2012-10-02 - La loi du 5 juillet 2011, tournant sécuritaire et putsch judiciaire

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/RDjr5 ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/267

Document du mardi 2 octobre 2012
Article mis à jour le 28 août 2020
par  CRPA

Cet article a été publié dans le n°1, volume 89, janvier 2013, de L’Information Psychiatrique (revue mensuelle des psychiatres des hôpitaux) : www.jle.com

Voir également sur notre site : 2011-06-28 - Analyse par le CRPA de la nouvelle loi relative aux soins psychiatriques sans consentement.

Ainsi que : 2011-06-30 - Analyse du SPH • Psychiatrie sous contrainte : dernière chronique d’une déconfiture annoncée.


C.R.P.A. • Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie [1] Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | N° RNA : W751208044
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Représentée par son président André Bitton (même adresse)

André Bitton

Paris, le 29 septembre 2012

Ancien président du Groupe Information Asiles (GIA).

2013-01-01 Article publié dans l’Information psychiatrique nº 1, janvier 2013

Texte d’une intervention lors d’une session de l’Assemblée Générale du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), du mardi 2 octobre 2012, sur la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement.

TITRE : LA LOI DU 5 JUILLET 2011, TOURNANT SÉCURITAIRE ET « PUTSCH » JUDICIAIRE

RÉSUMÉ : La loi du 5 juillet 2011, est une loi contradictoire, entre une répression psychiatrique accentuée, et une affirmation des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte. Si le premier pôle de cette contradiction relevait de la volonté du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, ceux-ci ont dû instaurer le deuxième pôle de cette contradiction sans leur consentement.

1. — Une analyse par le CRPA de la loi du 5 juillet 2011

En ce qui me concerne, et suites à de multiples discussions que nous avons eues dans le CRPA, ainsi qu’avec les professionnels du droit et de la psychiatrie avec qui nous travaillons, je maintiens dans les grandes lignes l’analyse que j’avais faite suite à l’adoption en 3e lecture le 22 juin 2011, par le Parlement, de la loi du 5 juillet 2011, dans un communiqué du 28 juin 2011. Nous avions rendu public ce communiqué sur l’Internet du CRPA [2].

Nous vivons depuis le 1er août 2011, entrée en application de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, une contre réforme sécuritaire psychiatrique, contre balancée par une « révolution juridique » de l’hospitalisation sans consentement, adoptée par le Gouvernement et la majorité parlementaire de l’époque, sans leur consentement, par une sorte de « putsch » judiciaire. Ce coup de force judiciaire était basé sur des requêtes devant les hautes cours et, en l’espèce, devant le Conseil constitutionnel, d’une ancienne patiente psychiatrique, et de deux personnes encore internées au moment des décisions de justice en question, épaulées par le Groupe Information Asiles intervenant volontaire. Les requérants s’estimant victimes de l’arbitraire psychiatrique. Voir les décisions du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010, n°2010-71, QPC, Mlle Danielle S. [3] , et du 9 juin 2011, n°2011-135/140, M. Abdellatif B. et autre.

2. — Fond historique

Mais pour en arriver là, il avait fallu le travail lent et minutieux d’un bénévole associatif, sociologue et juriste, chargé de recherches au CNRS, Philippe Bernardet (décédé en 2007), épaulé par quelques avocats spécialisés, en très petit nombre d’ailleurs, à partir du terreau du Groupe Information Asiles (GIA) , que le CRPA a pris en relai à partir du printemps 2011 [4]. Il avait également fallu que nous nous mobilisions dés le printemps 2010, avec les quelques avocats avec qui nous étions en contact, pour introduire, dés que possible, dans toute affaire pouvant s’y prêter, des conclusions à fin de QPC. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris avait été amenée à statuer sur des conclusions à fin d’envoi d’une QPC dans l’affaire de M. J.-F. D., et avait rejeté cette demande dans un arrêt portant refus de transmission de la QPC, du 4 juin 2010 (Pôle 2, chambre 2, de la Cour d’appel de Paris, aff. n°10/03972 (QPC)).

Ces requêtes en nullité et en inconstitutionnalité du dispositif ancien de la loi du 27 juin 1990, ne pouvaient guère que rencontrer un écho favorable des magistrats du Conseil constitutionnel, vu l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les recommandations successives du Conseil de l’Europe, dont la recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 22 septembre 2004, et le développement du contentieux interne de l’hospitalisation sans consentement.

En effet, le contentieux interne, propre aux juridictions françaises, de contestation d’internements psychiatriques considérés par les personnes les ayant subis, comme abusifs ou illégaux, n’a cessé de croître du début des années 80 où il fût, comme je l’ai indiqué plus haut, systématisé par le Groupe Information Asiles (GIA) sous la houlette de Philippe Bernardet, épaulé par Me Corinne Vaillant du barreau de Paris.

Durant les années 2000, alors que je présidais le Groupe Information Asiles, nous avons mis sur pieds quelques modalités d’ un développement de ce contentieux, avec une autonomisation des procédures prises en charge de plus en plus directement par des avocats qui se formaient à notre contact, ou par le biais des jurisprudences que nous avions mises en circulation. Ainsi de Me Raphaël Mayet (du barreau de Versailles) qui, à partir de 2002, conjointement au Groupe Information Asiles que je dirigeais alors, a développé un étonnant travail de systématisation du dualisme juridictionnel propre au domaine, en obtenant des suspensions d’exécution d’internements psychiatriques en cours, par le biais de procédures de référé devant les tribunaux administratifs, argumentées des nullités de droit formel émaillant les pièces des internements en jeu. Quitte à faire consacrer certaines de ces suspensions en retournant devant le juge judiciaire pour contraindre des JLD plus que réticents à libérer des personnes que ces juges estimaient malades mentales. Les JLD s’appuyant essentiellement sur les certificats médicaux du dossier sans aucun regard critique. Me Raphaël Mayet a également développé, à partir des décisions d’annulation prises par la juridiction administrative, les « référés provision » destinés à faire indemniser les requérants par une provision indemnitaire, accordée par la juridiction des référés civils. Ce biais indemnitaire permettant de financer les actions indemnitaires définitives, pour des requérants qui, ayant été psychiatrisés, étaient fréquemment impécunieux, et relevaient le plus souvent de l’aide juridictionnelle.

En parallèle à ce qui devenait une efflorescence de la jurisprudence administrative et de celle judiciaire (dualité de compétence oblige), Philippe Bernardet obtenait des condamnations étonnantes et nombreuses devant les organes de la Cour européenne des droits de l’homme, essentiellement à partir de 1989 jusqu’à sa mort en 2007 [5] . Parmi ces nombreuses décisions une quinzaine de condamnations de la France pour délai déraisonnable, en matière de délai de traitement des demandes de mainlevée d’internement en cours d’exécution. Certaines demandes n’étant statuées qu’au bout de 7 mois, pour ne prendre que l’exemple de la décision S.U. contre France, du 10 octobre 2006 (requête n°23054/03).

Ce sont ces condamnations, qui s’accumulaient, qui ont contraint le Gouvernement à prendre des dispositions réglementaires pour rationaliser et accélérer, en l’encadrant dans des délais stricts, la saisine des juges des libertés et de la détention dans le contentieux de la levée des hospitalisations sans consentement. Voir le décret n°2010-526 du 20 mai 2010 relatif à la procédure de sortie immédiate des personnes hospitalisées sans leur consentement, annulé pour partie d’ailleurs par le Conseil d’état, par un arrêt n°341555, Groupe Information Asiles C/ Premier ministre, du 26 juillet 2011, alors même que la loi du 5 juillet 2011, en avait repris l’essentiel, mais cette fois par voie législative.

3. — L’adoption de la loi du 5 juillet 2011

La décision du Haut Conseil sur QPC du 26 novembre 2010, a contraint le Gouvernement et la majorité parlementaire UMP à judiciariser partiellement le dispositif de l’hospitalisation sans consentement, selon une lettre rectificative du 26 janvier 2011, du Ministère du travail, de l’emploi et de la santé. Cette lettre rajoutait au projet de loi initial du Gouvernement déposé le 5 mai 2010 à l’Assemblée Nationale, un pan inédit qui rendait (auto) contradictoire le futur texte de loi en y transposant la décision constitutionnelle du 26 novembre 2010.

En pratique, on a pu dire, à juste titre à mon sens [6] , que « la rédaction de cette loi s’est apparentée à une véritable tragédie classique. N’ont manqué ni la contrainte temporelle fixée au 1er aout par le Conseil constitutionnel, ni les passions ni les rebondissements, ni les trahisons, et au final, une scène totalement dévastée, des acteurs abasourdis par la violence des conflits, un niveau de défiance réciproque jamais atteint entre le gouvernement d’une part, les acteurs du soin et les associations de patients d’autre part, et une loi qui ne satisfait aucune des parties… » … « Cette réforme peut également être lue comme l’avatar du conflit de plus en plus frontal, qui se déroule sur l’autre scène, entre l’Élysée et le Conseil constitutionnel  » (Drs Didier Boillet et Bertrand Welniarz).

On relèvera, à ce sujet, que la réforme constitutionnelle de 2008 — suivie de la loi organique du 11 décembre 2009, qui légalisait la question prioritaire de constitutionnalité, laquelle était mise à effet par un décret du ministère de la justice n°2010-148 du 16 février 2010 — a rendu possible les QPC, et a ainsi conféré aux magistrats constitutionnels un pouvoir redoutable, celui de censurer l’Exécutif, et de lui donner ordre, ainsi qu’ au Parlement, de rectifier certains de ses textes. Avec la question prioritaire de constitutionnalité, les juges constitutionnels, et avec eux, l’univers juridique des gens de robe, ont fait irruption sur la scène psychiatrique, par une sorte de « putsch » judiciaire, mettant aux prises avec eux, des patients-requérants qui s’estiment avoir été victimes d’abus et d’arbitraire psychiatriques. Alors même que ces voix avaient été, jusque là, très strictement cantonnées, tant par les institutions psychiatriques que par les administrations et les différents gouvernements en place depuis le tournant de 1996-1997. En effet, les administrations et les gouvernements en place depuis la réforme par ordonnance de la sécurité sociale de 1996, et l’inclusion obligatoire dans les conseils d’administration des hôpitaux, de représentants des patients, n’ont eu de cesse que d’étouffer les protestations dans nos rangs, en intronisant et en aidant à la naissance et au développement, par le biais de subventions sur les fonds publics, des associations de patients, dont les responsables ont été, dans l’ensemble, au regard des pouvoirs en place, administratifs, institutionnels et politiques, dans toute une compliance, voire dans toute une complaisance, dont les patients psychiatriques en l’espèce, dans leurs droits concrets de patients, ont parfois terriblement pâti. Il faut observer, à ce sujet, que cette situation de non représentation de nos voix, est également un élément de fond, de l’ensemble de la scène du coup de force des QPC de novembre 2010 et juin 2011. Des voix inattendues, de patients involontaires et non crédités officiellement, se sont faites entendre.

La scène psychiatrique a donc été, parmi les principales scènes de cette affirmation, ces dernières années, d’un pouvoir judiciaire autonome, garanti par le Conseil constitutionnel, pouvant s’opposer tant à l’exécutif qu’au Parlement. A travers cette affirmation d’un pouvoir judiciaire autonome et indépendant, c’est également la prééminence du droit qui est affirmée (y compris sur le terrain psychiatrique), et en l’espèce, la garantie, qui manquait jusque là, que les malades mentaux puissent concrètement bénéficier de ces droits fondamentaux. Cet apport formant effectivement, pour la France, une « révolution juridique » dans le champ psychiatrique.

Au total, la loi du 5 juillet 2011, dans son élaboration parlementaire - comme l’ ont dit, très justement, MM. Mathieu Bellahsen, Victor Brunessaux et Serge Klopp, tous trois membres du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, dans la revue « Soins psychiatrie », n°281, juillet-aout 2012, page 18 à 21 - « …suit deux logiques distinctes : celle du pan sécuritaire et celle de la protection des personnes par l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) … Le programme de soins s’inscrit alors comme un internement au domicile, spoliant la sincérité de la relation de confiance recherchée par les soignants … Dans les faits, la loi [du 5 juillet 2011] sera donc un patchwork entre deux logiques distinctes voire antagonistes : d’une part, le pan sécuritaire avec le renforcement de la contrainte et du contrôle social des patients pressentis comme une menace pour la société ; d’autre part, celui de la protection de la liberté des personnes internées contre leur gré, supposé garanti par l’intervention du JLD ».

4. — Un premier bilan de la loi du 5 juillet 2011 ?

À l’heure actuelle, nous n’avons pas connaissance des statistiques du Ministère de la justice, ainsi que celles du Ministère des affaires sociales et de la santé, sur le bilan sur un an d’exercice, de cette loi. Notamment en ce qui concerne le nombre de contrôles opérés par les juges des libertés et de la détention, ainsi que le nombre de mainlevées que ces mêmes juges ont pu accorder, ou bien celui des programmes de soins ambulatoires ou en hospitalisation à temps partiel.

Une première estimation du volume des hospitalisations sans consentement sur l’exercice 2011, rendue publique le 31 juillet 2012 par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) [7] , indique tout de même que les hospitalisations à la demande d’un tiers en 2011, sont en baisse de 10,3 %, les hospitalisations d’office en baisse de 2,4 %, celles faisant à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité étant en baisse de 5,1 %. On note en même temps, une hausse des hospitalisations libres de 1,7 %. Ces chiffres étant établis en comparaison de ceux de 2010, alors même qu’en 2010 nous avons connu une hausse très conséquente des hospitalisations sans consentement.

Est-ce là un effet de l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011 qui, de par la complexification de la procédure de contrainte aux premiers jours de l’hospitalisation sous contrainte à temps complet, aurait ainsi provoqué un début de déflation du nombre des mesures de contrainte psychiatrique ? Nous manquons de recul et de données pour l’affirmer. Mais si tel était le cas, ce serait déjà cela d’acquis. Un tel état de fait, s’il était confirmé, militerait pour le maintien d’une certaine complexité des procédures d’hospitalisations sans consentement et de contrainte aux soins.

Mais bien sûr, tout cela se fait sur le contrepoint terrible de ces perpétuités psychiatriques désormais possibles, pour des faits pas mêmes criminels, vu l’obligation des avis conjoints du collège de trois soignants, interne à l’hôpital, et de deux avis de psychiatres experts extérieurs à l’établissement désignés sur une liste du procureur de la république, dans les cas des pénaux irresponsables, ou ayant un tel passif, dans celui également de ceux qui sont internés ou ont été internés plus d’un an en Unité pour malades difficiles (UMD), dans un délai antérieur de 10 ans.

Nous sommes, sur ce point, dans l’attente de savoir ce que le ministère des affaires sociales et de la santé, entendra prendre comme dispositions protectrices pour les droits fondamentaux de ces personnes, suite à la décision n°2012-235 sur une QPC du CRPA, du Conseil constitutionnel, du 20 avril 2012, qui a censuré le point II.— de l’article L. 3211-12, et l’article L. 3213-8 du code de la santé publique.

5. — Conclusion

Si la répression psychiatrique frappe plus durement qu’avant les populations visées sur bien des aspects, et si cette répression est plus ouvertement médicamenteuse qu’elle n’a pu être formalisée dans le texte de loi précédent du 27 juin 1990, il n’en reste pas moins qu’une percée judiciaire s’est opérée à la faveur des deux QPC du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011, qui constituent une brèche authentique pour un développement des luttes juridiques en faveur des droits fondamentaux des personnes soumises à la contrainte psychiatrique.

En tout cas cette loi n’a pas été une victoire du gouvernement de N. Sarkozy et de sa majorité, qui ont du adopter sous la contrainte des décisions du Conseil constitutionnel, les dispositions de judiciarisation partielle de l’hospitalisation sans consentement, contenues dans ce texte.

Est-ce pour autant une victoire univoque - en tant que telle - pour les droits des patients psychiatriques ? Non, bien sûr, vu les hypothèques et les chausse trappes importants placés dans cette loi. Voir par exemple les programmes de soins « sans contrôle » (pour ainsi dire), le durcissement considérable dans l’octroi des levées des mesures prises d’office, ou la création d’un nouveau mode d’hospitalisation à la demande d’un tiers d’urgence et sans tiers, le mode du soin en cas de péril imminent sans tiers.

Pour nous, de ce côté-ci de la barrière des soins, du côté des (ex-)patients, la loi du 5 juillet 2011, est cette contradiction en acte, entre la répression psychiatrique et une affirmation des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sous contrainte.


[1Le CRPA est membre du Réseau Européen des Usagers et Survivants de la Psychiatrie (E.N.U.S.P.)

[3Voir Revue de Droit Sanitaire et Social (RDSS), n°2, 2011, pages 304 à 311.

[4Voir de Philippe Bernardet, Les dossiers noirs de l’internement psychiatrique. Fayard. 1989 (épuisé).

[5Voir de Philippe Bernardet, Thomaïs Douraki, et Corinne Vaillant : Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe. Eres, 2002.

[7Cf. une dépêche de l’Agence Presse Médicale (APM), du 2 août 2012, 18h54 : Psychiatrie : hospitalisations en hausse de 0,3 % dans le public et de 3,1 % dans le privé (ATIH).


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