Communiqué du Greffier de la Cour européenne des droits de l’homme
Arrêts et décisions du 19 février 2015
M.S. c. Croatie (nº 2) - Requête no 75450/12
Source (cet arrêt lui-même seulement disponible en anglais) site de la CEDH : http://goo.gl/Zrc6NF
La requérante, Mme M.S., est une ressortissante croate née en 1962 et habitant à L. Il est question ici de son internement forcé pendant un mois dans un établissement psychiatrique.
Le 29 octobre 2012, Mme M.S. alla voir son médecin de famille, se plaignant de fortes douleurs au bas du dos. Le médecin la renvoya au service des urgences, où elle fut examinée par un psychiatre, qui lui diagnostiqua en particulier des troubles psychotiques aigus et ordonna son hospitalisation. Mme M.S. fut immédiatement internée, contre son gré, dans un établissement psychiatrique, où elle fut attachée à un lit dans une chambre isolée pendant une nuit. Un juge d’un tribunal de comté (joupanie) autorisa son internement forcé puis le prolongea, et Mme M.S. demeura dans l’établissement – son recours contre cette décision ayant été rejeté – jusqu’à sa sortie le 29 novembre 2012.
Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), Mme M.S. estimait qu’elle avait été maltraitée pendant son internement en établissement psychiatrique et qu’aucune enquête effective n’avait été conduite à cet égard.
Invoquant en outre, en substance, l’article 5 § 1e) (droit à la liberté et à la sûreté), elle soutenait qu’elle avait été internée illégalement et sans justification et que la décision de justice en cause n’avait pas été entourée des garanties procédurales adéquates.
Violation de l’article 3 (enquête)
Violation de l’article 3 (traitement inhumain et dégradant)
Violation de l’article 5 § 1 e)
Satisfaction équitable : La requérante n’a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable.
1.— Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, les arrêts de chambre ne sont pas définitifs. Dans un délai de trois mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Conformément aux dispositions de l’article 28 de la Convention, les arrêts rendus par un comité sont définitifs.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution
2.— Les décisions d’irrecevabilité et de radiation du rôle sont définitives.
Analyse de cette décision par Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles
Mail de Me Mayet au CRPA, le 9 octobre 2015.
Cher Monsieur,
Je fais suite à notre entretien de ce jour concernant les conséquences de l’arrêt rendu le 19 Février 2015 par la CEDH (requête 75450/12 M.S/CROATIE) en ce qui concerne le recours à la contention et à l’isolement en matière psychiatrique au regard de la règle posée par l’article 3 de la convention qui prohibe le recours aux traitements inhumains et dégradants (§94 à 112 de la décision).
Pour l’instant, le texte intégral de cet arrêt n’est disponible qu’en anglais.
Mes réflexions s’articulent donc autour de ma propre traduction des termes de cet arrêt qui me semble tout à fait fondamental.
La Cour rappelle en préambule que la prohibition des traitements inhumains et dégradants constitue « une des valeurs les plus fondamentales d’une société démocratique » et se trouve « indépendante de la conduite de la personne qui en est victime » (§94).
Dans son § 96 la Cour relève « la particulière vulnérabilité des patients psychiatriques » et l’appréciation de la Cour sur le caractère inhumain et dégradant des traitements doit prendre en considération cette particulière vulnérabilité.
Un recours à la contention qui ne serait pas strictement nécessaire constituerait par principe une violation des dispositions de l’article 3. (§97)
La Cour rappelle que « la position d’infériorité et de faiblesse, caractéristique des patients enfermés en hôpitaux psychiatriques appelle une vigilance accrue dans l’appréciation du respect des dispositions de la Convention » (§98).
La Cour a examiné au cas d’espèce une contention d’une durée de 15 heures en retenant « qu’une telle mesure est habituellement perçue comme une expérience traumatisante, impossible à oublier, susceptible de causer des blessures physiques et humiliante » (§102).
Dans son § 104, la Cour insiste sur le principe de l’utilisation en dernier recours (ultimate necessity) de la contention « quand aucune autre mesure ne permet de calmer un individu agité, ou de prévenir des dommages à lui-même ou à autrui ».
Enfin la Cour et c’est là sans doute le point le plus important de cette décision quant à la violation des dispositions de l’article 3, retient que « le recours à ces mesures doit être proportionné et assorti de garanties contre les abus, avec des garanties procédurales suffisantes ». (§105).
Concernant ce dernier point, il paraît évident que la situation actuelle en France n’est pas conforme aux exigences posées par la CEDH. En effet, les décisions de placement à l’isolement et de recours à la contention n’offrent aucune garantie procédurale pour les personnes hospitalisées qui ne sont en mesure d’élever aucune contestation sur ce point dans le temps de leur hospitalisation.
Votre bien dévoué,
Maître Raphaël MAYET,
Cabinet MAYET et PERRAULT.
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