CONGRÈS DU SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE
24-25 NOVEMBRE 2012
MOTION
Pour une nouvelle approche des soins psychiatriques sous contrainte
Après plus d’un an d’application de la loi du 5 juillet 2011 qui a profondément modifié le droit des soins contraints, il est temps de dresser un premier bilan et de formuler des propositions.
Cette loi, comme le Syndicat de la magistrature n’a cessé de le dénoncer, reste fortement marquée par l’empreinte sécuritaire de l’ère Sarkozy ; en témoigne l’inacceptable régime dérogatoire qui, sur la base d’une supposée plus grande « dangerosité » de certaines catégories de malades, rend particulièrement difficile leur sortie ; en témoigne également l’instauration de soins ambulatoires contraints jusqu’au domicile de l’intéressé. Ce régime dérogatoire n’a que trop partiellement été remis en cause par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 avril 2012.
Le rôle, sans équivalent dans d’autres pays, d’un représentant du pouvoir exécutif, le préfet (ou en urgence le maire ou le préfet de police de Paris) alors qu’il s’agit de porter atteinte à la liberté individuelle — ce au nom d’un « ordre public » dont les contours restent flous — n’a pas été remis en question, bien au contraire.
En outre, l’adoption de cette loi s’est faite dans un contexte d’imperméabilité aux expériences étrangères (telle que la législation belge) et à la recommandation européenne (Rec 2004 10) relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux.
Certes, sous la contrainte du Conseil constitutionnel, la loi a introduit un contrôle de plein droit par le juge des mesures d’hospitalisation complète prononcées par le Préfet ou par le directeur de l’hôpital, lorsque ces mesures se prolongent au-delà de 15 jours, contrôle renouvelé au bout de 6 mois.
Mais, pour permettre au juge de jouer pleinement son rôle constitutionnel de garant des libertés, encore conviendrait-il que l’institution judiciaire dispose de moyens suffisants pour appliquer le texte -ce qui est loin d’être le cas- que le malade soit pleinement informé de ses droits et qu’il puisse les exercer effectivement selon des modalités respectant sa dignité. Cela supposerait, tout spécialement, un véritable accès au juge dans des conditions compatibles avec la fragilité des personnes concernées, associé à une défense réelle, ce qui à ce jour est loin d’être assuré dans nombre de juridictions.
Par ailleurs, des aspects importants de la question ont été laissés de côté et spécialement le sort des personnes souffrant d’ »altération mentale, telle que la maladie d’Alzheimer, soumises à des enfermements non contrôlés.
Enfin, aucune réflexion sur la prise en charge globale des situations n’a été sérieusement menée : écoute des familles —afin notamment de tenter d’éviter la survenance de crise aigüe- intervention et accueil en urgence -notamment dans le but d’éviter le déclenchement d’une procédure de contrainte- prise en compte de la dimension sociale des situations etc.
Le Syndicat de la magistrature, réuni en congrès, demande qu’à l’occasion de la réforme rendue nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012 une réflexion approfondie soit menée et une large concertation mise en œuvre avec les juristes, les soignants, les usagers pour une approche nouvelle de la maladie mentale.
Il exige, afin qu’il soit mis fin à l’ordre sécuritaire en psychiatrie :
- La suppression du régime dérogatoire.
- L’exclusion du dossier des casiers judiciaires des personnes hospitalisées sous contrainte et l’abrogation des instructions données au greffe en ce sens.
- De nouvelles garanties légales pour l’hospitalisation en "Unité pour Malades Difficiles" (UMD) passant par la redéfinition des critères d’admission et l’instauration d’un recours spécifique devant le juge.
- L’exclusion expresse des comportements sociaux atypiques, conformément à la recommandation européenne (Rec 2004 10), des situations justifiant des soins contraints.
- L’abandon de toute possibilité de soins contraints en dehors de l’hôpital sauf sous forme de « sortie d’essai » d’une durée strictement limitée et soumise au contrôle du juge sur recours de la personne concernée.
- Le développement des politiques de soins en secteur afin de limiter de façon drastique le recours aux soins contraints.
Il demande que soient renforcés les droits des malades soumis à des soins sans consentement :
- Par la judiciarisation complète du processus.
- En avançant le deuxième contrôle obligatoire du juge à 3 mois.
- Par l’abandon du recours à la visio-conférence et la fixation de principe de l’audience à l’hôpital.
- Par une formation adaptée du juge intervenant dans ce type de contrôle.
- En prévoyant l’assistance obligatoire d’un avocat avec la mise en place d’une défense de la protection des malades mentaux à l’instar de ce qui existe pour les mineurs.
- En supprimant la nécessité de motiver l’acte d’appel, s’agissant d’un enjeu de liberté.
- En permettant aux mineurs et aux majeurs protégés d’exercer eux-mêmes leur droit d’appel.
- En installant des points d’accès au droit dans les établissements hospitaliers.
- En assortissant de nouvelles garanties pour le malade le recours à des mesures gravement attentatoires à leur liberté telles que la contention et la mise à l’isolement.
- En évitant de recourir, sans raisons strictement médicales, à la contention et à la mise à l’isolement comme outil de prolongation de la détention pour les personnes provenant d’établissements pénitentiaires.
- En étendant la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), aux institutions fermées accueillant des personnes souffrant de déficience mentale telle que la maladie d’Alzheimer.
- En permettant l’instauration d’une procédure spécifique de recours devant le Juge pour les personnes concernées par ce type de soins.
- En renforçant les pouvoirs des CDSP (Commissions départementales des soins psychiatriques) dont la composition doit être revue pour y donner plus de place à des personnes extérieures au monde médical (avocat, représentants d’usagers).
• CRPA : sur l’internement psychiatrique abusif et illégal