2012-02-02 - Syndicats de magistrats : observations sur l’application de la loi du 5 juillet 2011

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/qNxiE ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/209

Document du jeudi 2 février 2012
Article mis à jour le 28 août 2020
par  A.B.

Note par le CRPA : On observera que si le Syndicat de la magistrature (politiquement à gauche) est a priori favorable à une extension des contrôles de plein droit des juges des libertés et de la détention aux programmes de soins sans consentement, ce syndicat est actuellement rejoint par l’Union syndicale des magistrats (U.S.M. centre et droite, majoritaire). Cela alors même que jusqu’à il y a peu, l’U.S.M. était contre la judiciarisation des internements psychiatriques, et a fortiori des programmes de soins. Cette évolution de l’opinion des magistrats, au travers de leurs syndicats, constitue un facteur important en faveur d’une présence à part entière du droit dans les structures psychiatriques.


Observations du Syndicat de la magistrature sur l’application de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

Source : http://www.syndicat-magistrature.org/Observations-du-Syndicat-de-la,1768.html

Le 2 février 2012

La loi du 5 juillet 2011 est entrée en vigueur le 1er août 2011, dans la précipitation et sans qu’aucun moyen supplémentaire n’ait été déployé sur le terrain. Pourtant l’étude d’impact réalisée par le ministère de la justice et des libertés, sur la base d’une évaluation minimaliste de la charge de travail générée, concluait à la nécessité de créer 80 postes de magistrats et 77 de fonctionnaires (pour mémoire, alors que les juges des libertés et de la détention devaient faire face antérieurement à 2 à 3000 saisines par an, les statistiques communiquées par la Chancellerie font état de plus de 15 000 saisines en trois mois) Il est indispensable que ces besoins en personnel soient effectivement remplis au plus tôt.

Nous avions dénoncé, à l’occasion de notre audition sur le projet de loi, son orientation sécuritaire qui, encore une fois à la suite d’un drame médiatisé et instrumentalisé, portait un sérieux coup aux perspectives de réadaptation et de réinsertion de ceux qui sont avant tout des malades, plus souvent victimes qu’auteurs d’actes de délinquance.

Nous nous étions par ailleurs félicités de l’instauration, sous l’impulsion de la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010, d’un contrôle systématique des mesures d’hospitalisation sous contrainte tout en en relevant les limites et en s’inquiétant de son effectivité.

Après six mois d’application de cette loi, il apparaît que ces craintes étaient tout à fait fondées et qu’il est nécessaire de revenir rapidement sur ce texte voté dans la précipitation et de construire, après une vaste consultation des professionnels de santé, des associations d’usagers et du monde judiciaire, une réforme ambitieuse de la santé mentale, respectueuse des droits des malades et soucieuse de la qualité des soins et de la réadaptation sociale des patients.

Le prisme sécuritaire de la politique de santé mentale

Nicolas Sarkozy avait promis des moyens pour renforcer la sécurisation des hôpitaux psychiatriques, et est passé aux actes : ouverture de nouvelles unités pour malades difficiles, création d’unités hospitalières spécialement aménagées pour les détenus nécessitant des soins, aménagement de nouvelles chambres d’isolement au sein d’établissements…

Par contre il faut encore attendre parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique et des personnes en demande de soins ne trouvent pas de réponse dans des délais raisonnables ; il est donc à redouter que, dans certains cas, un programme de soins contraints à domicile soit établi uniquement pour obtenir la prise en compte d’une situation urgente qui aurait pu être traitée avec l’accord des intéressés.

Ces quelques mois d’application de la loi révèlent par ailleurs que la suppression du mécanisme de la sortie d’essai par la loi du 5 juillet 2011 porte atteinte au processus de resocialisation des malades.

La sortie d’essai permettait au malade d’aller faire quelques courses, de se rendre chez le coiffeur, de retirer de l’argent, d’accomplir une démarche administrative, de se rendre chez lui quelques heures, un week-end … sans être nécessairement accompagné d’un soignant ou d’un membre de sa famille, ce qui favorisait une évolution progressive et souple vers un retour à domicile.

Tout est devenu plus difficile aujourd’hui puisque, en dehors d’un programme de soins, dont la mise en œuvre est bien plus complexe et qui n’autorise pas la même souplesse, ne sont possibles que des sorties thérapeutiques et accompagnées qui, en outre, si la mesure de soins a été ordonnée par le préfet, sont subordonnées à l’accord de ce dernier.

Dès lors, la sortie programmée risque d’être annulée faute de personnel soignant disponible pour accompagner le patient ; par ailleurs, la nécessité de solliciter l’accord du préfet au moins 48 heures à l’avance pose problème, sans compter que celui-ci peut s’y opposer sans aucune possibilité de recours.

Cette situation qui impose l’élaboration d’un programme de soins, pour toutes les sorties non accompagnées, même de courte durée, a pour conséquence néfaste d’éluder le contrôle systématique du juge des libertés en l’état de la réglementation en vigueur ; il suffit pour cela que le programme de soins prévoie une sortie non accompagnée, ne serait-ce qu’une heure par jour, puisque le contrôle judiciaire ne s’applique qu’aux mesures d’hospitalisation complète s’exerçant 24 heures sur 24.

Le programme de soins a donc vocation, dans la loi du 5 juillet 2011, à remplacer la sortie d’essai et est ainsi susceptible de fréquentes modifications pour s’adapter à l’évolution de l’état de santé du patient. Cela va permettre au préfet, ce qui n’était pas le cas auparavant, de s’immiscer dans le processus mis en place par les soignants en s’opposant à la modification du programme de soins sans qu’aucun recours n’ait été prévu par la loi (alors que le juge des libertés et de la détention peut être saisi en cas de refus du préfet de faire droit à la demande de levée de la mesure d’hospitalisation complète — article L. 3213-5 du code de la santé publique).

Nos inquiétudes quant aux dérives possibles du programme de soins persistent puisque le bilan établi par le ministère de la justice et des libertés après trois mois d’application de la loi ne fournit aucun élément statistique les concernant : comparaison par rapport au nombre de sorties d’essai, influence sur le nombre d’hospitalisations complètes, sur leur durée…

Il est donc indispensable de rétablir un mécanisme de sorties de courte durée (48 heures ?), non accompagnées, en dehors même de tout programme de soins (lequel s’avère d’ailleurs une fiction lorsqu’il est mis en œuvre pour « couvrir » une sortie de week-end alors que l’hôpital de jour n’est pas ouvert).

Il faut par ailleurs lancer une véritable réflexion sur les soins à l’extérieur de l’hôpital avec redéploiement des moyens engloutis par la création de structures fermées et sécurisées vers les services de suivi ambulatoire poursuivant des objectifs de réinsertion et de réadaptation sociale des personnes concernées.

Le régime procédural dérogatoire, instauré pour les personnes ayant bénéficié d’une décision d’irresponsabilité pénale ainsi que pour celles séjournant ou ayant séjourné en unités pour malades difficiles, en rendant toujours plus difficiles les procédures de mainlevée des mesures, et même de simple allégement des modalités de prise en charge, est en voie de créer une véritable perpétuité psychiatrique.

La personne dont la levée de l’hospitalisation complète est envisagée devra rencontrer pas moins de quatre psychiatres (deux d’entre eux participant au collège et deux experts) ; les préfets ne s’empressent pas de décider lorsqu’ils sont saisis d’une demande de mainlevée par le psychiatre traitant de l’intéressé ; le juge rencontre d’importantes difficultés pour trouver des experts acceptant cette mission très mal rémunérée et devant être exécutée très rapidement.

Cette procédure lourde et complexe, volontairement dissuasive, s’applique par ailleurs indifféremment à toutes les personnes ayant bénéficié d’une décision d’irresponsabilité pénale, pour quelque motif que ce soit, dans les dix années qui précèdent ou qui ont dû être hospitalisées pendant ce délai en unité pour malades difficiles pour bénéficier d’une prise en charge plus soutenue. Elle dénie au médecin assurant la prise en charge du patient tout esprit de responsabilité et, à l’aulne d’un fait divers dramatique, stigmatise toute une catégorie de malades dont les troubles sont parfois stabilisés depuis plusieurs années.

Elle sert enfin d’alibi à une consigne inacceptable donnée au greffe par la circulaire du 21 juillet 2011 leur prescrivant, au motif déclaré de vérifier si les personnes relèvent du régime procédural dérogatoire, de solliciter systématiquement le bulletin numéro un du casier judiciaire des personnes concernées, qui devient ainsi une pièce de procédure portée à la connaissance de toutes les parties. Pourtant seules les décisions d’irresponsabilité pénale prises depuis 2008 et accompagnées d’une mesure de sûreté ou d’hospitalisation figurent au casier judiciaire, contrairement aux autres décisions d’irresponsabilité pénale ayant pu conduire le préfet à ordonner une admission en soins psychiatriques (sur le fondement des dispositions de l’article L. 3213-7 du code de la santé publique) et aux mesures d’hospitalisation en unité pour malades difficiles.

Ces instructions sont le stigmate d’une perception de la maladie mentale et des soins sous l’angle exclusif de la dangerosité.

Ces dispositions, en ce qu’elles tiennent le passé judiciaire des personnes faisant l’objet de soins comme élément déterminant des modalités de prise en charge, doivent être supprimées, l’avis des psychiatres assurant le suivi au quotidien des patients, et donc parfaitement aptes à apprécier l’évolution de leurs troubles, doit être plus largement pris en compte et la dynamique de soins doit prendre le pas sur la logique de l’enfermement.

Enfin, la loi du 5 juillet 2011a souhaité maintenir un double régime d’admission et a conservé le critère bien flou du « trouble grave à l’ordre public » rarement caractérisé dans les arrêtés préfectoraux qui s’en prévalent ; ce critère est encore aujourd’hui largement utilisé pour faire hospitaliser tous ceux qui, alors pourtant qu’ils ne mettent en péril ni eux-mêmes ni autrui, ont un mode de vie marginal ou un comportement qui dérange les autorités locales (plaintes itératives, courriers insultants, comportements asociaux, …). Il conviendra de supprimer ce critère d’admission pour s’en tenir au risque d’atteinte à l’intégrité d’autrui.

Un contrôle toujours insuffisant

Les échanges avec les établissements de soins révèlent que, dans l’ensemble, les patients sont satisfaits de rencontrer le juge et perçoivent bien son rôle ; l’audience se révèle un lieu de parole important où, au-delà de la poursuite de la mesure d’hospitalisation, le malade peut exprimer d’autres difficultés quant à l’exercice de ses droits.

Les données statistiques sur trois mois témoignent par ailleurs de l’utilité de ce contrôle avec des taux de mainlevée significatifs (entre 6 et 7 %).

Mais, au-delà de ces aspects positifs, la mise en œuvre de la loi révèle que de nombreuses mesures de soins échappent au contrôle du juge.

Tel est le cas des mesures de soins concernant les mineurs, lorsqu’elles sont ordonnées à la demande des représentants légaux (parents), qui ne sont pas considérées comme des hospitalisations à la demande d’un tiers mais comme des hospitalisations libres, compte tenu de l’incapacité du mineur ; elles ne sont donc pas soumises au contrôle du juge des libertés et de la détention et le mineur, qui ne dispose pas lui-même d’un recours, n’est pas entendu. Cette situation est paradoxale alors que, dès son plus jeune âge, il pourra être entendu à sa demande dans la procédure de divorce de ses parents. Il paraît donc nécessaire qu’une réflexion s’engage sur l’organisation d’un contrôle judiciaire (par le juge des enfants ?) dans un certain délai en cas d’hospitalisation contrainte d’un mineur à la demande de ses représentants légaux.

L’absence de contrôle des mesures de soins s’exerçant sous une autre forme que l’hospitalisation complète conduit aussi à l’évitement du juge ; il suffit pour cela, comme indiqué plus haut, de mettre en place un programme de soins prévoyant une hospitalisation « à temps partiel » de 23 heures sur 24.

Cette stratégie permet d’échapper aux déplacements mobilisant un très grand nombre de personnels soignants lorsque les audiences sont tenues au siège du tribunal ; l’expérience nous amène d’ailleurs à recommander à nos collègues, lorsque cela est possible, des déplacements dans les lieux de soins, les conditions d’audition étant plus sécurisantes pour les malades que les déplacements et les temps d’attente souvent importants dans les tribunaux.

Cette stratégie est aussi parfois mise en œuvre pour éviter la multiplication des contrôles pour les patients non stabilisés qui alternent les périodes d’hospitalisation et les retours à domicile avec suivi ambulatoire (chaque modification des modalités de prise en charge impliquant, en cas de réadmission en hospitalisation complète, un nouveau contrôle à quinzaine).

Échappent enfin au contrôle du juge les nombreuses mesures d’hospitalisation, notamment pour des motifs parfois discutables liés au critère d’ordre public, dont la durée est inférieure à15 jours, ce qui peut être long lorsqu’une partie de ce séjour se sera déroulée en chambre d’isolement, voire sous contention.

Ces constatations militent en faveur d’une judiciarisation complète impliquant un contrôle à très bref délai de toutes les mesures de soins psychiatriques, qu’elles concernent des majeurs ou des mineurs et qu’elles s’exercent sous la forme d’une hospitalisation complète ou pas. Il serait par ailleurs indispensable que la loi encadre plus précisément le régime des soins contraints à domicile et définisse par exemple les modalités de l’intervention forcée si elle est nécessaire.

La pratique révèle par ailleurs que la loi du 5 juillet 2011 ne garantit pas un contrôle effectif des mesures de soins respectueux des droits des personnes. Ainsi, dans certaines juridictions où les audiences se tiennent au siège du tribunal, des certificats médicaux de non audition sont établis dans plus de 80 % des cas et le contrôle s’exerce donc exclusivement sur dossier, l’avocat désigné d’office, souvent à la dernière minute, n’ayant lui-même pas rencontré son client.

Dans d’autres juridictions, les personnes pour lesquelles un certificat de non audition n’aura pas été établi seront toutes entendues en visioconférence, alors que l’usage de cette technique privant la personne d’un accès direct au juge et rendant plus difficile la communication doit être circonscrit à des situations exceptionnelles ainsi que le soulignent le contrôleur général des lieux de privation de liberté et la cour européenne des droits de l’homme.

Par ailleurs, le droit du malade à être assisté ou représenté par un avocat n’est que partiellement et imparfaitement respecté.

La loi du 5 juillet 2011, si elle a bien prévu la représentation par avocat dans l’hypothèse où un certificat de non audition est établi, n’a pas jugé utile, en dépit de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme à ce sujet, d’étendre cette représentation à toutes les situations où la personne ne sera pas entendue par le juge, éventuellement parce qu’elle s’y refuse ; le législateur a ainsi une conception à géométrie variable de la capacité à consentir du malade, incapable de consentir aux soins mais capable de renoncer à être défendu (de même qu’il est censé l’être pour consentir à être entendu par visioconférence).

Les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle (prise en compte des revenus de la personne alors même qu’il s’agit d’un contrôle obligatoire) et de rémunération de l’avocat (quatre unités de valeur soit environ 91 €, sans prise en compte des frais de déplacements éventuels) restent enfin des obstacles importants à une défense efficiente.


Union syndicale des magistrats (USM), Bilan de la réforme des soins sans consentement. Observations

Source : http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/n189_soins-sans-consentement-bilan.html

Le 31 janvier 2012

BILAN DE LA RÉFORME DES SOINS SANS CONSENTEMENT
OBSERVATIONS DE L’USM

Cinq mois après l’entrée en vigueur de la réforme des soins sans consentement, force est de constater que les professionnels ont tout mis en œuvre pour éviter tout incident, ainsi que s’en est étonné lui-même le Garde des Sceaux, tant le défi semblait impossible à relever.

À moyens constants, alors qu’ils n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble et malgré une prudente méfiance réciproque, le monde médical et le monde judiciaire ont appliqué dès le 1er août 2011 des textes dont ils ne voulaient pas (certains, dans les deux camps, refusant le principe même d’une intervention judiciaire ; d’autres, comme le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux et l’Union Syndicale des Magistrats, tous deux majoritaires dans leur profession, regrettant que la loi n’aille pas suffisamment loin) et avec lesquels ils ont dû se familiariser en urgence.

Malgré une mise en œuvre difficile, aucun incident majeur n’a été déploré (I). Si le bilan chiffré présenté par le ministère de la justice apparaît encourageant après trois mois d’application (II), l’impact sur le terrain est très lourd et en tous cas sans commune mesure avec l’apport de la loi en terme de garantie sur les libertés (III).

I. — DES DÉBUTS DIFFICILES

A. — L’absence d’anticipation des deux ministères

L’USM n’a jamais contesté le principe posé par le Conseil constitutionnel d’une judiciarisation des soins sans consentement, déplorant même que le loi n’aille pas plus loin, notamment dans le contrôle des soins ambulatoires sans consentement ou d’un contrôle effectif du juge pouvant disposer de moyens d’investigation larges.

Elle n’a pu par contre que déplorer le délai contraint de préparation de cette réforme.

Sans conteste, si les ministères de la justice et de la santé avaient pris le temps de consulter les professionnels et d’organiser en outre une concertation transversale, en amont du dépôt du projet de loi, le travail du législateur en aurait été simplifié.

Surtout il en est résulté des prises de positions radicales de certains professionnels, dans l’opposition complète à la réforme entraînant une suspicion légitime à l’encontre de l’autre corps, d’autant que chacun des deux ministères laissait entendre à ses agents que des arbitrages seraient pris en leur faveur, notamment sur le lieu où se tiendraient les audiences.

De manière légitime, à effectifs constants, chacun tentait de minimiser l’impact de la réforme sur ses services, ce qui cristallisait certaines tensions et incompréhensions, les uns revendiquant que l’intérêt du patient faisait obstacle à son transfert au TGI, les autres que l’audience devait se tenir dans une enceinte judiciaire en application de principes constitutionnels.

C’est dans ce contexte que cette réforme, bon an mal an, a dû être mise en application, à moyens constants, dans une période de congés annuels, ceux qui étaient amenés à appliquer les premiers la loi n’étant le plus souvent pas ceux qui avaient pu entrer en contact avec les services de l’autre ministère, préparer les trames, organiser le service…

Ce n’est en effet que le 21 juillet 2011 qu’était diffusée au ministère de la justice la circulaire d’application de loi et du décret du 18 juillet. Dans l’attente, les professionnels avaient donc du commencer à évaluer le nombre de saisines et donc d’audiences à organiser, organiser les circuits… L’USM diffusait alors un « vade-mecum » pour proposer une lecture simplifiée aux magistrats et greffiers, souligner les problèmes juridiques pouvant être soulevés et proposer des pistes simples de mise en application, vade-mecum actualisé après la diffusion de la circulaire d’application.

C’est donc grâce à l’investissement de l’ensemble des professionnels qui ont mobilisé temps et énergie pour pallier les retards des ministères que les deux institutions ont été en mesure d’appliquer la loi dès le 1er août 2011.

B. — Les difficultés liées à la rédaction des textes elle-même

Comme l’a soulevé l’USM dans son vade-mecum, un certain nombre de problèmes juridiques se posent à raison du silence des textes voire même de la contradiction entre le décret et la loi.

1. — Les délais d’appel

Aux termes de l’article R. 3211-18 (requête facultative), l’ordonnance du JLD est susceptible d’appel devant le premier président ou son délégué dans le délai de 10 jours.

Pour les contrôles systématiques, le décret ne mentionne pas de délai d’appel. L’article R. 3211-33 précise que « les recours contre les ordonnances du JLD s’exercent selon les modalités et conditions définies aux articles R. 3211-19 à R. 3211-21 » mais ne renvoie pas à l’article R. 3211-18 susvisé.

Malgré cela, la circulaire ne distingue pas entre les deux hypothèses (page 17) indiquant que le délai d’appel est de 10 jours dans les deux cas.

2. — Le délai de réponse de la cour d’appel

Selon la loi, le premier président ou son délégué statue « à bref délai » dans les conditions définies par décret en Conseil d’État (article L. 3211-12-4).

Dans les cas des requêtes facultatives, l’article R. 3211-22 prévoit que la cour statue dans un délai de 12 jours (ou 25 jours quand une expertise est ordonnée). Mais dans les cas de contrôle systématique, le décret ne précise pas le « bref délai » dans lequel doit intervenir la décision puisque l’article R. 3211-33 ne renvoie en effet pour l’exercice des voies de recours qu’aux articles R. 3211-19 à R. 3211-21, et non au R. 3211-22 fixant le délai de réponse.

La circulaire quant à elle ne distingue pas entre les deux hypothèses (page 17) et considère que le délai de réponse est de 12 jours.

3. — Le point de départ du délai d’appel suspensif

Aux termes de la loi, ce délai de 6 heures court « à compter de la notification de l’ordonnance à l’auteur de la saisine » (et non au procureur de la République, qui n’est pas forcément —et même rarement- l’auteur de la saisine). Rien n’est prévu lorsque le parquet n’aura pas pu être informé immédiatement.

Aux termes du décret, « l’appel est formé dans un délai de 6 heures à compter de la notification de l’ordonnance au procureur de la République ». Sauf à considérer que la saisine soit en fait la déclaration d’appel, il semble donc qu’il existe une contradiction entre les deux textes, le décret étant plus attentatoire aux libertés que ne le prévoit la loi.

C’est néanmoins l’interprétation qui en est faite dans la circulaire (page 18).

4. — Les décisions rendues sans audience

Il s’agit ici sans conteste des dispositions du décret venant le plus en contradiction avec les termes de la loi.

Celle-ci impose au juge de statuer après audience, celle-ci devant se tenir même lorsque le patient ne peut comparaître à raison de son état de santé (il est alors représenté par un avocat et d’autres parties peuvent être présentes).

Lorsque le patient est absent (parce qu’il n’a pas pu être transféré au tribunal, et non parce qu’il ne peut être présent en raison de son état de santé), le juge ne peut statuer en son absence sauf si le patient a expressément donné son accord pour être représenté. Le rôle prépondérant de l’audience est donc bien rappelé.

L’USM avait fait valoir lors des auditions au parlement qu’il convenait de prévoir un dispositif permettant de regrouper les requêtes formées de manière concomitante, avant qu’une première décision soit rendue ; le parlement a suivi partiellement cette voie en prévoyant qu’une requête pouvait être examinée en même temps qu’une saisine pour contrôle systématique et qu’il n’était pas nécessaire de tenir deux audiences et répondre par deux décisions (article L. 3211-12-3). Le décret prévoit quant à lui un dispositif dérogatoire : « le juge peut rejeter sans tenir d’audience les demandes répétées si elles sont manifestement infondées » (article R. 3211-26). Si le but est manifestement d’éviter d’encombrer les services du JLD de demandes quotidiennes :
— La loi impose l’audience dans tous les cas : la question se pose de savoir si un décret peut y déroger ;
— En tout état de cause, la notion de « demandes répétées manifestement infondées » apparaît particulièrement floue, et risque de générer un important contentieux.

L’USM avait fait valoir ces deux arguments lors de la commission permanente d’études où lui a été présenté le projet de décret.

II. — UN BILAN STATISTIQUE À TROIS MOIS MITIGÉ

A. — Des contournements évidents de procédure

1. — La visio-conférence

La chancellerie n’a pas souhaité faire apparaître cette donnée dans son bilan statistique ; néanmoins, à l’occasion de la commission permanente d’études du 16 janvier 2012, le ministère confirmait que le recours à la visio-conférence était très limité.

Cela confirme d’ailleurs les éléments transmis par les juridictions courant novembre 2011 dans le cadre du bilan effectué par l’USM. 

Outre le fait que le contact avec le justiciable apparaît essentiel, le recours à la visio-conférence peut sembler contre-indiqué pour certains patients. Mais dans certains ressorts, les médecins (ou certains d’eux) s’opposent systématiquement à l’audition par visio-conférence, 100 % des certificats médicaux faisant état de cette réserve, laissant ainsi penser à une technique de contournement systématique de la loi.

À l’inverse, sur certains ressorts, le recours à la visio est systématique, le transport du juge à l’hôpital étant inenvisageable, de même que le transfert des patients (ex : Meaux), cette systématisation ne pouvant être conforme à l’intérêt de tous les patients. Toutefois cela permet d’éviter des situations comme celles de Créteil ou Bobigny où en raison du refus systématique de transfert et de visio-conférence par les psychiatres, les audiences se tiennent sans le patient, ce dernier étant représenté par un avocat qui, le plus souvent n’a pu le rencontrer…

Toutefois, hormis ces dernières exceptions, le rejet de la visio-conférence, l’intérêt du patient n’est pas lésé puisqu’est privilégiée l’audience « corps présent » et que le contrôle du juge est ainsi effectif.

2. — Les « permissions de sortie »

Dans de nombreux ressorts les médecins autorisent une sortie d’une journée pour éviter le contrôle systématique, notamment à 6 mois.

Cela concerne les cas psychiatriques les plus légers, supposant que le médecin ne prenne pas le risque d’engager sa responsabilité en laissant sortir le patient et que celui ci réintègre l’établissement de lui-même ; or, c’est justement dans ces cas que la mesure de contrainte aurait le plus de chances d’être levée soit en faveur d’un retour au domicile, soit en faveur d’une hospitalisation volontaire. Beaucoup de praticiens se sont vantés d’avoir recours à cette pratique et l’étude des statistiques au cours des trois premiers mois semble confirmer cette hypothèse.

B. — Des chiffres inférieurs aux prévisions mais en augmentation

Aux termes de l’étude d’impact, le nombre de contrôles systématiques (à 15 jours et à 6 mois) pouvait être évalué entre 72 500 et 78 500 par an.

Après trois mois d’application, il apparaît que les juridictions ont été saisies 14 496 fois sur ce fondement, ce qui, rapporté à une année, pourrait laisser présager 57 984 saisines sur une année.

Une telle différence, de près de 20 000 saisines, semble confirmer l’existence des techniques de contournement sus-évoquées, notamment par des autorisations de sorties accordées en masse aux patients dans les temps précédant l’entrée en vigueur de la loi :
— soit par rejet du texte lui-même ;
— soit pour éviter un engorgement dans les premières semaines d’application alors que les circuits et les procédures n’étaient pas encore clairement établis.

Toutefois, un examen plus approfondi à partir des chiffres fournis après un mois d’application, montre qu’au mois d’août, les juridictions ont été saisies de 4134 contrôles systématiques, et que la moyenne au cours des deux mois suivants est montée à 5180 saisines (soit une estimation pour une année de 62 120 saisines).

Il semble donc que peu à peu les médecins apprennent à travailler avec l’institution judiciaire et prennent confiance en elle, d’autant que les décisions sont essentiellement de confirmation.

C. — Un questionnement sur l’efficacité de la loi sur la garantie des droits

1. — Sur l’efficacité du contrôle du juge

Sur les trois premiers mois d’application de la loi, dans plus de 79% des cas, la décision est un maintien en hospitalisation, la mainlevée n’étant ordonnée que dans 4,3% des cas sur les trois premiers mois d’application (chiffre en baisse puisqu’il était de 6,5% en août) .

Il est bien évidemment envisageable que toutes ces hospitalisations soient réellement justifiées, voire même que l’entrée en vigueur de la loi a renforcé la rigueur des médecins et que ne sont donc maintenus en hospitalisation contrainte que les patients dont l’état le justifie.

Néanmoins, médecins et magistrats s’interrogent sur l’utilité réelle de la réforme :
— le court délai d’intervention du juge empêche les investigations, des expertises n’étant ordonnées que dans 2,7% des cas (elles sont d’autant plus difficiles à ordonner que l’essentiel des experts psychiatres sont praticiens hospitaliers et que pour des questions de temps et de prise en charge des frais, les experts du ressort voisins refusent d’intervenir) ;
— le délai de 15 jours pour le premier contrôle systématique apparaît inadapté, les patients étant alors encore sous l’effet de traitements lourds ou en état de crise ; beaucoup estiment que le contrôle serait plus efficace à 1 mois, même si le Conseil constitutionnel a exclu cette possibilité.

2. — Sur l’efficience de l’assistance d’un avocat

Les statistiques ministérielles font apparaître que l’intervention de l’avocat est quasi systématique, au titre de l’aide juridictionnelle dans 87% des cas. Mais les remontées du terrain sont bien différentes :
— dans les DOM-TOM, la présence de l’avocat apparaît bien plus rare qu’en métropole ;
— le bref délai de convocation empêche bien souvent l’avocat de prendre connaissance du dossier en amont ; l’entretien avec son client est le plus souvent stérile ; cette difficulté est plus prégnante encore lorsque le certificat médical indique que l’état de la personne empêche sa comparution et que l’avocat le représente sans l’avoir rencontré ;
— hormis les gros barreaux où une permanence dédiée a pu être mise en place, l’avocat est à la fois de permanence au pénal et pour les soins sans consentement ; il s’ensuit de longs délais d’attente pour les patients et une désorganisation des services (greffe et JLD, infirmiers assurant le transfert….).

D. — Une inadaptation des locaux et des méthodes

Outre ce qui a déjà été dit sur la visio-conférence, les locaux apparaissent le plus souvent inadaptés.

Près de 75% des audiences se déroulent au TGI. Plus de 86% des juridictions sont exclusives dans leur choix : pour 89 d’entre elles, les audiences ont lieu exclusivement au TGI, 22 organisant les audiences exclusivement à l’hôpital.

Ces décisions résultent d’accords pris entre JLD et centres hospitaliers, pour des questions de respect des principes mais surtout pour des questions pratiques.

Ainsi, dans les juridictions où il existe un JLD dédié, avec plusieurs audiences par semaine, et qu’une salle de l’hôpital est spécialement aménagée, le JLD assure le plus souvent les audiences à l’hôpital, même s’il existe plusieurs établissements sur le ressort, des accords de mutualisation entre établissements hospitaliers étant même envisagés.

À l’inverse, d’autres juridictions sont dans l’incapacité de se transporter à l’hôpital :
ex : à Beauvais, juridiction compétente pour Clermont de l’Oise, Centre Hospitalier Inter-régional accueillant plus de 5000 patients par an et qui a été saisie en moyenne de 68 dossiers par mois, la juridiction qui ne compte que 19 magistrats ; l’hôpital est à 35km et le seul véhicule de la juridiction a rendu l’âme sans que les budgets permettent d’envisager son remplacement ; de plus, le JLD assurant tant la permanence pénale que celle des soins sans consentement ne peut durablement s’absenter du tribunal au risque de ne pouvoir traiter l’ensemble des contentieux.

Dans la majeure partie des juridictions, les JLD sont installés dans la partie de la juridiction réservée à l’activité pénale. Les patients et les infirmiers sont tenus de patienter dans des couloirs fréquentés par des gardés à vue ou prévenus entravés, encadrés de policiers ou gendarmes ; cette proximité peut être particulièrement contre indiquée pour certaines pathologies. Les locaux ne permettent en outre pas toujours la confidentialité de l’entretien avec l’avocat.

III. — UN IMPACT TRÈS LOURD POUR LES SERVICES

A. — La nécessaire mise en place d’une nouvelle organisation

Même dans les juridictions peu impactées, la brièveté des délais a nécessité de prévoir des créneaux horaires dédiés. Ainsi, hormis 12,4% des juridictions qui statuent au gré des saisines, ont été organisées des audiences spécifiques :
— dans 20,9% des TGI, une fois par semaine
— dans 42,6% des TGI, deux fois par semaine
— dans 15,5%, trois fois par semaine
— 8,5% des TGI ayant même prévu des audiences quotidiennes.

Dans les plus grosses juridictions impactées, des audiences ont mêmes été spécialisées pour les saisines systématiques à 15 jours ou 6 mois, ou pour les saisines sur requête facultative.

Au cours du premier mois, un quart des juridictions organisait une seule audience par semaine et 20% trois audiences par semaine. Ces chiffres ont respectivement baissé à 20,9% et 15,5% sur trois mois, au bénéfice d’une organisation à deux audiences par semaine pour plus de 42% des juridictions.

Cette fréquence permet de tenir compte des délais contraints, tout en garantissant la tenue de l’audience, les établissements hospitaliers sachant qu’ils doivent prévoir la disponibilité d’infirmiers dans ces créneaux horaires, tout en limitant leur temps d’attente puisque JLD et greffier sont également disponibles (ce qui n’est pas toujours le cas du conseil).

La brièveté des délais de convocation rend toutefois plus aléatoire la présence des tiers convoqués à l’audience ; si interprètes et associations tutélaires peuvent être avisés rapidement par téléphone ou par fax, le tiers à l’origine de l’hospitalisation ne peut toujours être présent, convoqué par lettre recommandée.

Ce système permet certes une meilleure efficacité pour le traitement de ce contentieux ; toutefois, même si les permanences sont variablement chargées, juge et greffier sont durant ce temps indisponibles pour tenir d’autres audiences. Les plus petites juridictions ont donc du supprimer des audiences pour absorber ce nouveau contentieux dans l’attente d’arrivée de nouveaux effectifs (ex : à Tarbes, suppression d’une audience civile par mois). Dans les autres cas, ce sont les délais de traitement des contentieux non contraints dans le temps qui s’allongent (notamment le JAF et le civil).

Dans ce cas, ce sont les contentieux civils qui ont une nouvelle fois été sacrifiés. Ces données n’ont pas été intégrées dans les chiffres fournis par la chancellerie qui a feint d’ignorer cette difficulté. Lors de la commission permanente d’études du 16 janvier 2012, où il nous a été annoncé qu’aucun renfort ne serait affecté dans ces juridictions, l’USM a donc demandé que cette question spécifique soit intégrée dans le questionnaire adressé aux juridictions.

Au delà de ces organisations mises en place, il apparaît que :
— il persiste 1,7% de saisines tardives, faites hors délai et pour lesquelles doit s’organiser en urgence un débat ;
— certains médecins, par principe, transmettent les documents le dernier jour utile afin que ceux ci soient le plus actualisés possibles ; si cette pratique est finalement dans le plus pur respect de l’esprit de la loi, il n’en reste pas moins que cela pose des problèmes pratiques notamment de communication des pièces à l’avocat.

Enfin, si cela peut paraître anecdotique, ce sont aussi les budgets de fonctionnement -déjà contraints- des juridictions qui sont impactés pour prendre notamment en charge :
— les frais de déplacement du greffier et du magistrat lorsque ceux ci se rendent à l’hôpital
— les frais de fax, lettres recommandées supplémentaires
— l’achat de fax portables, clés 3G ou téléphones portables dotés de connexion internet pour permettre au JLD d’assurer une réelle permanence (les JLD n’étant jusque là saisis que par le parquet, ils étaient avisés directement par lui).

B. — Des problèmes majeurs d’effectifs au plan national

Faut il le rappeler, la réforme est entrée en vigueur à moyens constants.

Pour permettre l’entrée en vigueur de cette réforme et de l’expérimentation sur les citoyens assesseurs, le ministère de la justice a mis en place des concours exceptionnels de greffiers et magistrats permettant, par une formation accélérée, une entrée en fonction des magistrats en septembre 2012 : 60 recrutements au 2d grade, 30 au 1er grade.

Or les conditions d’organisation et de déroulement du concours, le faible niveau des candidats, n’ont permis le recrutement que de 28 personnes, uniquement au 2d grade or la réforme des soins sans consentement nécessite des postes de vice présidents au 1er grade.

Si un nouveau concours exceptionnel a été annoncé par le Ministre pour le recrutement de 90 magistrats susceptibles d’entrer en fonction en septembre 2013 il convient de préciser que :
— les efforts soutenus fournis par le personnels dans l’attente de renforts par suite de mutations ou recrutements ne pourront se maintenir dès lors qu’ils sont faits au détriment d’autres contentieux restés en souffrance ;
— si des recrutements de magistrats sont en effet annoncés pour les prochaines années (pour 2012 : 350 au titre des trois premiers concours, ouvrant près de 120 postes supplémentaires au titre des intégrations, et 90 postes par concours complémentaires) ces magistrats n’entreront en fonction (hormis les concours exceptionnels) qu’en septembre 2015 ;
— le ministre s’est dit opposé au recrutement de nouveaux greffiers.

C’est donc à moyens constants que les juridictions devront poursuivre leur activité au détriment des autres contentieux et/ou de la santé des agents et, dès janvier 2013, absorber la charge de travail liée au regroupement des contentieux judiciaires et administratifs. Interrogée sur ce point par la commission des lois du Sénat, l’USM avait pourtant recommandé que ce regroupement, s’il était envisagé, ne soit effectif qu’en janvier 2015.

C. — Des juridictions très inégalement impactées

1. — Un impact très variable d’une juridiction à l’autre

50 % des décisions sont rendues par seulement 24 juridictions, sur le ressort desquelles sont installés de gros établissements psychiatriques. La moyenne est de 32,6 saisines par mois et par juridiction. Alors que 50% d’entre elles n’ont connu au plus que 21 dossiers par mois, les 24 juridictions les plus impactées rendent chacune entre 50 et 100 décisions par mois.

L’étude d’impact évaluait en effet le temps de travail pour chaque dossier à 60 minutes pour le magistrat du siège et 75 minutes pour le greffier.

Malgré notre demande, la chancellerie n’a pas fourni la liste de ces 24 juridictions. On compte parmi elles des tribunaux comme ceux de Paris (669 décisions en trois mois, en progression de plus de 42% entre août et octobre), Lyon, Versailles (environ 80 dossiers par mois pour 8 établissements) , Aix, Toulouse… où plusieurs audiences hebdomadaires ont certes du être organisées, mais dont les effectifs permettent malgré tout d’absorber ce contentieux sans trop de conséquences néfastes immédiates.

Toutefois, il est parmi ces 24 juridictions des tribunaux de petite taille tels que :

— Tarbes / Hôpital de Lannemezan :
15 magistrats du siège, dont un poste vacant (juge des enfants ayant quitté la juridiction en janvier 2012) ; si le tribunal d’instance a officiellement été renforcé au cours des derniers mois, cela fait suite à l’absorption en janvier 2010 de 2 tribunaux d’instance ;
Une cinquantaine de saisines, soit 50 h de temps de magistrats, 62h30 de temps de greffier, les audiences se tenant exclusivement par visio-conférence ;
L’entrée en vigueur de la réforme a nécessité la suppression d’une audience civile par mois.

— Beauvais / Centre Hospitalier Inter-régional de Clermont comptant (5000 patients) :
20 magistrats du siège dont un poste vacant,
68 dossiers en moyenne par mois (99 en octobre 2011) soit 68 h de temps de juge par mois, et 85 heures de temps de greffier.
Le greffe du JLD civil (étrangers et soins sans consentement) occupe un temps plein. Un vacataire a pu temporairement être recruté.

— Colmar / Rouffach : les locaux du TGI n’étant pas adaptés à ce type d’audiences, celles ci se tiennent au CH de Rouffach ; en moyenne, 48 dossiers sont examinés chaque mois, dans le cadre de deux audiences hebdomadaires bien chargées puisqu’en général elles durent chacune un peu plus d’une demi-journée.

Cela entraîne des inégalités sur le territoire :
— le temps pouvant être consacré, à l’audience, à chaque dossier, est très variable d’une juridiction à l’autre (de 10 minutes à 2 heures) ;
— certaines autres catégories de justiciables subissent indirectement les conséquences de l’entrée en vigueur de cette réforme à moyens constants par l’allongement de la durée de leurs contentieux (soit par la suppression pure et simple de certaines audiences, soit par l’allongement de la durée du délibéré).

2. — L’annonce de l’absence de prise en compte dans la circulaire de localisation des emplois 2012

La chancellerie a été interrogée, lors de la CPE du 16 janvier 2012, sur la prise en compte de cette réforme dans la circulaire de localisation des postes pour 2012. Peu d’espoirs ont été laissés.

Les juridictions concernées ont même été directement informées qu’aucun effort ne pourrait être fait et qu’il faudrait envisager un redéploiement des effectifs sur l’ensemble de la cour d’appel, par des délégations de juges placés ou de magistrats d’autres ressorts. Or :
— les juges placés n’ont normalement vocation à remplacer que les magistrats en congés temporaire (maladie, maternité, etc.) et non à pourvoir les postes durablement vacants ou l’augmentation des contentieux
— redéployer des effectifs par la voie de délégations de magistrats d’autres TGI est un contournement de fait de l’inamovibilité des juges du siège et hormis quelques rares exceptions, les juridictions connaissent pour la plupart des postes vacants.

Nous sommes donc dans la pure gestion de la pénurie et on imagine mal comment un tribunal voisin, lui-même lourdement impacté par la réforme, pourrait fournir des effectifs complémentaires d’autant que ces audiences doivent pouvoir être assumées y compris pendant les périodes de vacations.

Si l’on prend pour exemple la cour d’appel d’Amiens (où se situe le TGI de Beauvais), celle ci a connu la suppression de deux TGI et de nombreux TI entre janvier 2010 et janvier 2011 et donc une baisse globale des effectifs sans baisse corrélative du contentieux. Elle ne dispose que de 5 juges placés ne suffisant pas à compenser la baisse des effectifs liés à la réforme de la carte judiciaire dans un région qui attire peu et compte régulièrement des postes vacants. Les juridictions voisines (hormis Amiens, il s’agit de 6 TGI de petite taille comptant au plus une vingtaine de magistrats) sont dans l’impossibilité de fournir ce renfort et vivraient ce type de délégations comme particulièrement injustes alors que la moitié des patients de Clermont est originaire du Val-d’Oise (ressort du TGI de Nanterre et de la cour d’appel de Versailles).

Lors de l’examen du projet de loi, l’USM prônait la mise en place d’une collégialité et d’une départementalisation du contentieux, pour permettre plus aisément une localisation des emplois sur des TGI ciblés.

La chancellerie, tout en se disant consciente des problèmes, indique ne pas être en mesure de localiser des emplois supplémentaires sur les juridictions les plus impactées

Il semble par contre qu’au plus haut niveau de l’État, certains pensent que le fait que la réforme ait pu être mise en œuvre démontre que des ressources étaient disponibles sans qu’il soit nécessaire même à moyen terme, d’envisager des renforts.

Toutefois, les éléments ci dessus développés démontrent qu’une nouvelle fois cette réforme n’a pu se mettre en œuvre que grâce à la mobilisation des agents et magistrats, au détriment d’autres contentieux et/ou de leur santé. Ceci n’a été possible que dans l’espoir de l’arrivée de nouveaux effectifs à moyens terme, les efforts ne pouvant être durablement maintenus surtout au vu du la progression du nombre de saisines et du regroupement des contentieux judiciaire et administratif en janvier 2013.

Le bureau de l’USM



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