2012-07-16 Conseil d’état • Compétence judiciaire pour la contestation des traitements dans les soins sous contrainte

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/znrjp ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/254

Document du lundi 16 juillet 2012
Article mis à jour le 27 août 2020
par  CRPA

Sur notre site, voir également : 2012-08-02 La CAA de Nancy précise la jurisprudence dans l’hospitalisation sur demande d’un tiers d’urgence.


Cet important arrêt du Conseil d’État nous fait faire un pas supplémentaire dans la perspective de l’unification du contentieux de l’internement psychiatrique à dater du 1er janvier 2013. Cette unification, décidée par le Législateur sur pression du Conseil constitutionnel et des requérants, dans l’article L 3216-1 de la loi du 5 juillet 2011, rend compétente la juridiction judiciaire pour l’ensemble du contentieux sur les mesures de contrainte psychiatrique.

Résumé de cet arrêt qui, d’ailleurs, prend appui sur la décision 2012-235 du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012 sur une QPC du CRPA :

"7. — Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le législateur a entendu donner compétence à l’autorité judiciaire pour apprécier le bien-fondé de toutes les mesures de soins psychiatriques sans consentement, qu’elles portent atteinte à la liberté individuelle ou non ;

que l’appréciation de la nécessité des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de personnes qui font l’objet de tels soins, pour autant qu’elle relève du contrôle du juge, de même que, le cas échéant, celle de la capacité de ces personnes à y consentir, sont étroitement liées à celle du bien-fondé des mesures elles-mêmes ; qu’en particulier, dans l’hypothèse où un patient qui ne fait pas l’objet d’une hospitalisation complète refuse de se soumettre au traitement jugé nécessaire à son état par l’établissement d’accueil et où la forme de sa prise en charge est par suite modifiée pour procéder à une hospitalisation complète, le juge des libertés et de la détention doit se prononcer sur cette mesure dans un délai de quinze jours ; qu’il suit de là que le juge administratif n’est manifestement pas compétent pour connaître du bien-fondé des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de patients faisant l’objet d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans leur consentement .".


Source : Cet arrêt est disponible sur Legifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/affic…

Conseil d’État

N° 360793

Inédit au recueil Lebon

Juge des référés

Mme Pascale Fombeur, rapporteur

LE PRADO ; SCP PEIGNOT, GARREAU, BAUER-VIOLAS, avocat(s)

lecture du lundi 16 juillet 2012

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la requête et le mémoire, enregistrés le 6 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier, dont le siège est 108, avenue du Général Leclerc, BP 60321 à Rennes (35703), représenté par son directeur ; le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier demande au juge des référés du Conseil d’État :

1° d’annuler l’article 1er de l’ordonnance n° 1202373 du 18 juin 2012 par lequel le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de ne pas procéder à l’augmentation de la dose de Risperdal administrée à Mme Nadège A ;

2° de rejeter la demande présentée par Mme A devant le juge des référés ;

il soutient que :

— la requête de Mme A ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ;

— l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle méconnaît l’existence de dispositions propres aux personnes atteintes de troubles mentaux, qui ne peuvent exprimer un consentement éclairé aux soins dont elles ont besoin ;

— elle méconnaît l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de justifier le bien-fondé de la décision contestée du fait du secret médical ;

— elle est insuffisamment motivée et méconnaît les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la gravité de l’atteinte à une liberté fondamentale n’étant pas établie ;

— la décision d’augmenter la dose de Risperdal administrée à Mme A ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté de consentir au traitement médical ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2012, présenté pour Mme A, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier, à verser à la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; elle soutient que :

— la décision du centre hospitalier spécialisé est manifestement illégale dès lors qu’elle n’est plus en hospitalisation complète et que la preuve n’est pas apportée que ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ou qu’ils compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public ;

— la décision porte une atteinte grave à son intégrité physique ;

— sa demande n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif ;

Vu la demande d’aide juridictionnelle, enregistrée le 12 juillet 2012, présentée pour Mme Azéma ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier et, d’autre part, Mme A ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du 12 juillet 2012 à 15 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

— Me Le Prado, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier ;

— Me Garreau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de Mme A ;

et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ;

1. Considérant qu’il y a lieu d’admettre Mme Azéma à l’aide juridictionnelle provisoire ;

2. Considérant que Mme Azéma, après avoir été placée en détention provisoire et hospitalisée en raison de ses troubles mentaux, a été placée sous contrôle judiciaire par arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Caen du 30 juin 2009 ; qu’en dernier lieu, il lui a été fait obligation, par ordonnance du juge d’instruction du 29 septembre 2009, de résider au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier de Rennes, de se soumettre à des mesures d’examen, de traitement ou de soins de nature médicale ou psychologique sous le régime d’hospitalisation et d’en justifier tous les 15 jours par la transmission d’un certificat de l’hôpital ; que le préfet d’Ille-et-Vilaine, qui avait prononcé son admission en soins psychiatriques dans ce centre, puis décidé, par arrêté du 28 juillet 2011, sa prise en charge en soins psychiatriques sous une forme autre que l’hospitalisation complète, a de nouveau décidé sa prise en charge sous la forme d’une telle hospitalisation par arrêté du 1er juin 2012 ; que, toutefois, le délégué du premier président de la cour d’appel de Rennes, statuant en appel du juge des libertés et de la détention, a ordonné le 28 juin 2012 la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète ; que, par arrêté du 4 juillet 2012, le préfet d’Ille-et-Vilaine a décidé la prise en charge de Mme Azéma sous une autre forme, sur la base d’un programme de soins prévoyant l’hospitalisation au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier, trois demi-journées de sortie seule dans la ville de Rennes et l’administration d’un traitement médicamenteux à l’hôpital ;

3. Considérant que, dans le cadre du programme de soins établi pour sa prise en charge sous une forme autre que l’hospitalisation complète, Mme Azéma recevait une injection de Risperdal de 37,5 milligrammes tous les 15 jours ; que le médecin responsable de sa prise en charge a décidé d’accroître le dosage de ce médicament pour le faire passer à 50 milligrammes à compter du 15 juin 2012 ; que Mme Azéma s’est opposée à cette augmentation et a saisi, le 14 juin 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en invoquant l’atteinte grave et manifestement illégale que cette mesure porterait au droit pour un patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical ; que, par ordonnance du 18 juin 2012, le juge des référés a enjoint au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier de ne pas procéder à l’augmentation de dosage envisagée ; que le centre fait appel de cette ordonnance ; qu’il confirme, malgré les modifications intervenues entre temps dans les modalités de prise en charge de l’intéressée, son appréciation selon laquelle l’état de santé de Mme Azéma rend nécessaire l’augmentation du dosage de son traitement par Risperdal ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) “ ; que les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative ;

5. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 3211-2-1 du code de la santé publique qu’une personne admise en soins psychiatriques sur décision du préfet est prise en charge soit sous la forme d’une hospitalisation complète dans un établissement chargé d’assurer cette mission, soit sous une autre forme incluant des soins ambulatoires et pouvant comporter des séjours dans un tel établissement ; qu’en vertu de l’article L. 3211-11 du même code, le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient propose l’hospitalisation complète de ce dernier lorsqu’il constate que la prise en charge décidée sous une autre forme ne permet plus, notamment du fait de son comportement, de dispenser les soins nécessaires à son état ; qu’en application des dispositions des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 de ce code, le juge des libertés et de la détention peut être saisi à tout moment aux fins d’ordonner la mainlevée d’une mesure de soins psychiatriques quelle qu’en soit la forme et, en outre, se prononce sur toute mesure d’hospitalisation complète avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la décision d’admission ou de modification de la forme de la prise en charge du patient procédant à son hospitalisation complète ;

6. Considérant que, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a jugé par sa décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, il résulte de la combinaison des articles L. 3211-2-1, L. 3212-1 et L. 3213-1 du code de la santé publique qu’une personne atteinte de troubles mentaux peut être soumise sans son consentement à des soins dispensés par un établissement psychiatrique, même sans hospitalisation complète, à la condition que “ ses troubles mentaux rendent impossible son consentement “ à des soins alors que “ son état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante “ ou bien que ces troubles “ nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public “ ; que, toutefois, aucune mesure de contrainte à l’égard de la personne ne peut être mise en œuvre à moins qu’elle ne soit prise en charge sous la forme d’une hospitalisation complète ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le législateur a entendu donner compétence à l’autorité judiciaire pour apprécier le bien-fondé de toutes les mesures de soins psychiatriques sans consentement, qu’elles portent atteinte à la liberté individuelle ou non ; que l’appréciation de la nécessité des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de personnes qui font l’objet de tels soins, pour autant qu’elle relève du contrôle du juge, de même que, le cas échéant, celle de la capacité de ces personnes à y consentir, sont étroitement liées à celle du bien-fondé des mesures elles-mêmes ; qu’en particulier, dans l’hypothèse où un patient qui ne fait pas l’objet d’une hospitalisation complète refuse de se soumettre au traitement jugé nécessaire à son état par l’établissement d’accueil et où la forme de sa prise en charge est par suite modifiée pour procéder à une hospitalisation complète, le juge des libertés et de la détention doit se prononcer sur cette mesure dans un délai de quinze jours ; qu’il suit de là que le juge administratif n’est manifestement pas compétent pour connaître du bien-fondé des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de patients faisant l’objet d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans leur consentement ;

8. Considérant que, dès lors, le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier est fondé à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, qui n’était pas compétent pour en connaître, a fait droit à la demande de Mme Azéma tendant à ce qu’il lui soit enjoint de pas procéder à l’administration forcée de Risperdal au dosage de 50 milligrammes ;

9. Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat de Mme Azéma ;

O R D O N N E :

Article 1er : Mme Azéma est admise à l’aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : L’article 1er de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes du 18 juin 2012 est annulé.

Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par Mme Azéma devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes tendant à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier de pas procéder à l’administration forcée de Risperdal au dosage de 50 milligrammes sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas au titre des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier et à Mme Nadège A.