2015-02-19 La CEDH condamne la Croatie pour une mise à l’isolement avec contention injustifiée sans garantie procédurale

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/EQzHa5 ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/512

Document du jeudi 19 février 2015
Article mis à jour le 27 août 2020
par  H.F., A.B.

1. — On lira avec attention l’analyse de cette décision produite par Me Raphaël Mayet, avocat, après une lecture attentive de la version anglaise de cette décision qui est la seule version disponible sur le site de la CEDH. Cette analyse date du 9 octobre 2015.

L’analyse qu’en fait Me Raphaël Mayet va plus loin que la seule condamnation d’un État signataire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour une mise à l’isolement avec contention de 15 heures de suite médicalement injustifiée. Cet arrêt condamne la Croatie pour violation de l’article 3 de la Convention (traitement inhumain et dégradant) pour ne pas avoir en l’espèce apporté à la requérante au moment de son placement à l’isolement et sous contention des garanties procédurales suffisantes lui permettant de contester l’arbitraire d’une telle mesure (alinéa 105 de cette décision).

On voit que la France ne satisfait pas les exigences de la CEDH ici posées, et que des condamnations sont possibles, tous cas de figure confondus, puisque la France n’offre aucune garantie procédurale aux patients qui sont placés sous mesures de mise à l’isolement avec contention. L’état du droit qui doit suivre la promulgation de la loi de Santé actuellement en cours de navette au Parlement, avec son article 13 quater qui introduit une traçabilité de ces mesures ainsi qu’un registre administratif où les décisions ayant trait à ces mêmes mesures seront inscrites, ne changera pas cet état de fait. En effet, l’article 13 quater du projet de loi Santé ne prévoit aucune garantie procédurale permettant à une personne qu’on entend placer sous l’emprise de telles mesures de s’en défendre ou même de se faire entendre au titre d’une discussion contradictoire.

Le manque de voie de recours efficaces internes à la France en la matière pourrait entraîner que dans une affaire X portant sur une mesure de mise à l’isolement avec contention, l’avocat de la personne internée introduise une demande de mainlevée de cette mesure spécifique au juge des libertés et de la détention couvrant l’établissement. Si ce juge se déclare incompétent à connaître de cette demande (ce qui est très probable) parce que n’ayant comme compétence que d’élargir ou non l’interné de la mesure de soins sans consentement elle-même et non de son contenu, un appel pourrait être introduit. Puis, si la Cour d’appel se déclare également incompétente, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être saisie en procédure d’urgence afin qu’elle statue sur la conformité à la Convention de telles mesures.

Cet arrêt stipule par ailleurs que les mesures d’isolement et de contention sont des mesures de dernier recours et sont subsidiaires par rapport à d’autres mesures moins attentatoires aux libertés. La CEDH dit aussi clairement dans sa jurisprudence que l’hospitalisation sans consentement est elle-même une mesure subsidiaire par rapport aux mesures alternatives à l’enfermement et que l’hospitalisation sans consentement ne doit être mis en œuvre que si les autres mesures n’ont pas pu être mises en œuvre.

2. — Cet arrêt de la CEDH qui condamne la Croatie concerne éminemment la France, en tant qu’État signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que la condamnation de la Cour, dont nous donnons ici écho, porte non seulement sur une mise sous contention abusive de 15 heures de suite sans qu’il soit justifié que cette mesure était médicalement nécessaire et que l’intéressée ait pu bénéficier de garanties procédurales suffisantes sur la mesure qu’elle subissait (traitement inhumain et dégradant, article 3 de la Convention) ; mais également sur le fait que la personne internée n’a pas été présentée devant un juge indépendant et impartial avec un avocat suffisamment compétent pour que ses droits à la défense soient assurés lors du contrôle judiciaire de la mesure d’internement psychiatrique dont elle faisait l’objet (article 5 de la Convention, droit d’accès à bref délai à un tribunal indépendant et impartial).

On voit ici que les avocats commis d’office, en France, dans les contrôles judiciaires des mesures d’hospitalisation sans consentement, qui se contentent de faire de la figuration sans réellement défendre leur client, engagent outre leur responsabilité devant leur ordre, également la responsabilité de l’État (ministère de la justice). En effet l’État est garant, en cas de contentieux a posteriori, au plan indemnitaire, de ce que la personne hospitalisée sous contrainte et en soins sans consentement a pu bénéficier d’un droit effectif à la défense et d’un accès effectif à un tribunal impartial et indépendant.

Sur notre site un arrêt de la CEDH sur ce même thème : 2019-01-10 La CEDH condamne la Croatie pour absence de défense effective d’un interné

Ainsi que : 2012-10-02 Pour la CEDH le fait d’être atteint d’une pathologie mentale n’est pas en soi un motif d’internement psychiatrique

Ou bien : 2012-01-17 La CEDH condamne la Bulgarie en matière d’internement psychiatrique avec traitements inhumains et dégradants

Ou même : 2015-03-18 Le député Denys Robiliard fait adopter un amendement sur la traçabilité des mises à l’isolement et sous contention

Une première jurisprudence sur le nouvel article L.3222-5-1 du code de la santé publique : 2016-10-24 - C.A. Versailles : l’illégalité de l’isolement justifie la levée de la mesure d’hospitalisation sans consentement


Communiqué du Greffier de la Cour européenne des droits de l’homme

2015-02-19 Note d’information n°182, de la CEDH, aff. M.S. C. Croatie.

Arrêts et décisions du 19 février 2015
 

M.S. c. Croatie (n° 2) - Requête no 75450/12

Source (cet arrêt lui-même seulement disponible en anglais) site de la CEDH : http://goo.gl/Zrc6NF
 

La requérante, Mme M.S., est une ressortissante croate née en 1962 et habitant à L. Il est question ici de son internement forcé pendant un mois dans un établissement psychiatrique.

Le 29 octobre 2012, Mme M.S. alla voir son médecin de famille, se plaignant de fortes douleurs au bas du dos. Le médecin la renvoya au service des urgences, où elle fut examinée par un psychiatre, qui lui diagnostiqua en particulier des troubles psychotiques aigus et ordonna son hospitalisation. Mme M.S. fut immédiatement internée, contre son gré, dans un établissement psychiatrique, où elle fut attachée à un lit dans une chambre isolée pendant une nuit. Un juge d’un tribunal de comté (joupanie) autorisa son internement forcé puis le prolongea, et Mme M.S. demeura dans l’établissement – son recours contre cette décision ayant été rejeté – jusqu’à sa sortie le 29 novembre 2012.

Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), Mme M.S. estimait qu’elle avait été maltraitée pendant son internement en établissement psychiatrique et qu’aucune enquête effective n’avait été conduite à cet égard.

Invoquant en outre, en substance, l’article 5 § 1e) (droit à la liberté et à la sûreté), elle soutenait qu’elle avait été internée illégalement et sans justification et que la décision de justice en cause n’avait pas été entourée des garanties procédurales adéquates.

Violation de l’article 3 (enquête)

Violation de l’article 3 (traitement inhumain et dégradant)

Violation de l’article 5 § 1 e)

Satisfaction équitable : La requérante n’a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable.
 

1.— Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, les arrêts de chambre ne sont pas définitifs. Dans un délai de trois mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Conformément aux dispositions de l’article 28 de la Convention, les arrêts rendus par un comité sont définitifs.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution

2.— Les décisions d’irrecevabilité et de radiation du rôle sont définitives.


Analyse de cette décision par Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles

Mail de Me Mayet au CRPA, le 9 octobre 2015.

Cher Monsieur,

Je fais suite à notre entretien de ce jour concernant les conséquences de l’arrêt rendu le 19 Février 2015 par la CEDH (requête 75450/12 M.S/CROATIE) en ce qui concerne le recours à la contention et à l’isolement en matière psychiatrique au regard de la règle posée par l’article 3 de la convention qui prohibe le recours aux traitements inhumains et dégradants (§94 à 112 de la décision).

Pour l’instant, le texte intégral de cet arrêt n’est disponible qu’en anglais.
Mes réflexions s’articulent donc autour de ma propre traduction des termes de cet arrêt qui me semble tout à fait fondamental.

La Cour rappelle en préambule que la prohibition des traitements inhumains et dégradants constitue « une des valeurs les plus fondamentales d’une société démocratique » et se trouve « indépendante de la conduite de la personne qui en est victime » (§94).

Dans son § 96 la Cour relève « la particulière vulnérabilité des patients psychiatriques » et l’appréciation de la Cour sur le caractère inhumain et dégradant des traitements doit prendre en considération cette particulière vulnérabilité.

Un recours à la contention qui ne serait pas strictement nécessaire constituerait par principe une violation des dispositions de l’article 3. (§97)

La Cour rappelle que « la position d’infériorité et de faiblesse, caractéristique des patients enfermés en hôpitaux psychiatriques appelle une vigilance accrue dans l’appréciation du respect des dispositions de la Convention » (§98).

La Cour a examiné au cas d’espèce une contention d’une durée de 15 heures en retenant « qu’une telle mesure est habituellement perçue comme une expérience traumatisante, impossible à oublier, susceptible de causer des blessures physiques et humiliante » (§102).

Dans son § 104, la Cour insiste sur le principe de l’utilisation en dernier recours (ultimate necessity) de la contention « quand aucune autre mesure ne permet de calmer un individu agité, ou de prévenir des dommages à lui-même ou à autrui ».

Enfin la Cour et c’est là sans doute le point le plus important de cette décision quant à la violation des dispositions de l’article 3, retient que « le recours à ces mesures doit être proportionné et assorti de garanties contre les abus, avec des garanties procédurales suffisantes ». (§105).

Concernant ce dernier point, il paraît évident que la situation actuelle en France n’est pas conforme aux exigences posées par la CEDH. En effet, les décisions de placement à l’isolement et de recours à la contention n’offrent aucune garantie procédurale pour les personnes hospitalisées qui ne sont en mesure d’élever aucune contestation sur ce point dans le temps de leur hospitalisation.

Votre bien dévoué,

Maître Raphaël MAYET,

Cabinet MAYET et PERRAULT.