2011-08-19 - La République des Pyrénées • Des audiences à l’hôpital psychiatrique

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/L4A1y ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/151

Document du vendredi 19 août 2011
Article mis à jour le 28 août 2020
par  A.B.

En résumé : Le JLD de Pau, qui se déplace à l’hôpital, se contente d’entériner les certificats médicaux, et reconduit les mesures. Les avocats ne soulèvent pas les illégalités de forme qu’ils ne recherchent d’ailleurs pas, se contentant du terrain du bien ou du mal fondé de l’hospitalisation sous contrainte (HSC)…

Un passage admirable isolé fait contraste : "Le fait que la décision soit prononcée par un juge peut être bénéfique à la relation thérapeutique. Le psychiatre n’a plus le double rôle d’être à la fois celui qui soigne et celui qui « enferme »".


« Des audiences à l’hôpital psychiatrique

Par Marie-Pierre Courtois
Publié le 19 août 2011

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2011/08/19/des-audiences-a-l-hopital-psychiatrique,207341.php

Photographies :
— Bruno Karl, président du TGI, auditionne un patient en sa qualité de juge des libertés et de la détention. © Marc Zirnheld
— Thierry Della (à gauche), président de la commission médicale et Roman Cencic, directeur du CHP. © Marc Zirnheld
— Me Germa, avocate, et Bruno Karl avant le début de cette audience originale. © Marc Zirnheld

Les patients hospitalisés sous contrainte passent devant un juge des libertés et de la détention, selon la nouvelle loi [du 5 juillet 1011] entrée en vigueur le 1er août [2011]. Les familles s’inquiètent que l’hôpital ne soit plus un lieu d’accueil mais de jugement.

"Savez-vous pourquoi vous êtes ici et ce dont vous souffrez ?" Après s’être présenté, le président du Tribunal de grande instance de Pau, Bruno Karl, en qualité de juge des libertés et de la détention (JLD), adresse la question à un patient hospitalisé le 3 août sous contrainte au centre hospitalier des Pyrénées (CHP).

L’homme, retraité, raconte que son hospitalisation résulte d’une altercation avec des agents de la SNCF. Le juge lui explique qu’il souffre de troubles psychotiques chroniques : son état nécessite le maintien de l’hospitalisation selon l’avis de deux médecins.

« Vous êtes dans le déni »

« Même si je n’étais pas normal, je peux revenir tout seul si je me sens mal » argumente l’homme. « Vous êtes dans le déni de ces problèmes » avance le juge. Très calme jusqu’alors, le patient se rebiffe : « Je n’ai jamais été violent avec personne, je ne suis pas schizophrène ! » « Non, en effet, ce n’est pas le diagnostic », lui accorde le magistrat. « C’est à cause de mon psychiatre. Je ne l’aime pas, il ne m’aime pas ! » Le juge lui répond : « Ce n’est pas une question d’aimer, Monsieur. Vous souffrez de dépression mélancoliforme  ».

Dans le hall attendent trois autres patients, accompagnés d’infirmiers. Depuis le 1er août, date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi de prise en charge psychiatrique, un juge des libertés et de la détention et un greffier viennent deux matinées par semaine auditionner cinq à huit patients. Selon la loi, les audiences peuvent se dérouler à l’hôpital, au tribunal, ou par visioconférence. « Ici, le tribunal se déplace, c’est une chance pour nous », indique Roman Cencic, directeur du CHP.

Le psychiatre n’est plus celui qui « enferme »

Le rôle du juge est de s’assurer du bien-fondé de l’hospitalisation. Chaque patient hospitalisé sous contrainte depuis quinze jours, dont le médecin estime le maintien de l’hospitalisation nécessaire, est auditionné. «  Le fait que la décision soit prononcée par un juge peut être bénéfique à la relation thérapeutique. Le psychiatre n’a plus le double rôle d’être à la fois celui qui soigne et celui qui « enferme ». Mais la loi ne répond en rien aux attentes des psychiatres en terme de qualité et d’amélioration des soins » analyse Thierry Della, président de la commission médicale du CHP.

Le second patient auditionné est un oiseau rare : il a sollicité la présence d’un avocat (1). Visiblement agité, il s’exprime de manière inintelligible… sauf qu’au regardant Maître Germa, il arrive à faire comprendre qu’il ne « veut pas de femme ». « Ce n’est pas une femme, c’est un avocat » tente Bruno Karl pour l’apaiser. Maître Germa prend la parole mais sa plaidoirie sera brève : « Je ne vais pas aller à l’encontre des avis médicaux, qui préconisent le maintien en hospitalisation. » Le patient, lui, s’insurge contre le verdict : « Quoi, je vais rester ici avec ces cons ? ! ? ».

Nouveau turnover dans le hall. Maître German a fini sa mission et s’avoue perplexe. « Dans le cadre d’une hospitalisation sur demande des pouvoirs publics, je ne pense pas qu’un magistrat passera outre le diagnostic médical. Dans ce contexte, le juge avec sa culture juridique ne sert à rien, c’est une perte de temps et d’argent. ». Selon la loi, cette audience relève du droit du patient d’être entendu par une personne neutre et lui offre une protection en cas d’hospitalisation abusive.

« L’intervention d’un juge est un garde-fou positif, mais il faut dire que dans le département, les hospitalisations abusives sont extrêmement rares », précise Alain Rogez, président de l’Union des amis et familles de malades mentaux 64 (Unafam).

Le juge rend sa décision immédiatement

La troisième patiente est une jeune femme peu loquace. Elle souffre depuis 2008 de psychose schizophrénique avec des crises d’angoisse et troubles psychomoteurs. Son état se stabilise lors de séjours au CHP, mais elle rechute à l’extérieur. Elle se dit consciente de sa pathologie et désireuse de se soigner.

« Vous allez mieux, les médecins notent une amélioration clinique, mais estiment qu’il faut encore stabiliser votre état. ». La jeune femme accepte placidement son maintien en hospitalisation. Aucun des patients auditionnés jusqu’à présent n’a été entouré d’un membre de sa famille. L’infirmier qui accompagne le patient reste à ses côtés à l’audience, à laquelle assistent les médecins s’ils le souhaitent.

Le juge rend sa décision tout de suite après l’audience. Elle est sans surprise comme l’a dit ironiquement un patient avant même d’être auditionné : « Après avoir délibéré, la Cour dit : « Vous serez puni ! ». Pour eux, l’hospitalisation équivaut à un enfermement, et son maintien à une sanction.

(1) Tout patient peut-être accompagné d’un avocat commis d’office. Seuls deux sur une vingtaine déjà auditionnés y ont eu recours.

En chiffre : 13 201

C’est le nombre de personnes qui ont été suivies (au moins une fois) en 2010 au Centre hospitalier des Pyrénées ou en consultation extérieure. 430 patients ont été hospitalisés sous contrainte, dont 80 à la demande des pouvoirs publics et 350 à la demande d’un tiers.

Une loi contestée par les psychiatres

En réaction à l’assassinat d’un étudiant à Grenoble par un patient ayant fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève en 2008, la loi sur la prise en charge en psychiatrie, votée le 5 juillet [2011], instaure un suivi plus cadré des patients hospitalisés sous contrainte, avec intervention d’un juge des libertés et de la détention et soins sans consentement en ambulatoire. Globalement, le milieu psychiatrique y voit un « dispositif ignorant la réalité des soins ». Trente-neuf signataires ont créé un collectif « contre la nuit sécuritaire ». Pour eux, la loi assimile la maladie mentale à la délinquance, voire à la criminalité, amalgame qui stigmatise l’ensemble des patients au mépris de la réalité. Leur rapport cite une statistique de la commission violence et santé mentale : en 2005, sur 51 411 personnes mises en examen dans des affaires pénales, 212 ont bénéficié d’un non-lieu pour irresponsabilité mentale, soit 0,4 % des crimes et délits. « Les législateurs n’ont pas tenu compte de l’avis des professionnels et des associations d’usagers, cette loi freine les soins au lieu de les améliorer » estime pour sa part Thierry Della, président de la commission médicale du CHP.

« Cette loi, c’est de la frime, elle ne protège personne »

« En ce moment mon fils ne va pas bien… Avant le 1er août, j’aurais demandé au CHP de le recevoir mais aujourd’hui, je recule devant l’idée de le faire réhospitaliser. Cela m’inquiète de le mettre dans un dispositif de contrainte plutôt que de soins », confie Chloé*. Mère d’un jeune qui a déjà été hospitalisé à sa demande et se trouve en sortie d’essai, elle estime que la loi du 5 juillet, et notamment le passage devant un juge des libertés et de la détention, aura un effet pervers.

« Si la famille hésite à faire entrer son proche dans un engrenage qui dépasse le cadre médical, il y a un risque que la personne reste sans soin et devienne plus dangereuse. ». Et pour Chloé, l’hôpital — en vieux français hospital — doit rester un lieu d’hospitalité mais aussi de confidentialité : l’idée d’audience publique la révolte.

« Cette loi, c’est de la frime, elle ne sert à rien ! Et elle ne protège personne » s’insurge Marguerite*, mère d’un patient quadragénaire actuellement en hospitalisation complète. « Les docteurs renvoient forcément les malades en ville, ils n’ont pas la place pour les garder. Le problème, c’est que la société ne sait pas quoi faire de ces patients. Même les médecins semblent dépassés pour gérer la maladie… Comment peut-on demander aux familles de le faire ? ».

Avant, un patient pouvait, sur autorisation médicale, quitter le CHP le samedi par ses propres moyens et revenir le dimanche. Maintenant, aucune sortie de plus de douze heures n’est permise. Le patient doit être pris en charge par un membre de son entourage qui vient le chercher le matin et le ramène le soir. Cette restriction complique la vie des familles et engage leur responsabilité. La loi prévoit une obligation de soins sans consentement, sur protocole prescrit par le médecin. « Mais que se passe-t-il si la personne rompt son programme ? Qui sera responsable ? » interroge Alain Rogez, président de l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam) 64. L’Unafam est favorable à la loi du 5 juillet, « car elle va dans le sens de la continuité des soins et reconnaît l’incapacité des patients à se soigner eux-mêmes », précise Alain Rogez… qui souligne « beaucoup de flou dans cette loi ».

Hormis l’Unafam, qui a perdu un certain nombre (non communiqué) d’adhérents en prenant position pour la loi, les autres associations de familles la jugent « tape-à-l’œil et inapplicable ».

* Les prénoms sont fictifs pour préserver l’anonymat des témoins.

Plus de travail, pas plus de personnel

Magistrats.
« L’application de la loi va nous amener à réaliser 550 à 600 actes d’audience de patients par an… contre une dizaine avant. Et nous avons un poste en moins, nous sommes passés de 23 à 22 magistrats. La première audience a lieu au bout de quinze jours d’hospitalisation sous contrainte, la seconde au bout de six mois, la troisième au bout de six autres mois. » Selon Bruno Karl, président du TGI, la loi justifierait la création de deux postes (greffier à temps plein, juge à mi-temps).

Médecins psychiatres.
Avant toute audience, plus de six certificats médicaux (à 24 heures, à 72 heures, à six jours, à dix jours, avant l’audience) doivent être établis, dont les deux derniers, réalisés par le médecin psychiatre traitant et un autre médecin, servent de base à la décision du juge. « Cette multiplication laissera moins de temps au médecin pour soigner et le personnel administratif va être submergé », selon Thierry Della, qui dénonce une loi très lourde en « paperasserie ».

La présence à l’audience du patient dépend de sa capacité à se présenter au moment fixé. Si son état ne le permet pas selon les médecins, il ne se présente pas et un nouveau certificat médical doit être produit.

Infirmiers et soignants.
Chaque patient convoqué doit être accompagné d’un infirmier ou d’un aide-soignant, qui assiste avec lui à l’audience et le raccompagne ensuite dans son unité de soins. L’audience dure entre dix et vingt minutes, l’attente peut être plus longue. Infirmiers et soignants sont absents de leur unité durant ce temps. « J’ai choisi mon métier pour tenter de soulager la souffrance, écouter, soigner. Je n’ai pas envie de faire de la surveillance et du gardiennage », témoigne une infirmière du CHP. »