2011-03-01 - Lettre aux parlementaires sur le projet de loi sur les soins psychiatriques (Sud Santé-Sociaux)

• Pour citer le présent article : http://goo.gl/Zq4uM ou http://psychiatrie.crpa.asso.fr/47

Document du mardi 1er mars 2011
Article mis à jour le 30 août 2020
par  CRPA

Fédération SUD Santé-Sociaux
Solidaires - Unitaires - Démocratiques

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Paris, le 1er mars 2011

Mesdames et messieurs les députées (és),
Mesdames et Messieurs les sénatrices (eurs),

Objet : Vote de la loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » va être discuté à l’Assemblée Nationale à partir du 15 mars prochain.
La Fédération Nationale des Syndicats Sud Santé Sociaux œuvre, avec d’autres dans le cadre de collectifs, contre son adoption.
Vous trouverez ci-dessous les arguments principaux qui étayent notre opposition. Ils sont de deux natures, s’ancrant à la fois dans la clinique et dans le droit.

La décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 a contraint le gouvernement à remanier ce projet de loi déposé à l’assemblée nationale le 5 mai 2010. Une lettre rectificative en conséquence entérine la nécessité d’un contrôle par le juge pour maintenir les hospitalisations contraintes au-delà de 15 jours, puis tous les 6 mois. Par ailleurs cette lettre revient aussi sur la simplification des mesures d’hospitalisations contraintes initialement prévue (retour aux deux certificats médicaux).

Pour autant ce projet « rectifié », tout comme la loi de 90 actuellement en vigueur (loi nº 90-527 du 27 juin 1990, relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leur conditions d’hospitalisation), inscrit toujours la personne souffrant de troubles mentaux dans une loi d’exception, au regard du droit français comme du droit européen.

Notre Constitution affirme que le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles. La propre jurisprudence du Conseil constitutionnel assure le respect de ce principe au terme de 48h en matière de garde à vue et de droit des migrants irréguliers. Les pays d’Europe se sont progressivement alignés sur les recommandations européennes en garantissant aux malades le contrôle par un juge des décisions d’hospitalisations contraintes dès leur mise en œuvre.
Ce projet persiste lui à créer un droit particulier, stigmatisant ainsi une catégorie de population.

Pourtant la France compte parmi les pays européens qui présentent le nombre le plus élevé d’hospitalisations sous contrainte ainsi que la durée de séjour la plus longue.

Pourtant les éléments chiffrés concordants de la Direction Générale de la Santé, de l’Inspection Générales des Affaires Sociales et de l’Inspection Générale des Services Judiciaires, ainsi que les études réalisées par le CNRS, alertent sur l’inflation des mesures de contraintes qui ont doublé depuis 1990 et, à l’intérieur, celle des procédures d’urgence !

Pourtant, dans « l’étude d’impact » du 24 décembre 2010 publiée par le Ministère de la Santé, par ailleurs largement contestable sur bien des points d’analyse, des disparités départementales importantes sont constatées en matière de recours à la contrainte : 1 à 5 pour les hospitalisations sur demande d’un tiers, 1 à 9 pour les hospitalisations d’office !

Toutes ces données devraient nous faire comprendre que nous faisons fausse route de longue date en matière d’hospitalisations contraintes.

Ces données doivent être analysées et mises en perspective avec les pratiques et le dispositif de soins. Une nouvelle loi doit s’appuyer sur le bilan de la loi de 90, dont on peut repérer les lacunes, les paradoxes et les dérives. Elle nécessite un état des lieux du déploiement de la politique de secteur et un diagnostic pour expliquer sa mise en œuvre très inégale sur le territoire. Une nouvelle loi doit s’élaborer à partir de la concertation entre les professionnels, les usagers et les élus.

Sur la notion de soins ambulatoires contraints

La première remarque est que la notion de « soins contraints » relève d’un non sens. Une loi peut prévoir les moyens d’hospitaliser une personne sans son consentement, voire l’administration d’un traitement dans des conditions bien définies, mais en psychiatrie on ne peut parler de soins que dès lors qu’une relation de confiance est établie. Le soin en psychiatrie relève de la relation thérapeutique.

Le refus des « soins ambulatoires » contraints, est majoritairement partagé par les intervenants de la psychiatrie. Il est absurde, au nom d’une loi prétendument sanitaire, de contraindre les professionnels à des pratiques dont ils savent par expérience qu’elles sont contre-thérapeutiques !

La pratique de la psychiatrie de secteur a prouvé que des lieux d’accueil à taille humaine, proches des lieux de vie, accessibles librement 24h/24h facilitent l’accès aux soins et limitent non seulement le recours à la contrainte mais aussi les hospitalisations.

Les soignants savent que contraindre n’est pas soigner et que le déni de la maladie opérant chez certains malades n’est pas soluble dans la contrainte, fût-elle à l’extérieur de l’hôpital. Il n’est nul besoin d’accepter un diagnostic de psychose à une personne pour entendre qu’elle est en souffrance et accepter des soins.

En pratique, bien au contraire, ce projet va se révéler contre productif, en faisant de toutes les structures de soins des lieux de contrainte, de contrôle et d’éventuelle plate-forme de « réembarquement » pour l’hôpital. L’extension de la contrainte aux soins ambulatoires va ainsi dévoyer ces lieux alternatifs à une hospitalisation complète.

Cela privera les patients d’un espace où des soignants peuvent accueillir librement et de façon repérée la souffrance psychique qui leur est adressée et les accompagner vers les soins : c’est-à-dire repérer ensemble leur fonctionnement mental, leurs modes relationnels et leurs conséquences pour accepter d’engager une relation de soins.
Cette modalité de contrainte n’est par ailleurs pas soumise dans le projet au contrôle du juge, ni même définie dans le temps. Le statut des structures dans lesquelles elle peut s’exercer n’est pas davantage défini (structures strictement publiques ?).
Pire, elle peut s’exercer partout, y compris au domicile, ce qui constitue une violation du droit à la protection de la vie privée.

Cette contrainte à domicile privera les personnes qui la subissent de tout lieu où recréer une intimité nécessaire à partir de laquelle construire une relation sociale.

Que le protocole de soins prévu dans le cadre des soins ambulatoires contraints, pouvant comporter des soins à domicile, soit défini par un décret en Conseil d’État reviendrait à voter une loi en aveugle de ses conséquences. Ne revient-il pas aux soignants de définir des protocoles de soins ?

Sur les « 72h »

Cette période de 72h crée la possibilité de retenir quelqu’un contre son gré sans que même ne soit interrogée la nécessité de la contrainte. Elle prive de fait la personne d’un certain nombre de libertés fondamentales (aller et venir, communiquer, respect de la dignité de la vie privée, de la règle du consentement aux soins…) en l’absence de tout contrôle judiciaire. Elle n’impose même pas que la preuve de la recherche du consentement à des soins soit faite, ni même que l’obligation soit donnée de proposer des soins alternatifs à une mesure d’hospitalisation complète.

Sur les modalités d’audition par le Juge

Le projet prévoit la possibilité de recourir à la visio-conférence pour le contrôle par le juge des libertés et de la détention des hospitalisations contraintes de plus de quinze jours. Une véritable audition, un véritable dialogue doit avoir lieu entre la personne, son avocat et le juge.

Tout dispositif électronique de communication à distance priverait les parties de la confrontation réelle et pourrait dans certains cas exciter toute forme d’interprétation délirante. Nous pourrions vous parler également de l’illusion d’inviolabilité de cette forme de communication.

Sur les modalités de mainlevée des hospitalisations contraintes

Le projet prévoit, pour les personnes ayant séjourné en Unité pour Malades Difficiles ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale, l’avis d’un collège de soignants, constitué de deux psychiatres et d’un cadre de santé.

Ce dernier n’est pas un soignant mais un collaborateur du directeur, il représente donc l’autorité administrative. Il n’est même plus obligatoirement détenteur du diplôme de base de la spécialité dans laquelle il exerce ses fonctions de cadre.

En outre cette mesure induit de fait la constitution d’un fichier et d’un casier psychiatrique, ce qui est inacceptable !

D’autre part, en cas de désaccord entre les médecins traitants et le préfet dans le cadre d’une décision de sortie ou de modification du régime de prise en charge de la personne, le juge des libertés et de la détention doit être saisi, ce que le projet ne prévoit pas.

La place du tiers et de la personne de confiance

Le projet prévoit de limiter le rôle du tiers demandeur de soins. Il doit conserver le pouvoir de lever sa demande lorsqu’il estime que les conditions qui l’ont amené à demander la contrainte sont levées. De la même façon la « personne de confiance » doit être informée à chaque étape de la prise en charge.

En conclusion ce projet de loi relève davantage d’une inspiration sécuritaire que sanitaire

Il n’offre pas de garanties suffisantes aux personnes en terme d’information, de protection des libertés individuelles et de voies de recours qui demeurent complexes et donc peu effectives.
Il va renforcer la souffrance des soignants en les contraignant davantage à exercer la contrainte.
Faut-il le rappeler, le soin psychiatrique s’opère dans une relation thérapeutique. Ce sont de professionnels en nombre suffisant et dûment formés dont les personnes souffrantes ont besoin.

En lieu et place d’une analyse des besoins sociaux, ce projet de loi n’est autre qu’une mise en scène de la peur. En l’état, il ne permettra d’améliorer ni l’accès aux soins ni le droit des patients. Il est le reflet d’une illusion sécuritaire.

En préalable à toute loi c’est le fonctionnement du dispositif global qui doit d’abord être débattu. 87% des soins se font hors hospitalisation complète.
De même, si l’hospitalisation est parfois utile, l’hôpital doit être identifié avant tout comme un lieu de soins. Faut-il rappeler que la majorité des personnes hospitalisées (77%) l’est librement ?

Toute loi relative aux droits et à la protection des personnes concernées par des soins psychiatriques doit commencer par affirmer que la contrainte est exceptionnelle, et que la recherche du consentement doit être considérée comme prioritaire.

Si la contrainte s’avère parfois nécessaire, elle doit être limitée à la stricte nécessité thérapeutique et il doit pouvoir être démontré que tout a été mis en œuvre pour l’éviter.
L’avis de la personne doit être pris en considération et le refus de traitement doit pouvoir s’exprimer.

Nous vous demandons de tout mettre en œuvre pour que ce projet de loi ne soit pas voté et qu’une véritable concertation s’ouvre avant toute modification de la loi actuelle.

Et si nous pouvons nous permettre une critique essentielle sur le dispositif de soin actuel, son manque ne vient pas de la capacité à contraindre, mais de celle à fournir une écoute prompte à l’expression d’une souffrance et de pouvoir y répondre de façon diversifiée.

En vous remerciant de votre attention, acceptez, Mesdames et Messieurs, nos salutations les plus respectueuses.

La commission exécutive fédérale
Le secrétariat