2015-07-05 Je casserai les murs pour toi

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/3UIvzp ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/516

Document du dimanche 5 juillet 2015
Article mis à jour le 27 août 2020
par  H.F., A.B.

Voir notre rubrique Témoignages

Émouvant témoignage sur une solidarité entre deux personnes internées au CH Paul-Guiraud Villejuif.


« Je casserai les murs pour toi », de Sabrina Palumbo, présidente de l’association "Sabrina TCA92", sur les troubles de la conduite alimentaire, et plus précisément sur l’anorexie.

5 juillet 2011.

Takara

« Je casserai les murs pour toi ». A bout de force je me croyais réellement capable de faire voler cette porte fermée à clef. Nos bouts de papiers glissés discrètement sous la porte lors des « passages » nous ont grillées. Les malades ne sont pas là ni pour flirter ni pour se faire des amis, nous l’avons oublié ma rebelle au grand cœur et je te l’ai beaucoup dit : tu étais là pour te soigner…

J’étais là pour être surveillée. Entre nous, ces foutus murs.

Je pouvais reconnaître ton passage. Le seul petit bout de femme toute légère à s’habiller « classe » tandis que tout le monde se laisse aller et que la barque prend l’eau de partout. A ne pas traîner des pieds ou gémir. Toujours le sourire. Des yeux tristes mais un immense sourire. Je me souviens de ta douleur comme si c’était hier. Je suis fière de voir ton activité sur Facebook : tu sembles vivre ta passion et je te sais heureuse. Ça n’aura été qu’une petite parenthèse dans ta vie d’adolescente un peu paumée avec et qui trimballe son mal être. Les valises tu ne les a pas laissées longtemps.

Pas assez pour moi, je m’étais attachée. Mais tu allais mieux, ta place était mieux hors les murs c’est sûr.

Des mois ont passé. Je me souviens de cette visite de « contrôle » imposée sur une journée alors que j’étais enfin sortie. Takara au bout du couloir… Un hasard que nous nous soyons tombées à nouveau les bras l’une de l’autre comme cela ?

Tu étais totalement guérie et tes projets démarraient en trombe. J’avais stagné voire déjà rechuté mais je donnais le change.

Je sais que tu habites Clamart… et que si je te vois je tiens au grand sourire… En voyant cette photocopie de nos petits mots tachés je me suis effondrée. Le reste du dossier c’est du blabla il en manque. Des observations de la part du personnel qui actent des faits « tiens un sourire », « tiens elle est calme », « tiens elle coopère » « tiens elle dit qu’elle est triste »…

Murs

Il y des pièces à convictions ne plaidant pas en ma faveur, des lettres chargées d’un cynisme aussi ridicule qu’inefficace. Des coups d’épée dans l’eau. Des « preuves » de ma folie du côté des blouses blanches. La situation m’avait échappé et est vite devenu un long cauchemar.

Takara & Sabrina

Là bas tout est noté, le moindre fait et geste, sourire ou regard triste. Le mot « calme » revient à toutes les pages des comptes-rendus (infirmières) avec parfois le mot « souriante » ou « coopérante ». Le symptôme était trop visible et porter des sourires ne faisait pas grimper le poids de la balance plus vite. J’ai vraiment mis beaucoup plus de temps que toi à sortir, mais ce qui compte c’est que nous n’y retournerons plus.

« Takara ». Je ne connaissais même pas ton prénom jusqu’à ce que l’on se retrouve online il y a peu…