2013-09-09 - Observations du CRPA sur la proposition de loi sur les soins psychiatriques

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/SPmVTl ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/374

Document du lundi 9 septembre 2013
Article mis à jour le 30 août 2020

Sur les positions défendues par le CRPA, en audition par M. Denys Robiliard, rapporteur pour l’Assemblée nationale de la la proposition de loi sur les soins sans consentement, le 9 juillet 2013, cliquer sur ce lien.

Position du Groupe Information Asiles (GIA), sur cette proposition de loi révisant la loi du 5 juillet 2011, cliquer sur ce lien.

Auteurs : A.B. - H.F.


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André Bitton
Paris, le 8 septembre 2013
 

2013-09-09 Observations du CRPA sur la PPL sur les soins sans consentement, déposées en audition au Sénat auprès du sénateur M. Jacky Le Menn

Synthèse des remarques complémentaires du CRPA pour l’audition du 9 septembre 2013, par M. Jacky Le Menn, sénateur et rapporteur pour la proposition de loi visant à modifier certaines dispositions de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
 

Pour l’essentiel, nous nous en remettons au texte des positions que nous avons défendues à notre audition à l’Assemblée nationale le 9 juillet passé, par M. Denys Robiliard, député et rapporteur de cette proposition de loi avant son adoption par cette même assemblée le 25 juillet dernier.

Compte-tenu de certaines modifications apportées par amendements à cette proposition de loi, nous formulons les deux remarques et propositions suivantes :
 

1. — Sur le délai de comparution devant le juge des libertés et de la détention des personnes hospitalisées sans leur consentement à temps complet avant le délai de 12 jours

Ce délai porté de 10 jours à 12 jours a été adopté par l’Assemblée nationale sur un amendement du Gouvernement défendu par la Ministre des affaires sociales et de la santé Mme Marisol Touraine. Or, il a été conservé la simplification du nombre de certificats et avis médicaux nécessité par le délai de 10 jours, précédemment défendu par la proposition de loi avant adoption, qui portait également et par là-même, le délai de saisine du juge des libertés et de la détention à 6 jours, pour une décision avant le 10e jour. Ce délai de saisine du JLD a été porté à 8 jours, du fait de l’adoption du principe du délai butoir de 12 jours pour l’audience et la prise de décision du JLD. L’ancien délai de saisine à 6 jours du JLD, dans le cadre du délai butoir de 10 jours, rendait en effet inutile le certificat médical dit « de huitaine », joint avec l’avis conjoint à la saisine du JLD. Le report à 12 jours ne s’est pas accompagné d’un rétablissement d’un certificat médical accompagnant l’avis médical (devenu simple d’ailleurs, alors qu’auparavant il s’agissait d’un avis médical conjoint), complétant la procédure d’admission et de maintien des premiers jours de l’hospitalisation sous contrainte communiquée au juge des libertés et de la détention pour contrôle et décision.

La position du CRPA sur ce point est constante. Nous sommes favorables au maintien de la complexité procédurale et donc au maintien d’un nombre important de certificats et avis médicaux.

Ainsi, nous estimons que le passage de la date butoir de la décision du juge des libertés et de la détention à 12 jours, doit s’accompagner du rétablissement d’un certificat médical « de semaine » (fait au 6e ou au 7e jour de l’HSC), qui remplace l’ancien certificat médical de huitaine visé aux articles L 3212-7 et L. 3213-3 du code de la santé publique abrogés par les articles 7 et 8 de la proposition de loi, telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale le 25 juillet 2013.

Nous avons défendu, en effet, qu’en matière de détention - l’hospitalisation psychiatrique sans consentement correspondant, selon l’article 5-1-e de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, à la « détention d’un aliéné » -, le formalisme procédural de l’instauration et du maintien d’une hospitalisation sans consentement, ainsi que sa complexité, forment une garantie contre l’arbitraire éventuel de l’administration. Cela n’a pas à être simple de placer et de maintenir une personne sous contrainte psychiatrique.

Je me contenterai de citer cet extrait des conclusions de M. Jerry Sainte-Rose, avocat général à la Cour de cassation et Commissaire du Gouvernement au Tribunal des Conflits, dans un arrêt de conflit qui fut fondamental en matière de contentieux de l’hospitalisation psychiatrique sans consentement, du 17 février 1997, Préfecture Ile-de-France, n°3045, publié au Recueil Lebon : « Les règles de forme sont, à l’évidence, aussi protectrices de la liberté que les règles de fond, la frontière entre les deux catégories n’étant d’ailleurs pas toujours nettement tracées ».
 

Préconisation

Il nous semble donc important que le Sénat rétablisse, au visa de ces considérations et de la nécessité de garantir de manière rigoureuse les libertés individuelles des personnes placées sous contrainte psychiatrique en hospitalisation à temps complet, un cran de complexité, correspondant au délai de comparution et de décision du juge des libertés et de la détention, à 12 jours, en rétablissant l’ancien certificat médical « de huitaine », en la forme d’un certificat médical « de semaine » (fait au 6e ou au 7e jour de l’HSC). A moins que le Sénat ne décide de suivre la première proposition du député M. Denys Robiliard, et de revenir à un délai de comparution et de décision du juge des libertés et de la détention, à 10 jours. Ce délai de 10 jours, est en effet cohérent avec la suppression du certificat médical de huitaine, puisque la saisine par dossier du juge des libertés et de la détention est alors placée dans le délai de 6 jours.
 

2. — Risque d’inconstitutionnalité de la dé-légalisation des Unités pour malades difficiles, de par l’abrogation de l’article L. 3222-3 du code de la santé publique :

Si notre association est absolument et sans conditions favorable à la suppression du régime dérogatoire pour l’obtention d’une mainlevée d’une mesure de soins sur décision du représentant de l’État, concernant les personnes internées en Unités pour malades difficiles plus d’un an, sans qu’elles soient l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale, ainsi qu’à la suppression de la notion de l’antécédent sur une durée de 10 ans précédent la mesure actuelle pour ces mêmes personnes, nous estimons que l’abrogation de l’article L. 3222-3 du code de la santé publique portant sur les Unités pour malades difficiles, introduit par la loi du 5 juillet 2011, fait encourir à cette proposition de loi ainsi qu’aux textes réglementaires qui pourront être pris sur la base de ce texte, un risque d’inconstitutionnalité, pour violation de l’article 34 de la Constitution qui stipule que c’est la loi (et pas le règlement) qui fixe les règles concernant, d’une part les garanties fondamentales apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques (les internés en UMD ne cessent pas pour autant d’être des sujets de droit), et, d’autre part, que c’est la loi, et non le règlement, qui fixe les règles s’agissant de la création de catégories d’établissements publics.

Je renvoie à ce sujet aux échanges que nous avons eus, cet été passé, avec le père d’un jeune homme interné à la nouvelle Unité pour malade difficiles d’Albi (Tarn, 81), ouverte en 2011, qui conteste formellement l’abrogation de cet article de la loi du 5 juillet 2011 (cf. pièce jointe), étant précisé que son fils de 20 ans est interné dans cette UMD à la suite d’une échauffourée avec des infirmiers de son hôpital psychiatrique de provenance, au motif de coups de poing, et que cet internement d’office renforcé dure depuis la mi-février 2013.

Je me contenterai, sans développer plus avant le moyen juridique de citer la note publiée par le professeur de droit public, M. Éric Péchillon, dans la Semaine juridique, édition administrations et collectivités publiques, n°26, 2 juillet 2012, titré : « Censure partielle de la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins sous contrainte, vers une réforme en profondeur de la psychiatrie avant octobre 2013 ? », et plus précisément la page n°2230 de cet article, à propos de la décision n°2012-235 du Conseil constitutionnel sur QPC du CRPA :

« …Or c’est justement en amont que le législateur a failli en oubliant d’appliquer au patient psychiatrique les méthodes de protection des droits fondamentaux existant pour l’ensemble des individus. Ainsi, s’il est loisible à un État, par une simple décision administrative, de priver de sa liberté d’aller et venir un « malade mental », c’est uniquement à condition qu’une loi permette à la personne visée de contester efficacement devant un juge cette qualification, la gravité de son état et la nécessité de la mesure individuelle qui le frappe. (…) le Conseil constitutionnel a considéré que ce n’était pas le cas pour les patients placés en UMD, car ni l’article L. 3222-3, ni aucune disposition législative n’encadrent les formes et ne précisent les conditions dans lesquelles une décision d’admission dans ces structures spécialisées est prise par l’autorité administrative. (…). La grande faiblesse du droit des UMD vient du fait qu’il n’existe aucune définition législative et donc prévisible du « D » et qu’elles n’ont vocation qu’à accueillir des patients dont le soin est imposé par le préfet. S’agit-il de patients difficiles ou d’individus dangereux ? (…) Actuellement, l’usage des UMD est, pour le Conseil constitutionnel potentiellement arbitraire. Traduisant une véritable incompétence négative du législateur, la loi a renvoyé au décret n°2011-847 du 18 juillet 2011 [une procédure en annulation initiée par le CRPA est actuellement en cours d’examen devant le Conseil d’État contre ce décret et celui du même jour n°2011-846 ] le soin de fixer les règles d’admission dans ces structures. Il importe au minimum d’élever d’un cran les normes existantes mais également de préciser les caractéristiques des troubles ou des antécédents justifiant une telle prise en charge … ».

Je me contenterai de préciser que l’article L. 3222-3 du code de la santé publique qui légalise les UMD, n’a vu le jour qu’avec la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, et qu’aucune des dix UMD existantes en France actuellement n’a été érigée au visa d’une disposition législative, puisque les UMD n’ont été régies que tardivement par un décret de 1986, remplacé ultérieurement par un décret de 2005. Or, il est loisible de penser, que ces établissements, à l’instar des UHSA (Unités hospitalières spécialement aménagées) ne sont pas de simples services de soins intensifs renforcés de type psychiatriques, mais bien une catégorie distincte d’établissements publics de haute sécurité, qui aurait valu une couverture législative, afin précisément de satisfaire au principe constitutionnel posé par l’article 34 de la Constitution selon lequel c’est bien la loi, et non le règlement, qui fixe l’existence des nouvelles catégories d’établissements publics, ainsi que les règles qui garantissent les libertés fondamentales des personnes tenues sous contrainte dans ce genre d’établissements.
 
Préconisation : Le CRPA préconise donc que le Sénat supprime l’article 9 de la proposition de loi qui abroge l’article L. 3222-3 du code de la santé publique.
 

Pièces jointes :
 
1. — Synthèse des positions du CRPA, pour l’audition du 9 juillet 2013. Assemblée nationale.
2. — Article dans Mediapart du 13 août 2013, de M. Pascal Lonca, et commentaires.
3. — Article de M. Éric Péchillon. La semaine juridique — Éditions administrations, n°26, 2 juillet 2012.



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