2013-07-21 - L’obsolescence programmée de la loi du 5 juillet 2011 et de sa réforme

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/QNdti ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/365

Document du dimanche 21 juillet 2013
Article mis à jour le 28 août 2020
par  A.B.

Ci-dessous, ainsi qu’en pièce jointe, un communiqué daté du 21 juillet 2013, du Dr Michel David, psychiatre, Président de la Société caraïbéenne de psychiatrie et de psychologie légale, qui est aussi président de l’ASPMP (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire), sur la proposition de loi du député P.S. M. Denys Robiliard et du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, sur les soins sans consentement en psychiatrie.

Ce communiqué me semble représentatif d’un certain embarras désapprobateur de nombre de psychiatres hospitaliers face aux réformes en cours, sur le champ de la contrainte psychiatrique. En tant que tel, il me semble présenter un certain intérêt, d’où cette publication sur le site du CRPA.

Je précise que, pour ma part, je trouve que c’est une très bonne chose pour tous, mais aussi pour que la question de l’effectivité des droits des patients en psychiatrie soit bel et bien un axe prioritaire, que la page des réformes sur le terrain de la contrainte psychiatrique, ne soit pas encore refermée.

Cf. les propositions du CRPA, défendues devant le député M. Denys Robiliard, rapporteur de la proposition de loi n°1223, sur les soins sans consentement, réformant la loi du 5 juillet 2011 (cliquer sur ce lien).

Sur l’examen, le 17 juillet 2013, par la Commission des affaires sociales de la proposition de loi n°1284 (ex-n°1223), cliquer sur ce lien.

Auteur : A.B.


2013-07-21 Communiqué du Président de la Socapsyleg

COMMUNIQUÉ SOCAPSYLEG

Le 21 juillet 2013

Par le Dr Michel DAVID, Psychiatre des hôpitaux, Président de Socapsyleg
 

L’obsolescence programmée de la loi du 5 juillet 2011 et de sa réforme
 

Trois lois ont organisé les soins en psychiatrie : La loi du 30 juin 1838, réformée 150 ans plus tard par la loi du 27 juin 1990 qui aurait dû connaître une évaluation dans les cinq ans suivant sa promulgation mais jamais réalisée, puis la loi du 5 juillet 2011. La complexité de cette dernière, suite à des QPC, sans oublier les nombreux jugements ou arrêts consécutifs à son application, imposerait une révision avant octobre 2013.

Tout laisse à penser que les modifications qui vont être proposées ne conduiront qu’à de nouveaux litiges et d’incessantes modifications successives. Pour certains, le formalisme procédural et sa complexité permettraient d’éviter les privations de liberté arbitraires. Cette opinion est révélatrice des ambiguïtés du soin psychiatrique et pose la question, en fait peu traitée par la collectivité, de ce que l’on attend de la psychiatrie et de ce que son exercice représente pour notre société.

Un bel exemple d’ambiguïtés et qui augure des difficultés et incompréhensions encore à venir concerne l’hospitalisation des personnes détenues. Ainsi dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est indiqué que « La loi du 5 juillet 2011 a par ailleurs été interprétée comme ne permettant la prise en charge en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) des personnes détenues atteintes de troubles mentaux que sous le régime de l’hospitalisation sous contrainte ». Incroyable ! Les UHSA ont justement été créées pour permettre les hospitalisations libres et cela se pratique actuellement dès l’ouverture de la première UHSA en 2010. Cela voudrait-il dire que les UHSA fonctionnent hors la loi depuis 2010 ? Seules les hospitalisations sur demande d’un tiers ne sont pas possibles actuellement pour les personnes détenues contrevenant ainsi au principe d’une égalité de l’offre de soins entre personnes détenues et population générale, pourtant officiellement revendiquée par les pouvoirs publics.
 
Pour clarifier l’objet du soin en psychiatrie, simplifier les procédures, éviter les litiges tout en garantissant les droits des usagers, des propositions importantes sont émises de part et d’autres, mais n’ont pas été retenues dans l’actuelle proposition de loi. Relevons-les tout en précisant l’importance théorique que représente dans la loi du 5 juillet l’intervention du juge garant par la constitution des libertés individuelles tout en notant la perplexité de certains patients, qui se considérant malades (et légitimement non délinquants) comprennent difficilement la comparution devant le juge des libertés et de la détention (JLD) et de devoir recourir à un avocat.

Les points essentiels demandés depuis des années par les professionnels sont les suivants :

  • Un seul mode d’hospitalisation sous contrainte.
  • La suppression de la référence à l’ordre public.
  • La suppression de l’intervention du préfet.
  • Le respect de l’intimité de la personne et du secret médical qui est mis à mal avec l’obligation juridique d’une audience publique dans un contexte de privation de liberté (conflits entre des principes fondamentaux) en priorisant la prévention « des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice » qui semble plus importante que la sérénité des patients (article 6).
     
    Les autres points (sans exhaustivité) qui nécessitent des débats approfondis, après que les points essentiels aient été adoptés, sont les suivants :
  • Le choix du moment de la première intervention du magistrat qui satisfasse le patient (et éventuellement son entourage), les psychiatres, les soignants, les magistrats, les avocats, les administrations hospitalières etc. (la quadrature du cercle).
  • La question cruciale des programmes de soins à la fois dans le fond (une contrainte même si le Conseil constitutionnel ne la considère pas ainsi), et dans les applications pratiques (que faire s’il n’est pas respecté) sans oublier qu’un contrôle par un magistrat semble incontournable.
  • Les modalités de rédaction des certificats sont loin d’être simples. Ils vont être lus par différentes personnes : le patient, les magistrats, les administrations (dont le préfet encore malheureusement) les avocats etc. Encore une quadrature du cercle.
  • Le devenir des UMD qui pourrait s’avérer incertain.
  • L’inutilité des doubles avis et du collège, le plus souvent purement formels, qui ne sont là que pour assurer une fausse sécurité juridique. Et que dire de l’intervention d’un psychiatre qui ne participe pas à la prise en charge et qui surgit face à un patient qu’il ne connaît pas et qui se demande, malgré les explications fournies, ce que lui veut ce médecin inconnu au risque d’altérer la confiance en son psychiatre référent.
  • La clinique du consentement et les termes pour l’argumenter sont encore balbutiants avec autant d’interprétations que d’acteurs.
  • Les opinions seront certainement aussi très divergentes sur ce qu’il faut penser de la prise en considération des peines encourues pour la levée des soins sous contrainte des patients ayant bénéficié d’un non-lieu après avoir commis une infraction pénale.
     
    Les soins en psychiatrie représentent un « champ anthropologique » où des logiques différentes s’affrontent dans un contexte sociétal d’une grande complexité. Comment faire en sorte que la réponse à un problème de santé ait avant tout une réponse médicale, que la personne concernée soit respectée et non considérée comme un objet que l’on place ou l’on déplace sans oublier les mises en cause juridiques de psychiatres des conséquences d’infractions de leurs patients. Le rapport d’étape de la mission d’information suggère de revenir au terme de « placement » en soins psychiatriques (proposition n°3), soit la reprise d’un concept de la loi de 1838. Quel progrès ! Heureusement, la proposition de loi ne reprend pas le terme mais quelle garantie qu’il ne ressorte pas lors des discussions parlementaires ?

Ne pas oublier non plus que dès l’adoption dans la précipitation de la loi du 5 juillet 2011, les moyens nécessaires à la bonne application de la loi n’ont pas été attribués, aussi bien pour les magistrats que pour les hôpitaux ou les avocats. Dans un temps où les ressources financières sont limitées, il faut espérer que le Gouvernement se souviendra de l’article 40 de la Constitution qui prévoit que « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Ce ne sont pas les dispositions de l’article 13 qui prévoit la création d’une taxe additionnelle (quel montant ? une nouvelle source de fiscalisation peu médiatisée d’ailleurs) pour financer le surcoût inhérent aux réformes qui rassure sur l’effectivité des moyens qui pourrait être mis à disposition pour faire fonctionner correctement l’ensemble du dispositif.

Si les modalités du soin psychiatrique relève d’une complexité identique à la quadrature du cercle, il convient de se rassurer car ce problème mathématique posé par Anaxagore au 5e siècle avant J.C. aurait été résolu en 1989. Si la même durée est nécessaire pour la psychiatrie, les arguments auront le temps d’être élaborés et affinés … Mais on peut être certain dès maintenant, quelle que soit la qualité du travail de la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie ou des débats parlementaires à venir, que la future réforme a déjà dès maintenant une obsolescence programmée comme le sont nos objets de consommation contemporains. Malheureusement, il semble que nous soyons engagés dans un fonctionnement sociétal ou la discordance s’accentue inéluctablement entre les obligations légales ou réglementaires et la réalité de la maladie mentale et le souci de s’en occuper médicalement.