2013-02-19 La CEDH condamne la Roumanie sur un internement psychiatrique avec le placement des enfants de l’internée

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/yiQpF ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/315

Document du mardi 19 février 2013
Article mis à jour le 27 août 2020
par  A.B.

Nous renvoyons au site de la Cour européenne des droits de l’homme et à sa base de données jurisprudentielles : http://www.echr.coe.int/ECHR/fr/Hea…

Lien sur cet arrêt du 19 février 2013 (site de la CEDH) : http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra…

Auteurs : H. F. , A.B.


CEDH : L’internement d’office et la nécessaire protection des intérêts de la personne vulnérable

CEDH, 19 février 2013, n° 1285/03, aff. B c. Roumanie.

La gazette du Palais — 20 février 2013

Source : http://www.gazettedupalais.com/serv…
 

La requérante est une ressortissante roumaine, mère de deux enfants mineurs qui vivaient avec elle, qui avait fait l’objet de plusieurs séjours psychiatriques et avait été diagnostiquée comme atteinte de « schizophrénie paranoïde ».

Les autorités étaient informées de l’état de misère dans laquelle elle vivait mais aucune mesure de protection, tutelle ou curatelle, n’a été mise en place.

A partir de 2000 les deux enfants mineurs n’habitaient plus avec la requérante et avaient été placés, à cause de sa maladie, dans un centre d’accueil pour les enfants abandonnés, par décision d’une commission pour la protection de l’enfant sans que leur mère n’exerce de recours.

Il ressort de plusieurs rapports que les enfants ont été souvent visités par leur mère.

S’agissant des vingt-deux lettres de la requérante envoyées à la Cour entre décembre 2002 et décembre 2010, le Gouvernement estime qu’elles ont un contenu incohérent et ne soulèvent aucun grief substantiel relatif aux dispositions de la Convention.

La Cour rappelle qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués.

En l’espèce, elle considère que les griefs de la requérante, qui ont été dûment accompagnés par les documents pertinents relatifs à son internement et au placement de ses enfants, sont suffisamment clairs pour être examinés. Le fait que ces griefs ont été présentés par la requérante en même temps que d’autres plus confus n’enlève rien à leur sérieux.

Dès lors, la Cour considère qu’elle a été régulièrement saisie par la requérante, en vertu de l’article 34 de la Convention.

La requérante se plaint de ses internements psychiatriques prétendument abusifs. A cet égard, elle invoque, en substance, les articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention.
Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par la requérante sous l’angle de l’article 8 de la Convention, lequel exige également que le processus décisionnel portant sur la vie privée soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition.

La Cour a déjà jugé, lors de l’examen de l’épuisement des voies de recours internes par des mineurs et par des personnes atteintes de handicap mental, qu’il convient de prendre en compte la vulnérabilité de ces personnes, notamment leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente.

Il convient donc de déclarer le grief recevable.

La Cour rappelle que, si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition. Ainsi, l’étendue de la marge d’appréciation de l’État dépend de la qualité du processus décisionnel : si la procédure a été gravement déficiente pour une raison ou pour une autre, les conclusions des autorités internes sont plus sujettes à caution.

Dans la plupart des affaires concernant des « aliénés » dont la Cour a été saisie précédemment, la procédure interne portant sur l’internement des intéressés a été examinée sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Par conséquent, pour déterminer si la procédure d’internement en l’espèce a été conforme à l’article 8 de la Convention, la Cour s’appuiera, mutatis mutandis, sur sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) de la Convention.

La Cour a déjà relevé plusieurs lacunes de la loi roumaine sur la santé mentale.
En l’espèce, la Cour observe qu’à partir de 2000, la requérante a fait l’objet de nombreuses admissions en hôpital ou service psychiatrique, la plupart du temps à la demande de la police.

Ainsi, lors d’une de ses admissions en service psychiatrique, la police demanda à l’hôpital l’internement de la requérante au motif qu’elle avait été « trouvée mal nourrie, habitant dans une chambre sans chauffage et sans aucune aide matérielle », en indiquant seulement de manière brève et dépourvue de détails factuels qu’elle avait « un comportement antisocial ».

Ces éléments factuels plaident en faveur du caractère forcé de ses internements, au moins pour ce qui est de la période allant de 2003 à 2007.

Or, aucun élément n’a été produit par les parties qui attesterait que la procédure prévue par la loi a véritablement été respectée en l’espèce.

Tout semble dénoter l’incertitude qui entourait les internements de la requérante et leur caractère ambigu.

En dépit de la bonne volonté des autorités, mise en avant par le Gouvernement, la Cour considère que les dispositions du droit interne régissant les internements psychiatriques et la protection des personnes se trouvant dans l’impossibilité de pourvoir seules à leurs intérêts n’ont pas été appliquées à la requérante dans l’esprit de son droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8. Ce faisant, les autorités nationales ont failli à leur obligation de prendre des mesures adéquates à la défense des intérêts de la requérante.

Concernant les enfants, la Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence constante selon lesquels pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale. En outre, le placement de l’enfant à l’assistance publique ne met pas fin aux relations familiales naturelles. Les décisions prises par l’autorité responsable aboutissant au placement d’un enfant dans un centre d’accueil s’analysent en des ingérences dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale.

La Cour admet que les autorités responsables se trouvent devant une tâche difficile à l’extrême quand elles se prononcent dans un domaine aussi délicat. Leur prescrire dans chaque cas une procédure rigide ne ferait qu’ajouter à leurs problèmes. Il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. D’un autre côté, l’examen de cet aspect de l’affaire doit se fonder sur une donnée primordiale : les décisions risquent fort de se révéler irréversibles. Il s’agit donc d’une matière qui appelle encore plus que de coutume une protection contre les ingérences arbitraires.
La requérante ne prétend pas que les décisions des autorités ordonnant le placement de ses deux enfants mineurs ne reposaient pas sur une disposition de la loi ou ne poursuivaient pas un but légitime. La question qui se pose en l’occurrence est celle de savoir si les procédures suivies se conciliaient avec le droit de la requérante au respect de sa vie familiale ou constituaient des ingérences dans l’exercice de ce droit, lesquelles ne pouvaient passer pour « nécessaires dans une société démocratique ».
La Cour constate l’impossibilité manifeste dans laquelle se trouvait la requérante de participer au processus décisionnel concernant ses enfants mineurs, qui avait été mise en avant par les autorités responsables lors du placement initial des enfants. Par ailleurs, le dossier ne relève aucun indice quant au maintien des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et la requérante, qui auraient pu fournir un bon moyen de signaler aux autorités l’opinion de cette dernière.

Pour ces raisons, la Cour estime que le processus décisionnel ayant maintenu le placement des deux enfants mineurs de la requérante n’a pas été conduit dans le respect de ses droits tels que garantis par l’article 8 de la Convention.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention également de ce chef.

Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour octroie à la requérante 10 000 euros au titre du préjudice moral encouru.


La nécessité d’une vision large du recours facultatif en vue de sortie immédiate (par Jean-Marc Panfili)

Par Jean-Marc PANFILI. Cadre supérieur de santé en psychiatrie adulte, doctorant et chargé d’enseignement. Faculté de sciences juridiques et politiques, Université Toulouse 1 Capitole et Faculté de Médecine de Toulouse Rangueil.

Le 22 février 2013.
 

L’article L 3211-12 du code de la santé publique prévoit que le juge des libertés et de la détention peut être saisi à tout moment, aux fins d’ordonner à bref délai la mainlevée immédiate d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement. La saisine peut alors être formée par la personne faisant l’objet des soins, la personne chargée de sa protection si, majeure, elle a été placée en tutelle ou en curatelle, son conjoint, son concubin ou la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité, la personne qui a formulé la demande de soins, un parent ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet des soins ou le procureur de la République. Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d’office, à tout moment. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu’elle estime utiles sur la situation d’une personne faisant l’objet d’une telle mesure. Le juge des libertés et de la détention ordonne, s’il y a lieu, la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète. L’article R.3211-8 du CSP prévoit que le juge des libertés et de la détention est saisi par les personnes mentionnées à l’article L. 3211-12 par requête transmise par tout moyen permettant de dater sa réception au greffe du tribunal de grande instance. Lorsqu’elle émane de la personne qui fait l’objet de soins, l’article R.3211-9 du CSP prévoit que la requête peut être déposée au secrétariat de l’établissement d’accueil. La demande en justice peut également être formée par une déclaration verbale recueillie par le directeur de l’établissement qui établit un procès-verbal. Le directeur transmet alors sans délai la requête ou le procès-verbal au greffe du tribunal, par tout moyen, en y joignant les pièces justificatives que le requérant entend produire.

Ce recours facultatif est toujours prévu dans la loi du 5 juillet. Il se caractérise par une certaine facilité de saisine par le patient lui même ou toute personne agissant dans son intérêt. Les libertés individuelles étant en jeu, la loi permet une dans ce cas une formulation variable des réclamations. Cette approche vient d’être confirmée par la CEDH dans une décision du 19 février 2013. En l’occurrence, la requérante internée avait adressé vingt-deux lettres à la CEDH entre décembre 2002 et décembre 2010. Le Gouvernement roumain estimait leur contenu incohérent et ne soulevant aucun grief relatif aux dispositions de la Convention européenne. La Cour a rappelé qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués. En l’espèce, elle a considéré que les griefs de la requérante, accompagnés par les documents relatifs à son internement étaient suffisamment clairs pour être examinés. Le fait que ces griefs aient été présentés par la requérante en même temps que d’autres plus confus n’enlevait rien à leur sérieux. La Cour a considéré qu’elle était régulièrement saisie par la requérante, en vertu de l’article 34 de la Convention.

Ce raisonnement des juges de Strasbourg vient clairement renforcer l’exigence d’une vision large des requêtes en vue de sorties immédiates formulées dans des contextes très particuliers. Il convient donc, indépendamment de la forme, que toute demande ou réclamation relative à une privation de liberté soit transmise sans délai au juge des libertés et de la détention.