2011-06-28 - Analyse par le CRPA de la nouvelle loi relative aux soins psychiatriques sans consentement

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/w7YVW ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/129

Document du mardi 28 juin 2011
Article mis à jour le 30 août 2020

Suite au rassemblement du samedi 25 juin 2011, place de la République à Paris, organisé par le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, ainsi que par le collectif « Mais c’est un homme », contre la nouvelle loi régissant le champ de la contrainte psychiatrique à compter du 1er août 2011, adoptée dans des conditions assez rocambolesques dans le genre, une première analyse.

Voir également :

— 2011-06-24 - Loi "psychiatrie" : les parlementaires d’opposition ne saisiront pas le Conseil constitutionnel ,

— et 2011-06-22 - AFP : La réforme des soins psy adoptée • Dépêche de l’APM du même jour .

— Ou bien avec quinze mois de recul : 2012-10-02 - La loi du 5 juillet 2011, tournant sécuritaire et putsch judiciaire .

Au 5 juillet 2011 : 2011-07-05 - Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux soins psychiatriques sans consentement.


C.R.P.A. — Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 — Rna : W751208044
14, rue des Tapisseries — 75017 Paris | Tél. 01 47 63 05 62 | http://crpa.asso.fr
Représentée par son président André Bitton, même adresse | andre.bitton2 chez orange.fr


André Bitton,
 
Paris, le 28 juin 2011

Je me permets l’analyse suivante de la situation actuelle créée par la nouvelle loi adoptée en 3e lecture par l’Assemblée nationale le 22 juin 2011 :

Nous vivons actuellement et une contre réforme psychiatrique accentuant l’arsenal répressif psychiatrique et une révolution psychiatrique à la française, de nature juridique, qui va trouver son développement d’ici un, deux ou trois ans. L’unification du contentieux de l’internement psychiatrique vers la juridiction judiciaire en 2013 va certainement provoquer une seconde explosion en nombre de ce type de contentieux, suite à celle de l’introduction du contrôle de plein droit des hospitalisations sans consentement temps complet par les juges de libertés et de la détention.

— La judiciarisation de part en part du système de la contrainte psychiatrique sera effective probablement d’ici un à deux ans du fait de l’encadrement progressif des modalités administratives non encore judiciarisées par la jurisprudence.

— Nous allons connaître une nouvelle réforme parlementaire au moins partielle, de ce système, d’ici un an sans doute, du fait de l’ouverture laissée aux Questions prioritaires de constitutionnalité par les parlementaires de l’opposition de gauche qui ont décidé, à notre demande, de ne pas saisir par voie parlementaire le Conseil constitutionnel, laissant ainsi la porte ouverte aux procédures judiciaires individuelles tendant à faire constater la contrariété à la Constitution de la nouvelle loi, article par article, sur QPC (Questions prioritaires de constitutionnalité).

Ces deux pôles donc (contre-réforme sécuritaire, et révolution juridique — à développer) se contrarient d’ores et déjà et font système. Notre système psychiatrique de la contrainte est devenu un système mixte : médico-administratif et judiciaire. L’Histoire a avancé ces derniers mois, également pour la psychiatrie française, dont le retard était évident, avéré.

Il est il est à noter que le secteur psychiatrique vient d’exploser, s’agissant de son cadre légal, et qu’indifféremment des structures privées aussi bien lucratives que non lucratives pourront, sur habilitation des Agences régionales de santé, gérer des mesures psychiatriques de contrainte. Un combat politique et légal très important est donc à livrer pour les défenseurs des usagers comme pour les syndicats de professionnels sur le terrain de l’exercice des missions de service public et des habilitations aux prérogatives de puissance publique. En effet, il serait pour le moins incongru que les patients et leur famille aient à payer comptant, ou forfaitairement, des pratiques de contrainte qui forment un exercice de la puissance publique, et qui doivent s’appliquer à titre gratuit. Il est déjà anormal que les personnes placées d’office ou à la demande d’un tiers aient à acquitter un forfait journalier. La Chine fait bien payer aux familles de ses condamnés à mort les balles de fusil qui ont tué leur parent !…

Je signale également aux syndicalistes des professions psychiatriques que leurs syndicats peuvent s’engouffrer dans la brèche laissée ouverte des Questions prioritaires de constitutionnalité, et, à l’occasion de tel contentieux précis, par exemple en excès de pouvoir devant le Tribunal administratif sur tel point d’application de la nouvelle loi, introduire une question prioritaire de constitutionnalité sur les articles en jeu de la nouvelle loi, pour tenter de passer le premier filtre vers le Conseil d’État. Puis ce filtre du Conseil d’État pour déboucher devant le Conseil constitutionnel s’agissant de la contrariété à la Constitution de telle disposition. Par exemple s’agissant de la privatisation du système.

Le système de cette lutte juridique subversive, aux fins de révolution réformiste, se mettait progressivement sur pieds sous la houlette du très regretté Philippe Bernardet (sociologue, décédé prématurément en 2007), en 1990 quand je suis rentré au GIA (Groupe Information Asiles), dont Philippe Bernardet dirigeait la commission juridique, et les axes propagande. Nous pensions alors que sous les doubles coups de boutoir des jurisprudences de droit interne et de celles de la Cour européenne des Droits de l’Homme, sur le terrain des internements arbitraires, abusifs et illégaux, le système prendrait voie d’eau sur voie d’eau, et que la France serait contrainte de réformer son système en le judiciarisant. Cela commence à être fait. Mais contrairement à ce que pensait Ph. Bernardet et nous avec lui, ce n’est pas venu de la Cour européenne des Droits de l’Homme, mais du Conseil constitutionnel, et donc de la réforme de la saisine de cette juridiction constitutionnelle en juillet 2008, par N. Sarkozy d’ailleurs.

Pour mémoire, voir à ce sujet de Philippe Bernardet : Les dossiers noirs de l’internement psychiatrique, Fayard, 1989, épuisé (voir Livres rares sur Internet) ; ainsi que, chez Érès, collection dirigée par Claude Louzoun, l’excellent : Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe, avec la collaboration de Corinne Vaillant et Thomaïs Douraki, 2002, qui reste d’actualité.

N.B. : Je parle bien ici du Groupe Information Asiles (GIA) ancien, tel qu’il fut longtemps dirigé par Philippe Bernardet dans le cadre de la commission juridique du GIA (1982-1992), des suites de cette époque jusqu’en 2000, mais également tel que je l’ai systématisé de 2001 à 2010.