2011-03-08 - FASM Croix-Marine : Communiqué de presse, projet de loi sur la psychiatrie

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/w741V ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/51

Document du mardi 8 mars 2011
Article mis à jour le 30 août 2020
par  CRPA

Fédération d’aide à la santé mentale Croix-Marine : « La Croix Bleu-Marine devenue par simplification ‹ Croix-Marine › a été choisie par ses fondateurs en référence à la Croix-Rouge pour faire signe de souffrance psychique. » « Pour une action coordonnée en faveur des personnes présentant une souffrance ou un handicap psychiques dans les champs sanitaire, social et médico-social. »

N.B. : Le CRPA n’endosse pas nécessairement toutes les nuances des communiqués à l’écho desquels il participe. Ce « communiqué de presse » n’est pas encore paru sur le site de la Croix-Marine lorsqu’il est publié ici.


Paris, le 8 mars 2011

Malgré une mobilisation sans précédent le gouvernement a décidé de délibérer en procédure accélérée à partir du 15 mars 2011 sur un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques ».

La FASM Croix-Marine rappelle qu’il y a exactement quatre ans, elle s’était vivement prononcée, à côté des représentants des familles et des usagers qui avaient été le fer de lance de la mobilisation d’alors, contre la confusion introduite par le projet de loi sur la prévention de la délinquance qui faisait un amalgame entre délinquance et troubles mentaux se manifestant dans l’espace public, avec la mise en place d’un fichier des personnes internées comparable aux fichiers des personnes délinquantes. Il faut rappeler qu’à l’époque, même le Conseil national de l’Ordre des médecins avait déclaré que ce projet de loi constituait « une violation grave des droits à une vie privée et à l’intimité des patients ».

Force est de constater que le pouvoir actuel réitère cette volonté d’assimiler troubles psychiques et dangerosité sociale, au mépris de toutes les avancées de ces dernières années en termes de lutte contre la stigmatisation et de droits des patients, avec la loi de mars 2002 et celle du 11 février 2005 qui a reconnu que les personnes présentant des troubles psychiques avaient également le droit de bénéficier des compensations que notre société reconnaît aux personnes en situation de handicap.

Lorsque l’on lit attentivement ce texte, l’on constate qu’il relève beaucoup plus du vocabulaire du ministère de l’Intérieur que de la Santé : il y est question de manière récurrente de la sûreté des personnes et de l’atteinte à l’ordre public comme si la maladie mentale induisait inéluctablement ce type de problématique alors qu’à aucun moment il n’y est question de la souffrance psychique des personnes concernées et de leur famille.

Il faut que les citoyens sachent que les mesures de sûreté imposées déjà aux établissements de soins, en application de la circulaire de janvier 2009, publiée en urgence après les injonctions du président de la République à Antony, le 2 décembre 2008, ont contribué à réduire la qualité de l’accueil de ces établissement. C’est l’ensemble des patients, dont la grande majorité est hospitalisée de son propre chef qui doit subir la présence de grillages et de caméras vidéo qui induisent une ambiance de surveillance au dépens d’une attention soignante ; par ailleurs, de nombreuses familles attendent aujourd’hui de retrouver leur proche, qui bien que médicalement en état de sortir, est retenu « enfermé » par la seule volonté de certains préfets.

Mais ce projet de loi ne se cantonne pas aux procédures de privation de liberté à laquelle la société a parfois besoin de recourir dans l’intérêt des personnes concernées ou de leur entourage social. En effet, il propose un changement de paradigme dont le législateur n’a pas pris la mesure en substituant la contrainte liée au fait d’être hospitalisé contre son gré au fait que ce sont dorénavant les soins eux-mêmes qui se feront sous contrainte, en prévoyant que cette contrainte puisse s’exercer jusqu’au domicile personnel du patient. Ce projet de loi précise, dans le cas où l’hospitalisation complète n’apparaît pas nécessaire et que le choix d’un traitement ambulatoire sous contrainte est décidé, que ce soit le directeur de l’établissement qui aura reçu initialement ce patient qui ait la charge d’établir le document fixant la date des visites médicales obligatoires ; si ce calendrier n’est pas respecté et qu’il s’avère impossible d’examiner le patient, il appartiendra au psychiatre d’alerter la direction de l’établissement qui saisira elle-même les autorités.

On voit ainsi que ces modalités sont en contradiction avec l’éthique du soin qui impose la recherche d’une confiance, le respect de l’intimité du patient et des garanties de liberté de prescription des actes thérapeutiques choisies par le psychiatre et son équipe en accord avec le patient lui-même et le cas échéant sa famille, mais qu’elles relèvent plus d’une logique de contrôle social et de sûreté publique. De même, on ne peut se satisfaire de la création d’un nouveau fichier de patients considérés a priori comme dangereux, parce qu’à un moment de leur parcours de soins il aura fallu recourir à une unité pour malades difficiles, fichier qui constituera un véritable casier judiciaire psychiatrique.

Il faut noter que la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre dernier, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déjà nécessité de modifier ce projet de loi. Il ne s’est agi, en fait, que d’un ajustement de détail sans qu’une véritable réflexion n’ait été engagée sur la manière d’assurer le recours aux soins, y compris lorsque celui-ci demande une limitation temporaire de liberté.

Une réflexion nous semble nécessaire sur la place du juge judiciaire, éventuellement susceptible de se substituer au représentant de l’État ou au préfet de police, comme cela est le cas dans la majorité des pays européens.

Quoi qu’il en soit, en l’absence d’un véritable travail de concertation qui n’a pas eu lieu (ou de pure forme), nous allons être confrontés, si cette loi est votée, à de nombreux recours tant au niveau du Conseil constitutionnel que devant les instances européennes. Pourquoi le juge n’interviendrait-il pas d’emblée et seulement au bout de 15 jours ? Quelle garantie sera donnée sur les 72 heures d’hospitalisation initiale, que d’aucuns appellent déjà, et en particulier le Syndicat de la Magistrature, « garde à vue psychiatrique » ? Comment peut-on imaginer que la nécessité d’un recours au juge, au quinzième jour d’une hospitalisation sous contrainte, puisse ne pas s’appliquer également aux soins sous contrainte en ambulatoire ? Sans compter que cela va demander des moyens en termes de juges, de greffiers, d’experts alors même que toutes ces catégories de professionnels sont déjà saturés. Bref, on va vers une catastrophe en termes de droit, de procédures de recours et de soins.

Pourtant, ce projet de loi parle à juste titre de la nécessité de lever les obstacles à l’accès aux soins. Nombre de familles déplorent en effet de manière récurrente le fait d’être confrontée à des patients en rupture de soins pour lesquels malgré leur sollicitation insistante, aucune réponse n’est apportée. Ce constat méritait une véritable analyse afin de déterminer la nature des obstacles, incluant les différents acteurs médicaux et sociaux (médecins généralistes, travailleurs sociaux, police, pompiers) et les équipes de psychiatrie elles-mêmes, afin d’y remédier et de limiter le recours aux hospitalisations sous contrainte. Est-ce vraiment en décidant que les soins pourront être obligatoires en ambulatoire que les équipes de secteur, qui ont tendance à voir leurs moyens se déliter ou « rapatriés » sur l’hôpital, pourront se mobiliser pour remédier à cet état de fait, alors que ce que propose ce projet de loi est en contradiction avec l’éthique du soin évoquée par le Conseil de l’Ordre en 2007.

Nous comprenons le désarroi des familles confrontées au fait de voir un de ses proches abandonné à domicile dans un déni total de sa pathologie du fait qu’un certain nombre d’équipes de secteur se soient insuffisamment mobilisées pour « aller vers » le patient. Mais est-ce que l’UNAFAM peut vraiment croire qu’une telle loi qui privilégie la contrainte à tout va en renforçant la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques, davantage victimes qu’auteurs de troubles à l’ordre public comme cela a été maintes fois rappelé, va apporter une solution à cette préoccupation légitime ? Au lieu de ce subterfuge de soins ambulatoires sous contrainte ne convient-il pas plutôt de donner davantage de moyens aux équipes en développant et en élargissant, par exemple, les visites à domicile : elles représentent les premières véritables garanties du suivi du soin et de l’accompagnement de la personne et de son entourage.

Nous nous associons en revanche à la volonté de ce mouvement de réclamer un nouveau plan santé mentale. La loi HPST a modifié les conditions de travail sur les territoires et voudrait favoriser le décloisonnement entre les équipes de secteur psychiatriques et les structures médico-sociales et sociales d’accompagnement au quotidien qu’il est effectivement nécessaire de développer. Mais faut-il encore prendre la me-sure de ces besoins et reconnaître les exigences propres à la psychiatrie. Celles-ci ne sauraient se calquer sur celles d’un simple modèle médical où ne serait pris en compte que le traitement psychotrope au détriment de la complexité du soin psychique et encore moins d’un modèle de surveillance policière. La maladie mentale, en effet, qu’on l’appelle folie, troubles psychiques ou handicap psychique met en question la conception même de l’humain et du lien social et il est indispensable que cette dimension anthropologique soit prise en compte.

Nous appelons donc les pouvoirs publics à engager rapidement une réelle concertation impliquant élus nationaux et territoriaux, professionnels de la psychiatrie et du social, représentants des familles et des usagers eux-mêmes, juristes, sur la manière d’organiser et de rénover la politique de santé mentale à l’heure de la loi HPST et du développement des aidants de proximité non professionnels.

Ce n’est que dans le cadre d’une telle réflexion partagée que pourront s’inscrire alors les modalités de privation de liberté qu’exigent certaines situations toujours douloureuses. Ces situations dramatiques ne représentent, rappelons-le, qu’un pourcentage limité sur les centaines de milliers de patients suivis en psychiatrie. Elles constituent, néanmoins à chaque fois, des situations éprouvantes aussi bien pour les personnes elles-mêmes, que pour leur famille et le corps social. Elles demandent une attention partagée afin qu’elles fassent l’objet le plus rapidement possible d’un véritable accueil professionnel, au lieu qu’elles soient politiquement exploitées pour alimenter des peurs ancestrales et exclure encore un peu plus une catégorie de citoyens dont la maladie a déjà suscité un retrait social.

Dans l’immédiat, la FASM Croix-Marine ne peut que s’associer à tous ceux qui demandent le retrait de ce projet de loi qui est inapplicable dans sa forme et inacceptable quant au fond. Elle est prête en revanche à participer à cette réflexion sociétale qu’elle appelle de ses vœux.

Contacts presse :
Dr Bernard DURAND, président : b.j.durand chez free.fr
Joseph MORNET, secrétaire général : mentor.jch chez numericable.fr