2012-03-16 - Crispations entre le GH Paul-Guiraud et le TGI de Créteil sur les audiences de patients

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/5ch3h ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/221

Document du vendredi 16 mars 2012
Article mis à jour le 28 août 2020
par  CRPA

Note par le CRPA : Nous ne pouvons que nous réjouir des décisions de mainlevée décidées par les JLD de Créteil, au motif d’une violation du principe du contradictoire, les patients internés au CHS Paul-Guiraud Villejuif n’étant pas envoyés à leur audience depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011, le 1er août 2011. Nous estimions, très légitimement depuis la rentrée 2011 qu’il ne restait plus guère que cette solution pour contraindre les directions hospitalières et les services psychiatriques à obtempérer à l’obligation de présenter les patients internés aux audiences de contrôles de plein droit. Ces audiences ont d’ailleurs été instaurées en faveur des internés, pour leur permettre d’exercer leurs droits de recours, et non pour les accuser et les stigmatiser. Ces audiences font en effet partie, des procédures d’habeas corpus actuellement en place, en faveur des personnes internées sous le régime de l’hospitalisation sans consentement à temps complet.

Lire également sur ce sujet : 2012-02-17 - À Créteil, la justice débordée par l’afflux de patients en psychiatrie (AFP).

Ainsi que 2011-09-15 - Soins sans consentement en psychiatrie : la loi appliquée dans des conditions très difficiles (APM).

Et 2011-10-25 - En pyjama devant monsieur le juge • Un reportage de Libération sur la judiciarisation en cours.


APM, 2012-03-16 — Psychiatrie : crispations entre le Groupe Hospitalier Paul-Guiraud et le tribunal de Créteil sur les audiences de patients

APM, par Hélène Mauduit, Grand Reporter
Vendredi 16 mars 2012 - 13h35

Le groupe hospitalier Paul-Guiraud de Villejuif est confronté à une crispation des magistrats du Tribunal de grande instance (TGI) de Créteil sur la tenue des audiences en présence des patients en soins sous contrainte en psychiatrie, a-t-on appris vendredi auprès de l’hôpital.

Depuis mardi, cinq décisions de mainlevée ont été prises par les juges des libertés et de la détention (JLD) de Créteil concernant cinq patients (deux mardi et trois jeudi) au motif de leur absence à l’audience, qui se tenait au tribunal, a rapporté à l’APM le directeur du GH Paul-Guiraud, Henri Poinsignon.

Pour éviter de nouvelles mainlevées, les quatre patients dont le dossier devait être examiné vendredi matin ont été transportés, accompagnés par douze soignants, le président de la commission médicale d’établissement (CME), le Dr Bernard Lachaux, et un directeur adjoint de l’hôpital.

Dans les décisions de mainlevée prononcées, « les juges ont estimé qu’il y avait non respect du principe du contradictoire alors même que les patients étaient représentés par un avocat commis d’office », indique Henri Poinsignon.

À chaque fois, le procureur a fait appel de la décision en indiquant qu’il était suspensif mais chaque dossier a dû être géré dans l’urgence. Plusieurs actes de procédures doivent être effectués dans un délai très contraint, notamment informer le patient dans un délai de deux heures après la décision de la mainlevée et de l’appel du parquet pour qu’il puisse faire valoir ses observations.

"Nos médecins étaient hier soir à 21 heures dans les services pour informer les patients et recueillir leurs observations. Toutes les démarches doivent être tracées et figurer dans le dossier. Si cela continue, nous allons nous retrouver en train de réveiller les patients la nuit pour les informer", déplore Henri Poinsignon.

Dans un cas, les médecins ont obtenu de faire passer un patient en soins libres mais, dans les autres cas, une audience aura lieu dans les prochains jours devant la Cour d’appel de Paris.

Ces mainlevées sont intervenues alors que l’hôpital avait justifié l’absence des patients, selon des mêmes modalités en vigueur depuis plusieurs mois et qui semblaient acceptées par les juges, souligne Henri Poinsignon.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, les juges de Créteil ont refusé de se déplacer pour les audiences à Villejuif (distant d’une dizaine de kilomètres), malgré l’aménagement d’une salle d’audience sur place. Ils ont refusé de tenir des audiences par visioconférence, indique-t-il.

Ne pouvant faire face à l’organisation de tous les transports de patients (753 dossiers examinés entre août 2011 et le 31 janvier 2012), le GH Paul-Guiraud a adopté une position consensuelle sur la conduite à tenir : soit le médecin fournit un certificat quand il existe une contre-indication médicale à la participation à une audience ; soit la direction produit une lettre indiquant quatre raisons pour lesquelles le patient ne peut pas être transporté.

Les quatre raisons sont : rupture dans la continuité des soins du fait du transport ; problème de sécurité ; atteinte à l’intimité des patients en raison du caractère public de l’audience ; risque juridique pour l’hôpital qui est responsable des éventuels dommages causés par le patient.

Henri Poinsignon souligne que les patients attendent l’audience sur une mezzanine située à cinq mètres de hauteur, représentant un risque important pour un patient suicidaire.

Le directeur de l’hôpital signale qu’une installation de visioconférence entre le tribunal et l’hôpital va être mise en service mardi mais, ajoute-t-il, les quatre JLD de Créteil n’ont pas la même position sur son utilisation.

NE PAS INSTRUMENTALISER LES PATIENTS

« J’ai l’impression qu’on nous fait payer la stratégie du ministère de la justice », a déclaré à l’APM le Dr Lachaux. « Les juges de Créteil sont confrontés à des problèmes d’effectifs, ils réclament des postes supplémentaires de juges et de greffiers qu’ils n’ont pas obtenu. »

« Ils font du forcing mais il n’est pas possible d’instrumentaliser ainsi les patients. À Nanterre et pour le centre hospitalier de Montfavet (Vaucluse) qui a une unité pour malades difficiles, les juges se déplacent », remarque-t-il.

Le psychiatre dénonce « un déni » des pathologies psychiques à la fois par les législateurs de la loi du 5 juillet 2011 qui a prévu ces audiences et par les personnes chargées de l’appliquer.

« Est-ce qu’on débrancherait un patient en réanimation pour le faire venir ? Je ne crois pas. Nos patients souffrent de graves troubles. »

« Nous ne pouvons pas assurer l’accompagnement de tous les patients », ajoute-t-il. « Il y a environ 120 audiences par mois pour Paul-Guiraud, cela fait 360 infirmiers à mobiliser, autant qui ne seront pas dans les unités. »

Il souligne que la position du TGI de Créteil n’est pas anodine car il a sous son ressort sept établissements psychiatriques, dont le GH Paul-Guiraud, qui est l’un des plus importants en termes d’activités au plan national.

La présidence du TGI de Créteil n’était pas joignable vendredi matin pour apporter son point de vue.

hm/eh/APM polsan


Le Parisien, 2012-03-20 — « Le géant de la psychiatrie a même proposé une voiture avec chauffeur aux juges »

Source : http://www.leparisien.fr/val-de-mar…

D.C. | Publié le 20.03.2012, 07h36

Villejuif, hier. L’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud, fondé en 1884, est l’un des plus importants de France. Si 20 000 patients y sont suivis par an, il ne peut en accueillir que 496. Pour des séjours qui vont de deux jours à trente-cinq ans.

Ce sont 120 patients par mois en salle d’audience qu’attend, en théorie, le tribunal de Créteil. Un chiffre vertigineux quand on sait que cette juridiction ne dispose que de quatre juges des libertés déjà débordés en temps normal. Dans le Val-de-Marne et ses sept établissements psychiatriques, dont l’un des trois plus importants de France, la situation semble intenable.

« J’ai proposé de payer une voiture avec chauffeur aux juges pour qu’ils viennent faire leur travail directement chez nous où nous avons aménagé des locaux sécurisés », soupire Henri Poinsignon, le directeur de Paul-Guiraud. Cet été, 20 000 € ont été dépensés pour cette salle d’audience. « Nous ne pouvons pas organiser ces audiences foraines (NDLR : hors du tribunal), assure Gilles Rosati, le président du tribunal de grande instance de Créteil, car nous n’en avons pas les moyens. Nous avons demandé deux juges des libertés en plus. En vain. Mais d’ici le 26 mars, nous allons installer une visioconférence. En attendant, nous allons changer de salle d’audience pour les patients afin qu’ils ne se retrouvent plus à l’étage. » Contacté hier au sujet du manque de juges des libertés à Créteil, le ministère de la Justice n’a pas donné suite à notre demande.


Le Parisien, 2012-03-20 — "Les folles audiences des hospitalisés sous la contrainte"

Source : http://www.leparisien.fr/villejuif-…

Denis Courtine | Publié le 20.03.2012, 05h40

Hier, comme le veut la nouvelle loi, dix patients sont passés devant un juge des libertés au tribunal de Créteil. Un désastre pour la santé mentale des patients selon les médecins.

Cinq minutes qu’il se frotte les cuisses frénétiquement. Et puis d’un coup, il se lève et s’avance jusqu’à la balustrade qui surplombe d’une dizaine de mètres la salle des pas perdus. Échange de regards furtif entre deux soignants. « Ça va monsieur ? Vous avez mal aux jambes ? » Le malade se rassoit. Il confiera plus tard qu’il « n’est pas bien » et qu’il « veut sortir ».

Hier, dix patients de l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif sont passés devant un juge des libertés du tribunal de Créteil. Presque une première depuis la loi de juillet dernier qui oblige les patients hospitalisés sous la contrainte à passer devant ce magistrat pour qu’il décide d’une éventuelle remise en liberté. Jusqu’à vendredi dernier, Paul-Guiraud refusait de transporter ses malades au tribunal, principalement pour des raisons de sécurité. Mais les magistrats de Créteil, s’appuyant sur une nouvelle jurisprudence, ont argué la semaine dernière de l’absence de cinq patients pour ordonner leur remise en liberté. Cette dernière ne sera pas effective, car le parquet, à la demande de l’hôpital, a fait appel. Paul-Guiraud a donc finalement accepté d’amener ses patients.

Il est 9h20 hier matin quand un car loué pour l’occasion se gare sur le parking du tribunal. A l’intérieur, dix patients et le double de soignants. « Autant de personnel qui ne travaille pas là où on a vraiment besoin de lui », grince un fonctionnaire. Ces malades atteints de troubles mentaux sont dirigés vers les deux avocats commis d’office pour une « discussion » de cinq minutes. Et puis c’est l’audience à huis clos. Le juge des libertés, sur la foi de son entretien avec le patient et de documents médicaux, doit décider en quelques minutes de son avenir. Une aberration pour le personnel soignant. « Comme ce sont des malades hospitalisés sous la contrainte, ils ne reconnaissent pas leur pathologie, confie un médecin. Et d’un coup, ils entendent un juge leur annoncer qu’ils sont schizophrènes ou qu’ils souffrent de telle ou telle pathologie. »

« Vendredi soir, on a ramassé certains malades à la petite cuillère », soupire un fonctionnaire de Paul-Guiraud. A 11h45, les dix patients sont tous passés devant le juge. « Nous n’avons rien contre cette loi, insiste Henri Poinsignon, le directeur de Paul-Guiraud. Mais nous protestons contre les modalités de son application. » « Passer devant un juge peut même avoir des vertus thérapeutiques », lâche un autre fonctionnaire. « Déjà, il y a un effet stigmatisant pour les patients, résume le docteur Bernard Lachaux, chef de pôle à Paul-Guiraud. On emmène tout de même au tribunal des gens qui ne le veulent pas et qui n’ont rien à se reprocher. Et puis, sans remettre en cause la compétence des magistrats, ils n’ont aucune expérience dans la confrontation avec les malades. » « On les voyait déjà avant, sauf qu’il s’agissait de patients qui souhaitaient nous voir, remarque toutefois le juge des libertés Bernard Seltensperger. Là, ils n’ont rien demandé. Vendredi dernier, j’avais beau lui poser des questions, une dame n’a pas décroché un mot. »


SUD Santé Sociaux Solidaires 94, 2012-03-20 — Communiqué : "Un vrai problème mais de faux arguments !"

Communiqué de presse

Un vrai problème mais de faux arguments !

Le syndicat SUD Santé Sociaux du Val de Marne, représenté dans trois établissements psychiatriques du département, est particulièrement choqué par les déclarations du directeur de l’établissement Paul-Guiraud Villejuif faites le 16 mars à l’Agence de Presse Médicale.

Il apparaît que depuis le 1er août 2011, date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi en psychiatrie, l’établissement refuse ostensiblement de se mettre en conformité avec la loi qui impose désormais que les mesures de privation de liberté pour les hospitalisations complètes en psychiatrie soient contrôlées par le Juge des Libertés et de la Détention.

S’il est vrai que cette nouvelle législation pose avec acuité la question des moyens humains qui font cruellement défaut, tant du côté des magistrats, que des équipes soignantes le syndicat SUD Santé sociaux du 94 s’insurge des motifs mis en avant par le directeur pour justifier la non présentation au tribunal de Créteil des patients hospitalisés au-delà de 15 jours : « rupture dans la continuité des soins du fait du transport, problèmes de sécurité, atteinte à l’intimité des patients en raison du caractère public des audiences, risque juridique pour l’hôpital qui est responsable des éventuels dommages causés par le patient ».

Ces arguments sont spécieux et hautement condamnables en cela qu’ils provoquent notamment une nouvelle fois l’amalgame entre troubles psychiatriques et dangerosité, amalgame contre lequel les professionnels du soin luttent au quotidien dans leurs missions d’accompagnement des patients vers la réinsertion sociale. Pour ce faire, les soignants « sortent » régulièrement de l’établissement avec des personnes hospitalisées sous contrainte pour les accompagner dans différentes démarches et organiser la continuité des soins au-delà de l’hospitalisation sans que ces « sorties » ne posent des problèmes de sécurité pour les patients, les soignants et la société.

Le syndicat SUD Santé sociaux considère que les déclarations du directeur sont inacceptables et qu’elles disqualifient les professionnels de l’établissement comme ses usagers.

Nous notons qu’à Paul-Guiraud des patients sont régulièrement réveillés et déplacés la nuit, non pas pour les informer de leurs droits, comme le dit avec ironie le directeur dans ses déclarations à la presse, mais du fait d’un manque de lits pour assurer la mission d’accueil de l’établissement. Une telle situation n’a pas fait jusqu’ici l’objet de communiqués de presse de la direction de Paul-Guiraud.

SUD rappelle par ailleurs qu’il s’oppose formellement à la visio-conférence et qu’il est favorable à la tenue d’audiences foraines au sein de l’établissement, lesquelles, au terme de 6 mois d’usage de la nouvelle loi, semblent constituer la modalité la plus adaptée. La section SUD Santé sociaux Paul-Guiraud Villejuif est prête à s’engager aux côtés de la direction et du corps médical pour obtenir la mise en place de cette modalité d’audience dans l’établissement.

Syndicat SUD Santé Sociaux du Val-de-Marne

Fait à Saint-Maurice, mardi 20 mars 2012


AFP, 2012-04-04. Hospitalisation d’office : droits de la défense pas toujours respectés

PARIS — La cour d’appel de Paris a récemment estimé que la pratique consistant pour un juge à maintenir l’hospitalisation d’office d’un patient en psychiatrie sans l’avoir entendu violait les droits de la défense, selon deux décisions consultées mercredi par l’AFP.

Aux termes d’une loi controversée de 2011, les patients internés à la demande d’un tiers ou du préfet doivent, sauf raison médicale, être présentés avant le 15e jour de leur hospitalisation à un Juge de la liberté et de la détention (JLD), qui peut maintenir la mesure ou prononcer une mainlevée.

Mais dans les faits, certaines décisions sont prises sans que les patients aient été entendus, du fait notamment de la réticence de plusieurs établissements psychiatriques à acheminer leurs patients vers les tribunaux. Des dysfonctionnements ont été soulignés dans un récent rapport parlementaire.

Saisie par des avocats du Val-de-Marne, la cour d’appel de Paris a jugé cette pratique contraire aux droits de la défense dans deux décisions récentes.

Dans un premier jugement rendu le 20 février, la cour pose comme principe que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue. Si les maladies mentales (…) peuvent amener à restreindre ou modifier ce droit (…), ces restrictions ne peuvent justifier une atteinte à l’essence même de ce droit.

Dans le cas d’espèce, la cour a annulé la décision du juge de Créteil en relevant qu’aucun motif médical circonstancié n’avait empêché l’audition du patient.

Dans un deuxième jugement du 15 mars, cette même juridiction a pris une décision similaire, estimant que faute d’audition du patient (…) les droits à un débat contradictoire et les droits de la défense (avaient) été violés.

Dans cette affaire, la cour a également estimé que le refus de l’hôpital d’acheminer le patient au tribunal ne constituait pas un obstacle insurmontable dont le juge pouvait se prévaloir pour se passer d’un débat contradictoire.

Pour remédier à ces difficultés, certains JLD se déplacent au sein des hôpitaux pour tenir des audiences foraines, tandis que d’autres juridictions ont recours à la visio-conférence.