2016-11-21 Indemnisation record pour une hospitalisation d’office arbitraire d’une durée de 17 ans

• Pour citer le présent article : https://goo.gl/LiUovB ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/611

Document du lundi 21 novembre 2016
Article mis à jour le 27 août 2020
par  H.F., A.B.

Sur notre site, de façon connexe : 2014-05-21 Le TGI de Paris accorde 73 000 € d’indemnisation pour un internement illégal d’un patient SDF

Ainsi que : 2015-11-25 Le TGI de Paris accorde 70 000 € d’indemnisation pour une H.O. arbitraire ayant duré un an

Pour retrouver cet article sur l’édition participative de Mediapart, Les Contes de la folie ordinaire : https://blogs.mediapart.fr/edition/…


Note introductive - CRPA

2016-11-21 1re chambre civile du TGI de Paris, indemnisation.

En pièce jointe un jugement indemnitaire du 21 novembre 2016, pris par la 1re chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris, qui condamne l’Agent judiciaire de l’État, représentant la Préfecture d’Ille-et-Vilaine, sur un montant record de 617 000 euros.

Cette décision a été obtenue par Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles. Elle concerne un homme qui a actuellement la soixantaine, dont nous avions inauguré le dossier en mars 2010 dans le cadre du Groupe information asiles, et qui était en hospitalisation d’office depuis septembre 1995, pour des faits de simple correctionnelle.

M. J.-L. C., s’il ne se défendait pas, devait sans doute rester interné d’office à perpétuité, d’une part parce que déclaré pénalement irresponsable, d’autre part du fait d’être connu des services de police et psychiatriques d’Ille-et-Vilaine pour des antécédents d’hospitalisations sans consentement depuis ses 20 ans. Précisons que cet homme, avant son internement, était de condition ouvrière en ayant été longuement marginalisé. M. J.-L. C. a en réalité fait partie de ces internés d’office oubliés dans les établissements psychiatriques qu’on conserve dans les murs jusqu’à leur décès.

Cette décision fait l’objet d’un appel de l’Agent judiciaire de l’État. Me Raphaël Mayet ne s’attend pas à ce que cet appel prospère, mais bien plutôt le quantum actuellement accordé soit maintenu.

Précision importante : c’est dans cette même affaire qu’ont été prises les décisions du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011 censurant les maintiens en hospitalisation d’office ancien régime, et du 21 octobre 2011 censurant l’article L 3213-8 du code de la santé publique relatif aux modalités dérogatoires de levée des hospitalisations d’office des pénaux irresponsables sous l’empire de la loi du 27 juin 1990, qui avait instauré un collège d’experts psychiatres dont l’avis tenait le juge des libertés et de la détention comme du reste la Préfecture. Ces experts psychiatres étant en réalité les décideurs du maintien ou de la levée de l’hospitalisation d’office médico-légale.

Cette affaire a prêté lieu à deux arrêts de la cour de cassation, dont un arrêt de principe, publié au Bulletin de la Cour, du 27 février 2013 sur le délai de 12 jours dans lequel les JLD doivent statuer sur les demandes facultatives de mainlevée d’hospitalisations psychiatriques sans consentement. Ce délai étant impératif, à défaut la mainlevée de la mesure étant acquise d’office.

2000-06-06 4e chambre civile du TGI de Lille, indemnisation.

Le précédent record en matière d’indemnisation d’un internement psychiatrique arbitraire avait été établi le 6 juillet 2000, par la 1re chambre civile du Tribunal de grande instance de Lille (cf. pièce jointe n°2), dans l’affaire de M. René Loyen (qui fut président du Groupe information asiles de 1990 à 1996), pour un placement d’office médico-légal qui s’était déroulé entre décembre 1985 et janvier 1987, sous l’empire de la loi du 30 juin 1838 relative à l’internement des aliénés. Cet internement d’office avait été entrecoupé d’une sortie d’essai de plusieurs mois, alors même qu’à l’époque les sorties d’essai n’étaient régies que par une circulaire ministérielle de 1957, et que de ce fait elles n’étaient pas pleinement légales. Le TGI de Lille avait accordée aux consorts Loyen 4 millions de francs (600 000 euros actuels). La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 28 avril 2003, avait minoré ce quantum en le ramenant à un montant de 192 000 euros.

Quoiqu’il en soit, étant donné que M. J.-L. C. est SDF et réside en service libre au CH Guillaume Régnier de Rennes ; étant donné également que l’exécution provisoire a été accordée par la 1re chambre civile du TGI de Paris, M. J.-L. C. va pouvoir prochainement s’acheter un deux pièces cuisine tout confort au centre ville de Rennes, et toiser goguenard ses anciens géôliers.

A tout le moins ce jugement indemnitaire constitue un avertissement solennel pour les Préfectures et les établissements psychiatriques qui entendent tenir sous mesures d’hospitalisations sans consentement en direction de perpétuités, des patients qui relèvent du registre médico-légal, et pour lesquels un internement à vie est parfaitement disproportionné.

2013-12-18 Ordonnance du juge des référés du TGI de Paris.

En pièce jointe n°3 l’ordonnance de référé provision obtenue par Me Raphaël Mayet dans ce dossier, le 18 décembre 2013. Le juge des référés parisien avait accordé une provision de 25 000 euros, permettant le financement de l’instance indemnitaire au fond.

Précision : M. J. L. C. ayant fugué 3 ans durant du CHS Guillaume Regnier de Rennes, entre 2004 et 2006, avait accumulé des mensualités de sa pension d’invalidité, ce qui lui avait permis de payer les honoraires de Me Raphaël Mayet qui a assuré sa défense en vue de le faire libérer et indemniser, tout au long de cette affaire, qui a nécessité de multiples procédures distinctes.


Hospimedia - Un patient reçoit 617 000 € pour une hospitalisation sous contrainte illégale pendant plus de 17 ans

Publié le 20/01/17 – 15h21 HOSPIMEDIA | Par Caroline Cordier

Source (site internet d’Hospimedia) : http://www.hospimedia.fr/actualite/…

2017-01-20 Dépêche d’Hospimedia sur cette affaire.

Le TGI de Paris a condamné l’État à verser plus de 617 000 euros à titre de dommages et intérêts à un homme pour une période d’hospitalisation sous contrainte de plus de 17 ans, car les arrêtés préfectoraux fondant son placement en hospitalisation ont été régulièrement annulés, notamment pour insuffisance de motivations.
 

Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a condamné l’État à verser 617 000 euros environ à titre de dommages et intérêts à un homme hospitalisé sous contrainte durant près de dix-huit ans, au motif que ce dernier a été privé de liberté sur le fondement d’arrêtés préfectoraux illégaux, car insuffisamment motivés. En effet, selon une décision du TGI rendue le 21 novembre 2016, les juges relèvent que cet homme a été « privé de liberté sur le fondement de décisions illégales » de septembre 1995 à novembre 2003 et de mars 2007 à novembre 2012. Se référant à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le TGI rappelle que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté et nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans des cas précisés par la convention, et selon des voies légales ». Or les différents arrêtés préfectoraux plaçant cet homme sous hospitalisation ont constamment été annulés par les juridictions administratives. Donc en « l’absence de toute décision fondant l’hospitalisation sous contrainte [de ce patient], et sans qu’il y ait lieu de rechercher si elle était médicalement justifiée et nécessaire, [le patient] est fondé à solliciter l’indemnisation de l’intégralité du préjudice qui en découle », écrivent les magistrats.
 

Près de 1,5 M€ de réparations demandées à l’État

Le patient a été mis en examen au mois de mars 1995 pour des faits de dégradations commis au préjudice de l’association des Témoins de Jéhovah de Rennes (Ille-et-Vilaine) et placé en détention provisoire. Dans le cadre de l’instruction, les médecins ont conclu à son irresponsabilité pénale, ce qui a conduit le préfet du département à prendre un arrêté d’hospitalisation d’office (HO) en septembre 1995. Cette H.O. a été prolongée par des arrêtés préfectoraux en octobre 1995 puis janvier et juillet 1996. « Ce dernier arrêté précisant que l’hospitalisation se poursuivrait jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement », relèvent les magistrats du TGI de Paris. L’homme a ainsi été placé au CH Guillaume-Régnier de Rennes, en hospitalisation complète jusqu’en novembre 2012, « à l’exception d’une période de »fugue« , de […] novembre 2003 à […] mars 2007 ». Or le tribunal administratif de Rennes a annulé les arrêtés précités dans plusieurs décisions rendues en octobre 2012 et mars 2013. En novembre 2012, le juge des libertés et de la détention du TGI de Rennes a ordonné la mainlevée de la mesure de placement. Le lendemain de cette décision, le préfet prend un nouvel arrêté de placement en programme de soins, avec autorisation de sortie pendant trois heures par semaine. Un arrêté qui sera encore une fois annulé, en juillet 2014. C’est en septembre 2015 que le patient, assisté de son curateur, l’Association pour l’action sociale et éducative (Apase), assigne l’agent judiciaire de l’État pour le paiement de plus de 1,5 million d’euros (M€) en réparation des différents préjudices subis, au premier rang desquels la privation de liberté.
 

Le préfet ne doit pas se « contenter » d’une référence au certificat

Pour décider de l’annulation des arrêtés préfectoraux, les magistrats du tribunal administratif (TA) de Rennes ont fait un rappel de la nécessaire motivation de tels arrêtés, selon une décision dont Hospimedia a eu copie. En effet, ils expliquent que l’autorité administrative, lorsqu’elle prononce ou maintient une H.O. doit « indiquer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure ». Si elle « peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit nécessairement être établi avant la décision préfectorale, c’est à condition de s’en approprier le contenu » et de joindre ce certificat à la décision, expliquent les juges. Or, en l’espèce, les arrêtés préfectoraux concernant le patient. « visaient le certificat médical préalablement établi par un médecin de l’établissement, puis se bornent à considérer qu’il »résulte de ce document que l’état de santé mentale [du patient] nécessite la reconduction" de son H.O. Par ailleurs, ont relevé les magistrats, il n’a pas été prouvé que les arrêtés préfectoraux ont bien été accompagnés des certificats médicaux auxquels ils faisaient référence.
 

Une affaire emblématique qui a conduit à réviser la loi

Pour le Cercle de réflexion et de propositions d’action sur la psychiatrie (CRPA), association de défense des droits des patients qui a médiatisé cette indemnisation « record », ce patient, s’il ne s’était pas défendu, aurait sans doute pu « rester interné d’office à perpétuité, d’une part parce que déclaré pénalement irresponsable, d’autre part du fait d’être connu des services de police et psychiatriques […] pour des antécédents d’hospitalisations […] depuis ses 20 ans ». L’association rappelle d’ailleurs que « c’est dans cette même affaire qu’ont été prises les décisions du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011 censurant les maintiens en hospitalisation d’office ancien régime, et du 21 octobre 2011 censurant » les dispositions du Code de la santé publique (CSP) relatives aux modalités dérogatoires de levée des H.O. des personnes déclarées pénalement irresponsables. Des décisions du Conseil constitutionnel qui ont conduit à la révision de la loi du 27 juin 1990, dans le cadre du volet judiciaire de la loi du 5 juillet 2011 ; elle-même depuis révisée par la loi du 27 septembre 2013, actuellement en cours d’évaluation par une mission parlementaire à l’Assemblée nationale.

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