2013-06-14 Témoignage d’un haut fonctionnaire sur l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/0rhFy ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/348

Document du vendredi 14 juin 2013
Article mis à jour le 19 septembre 2020
par  A.B.

Introduction

Ce témoignage nous est parvenu ces derniers jours. Il nous a semblé très parlant. Nous le publions tel que nous l’avons reçu.

2011-11-03 Mediapart « Un ancien conseiller ministériel interné à l’IPPP »

Le 3 novembre 2013, Mediapart, sous la plume de Louise Fessard, a publié une enquête sur ce même sujet, qui complète le présent témoignage : http://www.mediapart.fr/journal/fra…

Je précise que lors de ces procès sur la légalité de l’I3P et l’accès à l’avocat pour les personnes conduites dans cette infirmerie, soit de 2000 à 2009, je présidais ou co-dirigeais le Groupe Information Asiles. Le CRPA, scission du GIA, a été fondé en décembre 2010, soit 13 mois après notre gain contre l’I3P devant le Conseil d’État, du 20 novembre 2009..

Cf. la rubrique Témoignages de notre site.


2013-06-14 Témoignage d’un haut fonctionnaire sur l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris

Témoignage d’un haut fonctionnaire sur l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris

Paris, le 14 juin 2013.
 

J’ai décidé de produire ce témoignage depuis que j’ai lu le « rapport d’étape relatif aux soins sans consentement » publié, le 29 mai 2013, par M. Denys Robiliard, député du Loir-et-Cher, rapporteur de la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie. Cette mission a été créée en novembre 2012 par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, dans la perspective d’une réécriture de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Deux aspects de ce rapport ont tout particulièrement retenu mon attention. D’abord, parmi ses dix-sept préconisations, celle qui propose de ramener de quinze à cinq jours le délai dans lequel le juge des libertés et de la détention doit statuer sur l’hospitalisation sous contrainte. Ensuite, le fait qu’il passe sous silence les problèmes posés par l’existence et le fonctionnement de l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP ou I3P dans le jargon maison), dont il est seulement écrit qu’ « elle travaille bien » (page 34). [1] C’est pour améliorer cette préconisation et pour combler cette lacune que je crois mon témoignage utile.

Je suis normalien de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, énarque (promotion Fernand Braudel), administrateur civil au ministère de l’Intérieur et sous-préfet honoraires. J’ai été conseiller au bureau des cultes de ce ministère et j’ai publié, entre autres, des livres sur le droit des religions en France, la loi de 1905, les origines du sionisme, Theodor Herzl, l’islam en France…

En 2009, j’étais chargé de mission auprès du directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur. Fin octobre 2009, Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a annoncé le lancement d’un débat sur l’identité nationale. Le 1er novembre 2009, je suis entré à son cabinet pour m’occuper de ce débat, sur proposition du préfet Christian Decharrière, alors directeur de son cabinet. Éric Besson savait que j’étais protestant et de gauche, mais cela ne le gênait pas, bien au contraire m’a-t-il dit. Il m’est arrivé de lui faire part de mes réticences sur la politique gouvernementale en matière d’immigration et de mes interrogations concernant l’utilité des sondages d’opinion hebdomadaires et coûteux commandés par le ministère à propos de l’intérêt du débat sur l’identité nationale ; j’ai refusé de signer les bons de commande de ces sondages, qui n’avaient pas donné lieu à un appel d’offre préalable, et je n’en ai pas fait mystère à mon entourage.

Le 25 janvier 2010, j’ai appris, en réunion de cabinet, que le Gouvernement envisageait de modifier la loi de séparation des Eglises et de l’État en rendant possible le financement des édifices du culte par les collectivités publiques. Cette modification, qui aurait été suggérée au chef de l’État par Patrick Buisson, contredisait l’idée que je me faisais de la laïcité et je décidai de quitter sans tarder le cabinet d’Éric Besson. Vers 16 heures, je lui ai indiqué ma décision et je lui en ai donné la raison. J’en ai informé ensuite, par téléphone, les principaux dignitaires religieux de notre pays, qui étaient mes interlocuteurs habituels : Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont-Ferrand, vice-président de la Conférence des évêques de France, qui l’a rapporté à Mgr André Vingt-Trois, M. Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, M. Gilles Bernheim, grand rabbin de France, et M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Ces derniers se sont retrouvés un peu plus tard à l’Elysée pour les vœux du Président de la République aux autorités religieuses. Comme d’habitude avant une telle cérémonie, ils se sont concertés pour choisir le thème qu’ils développeraient devant lui. Ils lui ont manifesté leur commun attachement à la laïcité et leur commun refus de la modification de la loi de 1905, telle qu’elle semblait depuis peu envisagée par les pouvoirs publics. Nicolas Sarkozy leur a semblé surpris et fort irrité de ce qu’ils aient eu vent de son projet.

De mon côté, j’avais téléphoné à mon épouse pour l’informer que je quittais le cabinet d’Éric Besson et que je rejoignais le bureau que j’avais conservé au ministère de l’Intérieur, pour me préparer à le réintégrer le lendemain matin. Vers 20 heures 30, je suis arrivé au ministère de l’Intérieur dans lequel j’ai pénétré par la rue des Saussaies. Là, dans la salle d’accueil, m’attendaient une trentaine de policiers en uniforme. L’un d’entre eux m’a interpellé : « Vous n’avez pas le droit de monter dans votre bureau. Les chefs vont venir. » Quelques instants plus tard, le commissaire de police du 8e arrondissement est arrivé, entouré d’autres policiers. Il m’a ordonné : « Suivez-nous au commissariat. On nous a demandé de vous protéger. » J’ai été conduit au commissariat du 8e dans une voiture de la police nationale : le commissaire était assis à l’avant, à la droite du policier qui la conduisait, j’étais assis à l’arrière, à côté d’un autre policier. Le commissaire m’a fait entrer dans son bureau et m’a dit : « Ne nous faites pas de difficultés. » Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu : « Vous pourriez être dangereux pour vous-même ou pour les autres. » J’ai exprimé mon étonnement : « Je n’ai pas l’intention de me supprimer. Je n’ai pas l’intention d’agresser qui que ce soit. Je ne suis pas dangereux : je n’ai sur moi ni arme, ni médicament, ni drogue. » Et j’ai ajouté : « Vous pouvez prendre contact avec mes deux médecins, l’un en région parisienne, l’autre à Lyon. Voulez-vous leurs coordonnées téléphoniques ? » Il m’a coupé : « Vous allez monter dans ma voiture pour consulter un médecin parisien, c’est pour votre bien. Ne nous faites pas d’ennuis, sinon je vais vous menotter. »

Me voici donc contraint de monter dans la même voiture de la police nationale que tout à l’heure, avec le même accompagnement policier. Nous sommes allés d’hôpital et hôpital, une dizaine dans Paris. A chaque halte, le commissaire a tenté de faire venir un médecin. En vain, sauf à l’Hôtel-Dieu, d’où est sorti un médecin avec lequel je me suis entretenu quelques minutes, en restant assis dans la voiture de police. Il a conclu l’entretien en déclarant au commissaire : « Il m’a l’air normal. »

Le commissaire a alors passé un long coup de téléphone et m’a dit : « J’ai reçu des ordres d’en haut. Je dois vous amener à l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. » Vers 23 heures, j’ai donc été conduit à l’IPPP (Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris), 3, rue Cabanis (14e arrondissement), dans un bâtiment qui jouxte l’hôpital Sainte-Anne, sans que le commissaire fût pourvu du moindre certificat médical. J’ai calmement refusé d’entrer dans l’IPPP et je me suis contenté d’opposer une résistance passive aux cinq infirmiers qui m’ont pris de force, m’ont déshabillé intégralement de force et m’ont enfermé dans ce que je n’appellerai pas une chambre mais une cellule. Je me suis retrouvé, nu comme un ver, dans cette cellule où il n’y avait qu’un lit de fer sans matelas. Au bout d’un moment, j’ai demandé à aller aux toilettes. On m’a répondu à travers la porte : « C’est impossible. Nous sommes surchargés. » J’ai été contraint d’uriner sur le sol. On imagine l’odeur dans la cellule. Il m’a été impossible de fermer l’œil de la nuit. Je dois reconnaître que j’ai parfois tambouriné à la porte en dénonçant l’attitude du préfet de police. Vers 10 heures du matin, le lendemain, la porte s’est ouverte, j’ai récupéré mes vêtements ainsi que mon portable, et j’ai été conduit dans l’enceinte de l’hôpital Sainte-Anne.

Ainsi, pendant mon enfermement à l’IPPP, durant environ onze heures, je n’ai vu aucun médecin, aucun médicament ne m’a été administré, la « charte d’accueil et de prise en charge des personnes conduites à l’IPPP » ne m’a pas été remise, je n’ai pas été informé de l’existence du registre où les patients peuvent théoriquement consigner leurs réclamations et observations, aucune possibilité ne m’a été donnée de contacter un avocat, ainsi que le prévoient, je devais l’apprendre plus tard, la charte d’accueil et le règlement intérieur de l’IPPP depuis un arrêt du Conseil d’État du 20 novembre 2009.

Une fois à Sainte-Anne, j’ai été examiné par un psychiatre qui m’a trouvé en bonne santé, mais m’a signifié : « On va vous garder ici 48 heures pour vous surveiller puisqu’on nous a dit que vous étiez dangereux. » Dès ma sortie de l’IPPP, j’avais téléphoné à mon épouse qui m’avait appris qu’un fonctionnaire de cet organisme lui avait téléphoné le matin, à 7 heures, pour lui demander de signer à mon endroit une Hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) ; elle avait répondu qu’elle s’y refusait et que, de toute façon, elle était en Ardèche. Mon frère, qui habite Paris, avait été également joint et avait refusé de demander une H.D.T. sans m’avoir vu ; il est venu en fin de matinée et a souhaité que je sois rapidement libéré. J’ai pu quitter l’hôpital Sainte-Anne deux jours plus tard.

De cette épreuve, de cette séquestration injustifiée et dégradante, je suis sorti bouleversé. J’ai décidé peu après de prendre ma retraite et de mettre ainsi fin prématurément à ma vie professionnelle, à 62 ans. C’était sans doute un des objectifs recherchés par les instigateurs de cette opération.

Ce qui m’est arrivé en janvier 2010 m’amène à suggérer que la nouvelle loi prévoit l’intervention quasi immédiate —et non pas au bout de cinq jours- du juge des libertés et de la détention quand il s’agit d’hospitaliser une personne sous contrainte —ce qui se passe dans la plupart des pays européens, et surtout la fermeture rapide de l’IPPP.

Il est temps de mettre un terme à l’existence de cette étrange institution sans statut juridique bien défini, qui, sous des appellations diverses, remonte au Consulat, lorsque Bonaparte avait confié au préfet de police de Paris, entre autres missions, celle d’empêcher qu’ « on laisse vaquer des furieux, des insensés, des animaux malfaisants ou dangereux », « un médecin étant présent au dépôt pour constater la présence d’une maladie mentale chez les personnes délinquantes, les insensés et les vagabonds acheminés par les forces de police ». A Paris, comme dans le reste de la France, ce sont les urgences psychiatriques de droit commun qui devraient assurer la prise en charge de toutes les personnes devant éventuellement être hospitalisées sous contrainte. C’est du reste à la nécessité de fermer cette structure qu’a conclu, le 15 février 2011, Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans ses « recommandations relatives à l’IPPP » (JORF du 20 mars 2011).

En cas de fermeture de l’IPPP, la direction de l’hôpital Sainte-Anne pourrait enfin installer à sa place la maison d’accueil pour handicapés mentaux qu’elle appelle depuis longtemps de ses vœux.


[1Citation de M. Serge Blisko, président de la MIVILUDES, dans son audition du 24 janvier 2013, par la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie.