2011-11-01 - Hospitalisation sous contrainte : une réforme à tâtons (revue Profession Avocat)

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/M3Pp3 ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/188

Document du mardi 1er novembre 2011
Article mis à jour le 28 août 2020
par  A.B.

Source : http://e-magazine.lamy.fr/consultat…

Un résumé de cet article par sa conclusion : "… Sur le fond les moyens sont réduits, admet Me Raphaël Mayet. D’autant qu’à la suite des décrets d’application la justice ne dispose que des certificats demandant le maintien d’une mesure d’hospitalisation." Sur cet aspect comme sur d’autres — délai pour la saisine de l’avocat, appel non suspensif du parquet… —, l’avocat [pour le compte du CRPA, c’est nous qui précisons] a déposé un recours devant le Conseil d’État. Convaincu que « la motivation d’une petite escadrille » compensera « l’investissement tiède de l’ensemble ».

En effet, car si un nombre relativement important d’avocats ne sont pas convaincus de l’utilité d’un contrôle judiciaire de l’internement psychiatrique comme de son utilité, nous sommes quelques-uns — et nous sommes bien plus nombreux qu’il y a seulement quelques années — à être déterminés à continuer l’action et ce combat pour les droits fondamentaux des personnes tenues sous contrainte psychiatrique.


PROFESSION AVOCAT
Le Magazine n°23 du 1er novembre 2011

ÉCLAIRAGE

Hospitalisation sous contrainte : une réforme à tâtons

Auteur(s) : Clémence Dellangnol

Depuis le 1er août dernier, toute hospitalisation sans consentement doit être soumise au juge des libertés et de la détention. Une réforme que les avocats appliquent à tâtons, confrontés aux contraintes matérielles, à l’indigence des moyens sur le fond et à l’inégale préparation des juridictions.

Elle y était allée « pour voir ». Elle n’a pas été déçue. Quand elle s’est rendue à l’hôpital pour le rencontrer, son client, « un vieux monsieur schizophrène délirant qui dort toute la journée », l’attendait tout nu sur son lit, refusant de s’habiller. Familière de la psychiatrie — elle vit depuis vingt ans aux côtés d’un psychiatre hospitalier —, l’avocate dunkerquoise Sophie Debaisieux-Latour ne s’est pas démontée. « Je lui ai expliqué qu’il n’était pas indispensable de se présenter au tribunal. Mais le jour J, il a insisté pour venir. Ça lui faisait une sortie ! » Des rencontres de ce genre, les avocats doivent se préparer à en vivre d’autres depuis l’entrée en vigueur de la loi qui prévoit que toutes les hospitalisations sans consentement soient examinées par un JLD. De Chaumont (Haute-Marne) à Versailles (Yvelines), de Paris à Dunkerque (Nord), les témoignages de quatre avocats.

DÉMARRAGE SUR LES CHAPEAUX DE ROUE

Dans les gros barreaux d’Île-de-France, la promulgation de la loi avait été largement anticipée. Dès le 1er août, des pools d’avocats spécialement formés étaient prêts à assurer les permanences à Paris (42 inscrits) et à Versailles (21). « Des formations avaient été mises en place dès l’automne 2010, quand il est devenu évident que le juge judiciaire finirait par intervenir », rapporte Raphaël Mayet, avocat à Versailles et auteur d’une des questions prioritaires de constitutionnalité à l’origine de la loi. À Chaumont, « tout le monde en avait entendu parler », témoigne Isabelle Gambini, mais dans ce petit barreau de 29 avocats, « il faut vraiment beaucoup de dossiers pour organiser une formation collective ». Commise d’office pour la première audience, elle s’est donc présentée sans préparation spécifique : « J’avais juste été briefée par un parquetier qui visite régulièrement les établissements psychiatriques dans le cadre du contrôle des lieux de détention », admet-elle. Un dénuement vraisemblablement assez répandu : « J’ai fait le tour de mon réseau de spécialistes en droit de la famille, glisse Sophie Debaisieux-Latour, avocate à Lille. À part dans les grands barreaux, les Ordres se sont assez peu saisis de la question. » Raphaël Mayet croit connaître l’explication : « Ce n’était pas une revendication de la profession mais des patients. Du coup, ça n’intéresse pas grand-monde. »

AUDIENCES : HÔPITAL VERSUS TRIBUNAL

De fait, les avocats ne sont pas les seuls à tâtonner. À Paris, les trois audiences prévues par le JLD se sont vite révélées surdimensionnées. « Avec une fourchette de deux à huit dossiers par audience, au bout d’un mois, nous avons réduit à deux audiences », explique Emmanuelle Hauser-Phelizon, qui suit le sujet pour l’Ordre. À Dunkerque, le démarrage s’est tout simplement déroulé sans concertation préalable : « Alors qu’à Béthune, le parquet, l’Ordre et les psychiatres s’étaient rencontrés à plusieurs reprises, ici, le bâtonnier a attendu fin octobre pour réunir tout le monde », regrette Sophie Debaisieux-Latour. Le premier président de la Cour d’appel de Douai, en revanche, avait donné ses instructions : pas de déplacement à l’hôpital. « Il me semblerait pourtant moins préjudiciable de faire déplacer un juge et un greffier que de mobiliser un chauffeur et deux infirmiers psychiatriques par patient, parfois pour plusieurs heures », s’agace Sophie Debaisieux-Latour. D’après un premier décompte effectué par le Syndicat des psychiatres d’exercice public, les patients seraient contraints de se déplacer au tribunal dans 60 % des cas. Dans une pétition, l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique dénonce le transport de patients « suicidaires, délirants, agités, rendus violents par la situation elle-même, alors qu’ils sont en crise, au début de leur maladie ».

UN CLIENT COMME LES AUTRES

La rencontre d’un client à l’hôpital permet « de mieux se faire une idée du type d’individu », estime Sophie Debaisieux-Latour. Raphaël Mayet, lui, privilégie le contact téléphonique. « Compte tenu du tarif — soit 4 UV —, il est clair que je ne me déplace pas, affirme Isabelle Gambini. Je me suis entretenue avec mes trois clients dans une salle vitrée que j’avais préférée à la souricière, pour préserver la confidentialité tout en me sentant en sécurité. L’un d’entre eux, hospitalisé depuis 1986 après avoir tué quatre personnes, était vraiment inquiétant. » Une situation qui n’est pas complètement nouvelle pour certains. « Pour les pénalistes, qui reçoivent souvent des clients en mauvais état, c’est assez familier », relève Emmanuelle Hauser-Phelizon. « Il est rare que la relation entre l’avocat et son client ne soit pas possible, reprend Raphaël Mayet. Il faut casser l’association d’idées entre le trouble mental et le danger pour la sécurité des tiers. Sur les 75 000 personnes hospitalisées sous contrainte, 60 000 le sont à la demande d’un proche généralement parce qu’il estime que la personne ne se soignerait pas seule. »

Reste l’audience elle-même. Frustrante, pour Isabelle Gambini. « Les certificats médicaux étaient très peu détaillés. Heureusement, nous étions face à un magistrat qui aime décortiquer les choses et toucher la personnalité des gens. » Ses questions aux infirmiers psychiatriques se sont cependant heurtées à une fin de non-recevoir : « Ils ont expliqué qu’ils n’étaient pas médecins, qu’ils n’étaient pas légitimes et refusaient de prendre cette responsabilité. » Comme le prévoient les textes, la défense porte donc essentiellement sur la forme : l’ensemble des certificats médicaux exigés par la loi est-il présent ? La personne a-t-elle été informée de ses droits ? « Sur le fond, les moyens sont réduits, admet Raphaël Mayet. D’autant qu’à la suite des décrets d’application la justice ne dispose que des certificats demandant le maintien d’une mesure d’hospitalisation. » Sur cet aspect comme sur d’autres — délai pour la saisine de l’avocat, appel non suspensif du parquet… —, l’avocat a déposé un recours devant le Conseil d’État. Convaincu que « la motivation d’une petite escadrille » compensera « l’investissement tiède de l’ensemble ».

Rappel

La judiciarisation de l’hospitalisation sans consentement — loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 — résulte de deux décisions du Conseil constitutionnel, saisi sur question prioritaire de constitutionnalité. Désormais, toute hospitalisation sous contrainte (soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou sur décision d’un représentant de l’État) doit être soumise avant le quinzième jour au JLD, qui statue après débat contradictoire. Il en est de même après l’expiration d’un délai de six mois suivant toute décision judiciaire. L’audience doit, en principe, se tenir au tribunal de grande instance, mais peut être organisée au sein de l’établissement psychiatrique si une salle y a été spécialement aménagée. Le recours à la visio-conférence n’est possible que sous réserve de la compatibilité technique des systèmes, et de l’état mental du patient.

C.D.



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