2012-12-19 Cour de cassation • A propos du point de départ de la prescription quadriennale des créances contre l’Etat

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/exUG2 ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/287

Document du mercredi 19 décembre 2012
Article mis à jour le 27 août 2020
par  CRPA

Sur la teneur de l’affaire de Mme X, nous renvoyons aux pages 96 à 130 du livre de Philippe Bernardet et Catherine Derivery : Enfermez-les tous (Internements : le scandale de l’abus et de l’arbitraire en psychiatrie). Robert Laffont, 2002.
 
Source (site Legifrance) : http://www.legifrance.gouv.fr/affic…
 
Ci-dessous un arrêt de la Cour de cassation, du 19 décembre 2012, qui invalide un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 avril 2010, sur la question de la prescription quadriennale, selon l’article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances contre l’État, les communes, et les établissements publics (loi portée au Code administratif). Citation de cet arrêt de la Cour de cassation :

"Attendu que pour déclarer irrecevable l’action de Mme X… en ce qu’elle tendait à la réparation du préjudice né du caractère médicalement injustifié de son hospitalisation et limiter l’indemnité allouée à celle-ci à la réparation de son préjudice moral, l’arrêt énonce que le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du premier chef de préjudice est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle l’internement a pris fin, de sorte que seul le préjudice moral subi par l’intéressée peut être réparé ;

Qu’en statuant ainsi alors que la décision d’annulation des arrêtés litigieux constituait le fait générateur de l’obligation d’indemniser Mme X…, laquelle pouvait prétendre à la réparation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés …

PAR CES MOTIFS … CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions rejetant les demandes formées par Mme X… à l’encontre de l’agent judiciaire du Trésor et du maire de Tarbes, l’arrêt rendu le 6 avril 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ".
 

Une question toutefois se pose : qu’en sera-t-il d’une telle jurisprudence après le 1er janvier 2013 et l’unification du contentieux de l’internement psychiatrique dans les mains de la juridiction judiciaire ? Ne va-t-on pas revoir fleurir les arguments de l’Agent judiciaire de l’État (représentant l’État) et des établissements publics, en faveur d’un décompte de la prescription quadriennale à partir de la fin des faits ? Ne va-t-on pas ainsi vers un nouveau revirement de jurisprudence de la juridiction judiciaire sur ce sujet, ainsi que tel avait été le cas par un arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation, le 6 juillet 2001, dans l’affaire de M. Bernard Langlois ? C’est toute la question.

On notera que cet arrêt de la Cour de cassation est basé sur un précédent arrêt de la même Cour, pris le 31 mars 2010, dans une affaire Mme Yvonne X. (cf. Legifrance).

On observera pour conclure, que l’affaire de Mme X statuée dans cet arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre courant, est une affaire issue du Groupe Information Asiles des années 2000, et en l’espèce des dernières années d’activité de Philippe Bernardet (chercheur au CNRS décédé prématurément en 2007, à qui on doit beaucoup dans ce type de contentieux).


Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du 19 décembre 2012

N° de pourvoi : 11-22485

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Charruault (président), président

Me Ricard, SCP Ancel, Couturier-Heller et Meier-Bourdeau, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X… a été hospitalisée d’office au centre hospitalier spécialisé de Lannemezan du 8 février 1994 au 21 octobre 1994 en exécution d’arrêtés du maire de Tarbes et du préfet des Hautes-Pyrénées ; que, par décision 20 juin 2006, une cour administrative d’appel a annulé ces arrêtés ; que Mme X… a assigné l’État, le maire de Tarbes et le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan en réparation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi du fait de son internement illicite ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de condamnation in solidum du centre hospitalier de Lannemezan à réparer son dommage subi du fait de la privation de base légale de son hospitalisation, alors, selon le moyen, que toute personne apportant son concours à une mesure privative de liberté individuelle annulée pour illégalité engage sa responsabilité au titre du préjudice subi ; qu’en l’espèce il est constant que le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan qui a détenu Mme X… du 8 février 1994 au 21 octobre a contribué par son fait à l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée ; qu’en retenant que le centre hospitalier de Lannemezan était étranger aux décisions annulées qu’il ne peut qu’exécuter, de sorte que sa responsabilité ne peut être recherchée à ce titre, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le principe selon lequel chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à la réparer en totalité et l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu que le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan était étranger aux décisions annulées qu’il ne pouvait qu’exécuter, de sorte que sa responsabilité ne pouvait être recherchée ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur les premier et troisième moyens réunis :

Vu les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble les articles 1er de la loi du 31 décembre 1968 et 1382 du code civil ;

Attendu que pour déclarer irrecevable l’action de Mme X… en ce qu’elle tendait à la réparation du préjudice né du caractère médicalement injustifié de son hospitalisation et limiter l’indemnité allouée à celle-ci à la réparation de son préjudice moral, l’arrêt énonce que le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du premier chef de préjudice est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle l’internement a pris fin, de sorte que seul le préjudice moral subi par l’intéressée peut être réparé ;

Qu’en statuant ainsi alors que la décision d’annulation des arrêtés litigieux constituait le fait générateur de l’obligation d’indemniser Mme X…, laquelle pouvait prétendre à la réparation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions rejetant les demandes formées par Mme X… à l’encontre de l’agent judiciaire du Trésor et du maire de Tarbes, l’arrêt rendu le 6 avril 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne la commune de Tarbes et l’agent judiciaire du Trésor aux dépens ;

Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la commune de Tarbes et l’agent judiciaire du Trésor à payer à Me Ricard, avocat de Mme X…, la somme totale de 3000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour Mme X….

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir prescrite une partie de la demande de Madame X… tendant à la condamnation in solidum de l’agent judiciaire du Trésor, de la Commune de Tarbes et du Centre Hospitalier Spécialisé de Lannemezan à lui payer la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’internement illégal dont elle a fait l’objet du 8 février au 21 octobre 1994 ;

AUX MOTIFS QUE :

Sur la prescription :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 toutes les créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, sont prescrites au profit de l’État, des départements, des communes et des établissements publics ;

Considérant que Mme X… soutient, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la recevabilité de son action pour le tout car elle aurait été empêchée d’agir tant qu’elle n’a pas eu communication de son dossier médical, qu’elle ne l’a obtenu qu’après saisine de la CADA et du tribunal administratif qui l’a ordonné le 30 octobre 2002 et que ses démarches ont interrompu la prescription ;

1/ Considérant, s’agissant de la demande relative au bien fondé de la mesure d’hospitalisation d’office, que le point de départ de la prescription invoquée par les intimés est le fait générateur du préjudice invoqué par Mme X… ;

Qu’en l’espèce, comme l’a retenu justement le tribunal, ce point de départ ne peut être reporté qu’au plus tard le premier jour de l’année suivant celle où la mesure contestée a pris fin, soit le 21 octobre 1994, de telle sorte que, lors de l’introduction de la demande de Mme X… le 5 octobre 2004, son action, dont la prescription avait commencé à courir le 1er janvier 1995, était déjà prescrite ;

Que les premiers juges ont justement écarté l’argument selon lequel elle aurait été empêchée d’agir, la communication de son dossier médical n’étant pas une condition nécessaire à l’action puisque Mme X… a toujours contesté son hospitalisation d’office ;

Que l’agent judiciaire du Trésor soutient à juste titre, comme le ministère public, que les démarches entreprises par l’appelante ne sont pas susceptibles d’avoir interrompu la prescription encourue, dans la mesure où les seules démarches de réclamation ont été entamées le 7 février 2001 alors que l’action était déjà prescrite, la lettre du 12 juin 1995 adressée à l’hôpital, mise en avant par Mme X…, ne contenant aucune réclamation mais seulement une demande de communication de son dossier médical ;

Qu’il résulte de ces considérations que le jugement querellé sera confirmé sur ce point ;

2/ Considérant, s’agissant de la demande relative aux conséquences préjudiciables nées de l’irrégularité formelle des arrêtés pris par le maire de Tarbes et le préfet des Hautes Pyrénées, qu’il est constant que les décisions en question ont été annulées par décisions du tribunal administratif de Pau du 21 septembre 2004 puis de la cour administrative de Bordeaux du 20 juin 2006, de sorte qu’il est inopérant de discuter de leur régularité ; que ces juridictions ayant constaté que l’action de Mme X… n’était pas prescrite, il y a lieu de considérer, comme l’ont fait les premiers juges, que l’action en réparation de celle-ci, fondée sur ces décisions administratives qui ont constaté l’irrégularité formelle des arrêtés, n’était pas prescrite ;

ALORS QUE par application de l’article 5-1 et 5-5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les décisions d’annulation des arrêtés d’hospitalisation d’office par le juge administratif constituent le fait générateur de l’obligation à indemnisation d’une personne dont l’atteinte à la liberté individuelle résultant de l’hospitalisation d’office se trouve privée de tout fondement légal ; qu’en distinguant le préjudice relatif au bien fondé de la mesure d’hospitalisation d’office de celui relatif aux conséquences préjudiciables nées de l’irrégularité formelle des arrêtés d’hospitalisation, pour attribuer à chacun un fait générateur distinct, quand ces préjudices procédaient d’un seul et même fait générateur à savoir l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 juin 2006 qui a constaté l’illégalité de l’ensemble des décisions d’hospitalisation d’office, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968 et 1382 du code civil.

ALORS QUE par application de l’article 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 juin 2006 ayant constaté l’illégalité de l’ensemble des décisions d’hospitalisation d’office constituait le fait générateur de l’obligation à indemnisation de Mme X…, dont l’atteinte à la liberté individuelle résultant de l’hospitalisation d’office se trouvait privée de tout fondement légal, de sorte que lors de la saisine du tribunal de grande instance de Paris les 5, 6 et 26 octobre 2004, la prescription quadriennale, qui n’avait pas commencé à courir, n’était pas acquise, et qu’ainsi Mme X… pouvait prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée ; qu’en fixant le fait générateur au plus tard le premier jour de l’année suivant celle où la mesure contestée a pris fin, soit le 21 octobre 1994, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968 et 1382 du code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir rejeté la demande de condamnation in solidum du Centre Hospitalier Spécialisé de Lannemezan à réparer l’entier dommage subi par Madame X… du fait de la mesure d’hospitalisation d’office privée de toute base légale

AUX MOTIFS QUE :

Qu’il convient également d’approuver le tribunal qui a retenu, comme le soutient exactement le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan, qu’il était étranger aux décisions annulées qu’il ne peut qu’exécuter, de sorte que sa responsabilité ne peut, à l’inverse de celle du maire de Tarbes, auteur de l’un des arrêtés, et de celle de l’agent judiciaire du Trésor, tenu par celle du préfet, auteur de l’autre, être recherchée à ce titre ;

Considérant dans ces conditions, que le jugement ne peut qu’être, sur ce point également, confirmé ;

ALORS QUE toute personne apportant son concours à une mesure privative de liberté individuelle annulée pour illégalité engage sa responsabilité au titre du préjudice subi ; qu’en l’espèce il est constant que le Centre hospitalier spécialisé de Lannemezan qui a détenu Madame X… du 8 février 1994 au 21 octobre a contribué par son fait à l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée ; qu’en retenant que le centre hospitalier de Lannemezan était étranger aux décisions annulées qu’il ne peut qu’exécuter, de sorte que sa responsabilité ne peut être recherchée à ce titre, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le principe selon lequel chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à la réparer en totalité et l’article 1382 du code civil.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir limité l’indemnisation du préjudice subi par Madame X… du fait de son hospitalisation privée de tout fondement légal au seul préjudice moral

AUX MOTIFS QUE

Comme relevé à juste raison par le jugement déféré, l’annulation des arrêtés les ayant privés de fondement légal suffit à justifier du préjudice moral subi par Mme X… et de son indemnisation corrélative, ce dont, contrairement à ce qu’affirme l’agent judiciaire du Trésor, elle se prévaut expressément en cause d’appel (page 7 de ses conclusions) ; que la décision ne peut qu’être approuvée de ce chef, en ce compris l’évaluation de la réparation qu’elle en a faite au regard d’une hospitalisation qui a duré 8 mois, sans que Mme X… ne puisse être suivie dans le surplus de ses demandes indemnitaires fondées sur le caractère médicalement injustifié de la mesure ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces motifs que le jugement querellé sera intégralement confirmé ;

ALORS QUE l’annulation des décisions administratives d’hospitalisation d’office prive de tout fondement légal l’hospitalisation d’office qui caractérise ainsi une atteinte portée à la liberté individuelle, peu important le bien ou mal fondé de la mesure, et ouvre droit au profit de la victime à réparation de son entier préjudice ; qu’en limitant le droit à réparation au seul préjudice moral au prétexte que Madame X… ne peut être suivie dans le surplus de ses demandes indemnitaires fondées sur le caractère médicalement injustifié de la mesure, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1382 du code civil.
 

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 6 avril 2010.