2012-04-05 Témoignage de Patricia sur sa psychiatrisation

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/baC2Y ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/229

Document du jeudi 5 avril 2012
Article mis à jour le 19 septembre 2020
par  CRPA

tem : Témoignages.

Sur un sujet connexe, voir aussi : 2011-11-10 Comment les centres psychiatriques rendent les gens… fous .


Témoignage de Patricia sur sa psychiatrisation

Le 5 avril 2012

Mon parcours en psychiatrie commence en début d’année 1977. À l’époque, j’avais 23 ans et j’étais comme tout le monde… Je travaillais comme secrétaire intérimaire et vivais en couple. Je devais me marier cette même année. Concernant le travail, je tiens à souligner que je n’ai pas choisi mon métier. J’aurais aimé faire des études de lettres, une école de journalisme pour devenir reporter photographe. Cependant, il me fallait travailler assez vite. Après le bac et l’obtention d’un BTS secrétariat de direction, j’ai travaillé 2 ans à la direction d’une société d’import export. J’avais quelques responsabilités et mon travail ne me déplaisait pas. J’ai démissionné pour rejoindre l’homme de ma vie au bout du monde. Nous avons voyagé un an ensemble, travaillé 3 mois en Australie afin de continuer. Nous nous sommes séparés et je suis rentrée à Paris en mai 76 et j’ai emménagé peu de temps après avec mon nouveau compagnon.

Mais durant l’automne de cette même année, j’ai commencé à me sentir mal dans ma peau, mal dans la foule parisienne, mal dans mon travail qui était bien moins intéressant que mon premier poste. Je me sentais à côté de la plaque au milieu de mes collègues. Je n’étais plus très bien non plus avec mon ami. Bref, j’étais plutôt déprimée. Puis j’avais tendance à tout interpréter. J’avais aussi la nostalgie des îles lointaines. J’étais très fatiguée. Comme c’est souvent le cas, personne de mon entourage n’a vu ou voulu voir mon mal-être. Je suis sûre qu’un médecin, psychiatre ou non, aurait pu m’aider à ce moment-là et m’éviter la suite.

J’ai fini par péter les plombs. Je crois à cette idée que le délire est une espèce de fuite d’une réalité devenue insupportable. Je suis partie de chez moi en robe de chambre. De fil en aiguille, je me suis retrouvée au CPOA où ma mère a signé mon internement (HDT) et j’ai été dirigée à Maison Blanche.
C’est triste de réaliser, avec le recul, que les services se suivent et ne se ressemblent pas. Tout, ou presque, dépend du médecin-chef. On ne choisit pas — sectorisation oblige.

Je n’ai pas un mauvais souvenir de cette première hospitalisation si ce n’est cette sensation d’être droguée par des médicaments. Le médecin-chef était très humain. J’étais dans un service ouvert relativement calme. Au bout de 5 semaines, trouvant que ce n’était pas ma place, le médecin m’a envoyée en maison de repos post-cure psy pour plus d’un mois. Malheureusement, je me suis heurtée à un directeur qui dirigeait un très bel endroit mais de façon froide et très rigide. Dès le début, j’ai eu l’art de me promener dans le parc, malgré moi, dans les endroits qui lui étaient réservés. Il y avait une très belle bibliothèque mais les livres n’étaient pas pour nous. On pouvait juste les regarder à travers la vitrine mais pas les emprunter. J’ai eu l’impression d’être un enfant devant une pâtisserie et que j’avais juste le droit de regarder les gâteaux appétissants. Quelle frustration ! Même si tout cela semble n’être que des détails, j’en ai eu vite marre j’ai eu des prises de bec avec ce directeur et, sur un coup de tête, j’ai demandé ma sortie. Bien mal m’en a pris ! Je n’étais plus délirante mais un peu up comme on dit et dans ce cas, il ne faut pas trop me chercher… Le psychiatre n’était pas favorable mais après une courte semaine de repos m’a laissé partir.

Excusez-moi d’avoir été un peu longue mais ceci fait partie de mon parcours en psychiatrie. Si j’étais restée le temps prévu dans cette maison de repos, je serais sortie dans de meilleures conditions.

Je ne voulais plus entendre parler de mariage, me suis séparée de mon ami et j’ai emménagé dans une petite chambre d’hôtel meublée, assez minable mais j’étais ravie de savourer une liberté retrouvée après plusieurs semaines d’enfermement. J’ai arrêté les médicaments. J’étais tellement mieux sans ! avaler des neuroleptiques vous met dans un tel état (j’y reviendrai) que vous n’avez pas envie de continuer à les prendre. J’étais complètement livrée à moi-même. J’étais en arrêt de travail mais ce travail était précaire étant intérimaire et la société était partie sans laisser d’adresse. Avoir un travail fixe est facile de le reprendre après un arrêt maladie. Dans mon cas, c’était bien différent. Au bout de quelques mois, j’ai pété les plombs pour la deuxième fois et dus être à nouveau hospitalisée. Ayant changé d’arrondissement, j’ai aussi changé de secteur et je suis tombée, si je puis dire, sur le pire médecin-chef de Maison-Blanche, cité d’ailleurs par M. Bernardet dans ses « Dossiers noirs de la psychiatrie » pour, entre autres, avoir fait de faux certificats pour des internements arbitraires. L’interne qui m’a prise en charge était assez humain mais sans expérience et sous la coupe de son chef. Il a toujours eu la réputation de garder très longtemps ses patients (j’en ai fait les frais) même en service libre, j’avais la stricte interdiction de sortir — c’était la consigne. C’est à ce moment là qu’a réellement commencé l’enfer. J’étais dans un pavillon fermé et une terrible promiscuité y régnait. On me forçait à avaler tous les médicaments ou presque qui existaient en la matière un peu comme un cobaye sur lequel on fait certaines expériences (je ne pense pas être très loin de la vérité) et j’allais de plus en plus mal. J’étais une espèce de zombie mais zombie qui pouvait devenir enragé à certains moments. J’avais beau dire et redire que ces traitements étaient bien trop forts, que je n’arrivais plus à saliver (j’ai fini par perdre mes dents à cause de ça), à voir, écrire et parler normalement, le médecin ne changeait rien au traitement. Les mots que j’essayais de faire sortir de ma bouche étant incompréhensibles, je devais faire un effort pour crier afin qu’ils soient plus audibles et, évidemment, on voyait là un signe supplémentaire d’agitation, tout comme les impatiences (effet secondaire pénible des neuroleptiques) et on augmentait les doses de médicaments. Oui, j’ai bien connu les soins sans consentement ! J’ai pu constater aussi que c’était plus souvent la tranquillité du personnel et du pavillon qui était recherchée avant le bien du patient. J’ai souvent été victime de chantage à la piqûre « vous refusez le traitement vous le recevrez sous forme d’injection ». J’ai été attachée plusieurs fois et enfermée dans la chambre d’isolement à la porte vitrée située dans un passage très fréquenté et personnel et patients pouvaient profiter du spectacle. Une chambre, un lit scellé et un seau. Rien de plus. Un patient qui tourne comme un ours en cage quand il n’est pas attaché. J’ai entendu dans certains reportages que le personnel avait très exceptionnellement recours à ces méthodes barbares. Mon expérience me pousse à dire le contraire. Par exemple, à la suite d’un propos un peu déplacé — on m’avait mise à bout — comme punition j’ai été enfermée à double tour pendant une semaine. Façon de dire « on va t’apprendre à respecter le personnel ». Mais qu’en est-il donc du respect des patients ? Quelles sanctions à ceux qui traitent de façon inhumaine ceux qui sont en position de faiblesse ?

Il y a toutes sortes de maltraitance verbales et autres. J’ai entendu un infirmier dire à un patient, à propos de nourriture « c’est bien assez bon pour toi », à moi qui me plaignais d’une injustice « on a de quoi vous faire taire ». À ma deuxième hospitalisation, un infirmier s’est précipité sur moi quand j’étais sous la douche. Un autre a failli me casser le poignet. Un élève infirmier m’a giflée un jour dans le parc parce qu’il me trouvait insolente. J’ai aussi connu du personnel infirmier vraiment humain qui, malheureusement, pour certains, finissaient par se complaire dans une espèce de routine du style gardien de prison et distributeur de médicaments.

Pour en revenir aux médicaments, il faut savoir aussi qu’on doit associer d’autres médicaments devant corriger des effets secondaires particulièrement pénibles des neuroleptiques(entre autres, troubles parkinsoniens, dyskinésie, sécheresse de la bouche, impatiences, baisse de tension, constipation opiniâtre, etc.). Pour la prise de poids, le régime alimentaire n’est pas suffisant. D’autres effets secondaires sont particulièrement difficiles à vivre comme le fait de ne plus se sentir soi-même, être au ralenti, abruti, sans désir. Il y a aussi certains neuroleptiques qui m’ont donné des hallucinations !

Ah oui ! ce que je sais du diagnostic posé à l’époque : bouffées délirantes. Les bouffées délirantes sont très vite stoppées par les neuroleptiques . Pourquoi continuer le même traitement lourd pendant des années voire à vie. Il y a des patients qui ne délirent qu’une fois dans leur vie. Certains prennent des médicaments toute leur vie sans que personne n’ait la certitude que ce soit indispensable. Entre ces périodes de délire (très courtes), j’ai traversé de longues périodes de profonde dépression soignée aussi avec des neuroleptiques + des antidépresseurs qui souvent me précipitaient à nouveau en plein délire (effet secondaire des antidépresseurs).

Chaque patient réagit différemment aux médicaments et ce n’est pas suffisamment pris en considération.

Au bout de plusieurs années, on a posé le diagnostic de « psychose maniaco-dépressive » et on m’a donné du lithium qui ne m’a pas vraiment réussi, alors les médecins ont essayé un autre thymo-régulateur. J’ai fait d’autres rechutes puis 3 tentatives de suicide dont une m’a laissée une semaine dans le coma. Je me suis toujours relevée mais les traces laissées par des internements abusifs et ce que j’ai vu à l’hôpital, les traitements, abusifs eux aussi, ont laissé des traces indélébiles et m’ont gâché la vie car j’ai l’intime conviction que malgré mon problème de santé mentale que j’ai fini par reconnaître et accepter, le cours de ma vie aurait été bien différent si j’avais été soignée autrement.

Je comprends, j’admets qu’on doive parfois donner des soins sans consentement quand une personne est en état de crise — c’est une urgence. Mais, après ? Il faudrait chaque jour revoir le traitement avec le patient et très vite diminuer les doses ? Les neuroleptiques font partie de la classe des stupéfiants [1]. Le mot en dit long…

En période maniaque, je suis très speed, difficile à suivre, parfois acerbe mais jamais violente mais dès qu’on fait preuve d’injustice, qu’on m’enferme et qu’on me fait prendre de force des médicaments, je sors de mes gonds. D’ailleurs, je vous demande qui ferait autrement. Avec le temps, j’ai appris qu’il fallait faire le mort quand on était enfermé même en cas de besoin (de l’eau par exemple). Plus on cogne sur la porte (il y a de quoi), plus longtemps on reste enfermé. Je peux vous assurer que mon état d’agitation à l’hôpital était avant tout une réaction face à l’injustice et aux médicaments et à la rage de subir de tels traitements. Mon entourage a toujours remarqué que j’étais encore plus mal après quelques jours d’internement qu’en entrant. On est en droit de se poser quelques questions… L’hôpital psychiatrique est un lieu de non-droit où vous perdez bien sûr votre liberté mais aussi votre dignité et souvent l’espoir de vous en sortir. Le véritable soin ne semble pas la première des préoccupations.

Depuis 1977 jusqu’à ce jour, je totalise environ 15 années d’internement, dont plus d’un an d’affilée car je n’avais pas de logement. À peine moins d’années de soins sans consentement. À l’âge de 30 ans, on m’a mise en invalidité et j’étais incapable de réagir à cette décision étant dans une profonde dépression.

Si je vais mieux aujourd’hui, c’est grâce à de belles rencontres, à ma conviction qu’un psychiatre n’a pas toujours raison, qu’il n’est pas tout-puissant. C’est aussi grâce à ma lutte et à mon amour de la vie malgré tout. Depuis 2 ans, je vais mieux… Je prends régulièrement un thymo-régulateur mais je n’ai plus de suivi au CMP depuis plusieurs mois et je ne m’en porte pas plus mal. J’ai fini par réaliser que j’étais mon meilleur médecin. Consciente de ma fragilité, j’ai appris à être vigilante et à éviter les situations trop stressantes et tout facteur de risque de déstabilisation y compris familial. Depuis deux ans aussi, je suis traitée pour un dysfonctionnement thyroïdien et la thyroïde joue sur l’humeur. Mon mieux-être a sans doute un rapport aussi avec ce traitement. Je sais que je ne suis pas à l’abri d’une rechute et que mon combat doit être quotidien mais je parviens à vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête.

Si j’avais tout accepté, si j’avais suivi à la lettre les ordonnances de certains psychiatres, je peux vous assurer que, soit je ne serais plus de ce monde, soit je croupirais au fin-fond d’un hôpital ou d’une structure d’accueil, je pèserais plus de 100 kg, je serais un vrai zombie et je coûterais bien plus cher à la société. Je reconnais malgré tout que certaines hospitalisations et traitements sans consentement étaient plus que nécessaires. C’est le terrible abus que je condamne.
Certes, les troubles mentaux existent et il est nécessaire de les traiter, même sans consentement d’autant plus lorsqu’un patient risque de mettre sa vie ou celle d’autrui en danger mais il est indispensable d’écouter, avec humanité, la parole des personnes en grande souffrance psychologique… de tenir compte des effets secondaires, parfois irréversibles, des médicaments.

Plutôt que de mettre de plus en plus de nouveaux médicaments sur le marché à l’efficacité souvent douteuse mais enrichissant les laboratoires, il serait bon de tenter de nouvelles approches thérapeutiques.
Un malade mental est avant tout un être humain ! ne pas l’écouter ne peut qu’aggraver son cas et empêcher l’avancement de la recherche en psychiatrie.



[1des psychotropes en fait dont certaines molécules sont classifiées stupéfiants