2015-07-11 - Contrôle judiciaire des hospitalisations psychiatriques sans consentement : 2015-2005, éléments pour un comparatif

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/jcXjvS ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/517

Document du samedi 11 juillet 2015
Article mis à jour le 28 août 2020
par  H.F., A.B.

Précédente publication d’une analyse produite pour le compte du CRPA dans l’Information psychiatrique : 2012-10-02 - La loi du 5 juillet 2011, tournant sécuritaire et putsch judiciaire


2015-04-22 Article lui-même au format PDF.

Contrôle judiciaire des hospitalisations psychiatriques sans consentement : 2015-2005, éléments pour un comparatif

André Bitton [1]. L’Information psychiatrique, juin 2015, volume n°91, n°6, juin-juillet 2015, pages 479 à 484

Ce numéro peut être acheté pour 43 euros sur le site John Libbey Eurotext. Lien : http://www.jle.com/fr/revues/ipe/nu…

Sommaire de ce numéro : http://www.jle.com/fr/revues/ipe/so…

Source : http://www.jle.com/fr/revues/ipe/e-…
 

Mots-clés : hospitalisation arbitraire, hospitalisation sous contrainte,
contrôle, justice, évolution, législation, étude comparative, liberté, droit
 

Résumé

 

Dans le contrôle judiciaire des hospitalisations psychiatriques sans consentement, nous sommes passés d’un terrain qui était il y a 10 ans encore expérimental, à une situation inédite où des centaines d’avocats à travers le pays, commis d’office dans des contrôles judiciaires des mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement, se battent pied à pied, pour que les magistrats fassent droit aux moyens qu’ils soulèvent. Ce qui se joue dans cette espèce de guerre de tranchée impliquant une minorité de juristes qui s’efforcent, autant que faire se peut, de faire leur travail de juristes, c’est précisément le contrôle effectif par l’autorité judiciaire des mesures de contraintes psychiatrique. C’est-à-dire un enjeu considérable pour les libertés des personnes aux prises dans ce pays avec les mesures de contrainte psychiatrique, pour les prises en charge elles-mêmes, en termes de santé publique et de politique de santé mentale.
 

Article lui-même

 

2005, les patients admis en hospitalisation psychiatrique sous contrainte ont certes des droits, mais ceux-ci sont seulement formels. Leur traduction concrète est improbable. Entre 2000 et 2011, mis à part une évolution de la jurisprudence propre au terrain de l’internement arbitraire selon un gradient de plus en plus favorable aux personnes hospitalisées sous contrainte, pas de différence sensible. C’est le volet judiciaire de la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, qui fait la différence sur fond de décisions successives du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire par le biais de la jurisprudence.

2005, comme à l’ordinaire depuis que le contentieux de l’internement psychiatrique a postériori a été systématisé dans les années 80 et 90 de façon parfaitement artisanale au départ, par le Groupe Information Asiles (GIA), sous les rédactions expérimentales d’actes procéduraux de Philippe Bernardet [2] épaulé par Me Corinne Vaillant [3] , seules les personnes les plus fortes, les plus structurées, parmi celles ayant connu l’internement psychiatrique peuvent accéder à une mobilisation en vue d’un accès à leurs droits. Encore est-ce à condition de rencontrer les bons interlocuteurs, qui soient prêts à écouter et renforcer ces personnes, à leur produire s’il y a lieu tel certificat médical, ou à conclure et à plaider dans leur affaire. Les actions sont engagées le plus souvent à titre quasi bénévole, puisque la majorité des requérants en place il y a une dizaine d’années émargeaient de l’aide juridictionnelle. Au surplus, on doit au réalisme d’observer que l’accès au droit en la matière relevait il y a 10 ans d’un parcours du combattant du justiciable tel que les bonnes volontés des Barreaux étaient découragées.

2005, seule une poignée d’avocats en France manient le contentieux de l’internement psychiatrique et son éclatement entre la juridiction administrative et celle judiciaire, comme nous allons le voir plus loin. Parmi ces rares avocats, Me Raphaël Mayet [4] en systématisant les procédures de référé devant les juridictions administratives, en demande de suspension de l’exécution de décisions d’hospitalisation sans consentement, ainsi que devant les chambres des référés judiciaires en demande de provision indemnitaire, parvient à opérer une succession de percées jurisprudentielles importantes, consolidées en 2004, et à rentabiliser des dossiers qui autrement relevaient de cette part minime qu’un cabinet d’avocat peut consacrer aux affaires à l’aide juridictionnelle, sans mettre en péril son activité. Ces avocats, sont aux alentours d’une dizaine pour l’ensemble du pays.

2015, vu la systématisation du contrôle judiciaire des hospitalisations sans consentement avant l’échéance du 12e jour entrée en vigueur le 1er septembre 2014 ; vu également l’assistance obligatoire des patients tenus sous contrainte par avocat, les avocats qui manient usuellement le contentieux des soins psychiatriques sans consentement, et qui s’efforcent de faire leur travail de juriste en axant les dossiers sur le plan strictement juridique, sont plusieurs centaines dans le pays. Certes, ils sont minoritaires par rapport à l’ensemble des avocats de permanence commis d’office dans les contrôles des mesures de soins psychiatriques sous contrainte. Certes ils sont aux prises avec des magistrats qui, bien souvent, ne sont pas spécialement favorables aux droits des patients en psychiatrie. Mais là encore la situation est contrastée, puisque certains magistrats, minoritaires certes, sont à l’écoute, et donnent droit aux moyens de droit soulevés dès lors que ceux-ci sont correctement argumentés, et que la personne hospitalisée sans consentement peut être en cohérence avec sa propre défense.

2005, guère plus d’une centaine de dossiers contentieux en matière d’internement psychiatrique en cours en France pour des affaires engagées a posteriori (après que la personne ait vu son internement levé). Quelques centaines de demandes de sorties immédiates formées annuellement devant les juges des libertés et de la détention, sur la base de l’article L 3211-12 du code de la santé publique autorisant les personnes hospitalisées contre leur gré en établissement psychiatrique à saisir à fin de mainlevée de la mesure de contrainte, les juges des libertés et de la détention couvrant géographiquement l’établissement psychiatrique.

2015, les dernières statistiques du Ministère de la justice font apparaître un total de 64 713 décisions judiciaires entre les contrôles de plein droit des JLD et des Cours d’appel sur des mesures de soins psychiatriques sans consentement dont les établissements ou les préfectures demandent le maintien, et celles, encore peu nombreuses, facultatives, qui émanent des personnes en soins sans consentement ou de leur entourage.

2005, si une cinquantaine de mainlevées sont ordonnées par des juges des libertés et de la détention sur des saisines faites par des personnes internées ou en sortie d’essai, ainsi que par leur entourage, c’est un maximum. Le nombre de mainlevées ordonnées par voie judiciaire est d’ailleurs si faible qu’il ne prête pas lieu à une statistique officielle…

2015, les dernières statistiques de la Chancellerie, portant sur l’exercice 2013, font apparaître, que 5 433 mainlevées de mesures de soins sans consentement ont été ordonnées par les juridictions (8,4 % du total des mesures contrôlées), soit environ 100 fois plus qu’il y a 10 ans … [5]

2005–2015, sur les hospitalisations sans consentement en milieu psychiatriques, ainsi que sur les mesures de contrainte aux soins dépendantes de ces mêmes mesures, ce n’est plus le même monde. La psychiatrie est devenue une discipline dans laquelle la partie de son exercice qui est privative de liberté est contrôlée par les professions judiciaires qui ont ainsi fait leur entrée dans le monde psychiatrique.

2005, quelqu’un de diminué au plan psychiatrique et social, ne peut pas dans l’ensemble accéder à ses droits en matière de soins psychiatriques sous contrainte. L’accès au droit est réservé à quelques internés abusifs en état de se faire entendre, et à quelques personnes qui arrivent à intéresser le milieu associatif spécialisé, lequel fonctionne sans aucun fonds public, sous les sarcasmes des pouvoirs publics, de l’administration centrale et de la plupart des dirigeants des institutions psychiatriques, ainsi que dans l’indifférence des principaux représentants institutionnels des usagers en psychiatrie.

2005, une parlementaire UMP au sein d’un groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’hospitalisation psychiatrique involontaire, présidé par la députée UMP Mme Maryvonne Briot, après le rejet en février 2004, d’une proposition du député PCF M. Georges Hage de constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la hausse des hospitalisations psychiatriques sans consentement, fait part de sa défiance vis-à-vis du milieu associatif des usagers en psychiatrie allant jusqu’à envisager des mesures de contrôle étatiques de ces mêmes associations, en visant ainsi le Groupe Information Asiles (GIA) que je présidais alors [6] . Notre dissolution, ou notre encadrement par les services étatiques, étaient ainsi suggérés au niveau parlementaire.

2005, dans les institutions psychiatriques, les patients sont continument renvoyés à la nécessité des soins dès le moment où ils réclament leurs droits. Les soins sont vus en l’espèce comme antinomiques par rapport aux droits. Le résultat est que quantité de patients, éœurés, rompent leur suivi, et rejettent toute prise en charge, même s’ils en ont expressément besoin, faute d’être considérés comme des sujets de droit à part entière, ou même seulement comme des adultes. Le comportement standard des corporations psychiatriques à l’endroit des patients est grevé de paternalisme.

Ces mêmes années, lors d’une consultation psychiatrique privée en plein Paris, un psychiatre hospitalier exerçant à mi-temps en cabinet privé répliquait à l’auteur de ces lignes qu’il n’était pas possible, cliniquement, qu’il ait pu aller mieux du fait d’avoir été reconnu victime d’un internement illégal par l’autorité judiciaire. Un tel état de fait lui semblant aberrant et inenvisageable, ce médecin psychiatre évacuait donc purement et simplement cette question.

2005, l’information pratique délivrée aux patients sur leurs droits, est incompréhensible et impraticable, vu l’état de la jurisprudence en la matière, et les chevauchements incessants formant une frontière instable que seuls les initiés connaissent, entre ce qui relève de la compétence de la juridiction administrative (les illégalités dites externes ou formelles), et ce qui relève de la juridiction judiciaire (pour l’essentiel, le mal fondé éventuel des mesures de contrainte, et l’indemnisation des illégalités sanctionnées par le juge administratif). Si l’on prend une notification de droits faite en 2005 à une personne hospitalisée d’office, dans un établissement parisien, personne n’en comprend les arcanes et ne saisit ce qu’il doit faire, s’il ne connaît pas le droit public, et s’il ne sait pas faire une différence hiérarchique et d’opportunité entre la Commission départementale des hospitalisations psychiatriques, le Préfet, le Juge des tutelles, le Président du tribunal de grande instance, et la Commission des relations avec les usagers…

2005, on est dans une logique de contrôle judiciaire a posteriori, dans le cadre de saisines volontaires faites par les intéressés eux-mêmes si toutefois ceux-ci connaissent les voies de recours pertinentes. Ces mêmes années, dans le cadre de la dualité de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, les tribunaux administratifs prenaient, par ordonnance et sans audience, des décisions de rejet pour incompétence contre des requêtes faites par des avocats non spécialisés en dehors du champ de compétence de la juridiction administrative. Les requérants, qui auraient dû pouvoir se faire entendre en justice sur leur contestation de leur psychiatrisation, se trouvaient ainsi rejetés sans avoir pu argumenter de façon contradictoire. Il pouvait y avoir ainsi, chez certains requérants, un désespoir évident d’avoir été psychiatrisés, marqués au fer de l’étiquette de la maladie mentale, de ne pas pouvoir se faire entendre, et d’en subir jusqu’au bout les conséquences les plus dramatiques, dans une vie de famille, par rapport à un emploi perdu, une socialisation cassée, une dignité émiettée qui devient au fur et à mesure un souvenir ancien.

2015, si la situation psychiatrique n’a rien d’idyllique, les personnes subissant des mesures d’hospitalisations psychiatriques sous contrainte peuvent tout de même recourir, ne serait-ce que par voie d’appel sur une décision de maintien dans un contrôle de plein droit de la mesure qu’elles subissent. Ces personnes ne sont plus aussi dépendantes qu’auparavant des fourches caudines d’une association d’usagers spécialisée en situation de monopole de fait sur la question des droits des personnes psychiatrisées sous contrainte comme le Groupe Information Asiles (GIA) a pu l’être durant une vingtaine d’années. Elles peuvent donc contractualiser leur défense, comme on le fait pour d’autres domaines juridiques, de façon ordinaire, ou en cherchant des ressources par internet.

Il est à noter sur ce sujet que le Groupe information asiles (GIA) que je présidais alors, développe son site internet à partir de l’été 2004, et qu’à partir de 2005, celui-ci est systématiquement abondé en jurisprudences propres au contentieux de l’internement psychiatrique par le webmestre de ce site. Cet état de fait revêt une nette importance sur ce volet de l’hospitalisation psychiatrique sans consentement, puisque l’information adéquate au plan jurisprudentiel devient disponible pour tout public, sous condition d’avoir une connexion internet. C’est d’ailleurs à cette époque que des thésards en droit contactent notre association de façon plus systématique qu’auparavant. C’est ainsi qu’en 2006 M. Vincent Touchard, remettra un important travail de master 2 de droit public à l’université de Bordeaux IV, titré : « Le dualisme juridictionnel en matière d’hospitalisation d’office », et prenant en partie ses sources sur le site du Groupe Information Asiles (GIA), qui a d’ailleurs publié ce mémoire [7].

2015, lorsqu’une requête en demande de mainlevée d’une mesure de contrainte psychiatrique n’est pas traitée dans le délai de 12 jours à dater de son enregistrement au greffe du juge des libertés et de la détention, ou en cas appel, à dater de l’enregistrement de l’appel au greffe du premier président de la Cour d’appel, la mainlevée doit être ordonnée pour dépassement d’un délai de procédure impératif [8] .

2005, rien de tel. Il est courant que les juges de libertés et de la détention saisis de requêtes en demandes de sortie immédiate d’hospitalisations sans consentement mettent plusieurs mois avant de rendre une ordonnance prise « en la forme des référés » selon la terminologie ancienne de l’article L 3211-12 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 27 juin 1990. Cela alors même qu’on ne peut pas valablement dire qu’une décision prise plusieurs mois après que la juridiction ait été saisie soit une décision prise en référé, c’est-à-dire en urgence.

Dans une affaire introduite un 18 septembre 2004, de demande de mainlevée d’une mesure d’hospitalisation d’office s’éternisant inutilement sous la forme d’une sortie d’essai au long cours, la décision n’a été prise par le juge des libertés et de la détention de Créteil, après expertise psychiatrique, que le 6 janvier 2005, soit 3 mois et 19 jours après l’enregistrement de la requête en demande de mainlevée [9] .

Dans une autre affaire Me Assia Boumaza, avocate au Barreau de Grenoble, pouvait conclure dans un commentaire publié dans La Gazette du Palais du 14 juillet 2005 : « [Cette affaire] est la parfaite illustration de l’imbroglio procédural inhérent au dualisme juridictionnel du contentieux français de l’hospitalisation psychiatrique d’office … La lourdeur de la démarche procédurale pour le malade qui souhaite contester son placement relance le débat de la « judiciarisation » … A l’heure actuelle la « judiciarisation » présente diverses garanties comme l’intervention préalable du juge judiciaire à toute hospitalisation sans consentement pour s’assurer a priori du bien-fondé de la mesure au moyen d’une expertise psychiatrique, l’organisation d’un débat contradictoire avec accès au dossier personnel et à la motivation de la mesure, l’assistance obligatoire d’un conseil indispensable à l’effectivité des droits de la défense et la faculté de solliciter une contre-expertise. Enfin cette solution présenterait l’avantage d’être en conformité avec la tradition constitutionnelle française, consistant à faire du juge judiciaire le « gardien des libertés individuelles », mais aussi [avec] la théorie du bloc de compétence ainsi qu‘avec les directives européennes. » [10]. On observera que cette conclusion de Me Assia Boumaza était d’autant plus fondée que le contentieux en question avait été pendant devant la juridiction administrative parisienne pendant près de 10 ans avant d’être tranché [11]

Notons qu’en cette époque pas si lointaine, il était préférable d’avoir désigné un exécuteur testamentaire lorsqu’on avait initié un contentieux efficace contre sa psychiatrisation, délais déraisonnables de procédure faisant foi.

2015, une telle contestation provenant d’un ancien interné, sur ses conditions de prise en charge, ainsi que sur la régularité de son hospitalisation sous contrainte, est statuée en première instance en un à deux ans par la juridiction judiciaire, compétente tant sur les illégalités de droit formelles que sur l’indemnisation et sur l’opportunité de la mesure de soins sans consentement en application de l’article L 3216-1 de la loi du 5 juillet 2011. Par cet article le Législateur de la loi du 5 juillet 2011 a créé un bloc de compétence orienté vers la juridiction judiciaire en matière de contestation de mesures de soins psychiatriques sans consentement, sur une indication du Conseil constitutionnel dans les considérants 35 et 36 de sa décision QPC du 26 novembre 2010 [12]. Le Conseil constitutionnel avait ainsi donné écho à une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme prise le 18 novembre 2010. Dans cette affaire, la Cour européenne avait considéré que la dualité de compétence propre au contentieux de l’hospitalisation psychiatrique avait rendu impossible au requérant l’exercice efficace de ses droits à la défense, puisque le requérant qui avait obtenu l’annulation par la juridiction administrative des arrêtés préfectoraux successifs de son hospitalisation d’office en Unité pour malades difficiles, n’avait pas pu obtenir d’être libéré par le juge judiciaire au vu des illégalités constatées par la juridiction administrative [13].

2005, les protestations s’accumulaient contre la hausse continue du nombre des mesures d’hospitalisations sans consentement. Suite à la tuerie du CH des Pyrénées de Pau, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, l’idéologie sécuritaire faisait donner son tambour laissant augurer des jours sombres pour la psychiatrie française.

2015, au plan de l’organisation des usagers de la psychiatrie, les cabinets d’avocats forment, en quelque sorte, une nouvelle modalité d’organisation des usagers du système psychiatrique, par le biais de leur clientèle sur ce terrain spécialisé. Il n’est d’ailleurs pas exclu, à l’avenir, que certains cabinets d’avocats décident d’organiser leurs clients en associations d’usagers, ou selon une structuration mixte entre professionnels du droit et usagers - clients, pour étendre leur activité sur le marché ouvert en la matière depuis la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, puisque incontestablement, nous assistons depuis l’entrée en vigueur de cette loi, à l’ouverture d’une discipline juridique spécifique, et donc au déploiement d’un marché spécialisé. Je renvoie à ce sujet à la légalisation pour l’été 2016, dans le cadre du projet de loi de modernisation de notre système de santé, des actions de groupe en matière de santé, que seules pourront déclencher les associations d’usagers agréées pour la représentation des usagers dans le système de santé.

Je clos cet article en faisant référence à des discussions que nous avions au sein du Groupe Information Asiles (GIA) en 1994 – 1995, où nous nous posions la question, avec Philippe Bernardet, de la rentabilisation du contentieux de l’internement psychiatrique, par l’obtention de dommages et intérêts suffisamment conséquents, précisément afin que cette activité finisse par intéresser des avocats qui s’en emparent. En 2005 cette rentabilisation du terrain était en vue, à travers les divers contentieux indemnitaires menés dans des dossiers a posteriori.

2015, ce genre de problématique est tranchée. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 septembre 2013, dans les contrôles de plein droit des mesures d’hospitalisations sans consentement, la représentation ou l’assistance par avocat des personnes subissant ces mesures de soins psychiatriques sous contrainte, est obligatoire. Ce domaine prête lieu à des revendications des Barreaux sur le tarif de l’aide juridictionnelle dès lors que les avocats sont commis d’office dans ces contrôles (4 unités de valeur, soit en moyenne, 90 € par mesure contrôlée). Nous sommes ici dans un domaine qui est rentré dans le droit commun et qui prête lieu à des revendications, tarifaires en ce qui concerne les avocats, ou d’effectifs en ce qui concerne les magistrats et les greffiers, puisqu’il apparaît, d’après les revendications de l’Union syndicale des magistrats (USM), que la réforme du 5 juillet 2011 s’est faite à effectif constant dans les palais de justice.

En conclusion, je dirai que nous sommes passés d’un terrain qui était il y a 10 ans encore expérimental, à une situation inédite où des centaines d’avocats à travers le pays, commis d’office dans des contrôles judiciaires des mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement, se battent pied à pied, pour que les magistrats donnent droit aux moyens qu’ils soulèvent. Ce qui se joue dans cette espèce de guerre de tranchée mettant aux prises une minorité de juristes qui s’efforcent, autant que faire se peut, de faire leur travail de juristes, c’est précisément le contrôle effectif par l’autorité judiciaire des mesures de contrainte psychiatrique. C’est-à-dire un enjeu considérable pour les libertés des personnes aux prises dans ce pays avec les mesures de contrainte psychiatrique, pour les prises en charge elles-mêmes, en termes de santé publique, en termes de politique de santé mentale.


[1L’auteur a été président du Groupe Information Asiles (GIA), de fin novembre 2000 à janvier 2008, et de février 2009, à novembre 2010. Le CRPA est une scission du Groupe Information Asiles (GIA), initiée en décembre 2010.

[2Philippe Bernardet, sociologue, chargé de recherche au CNRS, décédé prématurément en 2007, est l’auteur des Dossiers noirs de l’internement psychiatrique, Fayard, 1989, et de Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe, Eres 2002, co-écrit avec Corinne Vaillant et Thomaïs Douraki. Philippe Bernardet a été l’animateur de la commission juridique du Groupe Information Asiles (GIA) qui a œuvré de 1982 à 1992 au développement du contentieux de l’internement psychiatrique arbitraire, dans le sens d’une affirmation d’un droit des internés.

[3Corinne Vaillant, avocate au Barreau de Paris, spécialisée depuis 1984 sur le terrain de l’internement psychiatrique arbitraire.

[4Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles, spécialisé depuis 2000, sur le terrain des internements arbitraires.

[5Voir Caroline Cordier, « les hospitalisations sans consentement faisant l’objet d’une mainlevée sont en hausse en 2013 », Hospimedia, 21 mars 2014 : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/417 , ainsi que les statistiques du Ministère de la Justice citées dans cet article, mais aussi une « Etude sur les soins psychiatriques sans consentement », décembre 2014, de Delphine Legoherel, auditrice à la Cour de cassation : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-12-31-etude-sur-les-soins-sans-consentement-cour-de-cassation.pdf

[6Voir une note critique de Philippe Bernardet, du 6 août 2005, sur les réunions du 12 juin et du 6 juillet 2005 du Groupe d’étude parlementaire sur l’hospitalisation psychiatrique, publiée sur le site internet du Groupe Information Asiles (GIA)

[7Mémoire de M. Vincent Touchard, publié sur le site du Groupe Information Asiles (GIA)

[8Voir l’article R 3211-30 du décret n°2014-897 du 15 août 2014 modifiant la procédure de contrôle ou de mainlevée des mesures de soins psychiatriques sans consentement.

[9Voir un commentaire sur cette affaire de Philippe Bernardet, in La semaine juridique, édition générale, n°23, 8 juin 2005, pages 1071 à 1073 : « Mainlevée d’une mesure d’hospitalisation d’office par le juge des libertés et de la détention ». ordonnance de mainlevée, JLD Créteil, 6 janvier 2005, V.-F. C/ Préfecture : Juris-Data n°2005-269406.

[10Gazette du Palais, 14 juillet 2005, page 7 à 14, Assia Boumaza, note sous arrêt Cour administrative d’appel de Paris, 3e chambre, 23 mars 2005. Contentieux administratif. Compétence administrative ou judiciaire. Voies de fait. Requête n°01 PA0267.

[11Sur la décision judiciaire définitive concernant cette affaire, cf. le jugement de la 1re chambre civile, 3e section du TGI de Paris, du 6 novembre 2006, publié sur le site du Groupe Information Asiles (GIA).

[12Considérant 36 de la décision QPC du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 : « … il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé. »

[13Cour européenne des droits de l’homme, affaire Baudoin contre France, n°35935/03, 18 novembre 2010.