre 5% en Finlande, 1,2% aux Pays-Bas, 3,1% en Suisse (page 5 de la recommandation).

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a, quant à elle, par un arrêt du 19 février 2015 (pièce 5), indiqué que le recours à l’isolement devait être une mesure employée uniquement en dernier ressort lorsqu’il s’agit de prévenir un dommage immédiat ou imminent à l’encontre du patient ou d’autrui, et que le recours à de telles mesures doit s’accompagner de garanties procédurales adéquates pour permettre de prévenir les abus.

Au cas d’espèce, il convient de constater que la décision de placement à l’isolement telle qu’énoncée par l’article L 3222-5-1 du Code de la Santé Publique constitue nécessairement une décision individuelle qui fait grief à l’intéressé puisqu’elle a pour effet de restreindre de façon significative ses droits et libertés, tant en ce qui concerne sa liberté d’aller et venir que sa liberté d’entrer en contact avec autrui.

Une telle décision doit dès lors être considérée comme une décision administrative qui cause grief à l’intéressé.

Or, précisément, l’instruction du 29 mars 2017 ne prévoit aucune garantie procédurale telle qu’énoncée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt du 19 février 2015, et notamment ne prévoit aucun contrôle juridictionnel spécifique, aucune procédure contradictoire pour l’édiction de cette décision, ni même la possibilité pour la personne qui en fait l’objet de présenter elle-même, ou par l’intermédiaire d’un avocat, ses observations.

Il est également précisé que la loi, et notamment l’article L.3211-12-2 issu de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013, a posé comme principe général du droit en matière d’hospitalisation sans consentement que les personnes hospitalisées dans de telles conditions en milieu psychiatrique devaient nécessairement être assistées ou représentées par un avocat, puisqu’elles se situent dans une position de sujétion et de vulnérabilité telle qu’elles ne sont pas nécessairement elles-mêmes en mesure de faire valoir leurs observations de manière effective face à la décision d’un psychiatre de restreindre leurs libertés.

En ne prévoyant aucune garantie procédurale, ni avant, ni après la prise de décision de placement à l’isolement, l’instruction attaquée revêt un caractère réglementaire et son auteur n’avait d’ailleurs pas compétence pour la prendre.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’État devra nécessairement déclarer illégale ladite instruction, et notamment en ce qu’elle ne prévoit aucune garantie procédurale en ce qui concerne la prise de décision de placement à l’isolement.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’association requérante les frais qu’elle a dû exposer en la présente instance.

Il lui sera alloué la somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761-1 du Code de Justice Administrative.
 

PAR CES MOTIFS,

Et tous autres à déduire, suppléer au besoin même d’office, l’association requérante sollicite qu’il plaise au Conseil d’État de :

— Annuler l’instruction n° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisée en psychiatrie et désignée par le directeur général de l’Agence Régionale de Santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement, et ensemble une décision de rejet de recours gracieux du Ministre des Affaires Sociales et de la Santé en date du 11 juillet 2017, et notamment en ce que cette instruction n’a prévu aucune garantie procédurale pour la prise de décision de placement à l’isolement en milieu psychiatrique,

— Condamner l’État à payer à l’association CRPA la somme de 1 200 euros en application de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative.

SOUS TOUTES RÉSERVES.
 

Signatures :

André BITTON, Président du CRPA.

Maître Raphaël MAYET, avocat.
 

PIÈCES JOINTES :

1. - Instruction n° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017.
2. - Statuts de l’association CRPA à jour.
3. - Agrément de l’association CRPA par l’ARS d’Île-de-France.
4. - Recours gracieux reçu le 11 mai 2017.
5. - Arrêt de la CEDH du 19 février 2015 MS/CROATIE.
6. - Décision d’ester en justice.